Congrès et symposiums
Publié le 06 nov 2012Lecture 4 min
La fréquence cardiaque : une nouvelle cible thérapeutique en pratique
P. de GROOTE, CHRU de Lille
Les Journées françaises de l'insuffisance cardiaque
Les grandes études épidémiologiques ont démontré le lien entre la fréquence cardiaque et l’augmentation des événements cardio-vasculaires ou de la mortalité. L’étude SHIFT a eu le mérite de nous rappeler que ce lien existait aussi chez des patients suivis pour une insuffisance cardiaque secondaire à une dysfonction systolique du ventricule gauche(1). Dans le groupe placebo de l’étude, il existe une relation quasi-linéaire entre la fréquence cardiaque à l’inclusion et les événements cardio-vasculaires (mortalité cardio-vasculaire et/ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque). Cette relation existe aussi dans le groupe recevant de l’ivabradine, mais les valeurs seuils de fréquence cardiaque sont plus basses(2).
La méta-analyse de McAlister, qui a regroupé plus de 19 000 patients de 23 études évaluant les bêtabloquants dans l’insuffisance cardiaque a montré qu’une baisse de la fréquence cardiaque de 5 battements par minute (bpm) permet de réduire de 18 % la mortalité totale et une réduction de 5 % de la fréquence cardiaque est associée à une baisse de 15 % de la mortalité totale(3). Il n’y a pas de relation entre la fréquence cardiaque initiale, la fréquence cardiaque sous bêtabloquant, la dose de bêtabloquant et la baisse de la mortalité.
Réduire la fréquence cardiaque semble être maintenant une nécessité pour diminuer les événements cardio-vasculaires de nos insuffisants cardiaques de type systolique.
Mais tous les « ralentisseurs » ne sont pas équivalents
De nombreuses études thérapeutiques avec des bradycardisants ont montré soit un effet délétère des médicaments par rapport au placebo, soit un effet neutre. On se rappelle des études des années 90, comme l’étude CAST, avec la flécaïne ou l’encaïnide, ou l’étude SWORD avec le d-sotalol qui nous ont démontré que certaines thérapeutiques efficaces sur des paramètres intermédiaires (extrasystoles ventriculaires) pouvaient entraîner une surmortalité.
Parmi les autres anti-arythmiques, on retiendra l’azimilide (étude ALIVE), le dofétilide (études DIAMOND-MI et DIAMOND-CHF) et l’amiodarone (études CHF-STAT et SCD-HeFT). Toutes ces études ont montré une neutralité du médicament par rapport au placebo. Malheureusement, l’un des nouveaux anti-arythmiques, la dronédarone, a été évaluée dans l’étude ANDROMEDA qui a du être arrêtée prématurément en raison de sur-événements dans le groupe recevant la dronédarone. Toutes ces molécules sont de puissants bradycardisants mais sont également responsables d’effets secondaires, en particulier pro-arythmiques. Un autre bradycardisant, le mibefradil, n’a pas fait mieux que le placebo dans l’étude MACH-1. Ce résultat négatif, et les nombreuses interactions médicamenteuses induites par le mibefradil, ont fait rapidement oublié cet inhibiteur calcique des canaux T. Enfin, il reste le plus ancien des bradycardisants, la digoxine. Dans l’étude DIG, la digoxine réduit significativement les hospitalisations pour insuffisance cardiaque sans aucune baisse de la mortalité totale ou cardio-vasculaire.
L’équipe de McMurray a recalculé dans l’étude DIG, l’effet de la digoxine sur la mortalité cardio-vasculaire et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque, objectif principal de l’étude SHIFT(5). Les auteurs de cette analyse trouvent une réduction similaire de ces événements dans l’étude DIG et l’étude SHIFT, suggérant un efficacité comparable de la digoxine et de l’ivabradine et évoquent un retour possible de la digoxine au premier plan du traitement de l’insuffisance cardiaque systolique. L’éditorial accompagnant cette analyse, co-écrit par Karl Swedberg et Michel Komajda, soulève les importantes différences entre ces deux études(6). Tout d’abord, l’étude DIG a été réalisée avant l’ère des bêtabloquants dans l’insuffisance cardiaque avec de ce fait une différence considérable en termes d’événements dans les deux études : 49 % de mortalité cardio-vasculaire et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque dans le groupe placebo de l’étude DIG contre 29 % dans l’étude SHIFT. La différence importante entre la digoxine et l’ivabradine est la tolérance du médicament. En effet, à l’instar de la spironolactone après l’étude RALES, les autorités de santé dans certains pays ont constaté après l’étude DIG, une augmentation du nombre d’hospitalisations et de décès secondaires à des intoxications à la digoxine. La toxicité de la digoxine est un risque à ne pas négliger, surtout chez les patients fragiles, en particulier insuffisants rénaux, ou âgés.
La tolérance des médicaments et leur innocuité sont fondamentaux
La réduction de la fréquence cardiaque est un objectif thérapeutique indispensable dans l’insuffisance cardiaque systolique, associée au blocage de l’activation neuro-hormonale. L’utilisation des bêtabloquants n’est plus mise en doute. L’autre bradycardisant efficace, bien toléré et sûr, est l’ivabradine. Tous les autres bradycardisants cités dans cet article sont peut-être efficaces mais ont des effets secondaires importants expliquant les résultats des grandes études (négatives ou neutres). La digoxine garde sa place comme ralentisseur en présence d’une fibrillation auriculaire. Dans les autres cas, lorsque la fraction d’éjection du ventricule gauche est inférieure à 35 %, pour ralentir la fréquence cardiaque, il faut utiliser en première intention les bêtabloquants puis l’ivabradine.
En pratique, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les bêtabloquants doivent être prescrits à tous les patients souffrant d’insuffisance cardiaque systolique. Les diurétiques sont à administrer uniquement à la dose minimale efficace pour contrôler la rétention hydrosodée. Il est indispensable et fondamental d’augmenter les doses d’IEC et de bêtabloquants aux doses réellement maximales tolérables. Ensuite, chez les patients sévères, toujours en classe III-IV de la NYHA ou en classe II mais récemment hospitalisés, il faut prescrire un inhibiteur de récepteurs aux minéralocorticoïdes (éplérénone ou spironolactone). Enfin, chez tous les patients sévères ou non, si la fréquence cardiaque en rythme sinusal reste supérieure à 70/min, l’ivabradine doit être prescrite pour ralentir le rythme cardiaque avec un objectif entre 50 et 60 bpm(7).
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