Publié le 29 nov 2005Lecture 9 min
Angioscanner coronaire - Quelles expectatives ?
B. LANCELIN, C. CAUSSIN, B. DAOUD, S. GHOSTINE et J.-F. PAUL, Centre cardiologique Marie Lannelongue, Le Plessis-Robinson
L’imagerie coronaire est depuis une quarantaine d’années le fait de la coronarographie, examen dont le taux de complications reste limité mais qui demeure cependant un examen invasif ayant tendance à générer des craintes partiellement justifiées chez les patients. Les progrès techniques du scanner et, à certains égards, de l’IRM tendent à remettre en cause cette suprématie de la coronarographie.
« Les hommes, même les scientifiques, ne peuvent s’empêcher d’espérer. Leurs expectatives sont simplement plus précises ». (Karl A. Menninger)
Cela pose le problème de savoir à quelle échéance ces nouvelles techniques seront suffisamment fiables pour considérer ne pas avoir besoin de coronarographie diagnostique, hormis les cas où une procédure de revascularisation par angioplastie coronaire est indiquée par l’angioscanner.
Cette dernière technique n’est pas récente et son apport en imagerie cardiaque est resté limité pendant 20 ans pour le cœur car c’est un organe mobile. Depuis l’an 2000 et l’apparition des premiers scanners multicoupes (SMC), des progrès techniques, tous les 2 ans, ont permis de transformer la donne avec la multiplication des coupes, 4, 16, puis 64 en 2004. Les progrès techniques des quatre constructeurs engagés dans une concurrence qui a pour enjeu le vaste marché qui semble se dessiner, font progresser les SMC à chaque grand congrès.
Bilan actuel
Avant d’envisager les expectatives, encore faut-il avoir une idée de la situation actuelle. Les équipes travaillant avec les scanners multicoupes 4 et 16 coupes ont multiplié les publications comparant la coronarographie au SMC. L’analyse des résultats montre que, du 4 au 16 coupes, les progrès sont considérables et que l’on ne peut envisager d’étudier le réseau coronaire qu’avec un minimum de 16 barrettes.
Les résultats avec le scanner 16 barrettes sont concordants en ce qui concerne la valeur prédictive négative, une bonne valeur prédictive positive avec cependant quelques restrictions concernant la présence de calcifications et la nécessité d’une bradycardie suffisante. La prise d’un bêtabloquant en cas de fréquence cardiaque > 70/min est souhaitée. En outre, les résultats sont meilleurs sur l’interventriculaire antérieure et la coronaire droite que la circonflexe et les marginales. L’examen, s’il permet de visualiser les troncs coronaires chez presque tous les patients, ne permet pas de visualiser tous les segments artériels chez tous les patients examinés. Dans l’ensemble, en des mains expérimentées, le scanner 16 barrettes donne des résultats tout à fait satisfaisants chez la grande majorité des patients, laissant envisager un jour la possibilité de « coronarographie non invasive ».
Ce que les nouveaux angioscanners permettent
L’angioscanner 64 coupes, dernier progrès commercialisé, permet des temps d’examen nettement plus courts avec des coupes plus minces (0,4 mm), donc une meilleure résolution. Les travaux de C. Caussin et J.-F. Paul comparant les sténoses coronaires avec l’écho endocoronaire attestent d’un progrès en précision, en passant de 16 à 64 coupes, avec une amélioration de 50 % de la précision de mesure de la surface luminale minimale (figure 1).
Figure 1. Le logiciel du SMC permet de mesurer la surface des sténoses coronaires de manière comparable à l’échographie endocoronaire.
Cependant vitesse et précision, qui sont souhaitables, se heurtent au risque d’exposer le patient à une irradiation trop forte en des mains inexpertes ou tout simplement inattentives. Le risque est d’autant plus fort que le caractère non invasif peut conduire à une multiplication de ces examens et à leur répétition. C’est dire si les médecins réalisant ces examens doivent être expérimentés et vigilants pour les réaliser avec qualité sans irradiation excessive. Ne pas prendre garde à ce problème peut conduire à des irradiations nettement supérieures à celles de la coronarographie. Il faut garder en mémoire que ces patients risquent d’être exposés aux irradiations de la coronarographie et de la scintigraphie myocardique en plus de celle du SMC. Même avec une acquisition rapide, il faut un certain temps d’analyse, qui s’améliore avec les progrès du posttraitement allant vers une automatisation. C’est une des raisons pour lesquelles les examens sont souvent à visée de dépistage plutôt qu’une analyse anatomique et lésionnelle complète du réseau coronaire. En effet, on considère que le gold standard actuel est la coronarographie et que la mise en évidence d’une seule lésion nécessite une coronarographie pour un diagnostic complet ainsi qu’éventuellement un geste thérapeutique de revascularisation pouvant être effectué dans le même temps. On voit maintenant des patients arriver en salle de cathétérisme avec le diagnostic lésionnel précis laissant envisager une angioplastie pour laquelle il a, bien sûr, été préparé.
Dans l’état actuel des choses, les résultats publiés doivent être étayés par de grandes séries multicentriques comparatives avec la coronarographie, tout en sachant que le vrai gold standard de la sténose coronaire est l’échographie endocoronaire, comme l’attestent de multiples études publiées par les équipes utilisant cette technique.
Un certain nombre de publications, notamment dans les syndromes coronaires aigus, ont montré dans certains cas une sous-évaluation de lésions coronaires par la coronarographie, lésions qui sont mieux vues par l’angioscanner et les ultrasons. Ces deux techniques ont en commun de mieux analyser la paroi des artères coronaires, pouvant mettre en évidence des plaques athéromateuses volumineuses non suspectées par la coronarographie.
Ainsi, indépendamment de l’aspect diagnostique, le SMC est en train de prendre sa place à côté de la coronarographie. En effet, il est susceptible de détecter la maladie coronaire chez des patients où cette pathologie n’est pas formellement suspectée ; grâce à sa valeur prédictive négative, il permet de sélectionner certains patients avant de faire une coronarographie, qui ne serait pas pratiquée en cas de scanner normal. On voit ainsi que le SMC peut, dans un premier temps, trouver naturellement sa place avec comme arrière-pensée la réduction du nombre de coronarographies normales, qui est encore excessif (> 30 % dans le registre contrôlé de l’Ile-de-France) (figure 2). Le SMC permet le contrôle des pontages (figure 3).
Figure 2. Réseau coronaire normal.
Figure 3. Contrôle de pontages coronaires artériels.
Dans le même ordre d’idées, les travaux de Romeo chez les patients transplantés permettent désormais de dispenser ces patients de coronarographies itératives lorsque le scanner ne montre pas de lésion significative (figure 4). Des travaux en cours devraient dans le futur valider le SMC comme examen de première intention dans l’analyse du réseau coronaire des valvulopathies (en particulier les RAC), dans les cardiomyopathies et chez les patients ayant un bloc de branche gauche (figure 5). Les travaux de Perrier ont montré que lorsque l’épreuve d’effort n’était pas contributive, alors que le SMC était en mesure de sélectionner les patients coronariens.
Figure 4. Arbre coronaire chez un patient dont la coronaire gauche naît de la droite.
Figure 5. Intérêt du SMC en cas de bloc de branche gauche (BBG).
Le nombre de coronarographies devrait progressivement se réduire et on peut espérer que ce soit par une diminution des coronarographies normales.
L’angioscanner coronaire permet de sélectionner des patients suspects de coronaropathie avant coronarographie, d’éviter cet examen chez un pourcentage encore faible de patients ; il se positionne en outre comme complément de l’examen invasif.
- Le premier apport est une aide à l’évaluation des lésions du tronc commun permettant une analyse morphologique afin d’évaluer la faisabilité de l’angioplastie.
- Le second est l’analyse morphologique des sténoses ostiales du tronc commun et de la coronaire droite pour visualiser les rapports entre l’origine de ces vaisseaux et l’aorte afin d’aider au choix technique de la procédure de revascularisation et guider le positionnement du stent avant la procédure (figures 6 et 7). Cela est maintenant devenu routinier quand les examens scannographiques sont de qualité. La meilleure résolution est obtenue avec les scanographes de dernière génération (jusqu’à 0,4 mm).
Figure 6. Pathologie coronaire chez un patient dont la circonflexe naît de la coronaire droite.
Figure 7. Pathologie ostiale de la coronaire droite associant une lésion calcifiée et une plaque molle.
Quels sont les obstacles à l’extension du SMC ?
On peut se demander ce qui manque pour substituer le SMC à un nombre plus important de coronarographies. Les obstacles sont multiples et ne pourront être levés que progressivement.
Le temps d’examen est raccourci significativement par le passage à 64 coupes mais, malgré les progrès des logiciels, le posttraitement reste encore relativement long, plus que celui de la lecture d’une coronarographie. Certaines lésions nécessitent une analyse fine qui peut prolonger encore le temps d’interprétation. Dans ce domaine, des progrès essentiels sont à venir sous forme d’un posttraitement automatisé. Il faudra aussi favoriser la diffusion des images pour que leur lecture soit aussi simple pour tout médecin disposant d’un ordinateur, comme c’est le cas avec les coronarographies gravées sur un CD.
La résolution actuelle est en net progrès (à 0,4 mm) mais reste encore moins bonne que celle de la coronarographie. Son amélioration passe par des progrès techniques en cours. Ceux-ci devront se faire sans augmentation excessive de l’irradiation. Il est, en effet, possible d’améliorer l’image en augmentant la dose de rayonnement, ce qui doit être évité car l’irradiation de l’angioscanner ne devrait pas dépasser celle de la coronarographie (figure 8).
Figure 8. L’interprétation lésionnelle des artères très calcifiées est parfois difficile.
La rapidité d’acquisition atteint 330 ms, avec le passage à 64 coupes ; les développements industriels futurs, encore secrets, devraient encore améliorer la vitesse d’acquisition. Il leur sera notamment demandé, pour l’acquisition et le posttraitement, d’optimiser l’évaluation des sténoses en cas de calcifications coronaires étendues.
La formation. Pour répondre aux demandes qui ne vont pas manquer de croître, il faudra un nombre de praticiens formés et expérimentés suffisant. Les Sociétés françaises de cardiologie et de radiologie ont pris conscience de ce problème concernant les deux spécialités et ont créé un groupe de travail afin de pouvoir régler en commun les problèmes multiples posés par les progrès de cette technique, et notamment être en mesure de rédiger des recommandations en se basant sur les connaissances scientifiques et assurer la formation des radiologues et cardiologues. La pratique de ces examens, par la connaissance de la pathologie coronaire et l’aspect technique pouvant aussi concerner d’autres organes, fait que radiologues et cardiologues seront amenés à collaborer dans chaque établissement selon des accords et affinités à caractère local.
Résister à la tentation !
Les directions dans lesquelles se feront les progrès sont multiples et il faudra se baser sur de grandes études car les tentations sont multiples.
Vouloir connaître l’état de la paroi artérielle des patients ayant des facteurs de risque. L’état actuel des connaissances permet de distinguer les plaques molles et les plaques fibro-calcaires. Cela peut induire le souhait de procéder à des dépistages à grande échelle dans les populations ayant des facteurs de risque et des professions à risque. La tentation est particulièrement forte chez les diabétiques. Là encore, ce sont des études communes menées par les sociétés savantes qui devront dire dans quelle mesure le SMC peut trouver sa place dans l’arbre décisionnel.
Avoir recours systématiquement en première intention au SMC chez tous les coronariens. En cas de syndrome coronaire aigu, il ne peut en être question du fait de la nécessité fréquente d’angioplastie dans le même temps.
En revanche, dans les situations douteuses, l’angioscanner est une bonne opportunité pour décider de la conduite à tenir, d’autant plus que le SMC permet de diagnostiquer les autres pathologies thoraciques, telles la dissection aortique ou l’embolie pulmonaire. On en arrive au concept de « chest pain unit » où le SMC, surtout dans ses évolutions les plus récentes, grâce à sa vitesse d’acquisition permet de trier les urgences douloureuses thoraciques, en sachant que l’analyse du myocarde par le SMC permet notamment de visualiser des aspects d’ischémie mais aussi de myocardite aiguë.
Contrôler la perméabilité des stents. La surveillance des stents du tronc commun est maintenant validée par les travaux de S. Ghostine et J.-F. Paul ainsi que de M. Gilard. On peut actuellement contrôler la perméabilité des stents du tronc commun (figure 9). Cela se justifie car, jusqu’à présent, il fallait faire un contrôle coronarographique à cause de la sévérité des resténoses. Pour les autres vaisseaux, la surveillance est habituellement fonctionnelle et il n’y a pas de raison que cela change dans la mesure où une redilatation ne sera envisagée que s’il y a ischémie. Néanmoins, avec le SMC 64 coupes, les travaux C. Larchez et J.-F. Paul montrent qu’une analyse des stents est possible pour 88 % des stents, analyse facilitée par une bradycardie < 65/min, un calibre > 3 mm, avec un examen plus difficile sur la circonflexe, ce qui peut rendre service, mais il n’est pas d’actualité de contrôler tous les stents implantés par le SMC.
Figure 9. Contrôle d’un stent du tronc commun implanté 5 mois auparavant.
En pratique
L’angioscanner est d’ores et déjà devenu incontournable pour le diagnostic des coronaropathies. Il peut aider au bilan morphologique de certaines lésions en complément de la coronarographie avant certaines procédures d’angioplastie. Le champ de cet examen devrait s’étendre dans les années à venir dans le dépistage de la maladie coronaire et son bilan lésionnel.
Si, actuellement, il est encore trop tôt pour que cet examen remplace la coronarographie, il est facile d’imaginer que le nombre de coronarographies pourrait diminuer significativement au cours des prochaines années. Si les progrès techniques du SMC continuent au même rythme, la substitution pourrait s’accélérer.
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