Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 27 juin 2006Lecture 21 min
Arythmies en phase aiguë d'IDM : ce que le cardiologue doit savoir
P. MAURY, A. DUPARC et M. DELAY, CHU Rangueil, Toulouse
Les arythmies les plus diverses peuvent survenir et compliquer la phase aiguë de l’infarctus du myocarde (IDM) ; chacune nécessite une prise en charge adaptée et spécifique. Le but de cette revue est de faire le point sur l’épidémiologie, les mécanismes et la conduite thérapeutique actuellement recommandée concernant les divers troubles rythmiques rencontrés au cours des premières heures ou des premiers jours de l’infarctus.
L'IDM est un terrain propice à l’éclosion des arythmies cardiaques les plus diverses qui ponctuent le déroulement de sa phase aiguë, de la simple tachycardie sinusale jusqu’à la fibrillation ventriculaire.
Leur très haute prévalence est mieux connue depuis les surveillances monitorées systématiques réalisées au sein des unités de soins intensifs coronariens, puisque des arythmies peuvent être observées chez neuf infarctus sur dix au cours des premiers jours.
Leur retentissement potentiel sur un état hémodynamique déjà souvent précaire et leur action délétère dans l’ischémie amènent à une prise en charge rapide, efficace et adaptée aux conditions particulières qu’impose l’infactus en phase aiguë.
Mécanismes des arythmies de l’infarctus en phase aiguë
L’ischémie ou la reperfusion, la nécrose ou l’inflammation tissulaire, la réaction péricardique, l’hyperadrénergie, les contraintes mécaniques, la mise en jeu de réflexes endocardiaques, les troubles ioniques, les modifications neurohumorales secondaires aux déséquilibres hémodynamiques s’associent pour engendrer bradycardies ou tachycardies.
La fréquence de ces dernières s’explique par l’exacerbation temporaire des trois éléments indispensables à leur genèse, selon le schéma du « triangle des arythmies » décrit par P. Coumel, avec éclosion des extrasystoles (la gâchette), apparition de territoires myocardiques nécrosés ou ischémiques (le substrat) et déséquilibre de la balance vagosympathique (le facteur modulateur).
Tous les types d’arythmies peuvent donc être rencontrés et chacune d’entre elles justifie une prise en charge particulière dans ce contexte.
Les bradycardies
L’apparition de signes de dysfonction sinusale ou de troubles conductifs auriculo-ventriculaires est une éventualité fréquemment rencontrée au cours des premières heures ou jours suivant un infarctus.
Hypertonie vagale
Une hypertonie vagale passagère, secondaire à la mise en jeu de réflexes endocardiaques de type Bezold-Jarish (activation des fibres C, chémo- et mécano-récepteurs surtout présents dans la paroi inférieure du ventricule gauche) réalise le classique syndrome de Shillingford et explique certaines bradycardies sinusales et les blocs AV paroxystiques précoces fréquemment observés, notamment dans les nécroses inférieures (7 à 50 % des infarctus inférieurs développent un BAV précoce). Ces bradycardies paroxystiques sont brutales mais temporaires, durant quelques minutes à quelques heures, et sont sensibles à l’atropine. Elles ne semblent pas avoir de signification pronostique et ne necessitent que rarement une stimulation temporaire, mais elles sont associées à une hypotension pouvant nécessiter un recours au remplissage, voire des vasoconstricteurs périphériques.
Les dysfonctions sinusales
Elles sont observées dans 5 % des infarctus, et leur survenue ne paraît pas être favorisée par le traitement bêtabloqueur. Mises à part celles secondaires à l’hypertonie vagale, des dysfonctions sinusales plus tardives mais plus durables peuvent se voir au décours d’un infarctus essentiellement inférieur avec extension droite, en rapport avec l’obstruction de l’artère du nœud sinusal. La vascularisation du nœud sinusal provient de la coronaire droite proximale dans 60 % des cas et du réseau circonflexe dans 40 %.
Les dysfonctions sinusales sont d’origine lésionnelle et peu sensibles à l’atropine, nécessitant parfois une stimulation temporaire ventriculaire ou même atrioventriculaire. Elles régressent en général quelques jours et quasiment toujours entièrement en quelques semaines, n’ont pas de rôle pronostique à long terme et ne nécessitent en principe pas d’implantation de stimulateur définitif.
Les dysfonctions sinusales sont communes, fonctionnelles par hypertonie vagale transitoire ou organiques, conséquences de l’extension de l’infarctus à l’oreillette droite. Elles sont de manière générale bien tolérées, plus ou moins rapidement régressives et ne nécessitent que rarement une stimulation temporaire ou définitive.
Les blocs auriculo-ventriculaires
Ils représentent, avec les ESV, la complication rythmique la plus fréquente de l’infarctus en phase aiguë. Un patient sur quatre présentera un trouble conductif auriculo-ventriculaire au cours de la première journée. Ils surviennent dans les trois quarts des cas avant la fin du 3e jour et diffèrent en fonction de la localisation de l’infarctus et de leur date d’apparition.
Il est classique d’opposer les blocs des infarctus inférieurs, fonctionnels, et en rapport avec une hypertonie vagale passagère (blocs précoces, cf plus haut), ou organiques postischémiques (blocs tardifs), et les blocs des nécroses antérieures.
Les blocs tardifs compliquent 5 à 20 % des nécroses inférieures et sont plus fréquents en cas d’atteinte ventriculaire droite (40-50 %). Ils sont de topographie supra-hisienne dans l’immense majorité des cas, et peuvent être complets ou non. Ils surviennent en général après la 24e h, de facon progressive (allongement de PR, puis bloc de type Wenckebach (figure 1) puis 2/1 qui évolue ou non vers le bloc de haut degré ou complet) et régressent de manière progressive en suivant une séquence inverse. Ces blocs sont en général bien tolérés, avec échappement stable à QRS fins et à fréquence convenable, durent plus de 48 h mais régressent totalement en 2 à 3 semaines, sans risque de récidive ultérieure, sauf en cas de récidive nécrotique ou d’extension. Ils ne necessitent de stimulation temporaire que lorsqu’ils sont mal tolérés (association à une nécrose du ventricule droit, par exemple, avec parfois necessité de stimulation séquentielle auriculo-ventriculaire) et ne justifient a priori pas d’implantation de stimulateur définitif si on a la sagesse ou l’opportunité d’attendre suffisamment longtemps.
Figure 1. Bloc AV du second degré de type 1 (Wenckebach) au cours d’un infarctus inférieur en évolution.
Ces blocs sont lésionnels, en rapport avec une inflammation du nœud auriculo-ventriculaire secondaire à l’ischémie. Le nœud auriculo-ventriculaire et le tronc du faisceau de His sont vascularisés par une branche de la coronaire droite distale chez neuf patients sur dix, ou par le réseau circonflexe en cas de réseau gauche dominant. Cependant, on note une prévalence importante de sténoses associées de l’IVA dans ces cas de BAV du fait de la collatéralité fréquente provenant de cette artère. En fait, les études anatomo-pathologiques ont retrouvé des lésions nécrotiques intéressant surtout le myocarde atrial supranodal et, à un moindre degré, le nœud auriculo-ventriculaire ou le tronc du faisceau de His eux-mêmes ; l’artère responsable de la vascularisation du nœud AV n’est que rarement occluse. Ces blocs ne sont pas améliorés par l’atropine (et parfois même aggravés en cas de bloc incomplet du fait de l’accélération sinusale) mais plutôt par l’aminophyline (antagoniste des récepteurs des cellules nodales à l’adénosine, synthétisée localement en réponse à l’ischémie). Ces blocs ne semblent pas avoir de rôle pronostique à long terme mais augmentent la mortalité hospitalière, notamment en cas d’association à une extension de l’infarctus au ventricule droit.
Les blocs compliquant les infarctus antérieurs sont de topographie infrahisienne et de nature lésionnelle, inflammatoires ou nécrotiques. L’artère interventriculaire antérieure vascularise la branche droite et l’hémibranche antérieure gauche par ses branches septales proximales, l’hémibranche postérieure dépendant en outre pour une part du réseau coronarien droit.
Ils surviennent au cours des premières heures ou jours, sont généralement précédés de troubles conductifs intraventriculaires (bloc gauche, bloc droit et hémibloc antérieur gauche surtout, voire bloc alternant) dans les minutes ou heures précédentes. Ils sont d’apparition brutale et d’emblée de haut degré, sans échappement ou avec un rythme idioventriculaire très lent, et nécessitent le plus souvent une stimulation ventriculaire temporaire en urgence, parfois même instaurée de manière prophylactique dès l’apparition de l’élargissement des QRS.
Si les troubles conductifs intraventriculaires compliquent 5 à 10 % des nécroses antérieures, les bloc AV sont plus rares : un quart à un tiers des patients avec bloc de branche évolueront vers le bloc AV, soit 1 à 2 % des infarctus.
Ils compliquent les nécroses antérieures étendues secondaires à une occlusion de l’IVA proximale et comportent de ce fait des taux de mortalité hospitalière et tardive élevés.
Ils régressent le plus souvent en quelques jours, de manière subite, laissant cependant fréquemment persister des troubles de conduction intraventriculaire qui sont, eux, définitifs.
L’évolution à distance, notamment en cas de persistance de troubles conductifs, est grevée d’une surmortalité précoce par décompensation hémodynamique et surtout mort subite, probablement au moins en partie liée aux arythmies ventriculaires en rapport avec la dysfonction ventriculaire gauche associée. La persistance du bloc doit, bien entendu, conduire à l’implantation d’un stimulateur définitif, mais, du fait des lésions myocardiques étendues, l’implantation prophylactique d’un boîtier de défibrillation (avec resynchonisation biventriculaire si besoin) doit se discuter, y compris en cas de régression partielle ou même totale des troubles conductifs. Ceci ne concerne en fait qu’un faible nombre de patients du fait de la surmortalité précoce associée à ce tableau.
Enfin certains blocs auriculo-ventriculaires ou intraventriculaires peuvent régresser rapidement après désobstruction coronarienne médicamenteuse ou instrumentale, même tardive, démontrant dans certains cas leur origine ischémique pure, en cas d’infarctus antérieur ou inférieur.
La thrombolyse semble avoir abaissé de manière significative l’incidence des troubles conductifs intraventriculaires (documentés à l’admission ou au cours du suivi dans 30 % des infarctus avant l’ère des thrombolytiques) ainsi que le risque de troubles conductifs atrioventriculaires puisque l’incidence des blocs complets est passée de 5,3 % dans les années 80 à 3,7 % à l’ère de la thrombolyse. Les bêtabloqueurs, quant à eux, ne paraissent pas modifier le risque de survenue ou le degré des blocs auriculoventriculaires.
Les blocs auriculoventriculaires sont très fréquents en phase aiguë d’infarctus. Leur évolution et leur pronostic dépendent principalement de la localisation de la nécrose. On oppose les blocs suprahisiens des infarctus inférieurs, initiaux et fonctionnels par hypertonie vagale, ou retardés et lésionnels, habituellement bien tolérés et toujours régressifs, des blocs infrahisiens des infarctus antérieurs, mal tolérés et souvent persistants, de pronostic plus sombre et qui nécessitent en général une stimulation temporaire, voire définitive.
Les arythmies supraventriculaires
Tachycardie sinusale
Elle est d’observation courante, secondaire au stress et à l’hypertonie adrénergique, aux complications hémodynamiques ou pulmonaires, ou parfois liée à un syndrome hyperkinétique. Du fait de son effet propre délétère sur la consommation d’oxygène et de son rôle arythmogène, elle doit être combattue ; le traitement bêtabloqueur trouve ici une de ses principales indications. De fait, les bêtabloqueurs diminuent la fréquence sinusale en phase aiguë d’infarctus. L’ivabradine, bloqueur du canal If, régulateur de l’automatisme sinusal, aura peut être un rôle dans ce cadre.
Les extrasystoles auriculaires
Elles sont fréquentes (20-40 % des infarctus), parfois polymorphes et nombreuses, annonçant la fibrillation atriale. Celle-ci survient en moyenne dans 10 % des infarctus (7 à 20 %), quelle que soit leur localisation, démarrant des premières heures jusqu’au 4e jour. Elle ne semble pas liée à la localisation de la nécrose, mais pourrait être favorisée par l’âge, la réaction péricardique, une extension droite, une atteinte nécrotique atriale gauche par occlusion circonflexe, une atteinte tritronculaire, l’absence de reperfusion, l’importance du territoire nécrosé, la tachycardie sinusale, la dysfonction VG ou une fuite mitrale.
Le risque de récidive ultérieur paraît faible (fibrillation atriale « aiguë » transitoire), en tous cas davantage lié à la cardiopathie ischémique séquellaire qu’aux épisodes fibrillatoires initiaux. Elle augmente le risque d’accident embolique et favorise le développement de l’insuffisance cardiaque et du choc cardiogénique en phase aiguë. Tous les auteurs s’accordent pour lui trouver une valeur pronostique défavorable, quelle que soit la gravité de l’atteinte ventriculaire gauche, facteur indépendant ou non de surmortalité précoce ou tardive.
Le traitement fait appel aux bêtabloqueurs pour ralentir la réponse ventriculaire et améliorer la tolérance, voire à la digitalisation ou à l’amiodarone en cas d’inefficacité ou de contre-indication hémodynamique. L’amiodarone peut, en outre, contribuer à la cardioversion et à la prévention des récidives. La cardioversion électrique est réservée aux formes sévères avec des critères francs de mauvaise tolérance. Les antiarythmiques de classe 1 sont par principe contre-indiqués.
Le risque de survenue des tachycardies supraventriculaires a baissé depuis l’introduction des bêtabloqueurs en phase aiguë d’infarctus, au contraire des thrombolytiques, qui n’ont pas contribué à diminuer l’incidence de la fibrillation auriculaire, mais qui semblent cependant améliorer la mortalité de ce sous-groupe de patients.
Autres troubles rythmiques
De manière plus anecdotique peuvent aussi se rencontrer des flutters communs (0,5 à 3 %), au risque de récidive ultérieure probablement faible en l’absence d’antécédents de ce type, des tachycardies atriales monomorphes ou multifocales (1 à 3 %) et des tachycardies jonctionnelles réciproques, nodales ou sur faisceau accessoire, inaugurales ou non, favorisées par l’extrasystolie auriculaire ou ventriculaire.
Plus exceptionnels sont l’apparition d’une préexcitation après modification des propriétés de conduction du faisceau accessoire (raccourcissement de la période réfractaire en rapport avec l’ischémie quand la connexion est localisée au voisinage de la nécrose), ou les tachycardies jonctionnelles automatiques des infarctus inférieurs, de mécanisme et conséquences similaires aux RIVA. Un rythme jonctionnel actif moins rapide est plus banal en cas de nécrose inférieure, et doit être différencié d’un bloc auriculoventriculaire quand il interfère avec une bradycardie sinusale relative donnant des aspects de dissociation isorythmique.
La fibrillation atriale est fréquente en phase aiguë d’infarctus et de mécanisme varié. Elle comporte un rôle pronostique péjoratif et doit être activement traitée par la prescription de bêtabloqueurs ou d’amiodarone.
Les arythmies ventriculaires
L’infarctus du myocarde en phase aiguë génère de manière quasi constante des arythmies ventriculaires, puisqu’une arythmie ventriculaire soutenue perturbe l’évolution d’un infarctus sur cinq et, à l’heure de la thrombolyse, 100 % des infarctus développent une extrasystolie ventriculaire. Degré, signification, mécanisme et pronostic de ces arythmies ventriculaires sont éminemment variables, dépendant principalement du moment de leur apparition par rapport au début de l’infarctus ou de leur relation avec une éventuelle reperfusion.
Données expérimentales
D’après les travaux effectués sur des modèles expérimentaux animaux, on classifie habituellement les arythmies ventriculaires en plusieurs phases successives.
La phase 1 comprend une première composante très précoce, dite phase 1A (10 premières minutes après l’occlusion coronarienne chez le chien), en relation directe avec l’hyperadrénergie et l’ischémie, où le risque de fibrillation ventriculaire est maximal. Les périodes réfractaires se raccourcissent, la conduction sous-épicardique est ralentie et des phénomènes de réexcitation focale génèrent des extrasystoles, ce qui favorise le déclenchement de réentrées en zone sous-épicardique. Les zones sous-endocardiques et les fibres de Purkinje paraissent épargnées durant cette phase. Puis on décrit une phase 1B (20 min suivantes) où ces phénomènes s’estompent progressivement, peut-être par la diminution du tonus adrénergique et le développement de la collatéralité.
La phase 2 (6e h à la fin des 48 premières heures) lui succède après quelques heures marquées par le retour à un calme rythmique avec persistance d’ESV isolées. La souffrance des cellules de Purkinje, retardée du fait de leur résistance à l’ischémie et du contact avec le sang de la cavité gauche en raison de leur localisation sous-endocardique, génère des automatismes anormaux ou des activités déclenchées. Des tachycardies irrégulières et polymorphes, peu rapides, sont observées dans les modèles animaux, de mécanisme focal, mais des tachycardies plus rapides et monomorphes, avec critères de réentrées sous-épicardiques semblables à celles de la phase 3, ont aussi pu être déclenchées par stimulation pendant cette phase.
La phase 3, débute le 3e jour et correspond aux arythmies postinfarctus dites « choniques » et liées à des circuits de réentrées constitués de travées de myocytes survivants, cheminant autour de l’infarctus, dans la zone dite bordante, ou au sein même du tissu cicatriciel.
Et chez l’homme ?
Ce schéma séduisant et caricatural reste cependant étroitement dépendant des modèles animaux. Si l’on essaye de faire un parallèle avec ce qui est observé en clinique, on peut toutefois en déduire que les arythmies purement « ischémiques », initiales et précoces (équivalentes à la phase 1), sont celles qui vont se produire en milieu extrahospitalier et conduire aux fibrillations ventriculaires inaugurales et probablement à l’importante part des morts subites de cause ischémique. La phase 2 peut correspondre chez l’homme aux arythmies habituellement documentées lors de la surveillance en unité de soins intensifs coronariens, à savoir essentiellement les RIVA, et aussi quelques fibrillations ou tachycardies ventriculaires « tardives ». Les arythmies plus tardives dites « chroniques » correspondent à la phase 3.
Morts subites
En effet, selon les séries, l’IDM en phase aiguë pourrait être responsable de 20 à 90 % des morts subites ; 60 à 75 % des décès en phase aigue d’infarctus surviennent en phase préhospitalière. Plus de la moitié des décès déplorés en phase aiguë d’infarctus sont subits et surviennent au cours de la première heure.
On déplore encore 2 à 7 % des infarctus qui se compliquent de fibrillation ventriculaire, survenant pour les trois quarts d’entre elles au cours de la première heure. À 48 heures, 3 % des infarctus thrombolysés auront fait une fibrillation ventriculaire, le plus souvent au cours des 4 premières heures, qui récidivera chez un patient sur dix. Seul un accès plus large à la défibrillation semi-automatique pourra améliorer le pronostic spontanément sombre de ces arrêts cardio-circulatoires survenant en phase préhospitalière. Quand elles peuvent être observées (patients hospitalisés ou lors des transports médicalisés), ces arythmies sont volontiers polymorphes, fibrillatoires, associées à des ESV polymorphes à couplage court, naissant d’une onde T déformée par l’ischémie (figure 2).
Figure 2. Exemples d’ESV bigéminées à couplage court au cours d’un infarctus antérieur aigu avec phénomène R/T.
Les fibrillations ventriculaires « primaires »
Elles sont définies par des fibrillations survenant au cours des deux premiers jours en l’absence de choc ou d’insuffisance cardiaque. Une hypokaliémie, un âge jeune, une nécrose électriquement étendue, une bradycardie, une hypotension, un infarctus inférieur seraient des facteurs prédictifs pour certains. Pour d’autres, une atteinte du réseau coronarien gauche serait un facteur favorisant des fibrillations ventriculaires initiales extrahospitalières, qui sembleraient sans rapport avec l’étendue de l’infarctus, la fraction d’éjection, l’extension de la maladie coronarienne, le caractère proximal ou distal, ou le caractère partiel ou complet de l’occlusion.
Elles sont imprévisibles, même si elles sont précédées dans 60 % des cas par des modifications de la fréquence sinusale (tachycardie ou plus rarement bradycardie) ou certaines arythmies ventriculaires « d’alarme » (ESV à couplage court ou long, polymorphes, fréquentes, isolées ou en salves), qui sont cependant peu spécifiques car très fréquentes.
Ces fibrillations primaires sont la cause d’une surmortalité précoce (doublement de la mortalité hospitalière) mais n’influeraient pas sur la mortalité tardive, quoique cela reste controversé par certains.
La fibrillation ventriculaire reste d’observation courante et la cause des trop fréquentes morts subites préhospitalières qui contribuent à la mortalité précoce encore élevée de l’infarctus du myocarde, mais elle n’a pas d’incidence sur la mortalité tardive.
Les rythmes idioventriculaires accélérés (RIVA)
Ils sont observés surtout au cours des premières 24 heures, le plus souvent monomorphes, de fréquence classiquement inférieure à 120/min, survenant en salves plus ou moins soutenues, souvent récidivantes voire parfois incessantes, démarrant souvent à l’occasion d’un ralentissement modéré du rythme sinusal par un complexe ventriculaire à couplage long, et associant souvent complexes de fusion et passages isorythmiques (figure 3). Classiquement décrits comme plus fréquents en cas d’infarctus inférieurs, ils ne semblent en fait pas spécifiques d’une localisation de nécrose particulière et sont observés dans 30 % (9 à 45 %) des infarctus, voire même plus souvent en cas de thrombolyse médicamenteuse. En effet, ils peuvent être un marqueur rythmique de reperfusion, notamment quand surviennent au cours de la première heure après thrombolyse. Ces RIVA sont le plus souvent bien tolérés, ne nécessitent donc pas de traitement (autre qu’une accélération sinusale, par exemple par l’atropine pour récupérer une séquence auriculoventriculaire physiologique quand celle-ci semble nécessaire) et ne comportent pas de valeur pronostique particulière.
Figure 3. Exemples de démarrage et d’arrêt de RIVA sur infarctus inférieur en phase aiguë. Noter les fusions progressives avec le rythme sinusal puis avec un RIVA de morphologie différente.
Les fibrillations ventriculaires primaires « tardives »
Elles peuvent se voir plus rarement jusqu’à la 48e heure (0,5 % des infarctus, récidivantes dans 15 % des cas) sans rôle pronostique à long terme.
On peut aussi observer des tachycardies monomorphes soutenues ou non. Avant l’ère de la thrombolyse, 5 à 50 % des infarctus se compliquaient de tachycardie ventriculaire, dont une minorité seulement étaient soutenues (et dans ces cas, monomorphes une fois sur deux). Plus récemment, on note que 1 à 2 % des infarctus vont présenter des tachycardies ventriculaires monomorphes soutenues, dont la moitié dans les 4 premières heures et les trois quarts avant la 12e heure. Sur les enregistrements Holter, on note même des tachycardies ventriculaires, soutenues ou non, chez 80 % des patients thrombolysés, et des tachycardies ventriculaires avec plus de 15 QRS chez un patient sur quatre.
Certaines de ces tachycardies ventriculaires sont peut-être focales, de mécanismes similaires aux RIVA, mais accélérées du fait de l’hypertonie sympathique, d’autres préfigurent déjà les mécanismes des arythmies « chroniques » avec circuits de réentrée temporairement stables au sein d’une large zone ischémique.
Les tachycardies ventriculaires monomorphes soutenues surviennent préferentiellement sur des infarctus antérieurs étendus à fraction d’éjection abaissée, avec insuffisance cardiaque et troubles conductifs intraventriculaires ; elles augmentent la mortalité hospitalière. Elles ont tendance à récidiver dans un tiers des cas.
Les arythmies ventriculaires observées pendant la surveillance en unité de soins intensifs coronariens sont essentiellement représentées par les RIVA, bénins, passagers et bien tolérés, qui ne nécessitent aucun traitement, et plus rarement par des tachycardies ventriculaires soutenues ou non, ou des fibrillations ventriculaires qui ne paraissent pas modifier le pronostic à long terme.
À partir de la 48-72e h, du point de vue rythmique, on entre dans la phase cicatricielle ou chronique. Le mécanisme des tachycardies ventriculaires monomorphes compliquant à distance le pronostic des infarctus fait alors intervenir des phénomènes classiques de réentrées empruntant les circuits décrits plus hauts et qui se mettent en place dans les deux semaines suivant l’infarctus. Chaque année, 3 % des patients survivant à un infarctus présenteront une tachycardie ventriculaire monomorphe soutenue. Fibrillation et tachycardie ventriculaire survenant après la 48e ou 72e heure sont un facteur de surmortalité tardive bien connu et doivent faire poser la question de l’indication d’un défibrillateur implantable.
Les arythmies de reperfusion
Elles peuvent aussi émailler les stades initiaux de l’infarctus du myocarde. En effet, la reperfusion est en général associée avec une recrudescence temporaire des arythmies. Les différencier des arythmies ischémiques est le plus souvent impossible, sauf quand elles surviennent dans les suites immédiates d’une désobstruction par angioplastie ou quand elles s’associent à une amélioration soudaine des signes électriques et cliniques, spontanément ou après thrombolyse.
Elles seraient globalement observées chez 60 % des patients revascularisés en phase aiguë et leur traitement n’a rien de spécifique. Elles sont transitoires, en général bien tolérées, et ne nécessitent souvent pas de traitement. ESV (40 %) et RIVA (45 - 90 versus 0 - 55 % en cas de non reperfusion) et salves de tachycardies ventriculaires non soutenues (38 à 100 % vs 25 à 70 % en l’absence de reperfusion) sont les plus fréquents.
On note aussi des blocs de branches et des bradycardies diverses associées à une vasoplégie (hypertonie vagale par mise en jeu de réflexe endocardiaque), qui sont observées chez un tiers à un quart des patients reperfusés, surtout en cas de désobstruction de la coronaire droite (ou de la circonflexe sur réseau gauche dominant).
La fibrillation ventriculaire est plus rare et de toutes façons son incidence n’est pas significativement modifiée par la thrombolyse dans la majorité des travaux (3,7 à 6,6 % vs 4,6 à 7,7 % en l’absence de thrombolyse). La thrombolyse ne semble donc pas protéger contre la fibrillation ventriculaire « primaire » malgré l’amélioration du pronostic observée via la diminution de la mortalité précoce. Les tachycardies ventriculaires monomorphes soutenues, quant à elles, ne sont probablement pas des arythmies de reperfusion.
Globalement, la valeur prédictive de ces arythmies pour la reperfusion reste faible quand elles sont isolées, hormis peut-être pour les salves de tachycardie ventriculaire prolongées des premières 24 h (38 % en cas de désobstruction vs 0 %) (spécificité 100 %) et les RIVA des 6 premières heures (76 % vs 18 %) (spécificité 82 %). Elles ne sont pas corrélées à la localisation de la nécrose ni à l’artère occluse. Les arythmies ventriculaires survenant après une thrombolyse ne sont pas prévenues par les bêtabloqueurs ni la lidocaïne.
Les arythmies de reperfusion sont fréquentes et variées, mais de toutes façons difficiles à différencier des arythmies ischémiques. ESV, salves de tachycardie ventriculaire et RIVA sont les plus fréquents et les plus évocateurs, même si leur valeur prédictive pour la reperfusion est faible quand elles sont isolées. La thrombolyse n’a pas significativement modifié l’incidence des arythmies malignes.
Un nouveau syndrome rythmique
Un syndrome rythmique gravissime de description récente vient cependant compliquer ce schéma. Il s’agit de fibrillations ou tachycardies ventriculaires, polymorphes ou non, multi-récidivantes, survenant en phase semi-tardive (en général entre le 3e et le 20e jour, mais parfois beaucoup plus retardées), venant compliquer de manière plus exceptionnelle certains infarctus le plus souvent antérieurs et étendus, et qui ont la caractéristique d’être initiés de manière reproductible par des ESV provenant du réseau de Purkinje. Ces troubles rythmiques peuvent aussi prendre la forme de réelles torsades de pointes sur QT long postischémique (figure 4). Le traitement de ces orages rythmiques souvent cataclysmiques repose sur l’association bêtabloqueurs, xylocaïne et amiodarone, la stimulation ventriculaire rapide voire l’anesthésie générale. En cas d’échec de ces mesures, l’ablation des ESV initiatrices doit être envisagée après transfert du patient (quand cela est possible) dans un centre compétent.
Figure 4. Infarctus antérieur avec démarrage d’arythmie ventriculaire « torsadiforme » par une ESV, par ailleurs fréquente et groupée en doublets et courtes salves, provenant du réseau de Purkinje.
Prise en charge des arythmies ventriculaires
Par leurs propriétés antiischémiques et antiarythmiques, les bêtabloqueurs ont clairement démontré leur capacité à diminuer la mortalité totale et subite, et l’incidence des fibrillations et tachycardies ventriculaires en phase aiguë d’infarctus quand ils sont administrés le plus précocement possible, par voie intraveineuse puis par voie orale, dans de grands travaux prospectifs randomisés. Ils doivent donc être largement prescrits en l’absence des contre-indications d’usage (asthme, instabilité hémodynamique, bradycardie). Ils réduisent l’incidence des arythmies ventriculaires fatales en l’absence de thrombolyse mais l’action antiarythmique à l’étage supraventriculaire ou ventriculaire est moins nette chez les patients thrombolysés.
Toute arythmie ventriculaire mal tolérée doit être immédiatement cardioversée. Les traitements médicamenteux ou la réduction par stimulation endocavitaire ne doivent être réservés qu’aux tachycardies monomorphes hémodynamiquement stables. Les arythmies ventriculaires en phase aiguë d’infarctus restent actuellement l’une des dernières utilisations de la lidocaïne. L’effet semble réel quoique modeste en curatif : on note 15 à 30 % d’efficacité seulement dans la réduction des tachycardies ventriculaires, soit moins que l’amiodarone, qui est la seule drogue préconisée dans ce cadre en première intention. Toute tachycardie ventriculaire persistante après tentative de réduction médicamenteuse doit être réduite par stimulation ventriculaire quand les conditions s’y prêtent, ou cardioversée électriquement.
L’emploi de la lidocaïne dans la prévention des arythmies ventriculaires malignes est actuellement déconseillé. En effet, plusieurs métaanalyses regroupant chacune plusieurs milliers de patients ont clairement démontré que, bien que la lidocaïne diminue le risque de fibrillation ventriculaire de 30 %, elle s’accompagne d’une augmentation significative de la mortalité (30 à 40 %), essentiellement par bradycardie ou asystolie, notamment quand elle est utilisée en milieu hospitalier. Cette surmortalité pourrait disparaître, selon certains, en cas de respect des contre-indications. Quoiqu’il en soit, son emploi prophylactique n’a donc plus lieu d’être à l’heure des bêtabloqueurs, même en présence d’ESV « menaçantes » car celles-ci sont de toutes façons peu prédictives. La lidocaïne pourrait être cependant utile dans les arythmies réfractaires à la cardioversion électrique et/ou multirécidivantes, notamment quand l’intervalle QT est allongé.
Du fait de ses propriétés antiarythmiques, de sa bonne tolérance hémodynamique et de l’absence d’effet secondaire en aigu, l’amiodarone, notamment par voie intraveineuse, trouve ici une de ses plus indiscutables indications. Utilisable pour la réduction des tachycardies ventriculaires et en prévention des arythmies malignes, elle a montré une plus grande efficacité sur la mortalité ultérieure que la lidocaïne ou le placebo quand elle est administrée en préhospitalier après arrêt cardio-circulatoire, et fait jeu égal avec le tosylate de brétylium, naguère produit de référence mais actuellement peu employé car d’usage délicat, dans la difficile prise en charge des orages rythmiques.
Enfin, en phase aiguë et surtout en l’absence de critère franc de reperfusion, une revascularisation en urgence doit être envisagée devant toute arythmie ventriculaire maligne récidivante ou réfractaire.
Le traitement bêtabloqueur a avantageusement remplacé la lidocaïne dans la prévention des arythmies malignes initiales. L’emploi de l’amiodarone doit être large du fait de son efficacité et de son innocuité à court terme.
En pratique
La prise en charge des arythmies en phase aiguë d’infarctus du myocarde doit être adaptée à chaque situation, en fonction du type de désordre rythmique, du degré d’urgence, de la tolérance et parfois de la localisation de la nécrose.
Simple surveillance, stimulation temporaire ou définitive pour les bradycardies, bêtabloqueurs avec ou sans amiodarone pour les arythmies supraventriculaires ou ventriculaires sont les moyens thérapeutiques usuels actuellement recommandés au cours des premières heures ou jours de l’infarctus, en sachant que certains désordres rythmiques sont des facteurs pronostiques reconnus, augmentant la mortalité précoce ou même parfois tardive.
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