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Chirurgie

Publié le 17 mai 2005Lecture 12 min

Bilan préopératoire avant chirurgie d'un anévrisme - Que faire chez un patient asymptomatique avec ECG normal ?

J. MACHECOURT, CHU de Grenoble

Cette chirurgie avec clampage aortique, dont les indications sont actuellement bien codifiées, reste grevée d’une incidence élevée d’événements cardio-vasculaires graves péri- ou postopératoires, même à l’ère moderne de la préparation par bêtabloquants et des progrès de la prise en charge périopératoire. Chez le patient, asymptomatique ou peu symptomatique, présentant un électrocardiogramme de base normal, les stratégies thérapeutiques sont dans les faits extrêmement variables d’une équipe à l’autre, allant de l’exploration coronarographique quasi-systématique à l’abstention de toute exploration préopératoire, et le praticien évolue entre deux dangers : une stratégie trop agressive et inversement, une stratégie trop timide. La publication, le 30 décembre dernier, par Mac Falls et al. dans le New England Journal of Medecine de l’étude CARP (Coronary Artery Revascularisation Prophylaxis) apporte quelques éléments de réponse, mais une lecture trop rapide de cette étude peut ajouter encore à la confusion.
Le but de cet exposé est d’analyser les recommandations de prise en charge de ces patients, et en quoi l’étude de Mac Falls pourrait modifier cette prise en charge préopératoire.

    Le taux d’événements graves — décès ou infarctus du myocarde étendu — est de 3,3 % dans l’étude de Boersma et est plus élevé encore (respectivement 2 et 12 %) dans la récente étude CARP. Pour une minorité de patients à très haut risque opératoire, aisément identifiables en clinique (patients examinés au décours d’un syndrome coronarien aigu, patients fortement symptomatiques ou présentant une insuffisance cardiaque non contrôlée avec arythmie ventriculaire sévère), les recommandations et le bon sens imposent de contre-indiquer l’intervention, ou de la reporter jusqu’à stabilisation de l’état clinique et optimisation des thérapeutiques.   Quelles sont les recommandations actuelles chez les patients a- ou paucisymptomatiques ?   Recommandations ACC/AHA Il s’agit essentiellement des recommandations ACC/AHA publiées en 1996, et réactualisées en 2002. Une stratégie « bayesienne » classique est préconisée : la part prépondérante de sélection du patient revient aux renseignements de l’interrogatoire et de l’examen clinique ; les explorations fonctionnelles d’effort (essentiellement scintigraphie myocardique de perfusion ou échographie de stress) sont réservées aux patients stratifiés comme à risque clinique « intermédiaire », alors que les patients à bas risque (tableau 1) sont opérés sans explorations complémentaires. Cette notion de patient à risque « intermédiaire » a été particulièrement évaluée par Eagle et repose essentiellement sur la combinaison de facteurs ou de marqueurs de risque aisément identifiables en préopératoire : présence d’un diabète, d’un angor, patients âgés de plus de 70 ans, antécédent d’infarctus du myocarde, d’insuffisance cardiaque ou modifications de l’électrocardiogramme de base. Autres scores D’autres scores de risque ont été testés, ayant ajoutés de nouveaux critères comme un antécédent d’AVC ou la présence d’une insuffisance rénale (tableau 2). Le score que nous avons validé comprend 7 facteurs. Lorsqu’un patient présente deux ou plus de ces facteurs ou marqueurs cliniques de risque, un bilan préopératoire s’impose, débutant alors par une exploration fonctionnelle isotopique ou échographique de stress. Lorsque cette exploration complémentaire révèle l’existence d’une ischémie myocardique « significative », une stratégie invasive de revascularisation myocardique préalable, passant donc par la réalisation de la coronarographie, est alors conseillée (figure 1). À noter qu’un patient asymptomatique ayant été ponté ou dilaté depuis moins de 5 ans (mais plus de 6 mois après pose d’une endoprothèse nue) n’est pas considéré comme à risque. Figure 1. Explorations avant chirurgie vasculaire de clampage aortique. Données de la littérature Ces recommandations reposent sur des études solides de la littérature, qui apportent trois réponses : L’intervention aortique apparaît grevée d’un risque cardiaque faible chez les patients définis cliniquement à bas risque. Ainsi, dans notre expérience (Vanzetto, Arch Mal Cœur 1999), chez ces patients classés à bas risque et qui n’ont donc pas nécessité de bilan complémentaire préopératoire (soit 72 % des patients de notre registre avant chirurgie vasculaire), le taux de décès postopératoire est de 1,8 %, ce qui est considéré comme bas (figure 2). Une application récente à une série de patients avant chirurgie vasculaire dans un hôpital outre-Atlantique des différents scores définis, montre que le taux de décès postopératoires est < 1 % chez les patients définis cliniquement à bas risque. Figure 2. Paramètres cliniques avant chirurgie de clampage aortique permettant de définir les patients à risque « intermédiaire ». Le risque cardio-vasculaire, à la fois périopératoire mais aussi à distance, est fortement accru chez les patients à risque clinique « intermédiaire » lorsqu’ils présentent également une ischémie myocardique importante sur les tests fonctionnels ; alors que le risque final est bas s’ils n’ont pas d’ischémie importante. Ainsi, la probabilité de survenue d’un événement grave atteint 25 % dans la métaanalyse de Shaw en présence d’une ischémie étendue, alors que cette probabilité n’est que de 1,8 % lorsque la scintigraphie est normale. Après échographie de stress, la probabilité d’événements graves varie de 2 % en cas d’examen normal à 11 %, et même 36 % selon que l’échographie de stress est anormale ou fortement ischémique.   La revascularisation myocardique préventive chez les patients à haut risque (risque clinique intermédiaire + ischémie myocardique) a un rôle protecteur. Cette conclusion avait été tirée de l’analyse des patients inclus dans des études randomisées comparant traitement médical et chirurgical, et ayant bénéficié d’une chirurgie vasculaire. Cependant aucune étude randomisée spécifiquement centrée sur ce problème n’étayait cette hypothèse au moment de la rédaction de ces recommandations. Ainsi, dans la série du CASS, la mortalité périopératoire était réduite de 50 % chez les patients précédemment revascularisés (1,7 vs 3,3 % ; p < 0,03). Dans l’étude BARI, l’angioplastie coronaire et le pontage avaient un rôle protecteur équivalent, à condition d’attendre au moins 1 mois après l’implantation d’une endoprothèse nue pour réaliser la chirurgie vasculaire sinon le risque d’hémorragie ou de thrombose de stent apparaît très élevé. Ainsi les experts écrivaient que « chez les patients ayant une maladie coronaire connue, la chirurgie vasculaire, notamment avec clampage aortique, est associée à un risque cardiaque élevé, qui est réduit par un pontage préalable ».   Quelles sont les zones d’ombre par rapport à ces recommandations ?   La définition clinique du patient à risque intermédiaire Cette définition apparaît « élastique » d’une étude à l’autre. Il faut exiger la présence d’au moins deux marqueurs de risque (voire trois pour certains scores). Alors le pourcentage de patients à risque clinique « intermédiaire » varie entre 20 et 30 % des patients (figure 3). L’utilisation de critères trop peu sélectifs et trop laxistes revient à proposer des explorations complémentaires à des patients à relativement bas risque, chez lesquels la revascularisation coronaire sera à la fois non bénéfique, voire délétère (voir plus loin l’étude de Mac Falls). Figure 3. Application de la stratégie pronostique : pourcentage de patients ayant bénéficié des examens et d’une revascularisation myocardique. Les critères de réalisation de la coronarographie et de la revascularisation myocardique après mise en évidence de l’ischémie myocardique La constatation d’une ischémie myocardique étendue expose à un risque postopératoire et à distance élevé. Chez ces patients, la revascularisation myocardique est susceptible d’améliorer le pronostic par rapport au seul traitement médical. À l’inverse, s’acharner à revasculariser des patients peu ischémiques, en réalisant souvent alors des angioplasties sur des territoires coronaires distaux voire peu accessibles, ne sera d’aucun bénéfice, voire délétère pour le patient. D’après Massie, « l’angiographie coronaire ne devrait être pratiquée que lorsque le résultat des tests non invasifs indique une large zone d’ischémie myocardique, et non pas pour une ischémie limitée ou peu significative ». C’est donc la présence d’une ischémie myocardique étendue, et non pas discrète, ou simplement suspecte, qui doit conduire un patient à risque clinique « intermédiaire » à la coronarographie.   Les progrès thérapeutiques : bêtabloquants, statines et soins périopératoires Les bêtabloquants réduisent le risque périopératoire avant chirurgie vasculaire. Cela a été démontré avec l’aténolol et le bisoprolol, à la fois chez les patients à risque clinique faible et les patients à risque clinique élevé. Dans l’étude DECREASE (Dutch Echocardiographic Cardiac Risk Evaluation Applying Stress Echocardiography) avec le bisoprolol, le risque d’événements graves est réduit des 9/10e. Toutefois, la même équipe montre que, malgré ces bêtabloquants, le risque reste élevé chez les patients cumulant au moins trois facteurs de risque cardio-vasculaire et une ischémie myocardique importante à l’échographie de stress. Plus récemment, il a été montré que l’utilisation préopératoire d’un traitement par statine est également susceptible de réduire ce risque périopératoire grâce à la stabilisation préalable des plaques athéroscléreuses. De toutes ces avancées thérapeutiques, on peut conclure que l’effet protecteur d’une revascularisation myocardique préopératoire ne peut être présent que chez les patients gardant un risque opératoire et postopératoire important malgré le traitement médical.   L’étude CARP Il s’agit de la seule étude prospective randomisée qui s’est intéressée directement à la question de savoir si la revascularisation myocardique préalable avant chirurgie vasculaire majeure peut améliorer le pronostic immédiat et à distance de ces patients. Au départ, 5 859 patients devaient bénéficier d’une chirurgie vasculaire programmée dans 18 hôpitaux de la Veteran Administration (chirurgie de l’anévrisme de l’aorte sous-rénale pour 33 % d’entre eux). Finalement, 510 de ces patients (9 %), présentant un risque « augmenté » d’accidents ont été randomisés entre revascularisation coronaire préalable ou non (60 % par angioplastie, 40 % par pontage aortocoronaire). Avec un recul de 2,7 ans, le taux de mortalité a été identique dans les deux groupes (23 %) ; à 30 jours, le taux de décès et d’infarctus du myocarde est identique (respectivement 2 et 12 %). Les auteurs concluent qu’une « stratégie de revascularisation coronaire avant chirurgie vasculaire élective parmi des patients stables ne peut pas être recommandée ». Doit-on en conclure que si une telle chirurgie est inutile dans cette population, il n’est pas utile non plus de réaliser de bilan préopératoire, notamment les épreuves fonctionnelles ou parfois la coronarographie ? La réponse est non. En effet, la population randomisée dans cette étude n’est pas celle, à haut risque, qui aurait dû être revascularisée préalablement selon les recommandations précédentes. Les critères de réalisation de la coronarographie ont été trop larges par rapport à ceux qui sont préconisés. En effet, ce n’est pas l’existence conjointe de facteurs de risque et d’une ischémie myocardique qui a fait proposer la coronarographie, mais l’existence de trois facteurs de risque ou d’une ischémie myocardique. Nombre de patients inclus ne présentaient qu’un seul facteur de risque associé à une ischémie « significative ». À l’inverse, la recherche de l’ischémie n’a pas été réalisée que chez 62 % (316) des patients randomisés De plus, après scintigraphie, la coronarographie n’a pas été réservée aux patients avec ischémie myocardique sévère mais à l’ensemble des patients chez lesquels une ischémie myocardique “ significative ” était présente (une ischémie sévère n’étant présente que dans 7,3 % des cas). La raison de ces biais de sélection est que « les critères d’analyse du risque ont été laissés à l’appréciation de chaque cardiologue consultant dans chacun des hôpitaux sur la base des recommandations actuelles ». Manifestement, ces cardiologues ont eu des critères larges d’indications de coronarographie ; en effet, parmi les 5 859 patients de départ, 1 654 seulement avaient été exclus en raison d’un risque cardiaque jugé insuffisant et le taux de patients coronarographiés, après avoir écarté « les patients ayant dû avoir une chirurgie urgente, déjà pontés, avec pathologies associées », a atteint 42 % (1 161 sur 2 815 patients). Comparativement à notre série personnelle, le taux de coronarographie n’a été que de 6 % des patients (56 patients sur 982), et dans la série de Bartels de 4 %. Le caractère peu sélectif des critères cliniques et isotopiques de réalisation de la coronarographie explique que les lésions coronaires des patients randomisés entre revascularisation ou non sont relativement modérées : ainsi, 66 % des patients sont mono- ou bitronculaires, avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche généralement préservée. À l’inverse, les patients les plus sévères après coronarographie ont été exclus et conduits directement vers le pontage (patients avec sténoses du tronc commun, dysfonction ventriculaire gauche majeure ou rétrécissement aortique serré). Ainsi, la grande majorité des patients randomisés dans cette étude sont des patients à risques clinique et angiographique assez modérés, avec une ischémie myocardique modérément étendue, voire non évaluée. On comprend mieux le résultat, a priori étonnant, qu’à distance de la revascularisation myocardique, il n’y ait pas de différence de mortalité entre les coronariens revascularisés et les patients non revascularisés. L’étude PACT retrouve les données des études randomisées antérieures réalisées dans la population générale des patients pontés ou dilatés (études CASS et AVERT), dans lesquelles la revascularisation coronaire chez les patients à risque relativement bas n’entraînait pas de bénéfice en termes de survie ou de survenue d’un infarctus du myocarde. L’analyse des sous-groupes de patients à risque, qui auraient pu ou dû bénéficier de la revascularisation préalable, n’est pas informative, car, d’une part les patients les plus sévères ont été exclus de la comparaison (par exemple les sténoses du tronc commun), et d’autre part, la puissance de l’étude n’est pas suffisante pour les autres catégories à risque inclues (il n’y a que 74 patients tritronculaires avec dysfonction ventriculaire gauche et 37 patients avec ischémie myocardique étendue). Dans l’avenir une étude comparative centrée sur ces sous-groupes de patients les plus sévères, c’est-à-dire ceux qui auraient dû être sélectionnés en majorité, sinon en exclusivité, par la stratégie d’exploration préopératoire apparaît particulièrement nécessaire. Ce point a été souligné, notamment par Eagle dans son éditorial du New England dans le même numéro sur l’étude de Mc Falls.   En pratique On peut proposer une stratégie d’évaluation préopératoire de ces patients cardiaques stables avant chirurgie de clampage aortique, notamment cure d’anévrisme de l’aorte sous-rénale : Chez les patients ne présentant qu’un nombre limité des facteurs de risque clinique préopératoire définis auparavant (inférieur ou égal à 2 à 3 facteurs, selon le score utilisé) toute exploration complémentaire est inutile. La mise en route d’un traitement par bêtabloquants (aténolol ou bisoprolol) en préopératoire est justifiée. L’adjonction d’une statine est encore en cours d’évaluation mais probablement utile chez la majorité de ces patients. Les patients présentant plus de 2 à 3 facteurs cliniques de risque cardio-vasculaires, correspondant à environ 20 à 30 % de l’ensemble de la population devant avoir une chirurgie vasculaire, doivent bénéficier d’une recherche d’ischémie myocardique. Selon l’habitude du centre, une scintigraphie myocardique de perfusion sous dipyridamole ou une échographie de stress doivent être réalisées, l’épreuve d’effort conventionnelle paraissant moins performante, voire parfois contre-indiquée dans ce contexte vasculaire. La stratégie ultérieure dépend du résultat de la scintigraphie myocardique : un test révélant une ischémie étendue impose une stratégie invasive. Cela signifie par exemple que l’échographie de stress révèle au moins deux territoires suspects d’ischémie myocardique ou encore que la scintigraphie myocardique de perfusion révèle l’existence, soit d’une hypoperfusion réversible dépassant 15 % du myocarde, soit d’une hypoperfusion fixe dépassant 30 % du myocarde avec ou sans ischémie myocardique associée. L’attitude finale dépendra, bien entendu, des résultats de la coronaro-ventriculographie. Le pontage aorto-coronaire doit être privilégié chez les patients tritronculaires ; si une revascularisation par angioplastie est techniquement possible chez les patients notamment mono- ou bitronculaires, elle peut être réalisée en sachant que la chirurgie vasculaire devra alors être décalée de 5 à 6 semaines après cette procédure et que la mise en place d’une endoprothèse coronaire active doit être proscrite. Quelles que soient les données de cette coronarographie, un traitement bétabloquant périopératoire sera instauré de même, bien entendu, qu’un monitorage attentif périopératoire. Un tel schéma est à adapter au cas individuel du patient, à ses comorbidités et son âge. Ainsi, l’existence d’une angine de poitrine conduira plus rapidement à l’évaluation non invasive même si les facteurs de risque sont peu nombreux, rejoignant dans les faits l’attitude actuelle chez les patients angineux tout venant. À l’inverse, le bon sens du clinicien impose de ne pas s’acharner vers une revascularisation myocardique préalable chez les patients très âgés avec forte comorbidité chez qui les risques de la revascularisation coronaire et de l’anesthésie risquent d’outrepasser les bénéfices. Il faudra alors avertir le patient et son entourage de la situation, notamment lorsque la cure de cet anévrisme de l’aorte apparaît indispensable en raison d’une évolutivité récente et d’un risque élevé de rupture.   En conclusion Avant chirurgie vasculaire lourde, les règles du bilan préopératoire et les éventuelles indications de revascularisation myocardique sont identiques à celles qui sont recommandées chez tout coronarien « stable ». Une bibliographie sera adressée aux abonnés sur demande au journal.

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