Insuffisance cardiaque
Publié le 01 mai 2007Lecture 11 min
Comment diagnostiquer l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection systolique conservée ?
B. GALLET, centre hospitalier Victor Dupouy, Argenteuil
L’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée représente 30 à 50 % des insuffisances cardiaques. Sa prévalence augmente avec l’âge et s’est accrue au cours des 20 dernières années. Elle touche préférentiellement des femmes âgées hypertendues avec hypertrophie ventriculaire gauche. Son pronostic est comparable à celui de l’insuffisance cardiaque avec dysfonction systolique. Son diagnostic peut être difficile, notamment chez des patients déjà traités, d’autant qu’il existe quelques divergences entre les recommandations disponibles. Un algorithme diagnostique a, à ce propos, récemment été proposé par le groupe TACTIC.
Quelle terminologie utiliser ?
Le terme d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée est probablement le meilleur car il est purement descriptif, ne repose sur aucune hypothèse physiopathologique et correspond à la terminologie utilisée dans les recommandations européennes et américaines de 2005.
Le terme d’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée est plus discutable car il existe fréquemment une altération de la fonction systolique longitudinale chez les patients ayant une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection conservée.
Le terme d’insuffisance cardiaque diastolique reste parfois utilisé, car une anomalie prédominante de la fonction diastolique est en cause dans la plupart des cas.
Que nous indiquent les recommandations ?
Les recommandations européennes retiennent le diagnostic lorsque trois conditions sont réunies :
- la présence de symptômes ou de signes d’insuffisance cardiaque,
- une fraction d’éjection ≥ 45 %,
- une anomalie de la fonction diastolique du ventricule gauche.
Les recommandations américaines n’exigent que deux critères :
- la présence de symptômes et de signes d’insuffisance cardiaque,
- une fraction d’éjection normale (en excluant les valvulopathies sévères).
La mise en évidence d’une dysfonction diastolique du ventricule gauche n’est pas nécessaire.
Les limites de la clinique
Le manque de spécificité des signes d’insuffisance cardiaque explique qu’un certain nombre de patients considérés comme ayant une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection normale ont en réalité une affection extracardiaque expliquant leurs symptômes (insuffisance respiratoire, obésité). Il est conseillé d’exiger l’association de symptômes et de signes d’insuffisance cardiaque comme le proposent les recommandations américaines, et d’utiliser des critères objectifs tels que ceux de Framingham (tableau 1). L’amélioration sous traitement diurétique ne suffit pas à affirmer le diagnostic. La distinction entre insuffisance cardiaque « diastolique » et « systolique » reste, par ailleurs, impossibleà partir des seules données cliniques.
Le rôle du BNP
Le BNP est environ deux fois plus élevé dans l’insuffisance cardiaque « systolique » que dans l’insuffisance cardiaque « diastolique » ; il est plus élevé dans l’insuffisance cardiaque « diastolique » que chez les patients sans insuffisance cardiaque. Son dosage a donc une place dans le diagnostic d’insuffisance cardiaque « diastolique ».
Son intérêt principal est en réalité d’éliminer le diagnostic lorsqu’il est normal.
Comme le soulignent les recommandations européennes de 2005, un taux normal de peptides natriurétiques chez un sujet symptomatique et non traité permet d’écarter le diagnostic d’insuffisance cardiaque avec une valeur prédictive négative très élevée, de l’ordre de 90 à 95 %.
Les valeurs seuil habituellement retenues pour exclure le diagnostic sont :
- un taux de BNP < 100 pg/ml,
- ou un taux de NT-proBNP < 300 pg/ml.
Il existe quelques causes d’erreur classiques : absence d’élévation du BNP en cas d’œdème pulmonaire « flash », augmentation du BNP en cas d’insuffisance rénale et chez les sujets âgés.
Le rôle central de l’écho-Doppler
L’acteur principal du diagnostic est, bien entendu, l’échocardiogramme dont les 4 rôles principaux sont :
- évaluer la fonction systolique,
- écarter certains diagnostics différentiels,
- rechercher certaines anomalies morphologiques,
- mettre en évidence une dysfonction diastolique.
Évaluation de la fonction systolique
La fraction d’éjection doit être d’au moins 45 % avec un ventricule gauche de taille normale (diamètre diastolique indexé < 32 mm/m2). Elle doit être calculée par la méthode de Simpson biplan qui est la méthode de référence, en veillant à ne pas utiliser des coupes apicales tronquées. Une estimation visuelle semi-quantitative est insuffisante. L’échocardiographie de contraste cavitaire ou le mode 3D temps réel peuvent améliorer la précision du calcul.
La détermination de la fraction d’éjection doit être réalisée sans délai par rapport à la période aiguë de l’insuffisance cardiaque.
La fonction systolique longitudinale est souvent diminuée dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. Elle peut être appréciée par plusieurs méthodes, dont la plus simple est la mesure de la vitesse de déplacement de l’anneau mitral en systole en Doppler tissulaire (onde Sa) (figure 1). Plusieurs études ont montré que l’onde Sa est diminuée en cas d’insuffisance cardiaque « diastolique » par rapport à celle des sujets normaux, et qu’elle était encore plus basse en cas d’insuffisance cardiaque « systolique » (tableau 2). La valeur seuil de l’onde Sa permettant de conclure à une insuffisance cardiaque varie cependant de 4,5 à 8 cm/s selon les séries, en raison de différences méthodologiques, certaines études ayant utilisé le Doppler tissulaire en mode pulsé et d’autres en mode couleur (qui donne des valeurs plus basses que le mode pulsé).
Figure 1. Doppler tissulaire à l’anneau mitral. Enregistrement de la vitesse systolique (Sa), de la vitesse protodiastolique (Ea), et de la vitesse télédiastolique (Aa). L’onde Sa, qui reflète la fonction systolique longitudinale du ventricule gauche, est diminuée en cas d’insuffisance « diastolique » et plus encore en cas d’insuffisance cardiaque « systolique ».
Diagnostic différentiel
L’échocardiogramme doit éliminer certaines affections pouvant entraîner une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection normale, mais qui ne relèvent pas d’une dysfonction diastolique et qui sont accessibles à un traitement spécifique :
- valvulopathies gauches sévères, de la péricardite constrictive, de l’insuffisance cardiaque à débit élevé,
- certaines cardiopathies congénitales, du cœur pulmonaire et des sténoses des veines pulmonaires.
Il faut également écarter une dysfonction ventriculaire gauche systolique rapidement réversible, d’où la nécessité de réaliser l’échocardiogramme à proximité de la phase aiguë de l’insuffisance cardiaque.
Bilan morphologique
La constatation d’une hypertrophie ventriculaire gauche et d’une dilatation de l’oreillette gauche sont des éléments utiles au diagnostic (figure 2). Une hypertrophie ventriculaire gauche est présente chez 40 à 60 % des patients ayant une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection conservée ; elle est retenue lorsque la masse ventriculaire gauche dépasse 125 g/m2 chez l’homme et 110 g/m2 chez la femme, selon le groupe TACTIC. La dilatation de l’oreillette gauche reflète l’importance mais surtout l’ancienneté de l’élévation des pressions de remplissage du ventricule gauche ; elle est affirmée quand son volume dépasse 29 ml/m2, selon les recommandations 2005 de l’American Society of Echocardiography.
Figure 2. Coupe apicale des 4 cavités chez une patiente de 92 ans ayant une insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée. Il existe une hypertrophie pariétale du ventricule gauche et une dilatation de l’oreillette gauche.
Dysfonction diastolique
La mise en évidence d’une dysfonction diastolique n’est pas nécessaire au diagnostic, selon les recommandations américaines. Selon les recommandations européennes, le diagnostic d’insuffisance cardiaque repose sur l’association d’un tableau clinique évocateur et de la démonstration d’une dysfonction cardiaque systolique et/ou diastolique. Si la fonction systolique est normale, il est donc nécessaire d’objectiver une dysfonction diastolique.
Physiopathologie
La base physiopathologique habituellement admise de l’insuffisance cardiaque « diastolique » est un déplacement vers le haut de la relation pression-volume du ventricule gauche en diastole : le ventricule gauche ne peut se remplir normalement qu’au prix d’une élévation anormale de sa pression, et c’est cette élévation anormale des pressions de remplissage qui va être utilisée pour le diagnostic (figure 3).
Figure 3. Concept physiopathologique de l’insuffisance cardiaque « diastolique ». La relation pression-volume du ventricule gauche (VG) en diastole est déplacée vers le haut (flèche) chez les patients ayant une insuffisance cardiaque (IC) diastolique par rapport aux sujets normaux (d’après Zile et al. N Engl J Med 2004 ; 350 : 1953).
Il a été montré par Zile que plus de 90 % des patients ayant une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection normale ont une élévation de la pression télédiastolique du ventricule gauche supérieure à 16 mmHg au cathétérisme. Cette élévation de la pression télédiastolique est un critère majeur de dysfonction diastolique ventriculaire gauche, mais un cathétérisme cardiaque n’est pas envisageable en routine chez tous les patients, et c’est à l’échocardiographie Doppler qu’il appartient de la mettre en évidence.
Des critères échographiques discutés
Les critères échocardiographiques à utiliser pour conclure à une insuffisance cardiaque « diastolique » restent discutés. Un groupe de travail de l’ESC a proposé en 1998 des critères diagnostiques qui comportaient une élévation de la pression télédiastolique du ventricule gauche et/ou une « anomalie de relaxation ». Leur utilisation est restée limitée en raison de leur complexité et de leur validité incertaine.
En effet, une « anomalie de relaxation » correspond le plus souvent à des pressions de remplissage non augmentées et s’observe fréquemment chez des sujets âgés normaux.
Les limites de ces critères ont été démontrées dans une étude récente de Thomas qui ne les retrouvait que chez 48 % des patients ayant une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection normale.
Les meilleurs critères échocardiographiques pour affirmer une élévation des pressions de remplissage du ventricule gauche lorsque la fraction d’éjection est normale sont :
- le rapport E/Ea (rapport entre la vitesse de l’onde E du flux mitral et celle de l’onde Ea mesurée en Doppler tissulaire à l’anneau mitral),
- la différence entre la durée de l’onde A du flux veineux pulmonaire et celle de l’onde A mitrale (paramètre Ap–Am).
Ce sont ces deux indices qui ont été retenus dans les recommandations européennes de 2005, et on pourrait y rajouter l’absence de diminution de l’onde A mitrale lors de la manœuvre de Valsalva.
Les valeurs seuil habituellement retenues pour affirmer une élévation des pressions de remplissage sont un paramètre Ap–Am > 30 ms (figure 4), et un rapport E/Ea > 15 (figures 5 et 6).
Figure 4. Évaluation du paramètre Ap-Am. En haut : flux mitral montrant l’onde E et l’onde A. La durée de l’onde A mitrale (Am) est de 115 ms. En bas : flux veineux pulmonaire montrant l’onde systolique S, l’onde diastolique D et l’onde A. La durée de l’onde A pulmonaire est de 175 ms. La différence de durée entre l’onde A pulmonaire et l’onde A mitrale est de 60 ms permettant d’affirmer une élévation des pressions de remplissage du ventricule gauche.
Figure 5. Flux transmitral chez la même patiente que celle de la figure 2. Le rapport E/A est > 1, ce qui est inhabituel chez une patiente âgée et incite à rechercher une élévation des pressions de remplissage. Il existe une onde L mésodiastolique (flèche) évoquant une élévation des pressions de remplissage en cas d’hypertrophie ventriculaire gauche qui était présente chez cette patiente (cf. fig. 2). La vitesse de l’onde E est de 1 m/s permettant de calculer un rapport E/Ea à 25 affirmant une élévation des pressions de remplissage (cf. fig. 6).
Figure 6. Doppler tissulaire à l’anneau mitral chez la même patiente que celle des figures 2 et 5. L’onde Ea est mesurée à 4 cm/s permettant de calculer un rapport E/Ea à 25 à partir de la vitesse de l’onde E mesurée à 1m/s (cf. fig. 5). L’onde Sa est diminuée à 4,5 cm/s correspondant à une altération de la fonction systolique longitudinale du ventricule gauche.
Un rapport E/Ea > 10 pourrait être suffisant pour affirmer une élévation des pressions de remplissage lorsque la fraction d’éjection est normale et à condition de mesurer l’onde Ea à la partie latérale de l’anneau mitral ou d’utiliser la moyenne des valeurs mesurées au niveau des parois septale et latérale de l’anneau. Un rapport E/Ea < 8 et un paramètre Ap–Am négatif permettent de conclure à des pressions normales, et des valeurs intermédiaires ne permettent aucune conclusion formelle.
Échocardiographie de stress diastolique dans les situations difficiles
Une situation difficile concerne les patients dont l’échocardiogramme initial est réalisé au décours de la phase aiguë et après traitement. La constatation d’une élévation des pressions de remplissage permet de conclure à une insuffisance cardiaque persistante. En revanche, lorsque les pressions de remplissage apparaissent normales ou que les paramètres sont en zone intermédiaire, il peut être difficile de trancher entre une insuffisance cardiaque authentique améliorée par le traitement et une erreur initiale de diagnostic. Certains critères indirects augmentent la probabilité d’une insuffisance cardiaque (hypertrophie ventriculaire gauche,
dilatation atriale gauche, réduction de l’onde Sa, élévation des pressions pulmonaires).
L’échocardiogramme d’effort pourrait s’avérer intéressant dans cette situation. Certains patients ayant des pressions de remplissage normales au repos peuvent avoir une élévation anormale des pressions à l’effort, qui peut être mise en évidence par une augmentation du rapport E/Ea.
Le rapport E/Ea reste inchangé à l’effort chez les sujets normaux. En revanche, un tiers environ des patients ayant une dyspnée d’effort avec une fraction d’éjection normale et un rapport E/Ea normal au repos ont une élévation anormale du rapport E/Ea à l’effort selon Ha.
Cette élévation du rapport E/Ea à l’effort témoigne d’une élévation anormale des pressions de remplissage. En effet, la corrélation qui existe au repos entre les pressions de remplissage du ventricule gauche et le rapport E/Ea est également présente à l’effort, comme l’a montré une récente étude de Burgess. Selon cette étude, un rapport E/Ea > 13 à l’effort est très spécifique d’une élévation anormale des pressions de remplissage du ventricule gauche (spécificité de 96 %). Sous réserve de validation supplémentaire, il est possible que l’échocardiogramme d’effort s’intègre dans la stratégie diagnostique de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, notamment chez des sujets dont les pressions de remplissage ont été normalisées au repos sous l’effet du traitement et pour lesquels le diagnostic reste incertain.
En pratique
Le diagnostic d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée peut difficilement reposer sur la simple association de manifestations cliniques évocatrices et d’une fraction d’éjection normale, car il existe un risque élevé d’erreur par excès lié au manque de spécificité des manifestations cliniques d’insuffisance cardiaque.
Un algorithme diagnostique qui s’inspire largement de celui proposé par le groupe TACTIC est proposé à partir des éléments précédemment développés (figure 7). De nouvelles recommandations européennes sur le sujet sont attendues et devraient permettre d’affiner cette stratégie.
Figure 7. Algorithme décisionnel pour le diagnostic d’insuffisance cardiaque à fraction préservée (IC-FEP).
Le diagnostic est évoqué devant des signes et des symptômes d’insuffisance cardiaque (IC), avec une fraction d’éjection (FE) d’au moins 45 %, et après exclusion d’un certain nombre de diagnostics différentiels. Le raisonnement ultérieur repose sur l’évaluation des pressions de remplissage du ventricule gauche et sur le BNP.
En cas d’insuffisance cardiaque aiguë non traitée, le diagnostic est exclu si ces deux éléments sont normaux, alors qu’il est certain s’ils sont tous les deux élevés. Lorsque le BNP et les pressions de remplissage sont discordants ou en zone « grise », une deuxième batterie de paramètres peut être utilisée (masse ventriculaire gauche, taille de l’oreillette gauche, vitesse de l’onde Sa, estimation des pressions pulmonaires). Des paramètres normaux rendent le diagnostic improbable alors que des paramètres anormaux le rendent vraisemblable. En cas de doute persistant, un cathétérisme cardiaque peut être discuté mais est exceptionnellement réalisé en pratique.
En cas d’insuffisance cardiaque déjà traitée, un BNP et des pressions de remplissage élevés permettent de conclure à une insuffisance cardiaque persistante. Lorsque ces paramètres sont normaux, discordants ou en zone « grise », on peut avoir recours à la deuxième batterie d’indices vus précédemment et avec les mêmes conclusions. Si un doute diagnostique persiste, un échocardiogramme d’effort peut être envisagé pour mettre en évidence une élévation des pressions de remplissage à l’effort.
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