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HTA

Publié le 27 mar 2007Lecture 9 min

Comment mesurera-t-on la pression artérielle dans l'avenir ?

J. BLACHER et M. SAFAR, Hôtel-Dieu, Paris et Université Paris-Descartes

Prédire l'avenir en matière de mesure de la pression artérielle sans avoir à rougir de ses écrits le moment venu est un exercice difficile. Peu d'experts prédisaient, il y a 30 ans, l'essor de la mesure ambulatoire de pression artérielle. Et peu d'experts prédisaient, il y a 20 ans, l'essor de l'automesure. Afin de ne pas partir sur de fausses pistes, il importe donc :
• de répertorier les données de la science qui semblent acquises, certaines, robustes, intemporelles, inamovibles ;
• d’essayer de définir tous les éléments limitants possibles et imaginables ;
• de tenter de résoudre ces éléments limitants en essayant de ne se donner aucune contrainte d'aucun ordre, notamment technologique. Cette dernière étape nécessitant une certaine dose d'inventivité, ou encore de liberté de penser, représente probablement l'étape la plus sensible.

Les faits établis en matière de mesure de la pression artérielle La première question à se poser est de savoir si l’on mesurera encore la pression artérielle dans l'avenir ? Cela sera-t-il encore utile ? D'autres paramètres prendront-ils sa place ? L'hypertension artérielle est un facteur démontré de risque cardiovasculaire indépendant, quantitatif et réversible. La causalité de la relation hypertension artérielle/complications cardiovasculaires est admise par tous les experts. En ce sens, il est raisonnable de penser qu’à l'avenir, on mesurera encore la pression artérielle. Malgré tous les éléments limitatifs évoqués ci-après, l’hypertension artérielle reste un puissant facteur de risque cardiovasculaire. Ce même facteur de risque débarrassé de toutes ces imprécisions devrait encore mieux prédire les événements et peut-être encore mieux les prévenir.   Les éléments limitants   La grande variabilité intra-individuelle du paramètre pression artérielle Plus un paramètre est variable, plus il sera difficile d'en déterminer le niveau avec exactitude, avec reproductibilité, et de mettre en évidence comme de quantifier sa relation avec la survenue d'événements morbides.   Les deux méthodes habituellement proposées pour pallier cette variabilité sont : - la multiplication des mesures : on nous propose de ne poser le diagnostic qu’après 3 mesures minimum à deux mois d’intervalle. La mesure ambulatoire de pression artérielle ou encore l’automesure affine le diagnostic aussi par la multiplication des mesures ; - la standardisation de la mesure, toujours dans les mêmes conditions, limite cette variabilité (en position couchée ou assise, après quelques minutes de repos).   Imprécision de la mesure – limitations technologiques On sait bien que même nos oreilles parfois nous trahissent et qu’une même pression artérielle sera notée différemment par différents médecins utilisant le même sphygmomanomètre et le même stéthoscope (digit preference). Les appareils automatiques ne donnent pas la même précision en fonction de la sensibilité de leur capteur. Les appareils de poignet sont plus sensibles à différents éléments extérieurs (position du poignet, arythmie…). Enfin, en cas de médiacalcose, même l’étalon or qu’est le sphygmomanomètre à mercure peut être pris à défaut et majorer faussement la pression artérielle qui ne peut alors être mesurée que par voie sanglante.   Quel(s) paramètre(s) tensionnel(s) prendre en considération ? Jusque dans les années 90, le paramètre tensionnel prédominant était représenté par la composante diastolique. Les hypertendus étaient inclus dans les essais thérapeutiques en fonction de la diastolique et les thérapeutiques étaient titrées en fonction de la diastolique. Cet élément est probablement l’une des explications du moindre bénéfice en matière de prévention coronaire dans les essais thérapeutiques réalisés à cette époque. Il est maintenant unanimement reconnu que les deux paramètres, systolique et diastolique, devraient être considérés, la diastolique restant le paramètre le plus important avant la cinquantaine et la systolique après la cinquantaine. Alors que de nombreuses études montrent, chez les hypertendus âgés, que la composante pulsée est la plus étroitement associée au risque cardiovasculaire, il n’existe pas encore de normale clairement définie prenant en considération ce paramètre.   Quels appareils de mesure ont fait office de référence ces dernières décennies ? Le diagnostic de l'hypertension artérielle était posé, jusqu'à une période récente, par la mesure effectuée au cabinet médical avec un sphygmomanomètre à mercure. Plusieurs études battent en brèche ce dogme : Le diagnostic de l'hypertension artérielle était posé, jusqu'à une période récente, par la mesure effectuée au cabinet médical avec un sphygmomanomètre à mercure. Plusieurs études battent en brèche ce dogme : - l’étude OCTAVE(Omapatrilat Cardiovascular Treatment Assessment Versus Enalapril), réalisée en cardiologie libérale, a bien montré que la survenue d’événements cardiovasculaires imputables à l’hypertension artérielle est plus étroitement associée avec les valeurs de mesures ambulatoires de pression artérielle qu’avec les valeurs mesurées au cabinet médical ; - une étude ancillaire de l’étude SYST-Eur (Systolic Hypertension in Europe Trial)a montré que les patients présentant une hypertension artérielle non soutenue (pression artérielle systolique > 160 mmHg en cabinet médical mais < 140 mmHg à la mesure ambulatoire de la pression artérielle) ne tirent pas de bénéfice du traitement actif à base de nitrendipine comparativement au placebo ; - l’étude SHEAF(Self mesurement of blood pressure at Home in the Elderly Assessment and Follow-up)a clairement montré que les chiffres de pression artérielle mesurés en automesure sont plus étroitement associés à la survenue des événements cardiovasculaires que les chiffres mesurés au cabinet médical. Qui plus est, les patients normotendus en automesure mais hypertendus au cabinet médical (effet blouse blanche) ont un niveau de risque équivalent à celui des normotendus concordants ; les patients hypertendus en automesure, même s’ils étaient normotendus au cabinet médical (hypertension artérielle masquée), avaient un niveau de risque équivalent aux hypertendus concordants. L’atteinte des organes cibles (cœur, reins...) est mieux corrélée aux valeurs de la PA mesurée par automesure, qu’en milieu médical.   L’étude SHEAF a montré qu’une augmentation de la PAS mesurée en automesure de 10 mmHg est corrélée à une augmentation du risqued’événement cardiovasculaire de 17,2 %, et qu’une élévation de la PAD de 5 mmHg augmente ce même risque de 11,7 %. En revanche, pour la même augmentation de la PA mesurée de manière conventionnelle, on ne retrouvait pas d’augmentation significative du risque cardiovasculaire. Cette étude suggère donc la supériorité prédictive de l’automesure par rapport à la mesure conventionnelle en termes de pronostic cardiovasculaire.   Il y a une vingtaine d'années, les quelques médecins évoquant la possibilité pour les patients de mesurer eux-mêmes leur pression artérielle étaient considérés au mieux comme des irresponsables, au pire comme des fous. La mesure de la pression artérielle était un acte médical. Jamais les patients ne sauraient mesurer de façon précise leur pression artérielle ; jamais les patients ne pourraient assurer la gestion de tous ces chiffres.   La situation au début du 3e millénaire n'est en aucun cas comparable. Même les plus irréductibles admettent que l'automesure peut être pratiquée par l'immense majorité des patients, même ceux peu instruits. Il existe une relation plus étroite entre les chiffres de l’automesure et la survenue des événements cardiovasculaires morbides et mortels imputables à l’HTA, comparativement aux chiffres mesurés au cabinet médical et ces mêmes événements. De plus, dans le cadre du diagnostic de l'hypertension artérielle, l'automesure permet de dépister les hypertensions artérielles « blouse blanche » ne nécessitant pas l'introduction d'un traitement antihypertenseur (mais nécessitant probablement un suivi tensionnel régulier). La prise en considération de l'automesure évite des intensifications de traitement illégitimes et des non-modifications de traitement, elles aussi illégitimes, ces décisions thérapeutiques non adaptées concernant environ un quart des patients.  Enfin, l'automesure permet une responsabilisation du patient et, en association à l'éducation thérapeutique, améliore probablement l'observance aux traitements, jugée médiocre. Les recommandations françaises et internationales ne s'y trompent pas et font toutes la promotion de l'automesure à la fois en ce qui concerne le diagnostic de l'hypertension artérielle mais aussi le suivi des hypertendus.   Faut-il continuer à mesurer la pression artérielle humérale ou faut-il changer de site référent ? Il semblerait légitime de s’intéresser au niveau tensionnel existant dans les gros troncs artériels (aorte thoracique, carotide, aorte abdominale, artère rénale), là où les contraintes mécaniques participent directement à la genèse des événements morbides. Certaines études prêtent à ces paramètres tensionnels centraux des valeurs prédictives supérieures à la pression périphérique. L’accès non invasif rapide à faible coût et en routine à ces paramètres pourrait complètement modifier notre approche clinique.   L'étude CAFE (Conduit Artery Function Evaluation), étude ancillaire de l'étude ASCOT (Anglo-Scandinavian Cardiac OuTcomes), a inclus plus de 2 000 patients. En plus des mesures de pression artérielle classiques réalisées avec un appareil automatique (Omron), ces patients ont bénéficié de mesures hémodynamiques non invasives par tonométrie d'aplanation et de déduire le niveau des pressions artérielles systolique, diastolique et pulsée existant au niveau de l'aorte ainsi que d'autres index hémodynamiques, notamment l'index d'augmentation, ou encore l'amplification de la pression entre le compartiment central et la périphérie (artère brachiale). Un effet différent sur la PA centrale L'étude CAFE a montré que, malgré des différences non significatives de pression artérielle brachiale systolique entre les deux groupes de randomisation (moins de 1 mmHg), la pression artérielle systolique aortique était clairement plus basse dans le groupe amlodipine – perindopril que dans le groupe aténolol – thiazidique (4,3 mmHg, p < 0,0001). Concernant la pression pulsée, il était noté aussi une différence de 3 mmHg, toujours au bénéfice du groupe amlodipine – perindopril. La pression centrale est corrélée au risque Les investigateurs ont construit, après analyse (post-hoc), un critère composite associant tout événement morbide cardiovasculaire ou rénal. Ils ont montré, par analyse de Cox, que le niveau de la pression pulsée centrale était significativement prédicteur de la survenue du critère clinique composite, et ce après multiajustement sur l'âge et sur les facteurs de risque cardiovasculaire à l'entrée dans l'étude. Il est important de noter que le degré de signification était toujours plus élevé pour la pression pulsée centrale que pour la pression pulsée périphérique. Il semble assez évident qu’en matière de risque attribuable à l’hypertension artérielle, c’est le niveau de la pression locale, là où est « généré » l’accident, qui compte. L'étude CAFE est une « victoire » pour tous ceux qui, depuis plusieurs décennies, s'intéressent aux paramètres hémodynamiques centraux. Cet intérêt n'est donc pas qu'intellectuel. L'étude CAFE démontre que la prise en considération de la pression artérielle aortique ajoute une information pertinente. Elle ne doit pas faire conclure qu’il faut la mesurer chez tous nos hypertendus. La prise en compte de la PA centrale ouvre le champ vers une prospective tout à fait enthousiasmante.   Faut-il continuer à ne considérer que deux points de la courbe de pression artérielle ? La pression artérielle systolique et la pression artérielle diastolique ne représentent finalement que deux points de la courbe de pression artérielle. Il y a beaucoup plus d'informations dans cette courbe que les deux seuls points de cette courbe. Le concept de pression pulsée et de pression moyenne est un concept qui « utilise » plus d'informations de la courbe de pression artérielle que le concept systolique et diastolique ; néanmoins, là encore, l'information est très partielle. Selon certains, l'index d'augmentation, index témoin de la rapidité et de la quantité de retour des ondes de réflexion, pourrait être un paramètre pronostique. Il en est de même de la pente de décroissance de la pression artérielle diastolique ou encore de l'aire sous la courbe diastolique correspondant à la moyenne de la pression de perfusion coronaire.   De la mise en évidence des facteurs limitatifs à l'optimisation de la mesure de la pression artérielle    Finalement, afin de tenter une projection d’avenir, une mesure optimisée de la pression artérielle devrait avoir les caractéristiques suivantes : - continuer à être protocolarisée afin de limiter la variabilité intra-individuelle ; - être une mesure répétée, et si possible de nombreuses fois, afin de diminuer la variabilité du paramètre pression artérielle ; - être mesurée par le patient lui-même afin de s'exonérer de la problématique de la réaction d'alarme et de l'hypertension artérielle masquée ; - prendre en considération de « nouveaux » paramètres tensionnels ; ces nouveaux paramètres tensionnels prendraient en considération plus d'informations provenant de la courbe de pression artérielle que les seuls points maximum et minimum ; - être le témoin de la pression artérielle centrale plutôt que de la pression artérielle humérale puisqu'il apparaît que la pression artérielle centrale est plus étroitement associée à la survenue des événements cardiovasculaires.   Nous pensons que la mesure de la pression artérielle dans le futur aura tout ou partie des caractéristiques sus-citées.   Conclusion   La sommation de tous les facteurs d’optimisation possibles peut faire penser que la mesure de la pression artérielle dans l’avenir sera fondamentalement différente de la mesure actuelle. Les hypothèses conceptuelles développées dans cet article devront ensuite être confortées par les possibilités technologiques et par l’épidémiologie d’observation. Tenons-nous prêts à des modifications révolutionnaires de nos activités cliniques que l’on imaginait à peine quelques années…

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