Publié le 29 jan 2008Lecture 7 min
Insuffisance cardiaque - De la cellule à la pilule
J.-N. TROCHU, CHU de Nantes
Malgré son résultat non significatif, l’étude CORONA a apporté son lot de renseignements et de questions sur le rôle des statines dans cette pathologie. Des explications sont fournies quant au bénéfice du réentraînement dans l’insuffisance cardiaque et trois nouveaux essais de greffe cellulaire entretiennent la controverse sur l’impact clinique de ces techniques.
CORONA
L’étude CORONA (Controlled ROsuvastatin multiNAtional trial) apporte plusieurs enseignements sur l’intérêt des statines dans le traitement de l’insuffisance cardiaque (IC).
Une population de coronariens âgés
Dans cette étude ont été randomisés 5 011 patients :
– d’âge médian 73 ans (41 % avaient au moins 75 ans)
– suivis pendant 2,7 ans, pour la plupart en classe 3 et 4 de la NYHA,
– avec une FEVG de 31 %.
Une dose de 10 mg/j 2 514 patients et le placebo aux 2 497 témoins. Tous ces patients avaient une cardiopathie ischémique, 57 % avaient une clairance de la créatinine < 60 ml/min/1,73 m2 et le taux de LDL-cholestérol moyen était de 1,37 g/l. L’étude a été arrêtée lorsque l 422 événements primaires ont été atteints : il s’agissait d’un critère composé associant décès cardiovasculaire, infarctus non fatal, accident vasculaire cérébral non fatal. Les critères secondaires comprenaient les décès de toutes causes, les événements coronaires (mort subite, infarctus fatal ou non fatal, angioplastie, pontage aorto-coronaire, défibrillation par DAI, ressuscitation après arrêt cardiaque, ou hospitalisation pour angor instable), les décès de causes cardiovasculaires, le nombre d’hospitalisations pour causes cardiovasculaires, angor instable ou aggravation de l’insuffisance cardiaque. Le nombre de cross-over a été faible au cours du suivi.
Des résultats mitigés
Les résultats indiquent alors que les taux de LDL-cholestérol diminuent de façon marquée dans le groupe traité par la rosuvastatine (-41 % à 15 mois de suivi), que la diminution relative du critère primaire de 8 %, en faveur de la rosuvastatine, n’était pas significative (p = 0,12). L’étude prévoyait, en effet, une réduction de 16 % de ce critère primaire. Le nombre total de décès a été de 11,6 % par an dans le groupe rosuvastatine contre 12,2 % dans le groupe placebo, soit une réduction de 5 %, non significative. La réduction des événements coronariens (8 %) n’était pas non plus significative.
Si l’on tient compte de l’analyse a posteriori du critère combiné infarctus non fatal ou fatal ou survenue d’un AVC, la différence devient alors significative avec une réduction du risque relatif de 16 % (p = 0,05). Le nombre d’hospitalisations toutes causes était significativement diminué dans le groupe rosuvastatine (p = 0,007), de même que les hospitalisations pour causes cardiovasculaires (p < 0,001) et pour insuffisance cardiaque (p = 0,01).
Une excellente tolérance de la rosuvastatine
La tolérance de la dose de 10 mg a été comparable entre les deux groupes avec moins d’arrêts de traitement dans le groupe rosuvastatine, démontrant que la rosuvastatine n’a pas d’effet délétère dans cette population de patients âgés insuffisants cardiaques.
Discussion
Le critère principal de cette étude apparaît comme un critère coronaire « pur », atypique dans une étude sur l’insuffisance cardiaque, mais le comité exécutif avait considéré, en se basant sur les données disponibles à l’époque, que la survenue des décès pourrait être en grande partie rattachée à une rupture de plaque. Dans l’étude CORONA, les décès étaient en majeure partie rattachés à des causes cardiovasculaires, et principalement liés à des morts subites (un peu plus de 5 % des patients) alors que la survenue d’infarctus du myocarde (0,2 %) et d’AVC (0,5 %) était rare, ce qui pourrait expliquer le faible impact de l’administration de la statine. Il peut être aussi discuté que si les hospitalisations avaient fait partie du critère principal combiné, l’issue de cette étude aurait pu éventuellement être différente, mais, comme toujours, nous savons que les hypothèses a posteriori restent à démontrer.
GISSI–HF
Les deux critères primaires d’évaluation de l’étude GISSI–HF (Gruppo Italiano per lo Studio della Streptochinasi nell’Infarto miocardico) retenus sont en effet : le délai jusqu’à la survenue de décès, et le délai jusqu’au décès ou l’hospitalisation de cause cardiovasculaire, et apportera peut-être des résultats positifs. Cette étude inclut cependant une population beaucoup plus hétérogène avec des patients ayant une insuffisance cardiaque d’origine ischémique et non ischémique, et à fraction d’éjection altérée et préservée.
Il est donc pour l’instant difficile de conclure définitivement sur la place réelle des statines dans l’insuffisance cardiaque chronique congestive, mais il faut très certainement les prescrire en amont dans les causes ischémiques …
Effets de l’entraînement à l’effort des insuffisants cardiaques : un objectif prioritaire et régénérant !
Des bénéfices maintenus à 1 an
Blakstad Nilsson et coll. (Oslo, Norvège) ont montré que l’entraînement physique à l’effort de patients insuffisants cardiaques chroniques, poursuivi pendant 4 mois, améliore la qualité de vie et la tolérance à l’exercice avec un bénéfice qui apparaît dès le 4e mois et se poursuit pendant au moins 1 an. Il s’agissait d’une étude randomisée menée chez 80 patients stables (NYHA II, IIIB, FEVG 30 %), traités de façon optimale, âgés de 70 ± 8 ans. Le programme d’activité physique comprenait 50 minutes d’exercice en groupe 2 fois par semaine avec une infirmière spécialisée qui procurait aussi conseils diététiques, contrôle de l’observance et assistance sociale.
Le groupe témoin avait reçu le conseil de pratiquer régulièrement des efforts physiques. Les patients du groupe réentraînement ont amélioré la durée d’effort de 19 %, la charge de travail de 14 %, et la distance parcourue de 18 %, sans changement dans le groupe témoin. À 1 an, ces bénéfices étaient maintenus.
Un rôle des cellules progénitrices ?
Les mécanismes par lesquels l’activité physique corrige en partie les altérations musculaires squelettiques ne sont que partiellement connus. Mais récemment la présence de cellules progénitrices endogènes capables de régénérer les tissus endommagés, ont été identifiées dans le muscle lisse et des travaux ont étudié le rôle potentiel des progéniteurs dans les bénéfices du réentraînement sur le muscle squelettique.
L’équipe d’A. Linke (Leipzig, Allemagne) a étudié les effets du réentraînement sur les cellules progénitrices chez les insuffisants cardiaques. On observe chez ces patients une diminution de l’ordre de 50 % des cellules progénitrices circulantes. Les auteurs ont réalisé des biopsies musculaires avant et après 6 mois de réentraînement (30 minutes quotidiennes de vélo, en 2 périodes chez 25 patients insuffisants cardiaques modérés à sévères (56 ans), et les ont comparées à celles prélevées chez 25 patients inactifs. Les taux de progéniteurs restaient identiques chez les patients sans activité physique ; chez les patients entraînés, le nombre total de progéniteurs augmentait de 109 %, les cellules se différenciant en cellules musculaires augmentaient de 166 %, et le nombre de progéniteurs se divisant activement pour former de nouvelles cellules et réparer les dommages musculaires était multiplié par 6.
Dans un autre groupe de patients âgés de 65 ans en insuffisance cardiaque sévère, l’exercice a été associé à une augmentation totale des progéniteurs circulants de 47 %, une augmentation de 199 % des progéniteurs se transformant en cellules endothéliales matures, une augmentation de 17 % de la densité capillaire au bout de 12 semaines de réentraînement alors qu’aucune modification n’était observée dans le groupe de patients sédentaires.
Ces études suggèrent que les bénéfices du réentraînement pourraient être aussi dus à la régénération des cellules musculaires et à la formation de vaisseaux sanguins. Les effets de l’exercice sur la régénération cardiaque ne sont pas encore connus.
Les controverses persistent concernant les effets de la thérapie cellulaire cardiaque
Trois nouveaux essais ont été présentés à l’AHA 2007.
L’étude CAUSMIC (Catheter based delivery of autologus skeletal myoblast for ischemic cardiomyopathy) a été présentée par N Dib (San Diego, USA). Il s’agit d’une étude randomisée, ouverte, qui a utilisé des cellules musculaires squelettiques (myoblastes) pour des injections intramyocardiques (via un cathéter guidé) administrées dans la zone ischémique par un repérage tridimensionnel (système NOGA) chez 12 patients avec une insuffisance cardiaque sévère (FEVG < 40 %) d’origine ischémique traités de façon optimale, comparativement au traitement médical seul (11 patients). Les procédures d’injection ont réussi sans entraîner de complication. À 12 mois de suivi, il n’était pas noté de différence quant à la survenue de troubles du rythme ventriculaire entre les deux groupes (1 épisode dans chaque groupe). Il était observé une amélioration de la qualité de vie dans le groupe thérapie cellulaire, ainsi qu’une amélioration des diamètres ventriculaires mesurés à l’échocardiographie.
H Huikuri et coll. (Oulu, Finlande) ont présenté les résultats d’un essai randomisé évaluant l’intérêt de l’injection de cellules de moelle osseuse réalisée après thrombolyse d’un infarctus du myocarde, puis angioplastie coronaire, chez 80 patients. À 6 mois, une amélioration de la FEVG globale a été observée chez les patients traités par thérapie cellulaire mesurée à l’angiographie (59 à 67 %) et à l’échocardiographie alors que la FEVG ne se modifiait pas dans le groupe placebo (62 à 64 %). Il n’était pas noté d’effet arythmogène de la thérapie cellulaire ni d’augmentation du risque de resténose.
Le travail présenté par M. Galinanes (Leicester, Grande-Bretagne) visait à comparer dans un essai contrôlé randomisé chez 63 patients les effets de la voie d’administration des cellules de moelle osseuse autologue réalisée lors d’un pontage aorto-coronaire : injection intramusculaire ou par voie coronaire. Cette étude ne montre aucune modification des diamètres ventriculaires, ni du wall motion score index au repos et sous faibles doses de dobutamine, ni de la FEVG globale.
En pratique
Ces essais correspondent à de petites séries, avec des populations variées de patients et l’utilisation de types cellulaires différents ; il reste difficile à l’heure actuelle d’identifier l’impact clinique réel des capacités régénératives observées dans les conditions expérimentales. Les efforts conjoints de la recherche fondamentale et de la recherche clinique doivent être poursuivis.
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