Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 04 mai 2004Lecture 6 min
Devant un ECG évocateur d’un syndrome de Brugada, que faire chez un patient asymptomatique ?
M. CHAUVIN, CHRU de Strasbourg
Personne actuellement ne remet en cause l’indication formelle d’implantation d’un défibrillateur automatique chez un patient présentant un syndrome de Brugada symptomatique, et cela, bien sûr, en raison du risque élevé de survenue d’arythmies ventriculaires fatales.
En revanche, il n’existe aucun consensus définitif quant aux critères aboutissant résolument à l’implantation d’un défibrillateur ou à une abstention thérapeutique chez des populations asymptomatiques.
On entend par syndrome de Brugada symptomatique la documentation d’arythmies ventriculaires malignes et/ou la survenue, généralement au repos, de syncopes avec, dans ce cas, une fibrillation ventriculaire inductible à la stimulation ventriculaire programmée, conduite selon un protocole peu agressif.
L’avenir des Brugada asymptomatiques est très incertain, la fréquence des morts subites rythmiques restant cependant relativement peu élevée. De fait, nous ne disposons pas encore pour ces patients de marqueurs de risque ou de tests suffisamment fiables. C’est la raison pour laquelle la découverte d’un syndrome de Brugada asymptomatique pose toujours un délicat problème thérapeutique et éthique. S’agissant d’une affection génétique, notre attitude engage souvent non seulement l’avenir du patient, mais également celui d’un ou plusieurs membres de sa lignée.
Le plus souvent, le cardiologue (et plus précisément le rythmologue) est sollicité pour donner son avis sur un ECG de routine ou enregistré à titre systématique lors d’un bilan. L’attention a été attirée par un aspect de bloc de branche droite incomplet inhabituel, avec une onde r’ en V1-V2 « traînante » accompagnée d’un segment ST légèrement surélevé, et d’autant plus suspects que chacun d’entre nous est dorénavant sensibilisé par ce syndrome inquiétant qu’il croit reconnaître un peu trop souvent semble-t-il.
Que faire ?
Tout bon cardiologue doit retenir en premier lieu qu’il ne faut jamais parler au patient de ce syndrome avant d’en avoir la certitude (et encore)
L’expérience montre que la simple évocation de ce syndrome au nom chantant a le pouvoir de faire se précipiter les intéressés sur des sites Internet où l’on découvre bon nombre de descriptions de l’affection insistant plus ou moins sur le pronostic que beaucoup interpréteront comme inéluctable vers la mort subite.
En second lieu, il faut, bien entendu, affirmer le diagnostic
En effet, l’ECG n’est, dans le cas de figure discuté ici, simplement qu’évocateur. Il existe sûrement une différence de pronostic entre les personnes chez qui l’aspect ECG est typique et ceux pour lesquels le diagnostic sur l’ECG de base est très incertain, le pronostic de ces derniers étant semble-t-il meilleur, surtout si l’ECG est normal avant tout test. Il existe également une différence de pronostic selon que l’aspect du sus-décalage en V1-V2 est « en selle » ou « en dôme », et nous reviendrons sur ce point. Mais l’on sait bien que les aspects ECG varient beaucoup dans le temps et que des images typiques du syndrome peuvent disparaître du tracé en quelques heures.
En cas d’ECG simplement évocateur, la seule solution est l’injection-test d’un antiarythmique de classe I, soit l’ajmaline, soit surtout le flécaïnide (rappelons au préalable que si les tests pharmacologiques confirment le diagnostic, ils ne sont pas un élément du pronostic). Le test sera effectué en milieu spécialisé par un cardiologue habitué à le pratiquer, sous surveillance électrocardioscopique et électrocardiographique, entouré d’un matériel de réanimation cardiaque habituel : en clair, le test sera effectué de préférence en USIC. L’ajmaline est injectée à raison de 1 mg/kg en 5 min, le flécaïnide à raison de 2 mg/kg en 10 min. Le test est positif lorsqu’apparaît une surélévation du point J de plus de 2 mm de V1 à V3 ou dans une seule de ces dérivations (les dérivations hautes sont assez souvent plus évocatrices).
On doit, bien entendu, cesser d’injecter l’antiarythmique si :
- le critère de positivité apparaît en cours d’injection ;
- des arythmies ventriculaires surviennent ;
- les ventriculogrammes s’élargissent de plus de 30 %. Il est de plus en plus admis actuellement qu’un aspect « en dôme » du segment ST est à considérer avec beaucoup plus de précautions qu’un aspect dit « en selle ».
AJMALINE
T0
T+3’
T+6’
Surélévation du point J >2 mm de V1 à V3, 6 minutes après l’injection d’ajmaline.
Confirmer le caractère asymptomatique
Le syndrome de Brugada affirmé, l’interrogatoire confirme son caractère asymptomatique. On ne s’arrêtera pas à la simple absence de syncopes ou de palpitations mal tolérées. La présentation du syndrome peut être beaucoup plus trompeuse.
On connaît la survenue d’arythmies ventriculaires en fin de nuit et qui se manifestent uniquement par une agitation anormale ou un réveil subit constatés par le ou la conjoint(e). On se méfiera également des malaises prétendument vagaux, certains patients implantés en raison notamment de ce symptôme ayant par la suite été choqués sur d’authentiques arythmies ventriculaires malignes. Le doute justifie l’exploration électrophysiologique (sur laquelle nous reviendrons) et peut-être, pour certains, l’implantation préalable d’un Holter, cette dernière attitude étant loin de faire l’unanimité.
Le caractère asymptomatique du syndrome démontré, c’est alors que les opinions des équipes internationalement reconnues comme faisant autorité en la matière divergent sur des points essentiels. Le pronostic fait encore l’objet de controverses. Les marqueurs de risque ne font pas l’unanimité, que ce soient les explorations électrophysiologiques invasives ou les antécédents familiaux. C’est dire la difficulté de dresser actuellement un arbre décisionnel sur le sujet et la nécessité où nous sommes d’attendre le suivi de registres multicentriques.
Enquête familiale
L’enquête familiale à la recherche de morts subites constitue pour beaucoup une étape essentielle. Ce point est des plus délicats et doit être abordé avec tact : il s’agit ni plus ni moins que de demander à quelqu’un chez qui l’on vient de diagnostiquer un syndrome, dont on ne connaît pas encore le pronostic mais qui a de grandes chances d’être bénin, de faire implicitement le rapprochement entre son syndrome et la mort subite ! C’est pourtant souvent sur l’existence de mort(s) subite(s) dans la famille (proche ou éloignée) que sera discutée l’opportunité de pousser plus avant les investigations.
Il n’y a pas d’antécédants familiaux. Malgré les nombreux points actuellement en discussion, il est convenu qu’une personne chez qui l’on a mis en évidence un syndrome de Brugada parfaitement asymptomatique et qui, par ailleurs, est sans antécédents familiaux de mort(s) subite(s), ne justifie d‘investigations particulières (stimulation ventriculaire programmée) que lorsque se présente l’aspect particulier déjà noté du segment ST dit « en selle ».
En cas d’antécédents familiaux. Par ailleurs, bien sûr, s’il existe un ou plusieurs antécédents de mort subite familiale, il convient de proposer une stimulation ventriculaire programmée.
La décision est grave : elle signifie que l’on s’engage, sur la foi de notions parfois relativement floues (« on m’a dit qu’un cousin un peu éloigné et que je n’ai jamais connu serait mort dans son sommeil vers la trentaine »), à proposer cette exploration, et donc que l’on s’engage également à implanter un défibrillateur automatique au cas où l’on déclencherait un trouble rythmique ventriculaire grave.
La signification pronostique de la stimulation ventriculaire programmée dans le syndrome de Brugada asymptomatique a été mise en cause par certains. L’expérience personnelle de l’auteur de ces lignes est que des explorations tout à fait normales peuvent effectivement s’accompagner peu de temps après d’authentiques arythmies ventriculaires malignes. C’est la raison pour laquelle certains, de moins en moins nombreux il est vrai, préconisaient il y a encore quelque temps l’implantation systématique d’un défibrillateur automatique en cas d’antécédents familiaux de mort subite et sans tenir compte des résultats de la stimulation ventriculaire programmée.
Cette attitude est vraisemblablement excessive et l’on peut s’accorder actuellement sur l’implantation prophylactique d’un défibrillateur en cas seulement d’induction d’une fibrillation ventriculaire après deux extra stimuli au maximum, une exploration normale conduisant à l’abstention thérapeutique.
Pour conclure
Soulignons encore l’extrême difficulté où nous sommes actuellement pour s’accorder sur une attitude pratique devant un syndrome de Brugada parfaitement asymptomatique. Les attitudes « agressives » des découvreurs du syndrome font maintenant place à une relativisation du danger du syndrome lorsqu’il est asymptomatique. Ils font néanmoins toujours la part belle à la stimulation ventriculaire programmée, là où d’autres restent très prudents, dans l’attente d’un recul plus long sur le suivi des registres internationaux.
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