Publié le 05 juil 2005Lecture 13 min
Douleur thoracique inaugurale : une prise en charge rationalisée
S. WEBER, hôpital Cochin, Paris
Pourquoi reprendre, lorsque l’on s’adresse au lectorat de cardiologues avertis de « Cardiologie Pratique », le sujet aussi classique que quotidien de la prise en charge des syndromes douloureux thoraciques ? Si l’éventail étiologique n’a guère changé, l’environnement, a lui, subi quelques transformations comme nous l’expliquerons dans cet article.
Il n’y a bien sûr pas eu ces dernières années de profonds changements ni dans l’histoire naturelle ni dans l’épidémiologie des pathologies susceptibles de se révéler par une douleur thoracique inaugurale. En revanche, le paysage s’est considérablement modifié pour deux principales raisons.
Un changement organisationnel général
Un accueil « protocolé ».
La transformation des classiques « urgences médecine » des hôpitaux universitaires et généraux en SAU (Service d’Accueil des Urgences), loin d’être un simple changement de décor, s’est révélée être un véritable effort d’organisation et de rationalisation de la prise en charge des urgences. De nombreux établissements ont élaboré des protocoles écrits de prise en charge des douleurs thoraciques : une démarche d’organisation et de formalisation qui a conduit ou va conduire chaque équipe cardiologique hospitalière à se positionner.
Un diagnostic très précoce. Rien ne conteste la nécessité de confier le malade aux cardiologues une fois le diagnostic de syndrome coronaire posé, ou tout du moins évoqué par les urgentistes. En revanche, il me semble tout aussi fondamental que l’équipe cardiologique soit impliquée dans cette démarche de prise en charge dès les premières minutes de la présence du patient au SAU et participe ainsi pleinement à la première étape : le diagnostic.
Le savoir-faire spécifique du cardiologue est irremplaçable pour accélérer le circuit de prise en charge lorsque le diagnostic de syndrome coronaire aigu est hautement vraisemblable et, plus important encore, pour contribuer à un diagnostic d’exclusion de maladie coronaire débouchant sur la non-réalisation d’examens complémentaires spécialisés, voire invasifs et bien souvent la sortie rapide du patient.
Cette intervention en amont est lourde de conséquences puisqu’il s’agit :
• dans le premier cas de gagner de précieuses dizaines de minutes dans la rapidité de mise en œuvre d’une thérapeutique de reperfusion lorsqu’elle est indiquée ;
• dans le deuxième cas, de limiter au maximum le risque de faux négatif et donc de méconnaissance d’une authentique maladie coronaire.
Un savoir-faire spécifique qui n’est pas seulement technique. Nos collègues urgentistes ayant parfaitement assimilé les subtilités des examens complémentaires les plus récents, de biologie ou d’imagerie, son savoir-faire et son expérience, me paraissent cependant irremplaçables pour optimiser les deux étapes restant essentielles au diagnostic des SCA : l’interrogatoire du patient et la lecture de l’ECG. L’absence du cardiologue, lors de ces deux étapes, représenterait un appauvrissement de la qualité de prise en charge des patients et plus accessoirement de notre discipline !
L’interrogatoire : premier savoir-faire du cardiologue
Il n’existe pas d’index de « Tartempion » ni de classification de « Roux » et « Combaluzier » des caractéristiques de la douleur thoracique. Cette absence d’indicateur quantitatif, permettant de se livrer à de savantes études, explique probablement pourquoi l’importance de l’analyse sémiologique de la douleur est effleurée, voire carrément ignorée, dans certaines publications didactiques et scientifiques.
- Qui, en ce domaine, est mieux placé que le cardiologue, dont cela représente le pain quotidien ? C’est bien lui qui a en mémoire, dans l’ordinateur cérébral que le bon Dieu (si l’on y croit) lui a mis entre les deux oreilles, la confrontation entre des centaines, voire des milliers d’interrogatoires et les résultats des examens complémentaires, notamment de la coronarographie.
- Qui mieux que lui, saura trouver le bon vocabulaire, la bonne technique d’interrogatoire pour, sans suggestionner le patient, faire « sortir » les caractéristiques notamment constrictives d’une douleur et qui saura interpréter ses éventuelles irradiations ?
- Qui saura mieux que lui analyser les signes d’accompagnement, relativement fréquents, soit vagaux, soit hémodynamiques soit rythmiques ?
- N’est-il pas le mieux placé pour, a contrario, individualiser les marqueurs négatifs que sont une douleur thoracique trop franchement latéralisée à gauche, trop brève, ou au contraire trop prolongée alors même que l’ECG est normal et les marqueurs biologiques négatifs ?
L’implication de l’équipe cardiologique dans l’interrogatoire des patients se présentant pour douleurs thoraciques ne signifie pas que la totalité des patients concernés doivent être « montrés » au cardiologue… En revanche, le recours « ciblé » à ses compétences doit être envisagé, et éventuellement écrit dans les protocoles de prise en charge, pour un avis clinique aussi bien que pour la réalisation d’une échographie cardiaque ou d’une coronarographie !
ECG : une lecture difficile à standardiser…
Si l’on peut savamment comparer les valeurs diagnostiques d’un sous-décalage de ST de 1,4 versus 1,6 mm ; la notion inquantifiable mais précieuse d’enraidissement du segment ST, les subtilités morphologiques de l’onde T et autres nuances de ce genre rendent indispensable le coup d’œil du cardiologue chaque fois qu’un doute sérieux existe.
Le cardiologue : une place « ciblée » et en amont
La réorganisation des urgences en France a représenté un réel progrès aboutissant à juste titre à l’organisation et à l’évaluation des circuits de prise en charge des douleurs thoraciques. Le cardiologue doit occuper toute sa place dans ce processus ; elle ne lui est pas contestée et il la revendique avec enthousiasme pour le versant thérapeutique. Il doit rester tout aussi enthousiaste et présent en amont du diagnostic où les enjeux sont bien plus importants que le choix de la modalité de reperfusion ! En d’autres termes, la qualité du service rendu en matière de prise en charge des syndromes coronaires aigus par une équipe de cardiologie hospitalière me paraît dépendre plus de la qualité de l’étape initiale de « triage-diagnostic » que du choix entre l’endoprothèse à double arbre à came en tête essence de chez Renault ou le stent common-rail injection diesel de chez Peugeot !
De nouveaux et précieux instruments du diagnostic
La deuxième grande modification du paysage a été l’émergence à intervalles rapprochés de nouveaux outils qui s’intègrent actuellement dans les arbres décisionnels de prise en charge des SCA.
La large utilisation des dosages de troponine
Au fil du temps, la sensibilité de ce test diagnostique s’est confirmée, de même que pour la prise en charge des angors instables, sa forte valeur pronostique. Rappelons que ce dosage biologique coûteux, n’a guère d’intérêt dans l’évaluation d’un infarctus transmural évident ; pourquoi utiliser un onéreux microscope pour analyser ce qui se voit parfaitement à l’œil nu ! La répétition de ce même dosage coûteux de troponine les jours suivant un infarctus transmural n’a pas non plus d’intérêt majeur ; c’est l’analyse de la cinétique segmentaire au décours d’un geste de reperfusion, éventuellement renouvelée pour faire la part d’un phénomène de sidération, qui apporte les renseignements décisifs pour le pronostic et l’ordonnance de sortie.
Si la sensibilité et la valeur pronostique des dosages de troponine sont amplement confirmées par la pratique, celle-ci a clairement montré qu’il existait de nombreuses autres causes d’élévation de ce marqueur biologique et que sa spécificité n’était pas absolue.
Une « troponite aiguë » ?
Le problème est amplifié par l’utilisation extrêmement large, oserais-je dire trop large, qui en est faite, alors même qu’il n’existe pas de point d’appel devant faire redouter un syndrome coronaire. En pratique bien souvent, tout symptôme se localisant entre la pointe du menton et l’ombilic peut conduire à la prescription d’un dosage de troponine ! De même, en postopératoire d’une chirurgie extracardiaque, les symptômes ou les signes de pancartes amenant à cette prescription sont également innombrables… Les dosages de troponine sont ainsi effectués dans les populations de malades à très faible prévalence de SCA. De façon donc tout à fait « mathématique », il est devenu fréquent qu’un dosage de troponine positif soit en fait un faux positif.
Parfois ces élévations de troponine ne correspondent pas à une poussée évolutive de maladie coronaire, avec rupture de plaque, mais à une réelle souffrance sous-endocardique : tachycardie ou posttachycardie, cœur pulmonaire aigu, état de chocs, péricardites aiguës ou myopéricardites… Dans ce cas, ce dosage positif garde toute sa valeur d’orientation et reste un témoin de gravité et nécessite l’implication du cardiologue. Toutefois, dans d’autres cas, aucune souffrance myocardique même mineure, même fonctionnelle, n’explique un tel résultat biologique qui correspond donc bien à un authentique faux positif !
Les erreurs techniques de laboratoire sont possibles, même si ce dosage paraît en général robuste, mais aucune technique aussi surveillée et contrôlée soit-elle n’est à l’abri d’une erreur.
Enfin et surtout, on n’échappe pas à l’idée, surtout en contexte postopératoire, que certains authentiques largages de troponine, quel qu’en soit le sous-type, proviennent bien du muscle strié… mais pas de celui du myocarde ! Si un taux sanguin élevé de troponine n’est pas synonyme de maladie coronaire, a contrario, un taux sanguin normal ne l’élimine pas non plus…
Si le tableau clinique est évocateur et/ou l’électrocardiogramme douteux, le minimum est de garder le patient en observation pour renouveler le dosage 5 à 6 heures plus tard.
Le dosage de deux autres marqueurs biologiques est à juste titre, souvent prescrit en urgence dans un contexte de syndrome douloureux thoracique.
D-dimères
Leur prescription est justifiée lorsque le syndrome douloureux thoracique est compatible avec le diagnostic d’embolie pulmonaire. La valeur prédictive négative de ce dosage, lorsqu’il est normal est particulièrement élevée, permettant d’éviter un examen d’imagerie inutile et de réorienter l’enquête vers d’autres étiologies, notamment l’étiologie coronaire. L’interprétation de ce marqueur est quasi impossible chez le sujet âgé. Autant sa valeur prédictive négative est élevée, autant sa spécificité est médiocre, un résultat positif ne doit pas être considéré comme une affirmation du diagnostic mais comme une incitation à pratiquer un examen approprié d’imagerie.
BNP et NT-pro-BNP
Le dosage en urgence du taux sanguin de BNP ou, selon les habitudes du laboratoire, du NT-pro-BNP est clairement validé dans l’arbre décisionnel des dyspnées. Ce marqueur s’élève également en cas d’ischémie myocardique transitoire (angor instable). La validation de l’utilisation du BNP dans l’arbre décisionnel des douleurs thoraciques n’est cependant pas encore achevée. Elle le sera vraisemblablement sous peu…
Le concept est particulièrement intéressant et tout à fait complémentaire des dosages de troponine. Une élévation de troponine témoigne à l’échelon tissulaire d’une micronécrose cellulaire alors que l’élévation du taux sanguin de BNP témoigne d’un stress hémodynamique des cellules myocardiques n’impliquant pas, cependant, de mort cellulaire. Le dosage simultané de ces deux marqueurs est donc potentiellement intéressant. Certains patients, dont la plaque coronaire rompue n’a pas été à l’origine de microembolies myocardiques, peuvent avoir un taux sanguin de troponine normal et une franche élévation de BNP, surtout si le territoire ischémique a été vaste et/ou la durée de l’ischémie relativement prolongée. Cette belle théorie reste cependant à confirmer par de solides études cliniques.
Angioscanner multibarrettes
Je souhaiterais clairement séparer les apports validés que ce dernier arrivant fournit à la prise en charge des syndromes douloureux thoraciques, d’un futur que l’on peut espérer proche, voire très proche mais qui reste encore un futur.
L’embolie pulmonaire. Si l’angioscanner est validé dans le diagnostic, comme toute technique, il connaît des limites :
- certaines embolies distales lui échappent, laissant donc persister quelques indications aux techniques scintigraphiques,
- l’analyse du temps capillaire que permettait l’angiographie numérisée traditionnelle n’est plus possible ,
- cette technique d’imagerie pure ne permet pas la mesure de la pression artérielle pulmonaire dont la valeur pronostique garde toute son importance dans les cœurs pulmonaires aigus graves.
Dans la plupart des cas, la réalisation d’une échographie cardiaque permet d’approcher la valeur de la pression artérielle pulmonaire et de quantifier le retentissement sur les cavités droites.
L’aorte thoracique. L’angioscanner permet également une approche très performante des maladies de l’aorte thoracique… Dans la vraie vie, il n’y a pas de réelle compétition sur ce point entre scanner et échographie transœsophagienne. Parfois le contexte clinique dicte un choix préférentiel (allergie à l’iode, pathologies œsophagiennes), le plus souvent, sur le terrain, le choix dépendra de l’organisation du plateau technique sur un site donné.
L’imagerie coronaire appartient au futur. Je me garderai bien de m’aventurer dans le territoire de chasse des savants « imageurs » pour définir les critères de qualité de cet examen et de me prononcer sur l’existence ou non d’une formule permettant de corréler le nombre de barrettes de l’appareil au nombre d’années d’expérience de l’opérateur, le tout multiplié par le cours de l’euro par rapport au dollar, car malheureusement il s’agit presque toujours de matériel importé ! Quoi qu’il en soit, il n’existe pas aujourd’hui, en dehors bien sûr d’une thématique d’évaluation et de recherche clinique, de possibilité d’effectuer en urgence un angioscanner coronaire « validé », dont la valeur prédictive négative soit formellement établie.
L’imagerie non invasive des coronaires est, depuis plusieurs décennies pour le cardiologue clinicien, assimilable à la quête du Graal : obtenir sans risque iatrogène significatif, une certitude diagnostique. Je serai en la matière prudent puisqu’au tournant des années 80, de nombreux experts espéraient que l’angiographie numérisée par voie veineuse représenterait l’instrument diagnostique idéal. Ces espoirs ont été lourdement déçus. C’est donc avec une infinie prudence que je supposerai quand même que l’angioscanner coronaire multibarrettes sera dans quelques années validé, répandu et utilisable en urgence.
Si cette étape est effectivement franchie avec succès, l’une des questions importantes et quotidiennes de la cardiologie d’aujourd’hui, la question quasi-shakespearienne « coronaro or not coronaro » deviendra obsolète. Cela signifierait-il que dans quelques années, savoir identifier au sein des syndromes douloureux thoraciques — ce qui revient à la pathologie coronaire aiguë — ne posera plus aucun problème ? Rassurez-vous, nous aurons toujours matière à torturer nos neurones et à nous adonner aux délices des discussions « musclées » en salle de staff !
Une fois l’imagerie coronaire obtenue de façon simple, non invasive, quasi dénuée de risque, la démarche diagnostique ne sera pas achevée. Démontrer l’existence d’au moins une sténose hémodynamiquement significative sur l’arbre coronaire est une chose ; affirmer son imputabilité dans la genèse de la douleur thoracique, son caractère réellement ischémiant, en sera une autre. Ce problème sera un peu théorique chez les patients jeunes à prévalence a priori basse de maladie coronaire. En revanche, chez les patients plus âgés, à forte prévalence a priori de maladies coronaires, le problème du diagnostic restera parfois entier.
Actuellement, du fait de son caractère encore invasif, quoique de plus en plus souvent mini invasif, l’indication d’une coronarographie reste « ciblée » chez les patients dont la clinique et/ou les résultats d’examens complémentaires sont au moins « moyennement » indicateurs de maladie coronaire. Le passage à une technique non invasive élargira inévitablement les indications. Probablement une partie du problème de l’imputabilité pourra être résolue par les techniques d’imageries elles-mêmes, si elles permettent une ébauche d’analyse de la perfusion myocardique en aval de la sténose. Le recours aux autres techniques actuellement utilisées de détection et quantification de l’ischémie restera souvent nécessaire. Du moins, il devrait rester souvent nécessaire si on a le souci de ne pas proposer d’angioplastie sur une sténose coronaire non ischémiante découverte de façon fortuite à l’occasion d’une névralgie intercostale, d’un spasme œsophagien, voire d’une banale crise d’angoisse.
Inversement, un résultat normal d’angioscanner coronaire, une fois que cette technique aura été validée, n’éliminera pas non plus le diagnostic de syndrome coronaire, pas plus qu’une coronarographie normale n’exclut ce diagnoctic, si elle n’a pas été complétée par la réalisation d’un test au méthergin.
La sécurité actuelle du test au méthergin est en grande partie fondée sur la visualisation directe et très précoce du spasme permettant l’administration immédiate d’un dérivé nitré, éventuellement par voie endocoronaire si nécessaire. Une telle instantanéité du diagnostic n’est pas possible en angioscanner ; si les caractéristiques cliniques de la douleur, le terrain et/ou les signes électriques sont évocateurs d’angor vasospastique, le recours à la coronarographie traditionnelle gardera, là aussi, ses lettres de noblesse.
En pratique
Actuellement, la prise en charge des patients présentant des syndromes douloureux thoraciques aux urgences s’est améliorée ces dernières années, tant du fait d’un effort d’organisation des structures hospitalières que de la validation de nouveaux instruments dans le domaine de la biologie et de l’imagerie. Il me paraît indispensable que le cardiologue occupe toute sa place dans ce nouveau schéma et ne se cantonne pas à l’aspect strictement thérapeutique en aval du diagnostic de syndrome coronaire aigu.
Dans un futur proche, une nouvelle stratégie de prise en charge du diagnostic des syndromes coronaires aigus devra probablement être élaborée si les espoirs investis dans l’angioscanner coronaire multibarrettes se concrétisent. L’essentiel du challenge diagnostique ne sera plus la sensibilité, le risque de méconnaître une maladie coronaire, mais au contraire la spécificité et le risque d’attribuer à tort une douleur thoracique à une lésion coronaire réelle mais non ischémiante et d’exposer ainsi le patient au double risque de ne pas traiter son vrai problème et de traiter à tort par un geste interventionnel une sténose asymptomatique.
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