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Cardiologie interventionnelle

Publié le 28 mar 2006Lecture 6 min

Faut-il recanaliser tardivement l'artère de l'infarctus lorsqu'elle est occluse ?

P.-G. STEG, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris

XVIes Journées européennes de la SFC

Depuis 20 ans, le modèle théorique qui préside au traitement de l’infarctus du myocarde (IDM) est qu’une recanalisation précoce de l’artère de l’infarctus permet d’obtenir une reperfusion myocardique et que celle-ci, si elle est obtenue précocement, est associée à une réduction de la taille de l’infarctus, une préservation de la fonction ventriculaire gauche et, ultimement, à une réduction de la mortalité.
Mais il existe, en outre, un ensemble d’arguments expérimentaux et cliniques pour espérer qu’une recanalisation tardive puisse être associée à un bénéfice clinique, même lorsqu’elle ne permet pas de réduction de la taille de l’infarctus.

Arguments en faveur d’une recanalisation tardive   Les études descriptives du remodelage ventriculaire gauche postinfarctus ont montré, de façon concordante, que le remodelage est plus marqué lorsque l’artère de l’infarctus est totalement occluse. Cela est de plus corrélé à une altération plus sévère de la fonction ventriculaire gauche. Il existe une corrélation entre la persistance d’une occlusion de l’artère de l’infarctus et le risque de trouble du rythme ventriculaire postinfarctus, évalué par les marqueurs intermédiaires non invasifs (potentiels tardifs ventriculaires gauches, variabilité sinusale, etc.), même s’il n’y a pas de démonstration claire que cela soit associé à une incidence effectivement accrue de troubles du rythme. La recanalisation coronaire fournit une voie de collatéralisation potentielle en cas d’occlusion coronaire controlatérale. Enfin, et surtout, la survie à moyen et long termes est plus mauvaise en cas de persistance d’une occlusion coronaire. Il apparaît donc logique et attendu qu’une recanalisation tardive de l’artère de l’infarctus soit associée à une réduction de la morbi-mortalité après IDM.   Pourtant, les preuves manquent   Seul un petit nombre d’essais cliniques, tous de petite taille, a été réalisé et les résultats sont, au mieux, considérés comme non concluants. Le plus grand d’entre eux était l’essai britannique TOAT, évaluant, chez 66 patients, les effets de la recanalisation sur le remodelage ventriculaire gauche. De façon inattendue, cet effet s’est avéré plus que négatif : le groupe assigné à une recanalisation coronaire a eu un remodelage plus important que le groupe témoin. De ce fait, une incertitude persiste quant au bénéfice de la recanalisation coronaire tardive après infarctus. En raison des risques et du coût des procédures de recanalisation, un essai randomisé de plus grande taille était justifié.   L’essai national DECOPI C’est ce qui a conduit à la réalisation de l’essai national multicentrique randomisé DECOPI. Cet essai, financé par le Programme hospitalier de recherche clinique, a inclus des patients de 20 à 75 ans, ayant eu un IDM avec onde Q inaugurale, sans récidive d’ischémie myocardique ni argument pour une ischémie myocardique à bas niveau d’effort et chez lesquels la coronarographie réalisée entre les 2e et 15e jours, avait mis en évidence une occlusion coronaire complète (flux TIMI 0 ou 1 dans l’artère), accessible à une angioplastie coronaire. Les patients étaient alors randomisés, après avoir fourni leur consentement, soit à une angioplastie précoce, soit à un groupe de traitement médical. Le critère de jugement principal était un composite de décès, infarctus et troubles du rythme ventriculaire sévères. Deux cent douze patients ont été randomisés. Leurs caractéristiques cliniques de base en font un groupe de patients plutôt à faible risque (une majorité d’infarctus non antérieurs, et peu d’insuffisance cardiaque). Les deux groupes de patients ont reçu un traitement médical optimal avec environ 80 % d’aspirine, de statines et de bêtabloquants et environ 60 % d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion après plus de 2 ans de suivi. Après un suivi de 34 mois, le taux d’événements du critère primaire était comparable dans les deux groupes (8,7 contre 7,3 % ; p = 0,63), mais avec une meilleure fraction d’éjection ventriculaire gauche (mesurée par angiographie ventriculaire gauche au 6e mois : 59 versus 54 % dans les groupes angioplastie et traitement médical respectivement ; p = 0,013) (tableau 1). La coronarographie, réalisée systématiquement chez tous les patients au 6e mois, fournit des explications probables à ces résultats un peu décevants, en montrant un taux non négligeable de recanalisation coronaire spontanée dans le groupe médical (25 % environ), et des taux de réocclusion (13 %) et de resténose (49 %) élevés dans le groupe traité initialement par angioplastie. De fait, une analyse a posteriori du devenir à long terme des patients, fondée non sur la randomisation initiale mais sur la perméabilité coronaire au 6e mois confirme que les patients « à artère perméable » ont un bien meilleur pronostic que les patients « à artère occluse » (tableau 2). Cela suggère que ce sont la qualité et la « durabilité » de la revascularisation qui sont des éléments déterminants du bénéfice clinique à moyen terme. À cet égard, on peut espérer qu’à l’avenir, grâce aux stents enrobés, les résultats de la désobstruction coronaire tardive seront meilleurs que ceux observés dans l’essai DECOPI. Les résultats de DECOPI ne sont donc pas entièrement concluants et obligent à attendre les résultats de l’essai international de morbi-mortalité OAT, coordonné par l’institut national de la santé des États-Unis, mais auquel ont participé de nombreux pays, dont la France. OAT est un essai mené sur plus de 2 000 patients à haut risque qui devrait apporter une réponse ferme à la question du rôle de la désobstruction tardive postinfarctus.   En attendant les résultats de OAT, que faire en pratique ?   Tout d’abord, il faut distinguer le cas des patients symptomatiques, où la réponse est aisée, de ceux des patients asymptomatiques. Lorsque le patient est symptomatique, que ce soit en raison de la persistance de symptômes ischémiques, ou d’une instabilité hémodynamique ou rythmique, la recanalisation est unanimement recommandée. Lorsque les patients sont asymptomatiques, mais traités précocement par thrombolyse, il est légitime de considérer qu’il doit persister une zone de myocarde viable, préservée par la thrombolyse. Dans ce cas, et bien que les essais cliniques n’aient pas explicitement abordé le cas de figure de l’occlusion coronaire persistante, il est généralement considéré qu’une revascularisation de routine est probablement légitime. La question la plus délicate concerne le groupe de patients vus tardivement et n’ayant pas reçu de thrombolyse. Il est important de savoir que, dans ce cas, les deux stratégies de désobstruction et de traitement médical sont « sensiblement » équivalentes pour l’instant ; en tout cas, aucune démonstration claire du bénéfice de la désobstruction n’a encore été faite. De ce fait, une attitude de traitement médical de première intention avec évaluation non invasive à la recherche d’une ischémie résiduelle est parfaitement légitime. L’autre point essentiel est qu’il semble que le bénéfice soit lié à la qualité et la durabilité de la recanalisation coronaire. À cet égard, l’anatomie coronaire joue donc un rôle important dans la prise de décision, lorsqu’elle est favorable ou, au contraire, peu propice à une recanalisation percutanée. Enfin, la viabilité myocardique du territoire concerné paraît être, logiquement, un paramètre important pour déterminer le bénéfice éventuel d’une recanalisation.   En pratique L’angioplastie tardive est indiquée :   • Chez les patients symptomatiques - ischémie spontanée ou déclenchée - dysfonction VG/instabilité hémodynamique    • En routine, après thrombolyse Chez les patients symptomatiques vus tardivement, les données disponibles ne pemettent pas de conclure avec certitude. Les décisions paraissent devoir se fonder sur : – l’aspect angiographique de l’artère – la fonction ventriculaire gauche – la viabilité myocardique La recanalisation tardive d’une artère occluse ne doit pas être considérée comme une procédure à bas risque.   En conclusion   Un dernier point doit être souligné : alors qu’il pourrait paraître intuitivement sans risque de tenter de désobstruer une artère occluse (« on n’a rien à perdre »), l’expérience comme les résultats des essais cliniques montrent que ce n’est pas le cas : outre les coûts et les risques liés à toute procédure interventionnelle, la désobstruction d’une occlusion complète comporte des risques élevés de resténose et de réocclusion tardive, même à l’ère des stents (comme l’a bien montré DECOPI). Surtout, dans le cas d’une recanalisation tardive postinfarctus, un échec de procédure peut se traduire par un authentique réinfarctus, probablement parce que les artères collatérales qui permettent le maintien d’une viabilité dans le territoire dépendant de l’artère occluse, peuvent elles-mêmes devenir non fonctionnelles, même après une recanalisation transitoire en cours de procédure. Ainsi, il a été observé des réinfarctus graves lors de recanalisations transitoires au cours de telles procédures et il faut toujours considérer que ce sont des procédures à haut risque.

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