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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 11 avr 2006Lecture 7 min

Fibrillation atriale et dysfonction ventriculaire gauche : un cercle électromécanique vicieux

P. CHEVALIER, CHU de Lyon

Un homme âgé de 44 ans, hypertendu, est hospitalisé pour insuffisance cardiaque avec fibrillation atriale à cadence ventriculaire rapide (160 bpm) de début indéterminé. L’échocardiographie objective une dilatation globale sévère du ventricule gauche avec une fraction d’éjection mesurée à 20 %.
Il existe aussi un thrombus dans l’auricule gauche, mais pas de preuve d’une maladie valvulaire ou artérielle coronaire.

Après un traitement avec furosémide, digoxine, métoprolol, lisinopril, et warfarine, une échocardiographie réalisée après quatre semaines, montre la disparition du thrombus. Plusieurs cardioversions électriques externes ne permettent pas le retour en rythme sinusal, malgré un traitement par cordarone. Une fréquence cardiaque moyenne de 80 bpm est obtenue avec l’association diltiazem, métoprolol et digoxine. Trois mois plus tard, la fraction d’éjection ventriculaire gauche est à 55 % avec une dilatation modérée des cavités.   Prévalence La fibrillation atriale et l’insuffisance cardiaque, deux pathologies très liées, sont reconnues comme maladies à l’état endémique. En 1995, la fibrillation atriale était l’arythmie la plus commune, touchant plus de 2 millions de personnes aux États-Unis. Quatre millions d’Américains souffrent d’insuffisance cardiaque. La prévalence des deux maladies augmente avec l’âge. L’augmentation de la prévalence de la fibrillation atriale ne semble pas entièrement due au vieillissement de la population ; l’insuffisance cardiaque est un facteur de risque fort de développement d’une fibrillation atriale. Il reste à déterminer dans quelle mesure cette arythmie est une cause ou une conséquence de la dysfonction ventriculaire gauche (figure). Figure. Fréquence de la dysfonction VG déclenchée par la fibrillation atriale. L’insuffisance cardiaque : une conséquence de fibrillation atriale Dans 10 à 20 % des cas d’insuffisance cardiaque, la dysfonction systolique est directement liée à l’arythmie. Récemment, il a été démontré qu’après ablation de la fibrillation atriale et retour au rythme sinusal, jusqu’à 50 % des patients insuffisants cardiaques peuvent être améliorés. Le mécanisme responsable de cette cardiomyopathie déclenchée par la tachycardie n’est pas complètement compris. Habituellement, on évoque l’irrégularité de la cadence ventriculaire qui est, elle-même, responsable d’anomalies hémodynamiques avec activation sympathique délétère.   L’insuffisance cardiaque : une cause de fibrillation atriale La dysfonction systolique ventriculaire gauche est associée à une augmentation du risque de fibrillation atriale chez l’homme (4,5 fois) et chez la femme (5,9 fois). La prévalence de la fibrillation atriale est liée à l’importance de la dysfonction ventriculaire. Chez les patients en classe IV de la NYHA, la fibrillation atriale est présente une fois sur deux. Chez les patients avec dysfonction ventriculaire gauche préexistante, la survenue d’une fibrillation atriale aggrave les symptômes d’insuffisance cardiaque. Dans la dysfonction diastolique ventriculaire gauche 25 à 30 % des patients avec une dysfonction diastolique souffrent d’une fibrillation atriale avec réponse ventriculaire rapide. Cette association est très délétère car ces patients sont dépendants de la contraction atriale et ont besoin d’une diastole longue pour remplir le ventricule gauche à des pressions normales. Dès le début de l’arythmie, la perte de la contribution atriale et la diminution des temps diastoliques provoquent une élévation des pressions atriales pour maintenir le débit cardiaque. Inversement, une dysfonction diastolique modifie les pressions de remplissage et déclenche un remodelage musculaire prédisposant à l’arythmie. Le risque de fibrillation atriale est proportionnel à la sévérité de la dysfonction diastolique, définie par des paramètres échocardiographiques.   Physiopathologie de la fibrillation atriale   Le feedback électromécanique L’étirement aigu des cavités auriculaires lors d’une surcharge volémique d’installation brutale est associé à une augmentation de la dispersion des périodes réfractaires et à des troubles de conduction qui facilitent la survenue de fibrillation atriale. La dysfonction ventriculaire gauche conduit à une dilatation atriale ; celle-ci stimule les canaux activés par l’étirement et augmente la vulnérabilité aux arythmies fibrillatoires. Le blocage des canaux activés par l’étirement diminue la facilité de déclenchement de la fibrillation atriale, malgré l’élévation de la pression intraatriale. Lors de la surcharge volémique chronique observée dans l’insuffisance cardiaque, la dilatation contribue à la persistance de la fibrillation atriale.   Modulation neurohumorale Dans l’insuffisance cardiaque, la modulation neurohumorale avec des concentrations élevées de catécholamines et d’angiotensine II facilite le développement de la fibrose. À son tour, cette fibrose modifie les propriétés électriques du tissu cardiaque et favorise la survenue de l’arythmie.   Remodelage des canaux ioniques Les canaux calciques atriaux sont modifiés dans l’insuffisance cardiaque, mais de façon moins marquée que ceux observés après la survenue d’une tachycardie atriale. Certains canaux potassiques (IKs) ne sont pas modifiés par l’arythmie, mais sont diminués dans des conditions expérimentales d’insuffisance cardiaque. Les mécanismes par lesquels le remodelage ionique atrial modifie la survenue et la persistance de la fibrillation atriale chez certains patients avec insuffisance cardiaque restent indéterminés.   Pronostic Dans l’étude de Framingham, la fibrillation atriale est un marqueur indépendant de mortalité à tous les âges, chez les hommes et chez les femmes. Cette arythmie est aussi un marqueur de conditions comorbides (hypertension et athérosclérose cérébrale et aortique). Le pronostic des cardiomyopathies déclenchées par la fibrillation atriale sans dysfonction ventriculaire gauche préalable, n’est pas bien défini. Après ablation du nœud atrioventriculaire, la survie des patients avec dysfonction ventriculaire gauche augmente. Dans l’étude SOLVD (Study Of Left Ventricular Dysfunction), la fibrillation atriale était un indice prédictif indépendant de morbi-mortalité, principalement lié à la réhospitalisation pour insuffisance cardiaque. Dans un sous-groupe de l’étude DIAMOND (Danish Investigations of Arrhythmias and Mortality ON Dofetilide), qui avait pour but d’évaluer le dofétilide chez les patients avec fraction d’éjection < 35 %, le maintien indépendamment du rythme sinusal à 1 an était associé à la survie, que ce soit dans le groupe placebo ou dofétilide.   Traitement   Traitement de l’insuffisance cardiaque Quand la fibrillation atriale persiste chez les patients avec insuffisance cardiaque, les stratégies thérapeutiques ont pour objectif de restaurer le rythme sinusal ou d’optimiser le contrôle de la fréquence cardiaque et la thérapeutique de l’insuffisance cardiaque. En théorie, de nombreuses thérapeutiques conventionnelles de l’insuffisance cardiaque peuvent avoir un effet favorable sur les propriétés structurales et électriques de l’oreillette. Les IEC et les ARA II exercent un effet non seulement bénéfique sur le remodelage ventriculaire, mais réduit aussi la fibrose atriale. Les peptides natriurétiques et les diurétiques sont en mesure de diminuer l’étirement atrial en diminuant la surcharge volémique. Les antagonistes de l’aldostérone diminuent le stress oxydatif. Leurs propriétés antifibrotiques jouent certainement un rôle antiarythmique. Si l’ampleur de l’impact antiarythmique du traitement de l’insuffisance cardiaque n’est pas précisément quantifiée, son bénéfice est indiscutable. La modulation des fluctuations du système nerveux autonome par les bêtabloquants peut être efficace chez les patients chez lesquels l’hyperactivité sympathique joue un rôle dans la genèse de la fibrillation atriale. Bien entendu, une hyperthyroïdie est systématiquement recherchée. Enfin, les patients avec fibrillation atriale et dysfonction systolique sont à risque très élevé d’embolie d’origine cardiaque. Un traitement par antivitamine K est donc justifié.   Traitement de la fibrillation atriale Deux stratégies s’opposent : le contrôle du rythme et le contrôle de la cadence ventriculaire. - Dans l’étude AFFIRM (Atrial Fibrillation Follow-up Investigation of Rhythm Management), il n’a pas été observé de différence de mortalité entre les deux stratégies. Pour certains, cette absence de différence traduit la surmortalité liée au traitement antiarythmique. Cette étude concerne des patients âgés, et ne doit pas être extrapolée aux patients jeunes sans facteur de risque d’accident vasculaire cérébral. L’étude en cours AF-CHF (Atrial Fibrillation and Congestive Heart Failure) s’attache à évaluer l’intérêt de maintenir le rythme sinusal chez les patients avec insuffisance cardiaque.   Contrôle du rythme Les patients avec insuffisance cardiaque, dont le début de la fibrillation atriale est associé à une détérioration hémodynamique sévère, nécessitent avant tout une thérapeutique de maintien du rythme sinusal. L’amiodarone est, dans cette situation, le traitement de choix. Le sotalol est habituellement contre-indiqué en raison de la dysfonction ventriculaire gauche. Les antiarythmiques de classe 1C doivent être évités en raison de la fréquence d’une pathologie coronaire sous-jacente. Lorsque l’installation de la fibrillation atriale n’est pas associée à une accentuation de la symptomatologie, les stratégies de contrôle du rythme ou de contrôle de la cadence ventriculaire sont choisies au cas par cas.   Contrôle de la cadence ventriculaire Le contrôle optimal de la cadence ventriculaire ne peut pas être déterminé par l’ECG de surface au repos. Il doit être évalué à l’aide d’un examen holter de 24 h ou avec étude de la réponse chronotrope par épreuve d’effort ou test de marche. Un contrôle optimal est défini par une fréquence cardiaque moyenne de 80 bpm ou moins, et une fréquence maximale d’effort à 150 bpm. On admet aussi qu’une fréquence cardiaque à 110 bpm lors d’un test de marche de 6 min, est satisfaisante. La digoxine seule est souvent insuffisante en raison du tonus sympathique élevé en cas d’insuffisance cardiaque. Les bêtabloquants apparaissent essentiels : la posologie doit être augmentée lentement avec des doses initiales faibles. L’utilisation des inhibiteurs calciques peut apparaître compliquée en raison d’éventuels effets secondaires. En cas d’échec de l’approche médicamenteuse, on peut proposer une ablation du nœud auriculoventriculaire puis implantation d’un stimulateur. Cette option s’accompagne le plus souvent d’une amélioration de la qualité de vie, de la tolérance à l’exercice et de la fonction ventriculaire gauche. La survie à long terme de ces patients est comparable à celle des patients traités médicalement. Il reste à déterminer le bénéfice d’une resynchronisation ventriculaire par rapport à une stimulation apicale du ventricule droit, ainsi que le rôle du défibrillateur automatique. Enfin, l’ablation de la FA autour des veines pulmonaires, semble une voie prometteuse.   Conclusion La fibrillation atriale peut être à l’origine d’une dysfonction ventriculaire gauche sévère et réversible chez les patients sans maladie cardiaque structurale. Cette hypothèse doit toujours être évoquée chez les patients avec une insuffisance cardiaque récente. Une amélioration de la dysfonction ventriculaire gauche avec contrôle du rythme ou de la cadence ventriculaire est souvent obtenue. Le cas présenté au début de cet article illustre la nécessité de ne pas oublier cette condition potentiellement réversible.

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