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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 29 juin 2010Lecture 8 min

Fibrillation atriale : quel traitement anti-thrombotique ? Les résultats des grands essais

J.-C. DEHARO, S.-S. BUN, CHU Timone, Marseille

La fibrillation atriale (FA) est l’arythmie soutenue la plus fréquente dans la population générale puisqu’elle n’atteint pas moins de 5 % de la population de plus de 65 ans et 10-15 % des patients de plus de 80 ans.

La FA : une arythmie qui ne manque pas de caillot ! La fibrillation atriale (FA) est l’arythmie soutenue la plus fréquente dans la population générale puisqu’elle n’atteint pas moins de 5 % de la population de plus de 65 ans et 10-15 % des patients de plus de 80 ans. Elle est associée à une mortalité élevée, et sa morbidité est essentiellement représentée par les complications thromboemboliques. Le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) chez les patients souffrant de FA non valvulaire est d’environ 5 % par an, soit entre 2 et 7 fois plus que des sujets comparables ne présentant pas l’arythmie. La classification la plus largement utilisée afin de stratifier le risque thromboembolique demeure la classification CHADS2, qui retient 5 facteurs de risque d’AVC chez les patients en FA : – C pour Congestive heart failure (insuffisance cardiaque) ; 1 – H pour Hypertension ; 1 – A pour Âge > 75 ans ; 1 – D pour Diabète ; 1 – S pour Stroke (AVC) ; 2 Un score pour chaque patient peut ainsi être obtenu en additionnant les points attribués (un point par facteur de risque pour les 4 premiers paramètres et 2 pour l’antécédent d’AVC). Les incidences annuelles d’AVC correspondant à chaque niveau de score vont ainsi de 1,9 à 18,2 % par an. Les recommandations actuelles préconisent ainsi l’abstention thérapeutique chez les patients avec un score de CHADS nul ; pour un CHADS égal à 1, le choix est laissé à la discrétion du clinicien, entre aspirine ou traitement AVK ; ce dernier s’impose dès lors que le score de CHADS atteint 2, qu’il s’agisse d’une FA paroxystique ou permanente. Le règne des anti-vitamines K Six grandes études, randomisées et contrôlées, menées entre 1989 et 1992, ont affirmé l’efficacité des AVK versus placebo dans la FA1. Ces 6 études comprennent un total de 3 871 patients (1 450 recevant un AVK contre 1 450 recevant un placebo), avec une durée de suivi moyenne de 1,8 an. Les études AFASAK, BAATAF et EAFT n’étaient pas réalisées en double aveugle. L’étude CAFA a été arrêtée prématurément en raison des résultats bénéfiques des autres études. La méta-analyse montre une réduction de l’incidence de tout évènement thromboembolique par les AVK avec notamment une incidence des accidents ischémiques cérébraux réduite de 61 %. L’incidence des complications hémorragiques majeures est augmentée, sans toutefois atteindre le seuil de significativité (RR = 1,6 ; p = 0,072). Si l’on veut à présent comparer les AVK à l’aspirine, 5 études randomisées contrôlées peuvent être considérées avec un total de 3 298 patients. 3 AVK ont été utilisés : l’acénocoumarol, la warfarine et le phénocoumarol. Les doses d’aspirine varient de 75 à 325 mg/j. L’étude SIFA est la seule à utiliser un antiagrégant différent de l’aspirine : l’indobufène 400 mg/j. Les études SIFA et AFASAK ont eu une durée de suivi d’un an, l’étude AFASAK II de 2 ans et les études SPAF II et PATAF respectivement 2,3 et 2,7 ans. Les AVK ont une efficacité supérieure à celle des antiagrégants en ce qui concerne les évènements thromboemboliques, avec une réduction relative du risque de tout évènement de 36 % et des AVC de 43 %. Le bénéfice reste constant, même pour les patients plus graves. Une augmentation importante (RR = 2,19 ; IC 95 % : 1,4-3,5) des complications hémorragiques a toutefois été observée. La déception des associations Deux études ont testé l’association AVK (INR < 2) + aspirine (300-325 mg/j) vs AVK (INR > 2). Les incidences de tout évènement thromboembolique et des AVC sont réduites par les AVK (INR > 2) d’une façon significative (RR 0,47 et 0,39 respectivement). L’incidence des complications hémorragiques a été similaire dans les deux études. L’étude FFAACS a été la seule à évaluer l’association AVK (INR > 2) + aspirine en prévention des évènements thromboemboliques chez les patients en FA à haut risque. Malgré l’arrêt prématuré de l’étude rendant impossible toute conclusion sur le bénéfice de l’association AVK (INR > 2) + aspirine, cette dernière s’est avérée plutôt délétère, exposant les patients au risque important de complications hémorragiques (10 hémorragies mineures dans le groupe de l’association vs 1 dans le groupe placebo). L’étude ACTIVE W portait sur 6 706 patients, et visait à comparer l’efficacité anti-thrombotique d’une association bi-antiagrégante (aspirine 75-100 mg/j + clopidogrel 75 mg/j) vs AVK (essentiellement la warfarine). L’étude de supériorité ACTIVE A, comparait quant à elle une stratégie aspirine seule vs bi-antiagrégation (7 554 patients), chez des patients à risque thromboembolique élevé ne pouvant recevoir d’AVK. ACTIVE W, qui a été arrêtée prématurément, a montré la supériorité du traitement AVK sur l’association avec une réduction du taux d’AVC de 44 %. ACTIVE A de son côté, a montré une meilleure prévention thromboembolique de l’association que l’aspirine seule (réduction du taux d’AVC de 0,9 % par an) au prix d’une élévation du risque hémorragique (augmentation du risque d’hémorragies majeures de 0,7 % par an). La double association antiagrégante est donc considérée comme une alternative possible chez les patients présentant une contre-indication formelle aux AVK, et un risque thromboembolique élevé (tableau). Les anti-thrombines : la fin des AVK ? Malgré une efficacité remarquable démontrée, les AVK exposent les patients au risque des complications hémorragiques. D’où la nécessité de développer de nouvelles molécules ayant une meilleure tolérance vis-à-vis des complications hémorragiques, mais avec une efficacité identique voire supérieure. Le premier de la lignée fut le ximelagatran, pro-drug du melagatran, inhibiteur direct de la thrombine (étude SPORTIF), qui s’est révélé décevant, l’étude ayant été prématurément arrêtée en raison d’une toxicité hépatique accrue (figure 1). Figure 1. ASA aspirine. Néanmoins, les molécules de cette nouvelle classe n’ont pas dit leur dernier mot, avec en vedette, le dabigatran, au travers de l’étude RE-LY, présentée lors de l’ESC 20092. Il s’agit du plus vaste essai jamais réalisé dans la prévention des accidents thromboemboliques dans la FA non valvulaire. RE-LY est une étude multicentrique prospective et randomisée, de non-infériorité comparant le dabigatran (deux groupes avec deux posologies différentes à 110 mg ou 150 mg en 2 prises quotidiennes), à un groupe traité par warfarine avec INR cible compris entre 2 et 3. C’est un total de 18 113 patients qui ont été randomisés entre ces trois groupes (6 000 patients dans chaque bras), avec un score de CHADS moyen de 2 : > 75 ans, ≥ 65 ans avec diabète, antécédent d’AVC, FeVG < 40 % avec en classe II au moins de la NYHA, hypertension artérielle, pathologie coronaire prouvée. L’objectif principal est évalué sur le délai avant la survenue d’un premier évènement, AVC ou embolie systémique. Les objectifs secondaires portent sur des critères composites : AVC, embolies systémiques, décès, embolie pulmonaire, IDM, décès cardiovasculaires et hémorragiques. Le dabigatran 150 mg s’est révélé plus efficace que la warfarine en réduisant de 34 % la survenue d’AVC, sans majorer le risque hémorragique par rapport à la warfarine. Le dosage à 110 mg a démontré  de manière significative une efficacité identique à la warfarine avec un profil de sécurité supérieur à la warfarine. En effet, le pourcentage d’AVC et d’embolies systémiques était de 1,69 % par an dans le bras warfarine, 1,53 % par an dans le bras dabigatran 110 mg (p < 0,001 pour la non-infériorité) et 1,11 % par an dans le bras ayant reçu 150 mg de dabigatran (p < 0,001 pour la supériorité) (figure 2). Figure 2. Étude RELY. La fréquence des AVC hémorragiques a été de 0,38 % par an sous warfarine, contre 0,12 % sous dabigatran 110 mg (p < 0,001) et 0,10 % par an sous dabigatran 150 mg (p < 0,001). Le résultat ayant le plus marqué les esprits des spécialistes est incontestablement l’effondrement des saignements intracrâniens sous dabigatran 110 mg, 0,23 % et dabigatran 150 mg, 0,30 % vs warfarine 0,74 %). Enfin, le taux de mortalité cardiovasculaire est diminué de manière significative avec le dabigatran 150 mg (2,28 % vs 2,69 % dans le groupe warfarine et 2,43 % dans le groupe dabigatran 110 mg). On note toutefois des saignements gastro-intestinaux plus fréquents (taux de saignements majeurs : 1,1 % à la dose de 110 mg, 1,5 % à la dose de 150 mg et 1 % sous warfarine) ; une discrète augmentation du nombre d’infarctus (0,7 % sous dabigatran 150 mg (p = 0,048), pour 0,5 % sous warfarine). Certaines questions restent toutefois en suspens : quel dosage prescrire chez les patients très âgés, ou en cas de fonction rénale altérée (le dabigatran est contre-indiqué chez l’insuffisant rénal sévère ; clairance < 30 ml/min). Que faire en cas de survenue d’une hémorragie sous dabigatran, sachant qu’il n’existe à l’heure actuelle aucun antidote, bien que la demi-vie du dabigatran soit courte comparativement aux AVK et qu’il est dialysable ? Qu’en est-il de l’utilisation chez les patients porteurs de valves mécaniques ? Ces patients non inclus dans l’essai RELY, mériteraient néanmoins d’être évalués dans un essai clinique spécifique. Quid de la manipulation du dabigatran lors d’une cardioversion électrique ? L’analyse en sous groupe auprès de 1270 patients a permis d’évaluer l’utilisation du dabigatran etexilate versus warfarine chez les patients nécessitant une cardioversion. Le taux de survenue d’AVC ou d’embolie systémique était faible et comparable entre les bras dabigatran 110, dabigatran 150 et le bras warfarine. Le dabigatran etexilate semble donc être une alternative à la warfarine dans la prévention des AVC chez les patients nécessitant une cardioversion. À noter enfin aucun signal de toxicité hépatique n’a été détecté sous dabigatran 110 et 150 mg vs warfarine durant toute la durée de l’essai. L’incidence des effets secondaires a été faible et identique dans les trois groupes. Le seul effet secondaire ayant eu une incidence plus importante sous dabigatran était la dyspepsie (p < 0,001 dans les deux groupes dabigatran vs warfarine). Des analyses sont en cours pour apporter des précisions sur l’évaluation de la dyspepsie chez les patients dans l’étude RELY. Perspectives futures Une étude multicentrique récente a tenté d’évaluer l’efficacité anti-thrombotique d’un dispositif d’occlusion percutanée de l’auricule gauche par voie endovasculaire (463 patients) avec abord trans-septal, contre une anticoagulation par warfarine avec INR entre 2 et 3 (244 patients)3. Il s’agissait d’une étude randomisée de non infériorité (PROTECT AF) avec comme critère principal un critère composite incluant les décès cardiovasculaires, AVC et embolies systémiques. Dans le suivi, il y a eu 3 % d’évènements dans le groupe invasif contre 4,9 % dans le groupe AVK, avec toutefois plus de complications péri-procédurales liées au dispositif. L’autre alternative, encore très débattue est l’ablation de la FA. En effet, certains auteurs s’accordent à dire qu’après une ablation « réussie » de la FA, on pourrait interrompre le traitement anti-thrombotique. Il s’agit d’une étude récente non randomisée qui n’a pas montré d’évènement embolique après 2 ans de suivi chez 347 patients ayant un score CHADS supérieur ou égal à 2, après interruption de l’anticoagulation orale 6 mois après la procédure4. Parallèlement, l’étude AFFIRM a démontré clairement que le seul traitement efficace dans la réduction de la mortalité toute cause chez les patients en FA était le traitement par AVK versus digitaliques et traitements anti-arythmiques. En pratique La FA est redoutable par ses complications thromboemboliques. La stratification du risque thromboembolique permet de proposer un traitement anticoagulant par AVK chez les patients ayant un score de CHADS supérieur ou égal à 1, qu’il s’agisse d’une forme paroxystique ou non. Notre pratique va être bouleversée dans les mois à venir par un nouveau venu, appelé dabigatran. Il restera toutefois certaines questions auxquelles il faudra très rapidement des réponses concernant ce nouveau produit : que faire en cas de valves mécaniques, insuffisance rénale, hémorragies sévères, etc ? Mais l’avenir s’annonce ensoleillé pour les patients, pour les anti-thrombines et, pourquoi pas, pour les dépenses de santé !

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