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Insuffisance cardiaque

Publié le 02 sep 2008Lecture 11 min

Insuffisance cardiaque et réentraînement

P. GIBELIN, CHU de Nice


Le Printemps de la cardiologie
Sur la base des effets bénéfiques de l’entraînement démontrés chez le patient coronarien, Lee, dès 1979, a proposé le même traitement à des insuffisants cardiaques ischémiques. Il s’interroge cependant sur le bien-fondé d’une augmentation de l’activité physique qui pourrait induire une dégradation de la fonction ventriculaire. Pour Conn, c’est aussi l’amélioration de l’aptitude aérobie observée chez les patients en postinfarctus qui a conduit à son application dans l’insuffisance cardiaque. Les adaptations retrouvées sont périphériques et non centrales. L’entraînement pourrait donc être une thérapeutique appropriée chez l’insuffisant cardiaque.

Il semble que le début des travaux sur l’entraînement dans l’insuffisance cardiaque prenne source à la fois dans les travaux antérieurs effectués chez le patient coronarien et la possibilité d’effets non délétères pour le cœur. Une autre approche est le parallélisme qui existe entre l’insuffisance cardiaque et le déconditionnement des sujets sédentaires ou le désentraînement des sujets actifs.   Mécanismes d’action du réentraînement De nombreuses anomalies existent conjointement dans ces deux états. De façon générale, une diminution de la VO2 max est observée. Les paramètres expliquant cette diminution sont conjointement une diminution du débit cardiaque et une diminution de la différence artérioveineuse en oxygène (CaO2 - CvO2). Chez le sujet déconditionné, cette diminution de la VO2 max est relative à la durée de l’arrêt d’activité physique, indépendamment de l’âge et du sexe. La réduction du débit cardiaque est expliquée par une diminution du volume d’éjection systolique non compensée par une augmentation de la fréquence cardiaque maximale (FC max). Pour les niveaux sous-maximaux, la diminution du volume d’éjection est contrebalancée par un accroissement de la fréquence cardiaque (FC). Cet accroissement de la FC est expliqué par une augmentation des catécholamines. Cette modification du tonus sympathique est associée à une diminution de la variabilité de la FC. La diminution de la (CaO2 - CvO2) peut être expliquée par une réduction des enzymes oxydatives et de la capillarisation. Les trois premières semaines de déconditionnement semblent influer uniquement sur le volume d’éjection systolique. La réduction de la (CaO2 - CvO2) n’intervient que plus lentement et explique les réductions progressives au long cours de VO2 max. L’ensemble de ces modifications est présent dans l’insuffisance cardiaque tout comme une réduction de la taille des muscles ce qui peut expliquer une réduction de VO2 max. Les effets de l’entraînement peuvent être évalués à partir de mesures de la capacité fonctionnelle tels que le temps d’exercice, la puissance à l’acmé de l’effort ou la distance de marche en 6 minutes. Cependant, de telles mesures pourraient être majorées par l’anxiété ou une augmentation du rendement. Des mesures directes des effets de l’entraînement semblent donc recommandées. L’exploration de la chaîne de l’oxygène permet, au-delà d’une mesure précise de l’aptitude physique ou des effets de l’entraînement, de mesurer d’autres paramètres, telles les réponses et adaptations ventilatoires. Effets de l’entraînement sur la consommation d’oxygène La VO2 à l’exercice maximal (pic VO2) ou au niveau du seuil ventilatoire est augmenté. Les augmentations du pic VO2 peuvent atteindre 30 %. Si l’entraînement est arrêté, nous observons une diminution progressive du pic VO2 dans les mêmes amplitudes que son augmentation et avec la même durée. L’augmentation du seuil ventilatoire se poursuit jusqu’à la 26e semaine alors que le pic VO2 se stabilise à la 16e semaine.   Effets de l’entraînement sur la ventilation La ventilation est réduite pour des niveaux de charge sous-maximaux. Ce résultat n’est cependant pas retrouvé dans toutes les études. Lors d’un exercice maximal, la ventilation est augmentée. Le rejet de gaz carbonique (CO2) suit la cinétique de la ventilation. Il est diminué pour des niveaux sous-maximaux et augmenté à l’acmé de l’effort. La lactacidémie (taux d’acide lactique dans le sang) présente des cinétiques identiques avec une réduction pour des niveaux sous-maximaux et une augmentation à l’exercice maximal. Une diminution des équivalents respiratoires en CO2 est observée, qui se stabilise à la 26e semaine d’entraînement tout comme le seuil ventilatoire. Le régime ventilatoire est modifié avec une réduction de la fréquence respiratoire et une augmentation du volume courant. La relation VE/VCO2 présente une pente diminuée avec des valeurs qui évoluent de 38,6 à 35,5 et de 38 à 34 degrés après entraînement. Effets de l’entraînement sur la circulation La fréquence cardiaque diminue au repos et pour des niveaux sous-maximaux d’exercice. Au pic de l’effort, la fréquence cardiaque est soit stable, soit augmentée. Le débit cardiaque reste inchangé ou est légèrement accru. Le débit sanguin présente une augmentation, alors que les résistances périphériques diminuent. Le double produit reflétant la demande en oxygène du myocarde est diminué pour des niveaux sous-maximaux. La fonction endothéliale est améliorée avec une dilatation dépendant du débit après un entraînement musculaire local, probablement induite par une libération accrue d’oxyde nitrique par l’endothélium. Effets de l’entraînement sur le pronostic L’étude de Belardinelli a montré un effet favorable sur la survie à moyen terme mais celle-ci doit être confirmée. Nous attendons les résultats de l’étude de morbi-mortalité HF Action pour fin 2008.   Les programmes d’entraînement dans l’insuffisance cardiaque Les nombreuses publications montrent une grande disparité en termes d’intensité, de durée des séances ou du programme, de fréquence et de même dans les modalités choisies pour réaliser les exercices utilisés lors des entraînements. Intensités d’entraînement utilisées dans l’insuffisance cardiaque Le choix de l’intensité de l’entraînement à utiliser chez les sujets insuffisants cardiaques est actuellement discuté, avec notamment la question des effets d’un exercice trop intense sur le remodelage ventriculaire. De même, au début de l’entraînement, la question de son innocuité est toujours débattue. Il semble que les possibles effets délétères d’une intensité élevée soient davantage une régurgitation mitrale qu’une modification du remodelage. Les intensités utilisées sont basées généralement sur le concept des pourcentages relatifs. Un pourcentage de VO2 max, de FC max et plus rarement de fréquence cardiaque de réserve est utilisé. L’utilisation de méthodes d’entraînements en créneaux ou d’entraînements segmentaires induit l’utilisation de méthodes spécifiques. Des entraînements des muscles respiratoires ont été étudiés avec des intensités d’entraînement adaptées à ces techniques. Rétrospectivement les résultats des différents travaux utilisant un pourcentage de VO2 max ou de FC max ne permettent pas d’affirmer qu’il existe une relation entre l’intensité de l’entraînement et les modifications de VO2 max (figure). Figure. Effet de l’intensité de l’entraînement physique sur les modifications de la consommation maximale d’oxygène. Intensités d’entraînement basées sur un pourcentage de la consommation maximale d’oxygène Les intensités de l’exercice basées sur un pourcentage de VO2 max ont des niveaux hétérogènes. Comparées aux intensités recommandées chez le sujet sédentaire, variant de 50 à 85 % de la VO2 max, les intensités utilisées chez les insuffisants cardiaques varient dans les mêmes proportions (40 à 80 %). Certains auteurs observent des augmentations de la consommation maximale d’oxygène relativement identiques et leurs travaux n’ont pas semblé modifier les prescriptions d’intensité d’entraînement. D’une part, une faible intensité (40 %) semble suffire à augmenter de manière significative la consommation d’oxygène, d’autre part, il a été démontré qu’un entraînement à une haute intensité (80 %) n’induit pas de remodelage ventriculaire. Intensités d’entraînement basées sur un pourcentage de la fréquence cardiaque maximale ou la fréquence cardiaque de réserve Les intensités d’entraînement basées sur un pourcentage de FC max se répartissent de 50 à 80 %. Ces valeurs sont très proches des intensités d’exercices recommandés chez les sujets sains (60 à 90 % de la FC max). La mise en place de programmes d’entraînement basés sur un pourcentage de FC max est basée sur le principe de concordance entre un pourcentage de VO2 max et un pourcentage de FC max. L’utilisation des bêtabloquants dans le traitement des insuffisants cardiaques devrait impliquer une remise en question ou une adaptation de ce principe de correspondance. En effet, la prise de bêtabloquant modifie la FC max et pourrait entraîner des modifications dans l’expression du pourcentage de celle-ci. De la même façon, une modification de la FC de repos induite par les bêtabloquants devrait entraîner des modifications des intensités basées sur la FC de réserve. Intensités d’entraînement spécifiques pour un entraînement en créneaux Une étude a démontré la faisabilité d’un entraînement en créneaux ou par intervalle chez l’insuffisant cardiaque. Le but de ce travail était d’induire une stimulation musculaire et une puissance totale plus importante en induisant un stress métabolique identique. Les sujets effectuaient une évaluation spécifique sur ergocycle comportant une incrémentation rapide de 25 watts toutes les 10 secondes. L’évaluation se terminait quand le sujet ne pouvait plus maintenir une fréquence de pédalage de 60 révolutions par minute. L’entraînement, de 15 min, consistait en périodes de 30 s à 50 % de la puissance atteinte, entrecoupées de récupération de 1 min. Ce programme s’adressait plus particulièrement à des sujets très déconditionnés qui ne pouvaient dépasser 30 watts en entraînement continu. Ce niveau d’effort étant proche des niveaux d’effort réalisés pour leurs activités quotidiennes, un entraînement à cette intensité n’aurait pas d’effet sur la fonction musculaire. Ce type d’entraînement, la surveillance et le niveau d’intensité précis qu’il requiert le réservent à des centres spécialisés dans la réadaptation cardiovasculaire. Cependant, cette approche a toute sa place dans un processus d’optimisation de l’entraînement. Autres méthodes d’entraînement Des entraînements différents des entraînements globaux ont été mis en place avec notamment des entraînements analytiques sur des groupes musculaires réduits. Cette technique d’entraînement doit induire un stress cardiaque ne modifiant pas le remodelage ventriculaire et entraînant des adaptations périphériques importantes. Une majorité des études utilisant un entraînement segmentaire n’a pas d’objectif clinique mais est réalisée uniquement à des fins expérimentales. Le travail segmentaire peut aussi être associé au travail global en endurance. Un entraînement des muscles respiratoires induit aussi des améliorations fonctionnelles. La technique la plus utilisée est un travail à un pourcentage de la capacité inspiratoire maximale. Ce travail peut être couplé avec un travail de respiration contre résistance accompagné d’exercices de ventilation dirigée.   Durées d’entraînement dans l’insuffisance cardiaque La durée des programmes de réadaptation varie de 3 semaines à 1 an. Plusieurs auteurs recommandent une durée de 8 se-maines. C’est cette même durée qui est le plus fréquemment utilisée dans les travaux de recherche sur l’insuffisant cardiaque. La durée des programmes de réhabilitation influe sur l’augmentation de la capacité aérobie. Le groupe du Toronto Rehabilitation Center a démontré que l’augmentation de VO2 présente des gains maximaux à la 16e semaine d’entraînement (p < 0,0001) et que l’augmentation du gain de VO2 à la 4e semaine représente 38 % de la réponse finale. Le groupe d’étude européen d’entraînement de l’insuffisant cardiaque retrouve un effet de la durée du programme d’entraînement sur l’augmentation de VO2. Il existe une corrélation significative entre les effets de l’entraînement et la durée des protocoles d’entraînement réalisés par les membres de cette société. La VO2 max augmente de manière significativement plus importante après 16 semaines qu’après 6 semaines (+ 2,6 ± 3 versus + 0,3 ± 3,1 ml. kg.min-1, p < 0,05). De plus, dans cette étude, le groupe de patients répondeurs, définis par une augmentation de VO2 de 10 %, présente une période d’entraînement significativement plus longue que les patients non répondeurs (10,5 ± 3,4 versus 9,2 ± 3 semaines, p < 0,02). Les données de l’étude de Belardinelli montrent une augmentation de VO2 plus importante après 8 semaines alors qu’elle semble s’infléchir jusqu’à 14 mois (VO2 de départ : 15,7 ± 2, à 8 semaines : 18,6 ± 1, à 14 mois : 19,9 ± 1 ; p < 0,001).   Modalités d’entraînement dans l’insuffisance cardiaque Le travail sur ergocycle est utilisé dans la majorité des programmes d’entraînement. Cette observation est compréhensible : d’une part, les sujets réalisent une activité portée peu traumatisante ; d’autre part, la prescription d’une intensité d’effort est facilitée. L’intensité de l’exercice peut être modulée plus facilement chez les patients les plus faibles alors que la marche peut demander, pour les vitesses les plus faibles, une intensité représentant un pourcentage important de leur VO2 max. L’intensité maximale requise sera d’autant plus élevée que le programme sera basé sur un pourcentage sous-maximal bas. De plus, la surveillance est facilitée lors d’un entraînement sur vélo. La marche est ensuite la plus pratiquée. La facilité de sa mise en place et le fait qu’il s’agisse d’une activité du quotidien expliquent ce choix. En outre, cette activité peut être poursuivie à domicile sans l’investissement ou le prêt d’un matériel coûteux. Ce choix peut aussi permettre de trouver des coéquipiers dans l’entourage pour partager cette activité.   Individualisation de l’entraînement Un des critères de qualité d’un entraînement à l’exercice est l’adéquation entre le travail physique demandé et les aptitudes du sujet. Le sujet insuffisant cardiaque présente une grande hétérogénéité de l’aptitude aérobie. Cette observation devrait induire une attention toute particulière dans le choix des intensités d’entraînement. L’application d’une méthode de calcul des intensités d’entraînement identiques, basée sur le concept des pourcentages relatifs (% de FC max ou de réserve, % de VO2 max), nécessite certains prérequis, notamment que chaque sujet ait une aptitude aérobie similaire. Dans le cas contraire, l’application d’une intensité relative identique entraînerait un travail métabolique différent pour chaque sujet. En effet, au cours d’une épreuve d’effort cardiopulmonaire, quelques patients insuffisants cardiaques stoppent leur effort rapidement après le passage du seuil ventilatoire, alors que d’autres peuvent arriver jusqu’à un plateau de consommation d’oxygène.   En pratique La réadaptation de l’insuffisant cardiaque doit être intégrée dans les programmes d’éducation thérapeutique adaptés à cette pathologie. En effet, nous savons qu’il faut que le patient maintienne une activité physique régulière après la rééducation. Elle doit ainsi s’intégrer dans la prise en charge multidisciplinaire de l’insuffisance cardiaque. L’éducation peut se faire par exemple pendant la réadaptation ou tout au moins y être débutée pour ensuite être relayée au sein d’un réseau ambulatoire. Celle-ci n’est encore que trop peu prescrite par les médecins et il est souhaitable qu’elle devienne aussi systématique que les médicaments ou les conseils diététiques.

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