Cardiologie générale
Publié le 07 nov 2006Lecture 8 min
L'enquête familiale systématique : que faut-il en attendre ?
Ph. CHARRON, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris
Le caractère familial des cardiomyopathies dilatées (CMD) a été longtemps méconnu et par conséquent négligé. Les données récentes indiquent pourtant que les formes familiales sont fréquentes et justifient pleinement la réalisation d’une enquête familiale cardiologique. Celle-ci va permettre une reconnaissance et une prise en charge thérapeutique précoce de la maladie chez les apparentés. De plus, il est important de réaliser chez le malade initial (ou propositus) un bilan médical approfondi de façon à rechercher un tableau clinique particulier qui va orienter vers une surveillance spécifique (cardiaque et non cardiaque) chez le patient aussi bien que dans sa famille. Enfin, le test génétique peut parfois être réalisé et, quand il conduit à l’identification d’une mutation, permet de mieux orienter la prise en charge médicale de la famille.
Fréquence des formes familiales et histoire naturelle
Les enquêtes échographiques récentes réalisées systématiquement chez les apparentés de patient avec CMD apparemment idiopathique ont permis de déterminer que la CMD est familiale dans 20 à 50 % des cas (le chiffre de 25 % peut raisonnablement être retenu). Un grand nombre des patients identifiés chez les apparentés étaient des malades qui s’ignoraient car asymptomatiques et n’ayant pas fait jusque-là de bilan cardiologique.
Les études génétiques nous ont appris que, dans ces familles avec CMD, la maladie évolue en fait selon trois phases bien distinctes (figure 1) :
– la première phase est totalement silencieuse sur le plan cardiologique. Il s’agit d’un enfant qui a hérité de la mutation morbide mais qui présente un bilan cardiologique, notamment échographique, strictement normal. Cette phase s’étend sur un nombre d’années variable, allant souvent jusqu’à l’adolescence, et parfois bien au-delà (jusqu’à 40-50 ans) ;
– la deuxième phase est celle du début de l’expression cardiaque, avec mise en évidence d’un ventricule gauche dilaté et hypokinétique (en échographie par exemple), chez un individu qui reste encore strictement asymptomatique. La période peut s’étendre sur plusieurs années et elle est également très variable selon les sujets ;
– la troisième phase est celle de l’apparition des symptômes et/ou des complications. Habituellement les patients ou apparentés ne sont identifiés qu’à ce dernier stade. Or, il est crucial de les identifier à une phase plus précoce afin d’améliorer leur prise en charge et leur pronostic.
Figure 1. Histoire naturelle de la CMD familiale et mendélienne. L’évolution chez le porteur de mutation se fait en 3 étapes, depuis la phase cardiologiquement silencieuse, en passant par la phase d’expression cardiaque chez le sujet asymptomatique, jusqu’à l’apparition des symptômes ou des complications.
Le bilan cardiaque familial, quand et chez qui ?
Le bénéfice principal de l’enquête cardiologique familiale réside dans le fait que l’identification précoce d’une CMD chez un apparenté, même asymptomatique, va permettre de débuter un traitement médicamenteux par inhibiteur de l’enzyme de conversion qui va ralentir la progression de la maladie.
Cette stratégie s’appuie sur les recommandations générales de prise en charge de la dysfonction systolique, le bénéfice chez le patient en classe NYHA de type I étant issu essentiellement des données de l’étude SOLVD-prévention (Study Of Left Ventricular Dysfunction). Le bilan approfondi du patient, et la surveillance médicale qui va s’ensuivre, permettront de compléter la prise en charge et l’adaptation thérapeutique.
L’enquête cardiologique familiale consiste en pratique en une échographie cardiaque et un ECG, et doit s’adresser à tous les apparentés à risque significatif d’avoir hérité de la maladie. Aucune recommandation nationale ou internationale ne précise davantage les bénéficiaires de cette enquête. En pratique, le bilan concerne tous les apparentés au premier degré (fratrie, enfants et parents) du patient « propositus » (figure 2) puisque le mode de transmission le plus fréquemment retrouvé dans les formes familiales mendéliennes de CMD est le mode autosomique dominant avec un risque théorique de 50 % pour ces apparentés du 1er degré. Les autres modes de transmission sont impliqués dans moins d’un quart des cas et leur connaissance précise permet d’affiner l’identification des apparentés à risque. Le bilan est évidemment indiqué chez les apparentés en présence d’un contexte familial de CMD (avec deux apparentés atteints connus), mais il est également hautement souhaitable en l’absence de contexte familial de prime abord, car l’histoire familiale déterminée par l’interrogatoire est souvent prise en défaut, et la probabilité d’une forme familiale est de toute façon d’au moins 25 %.
Figure 2. Proposition de stratégie de surveillance cardiologique chez les apparentés d’un patient avec CMD.
Un bilan cardiologique initial normal chez un apparenté ne permet pas d’exclure la possibilité d’une expression cardiaque ultérieure, du fait de l’histoire naturelle particulière de la maladie. Cela justifie la poursuite d’une surveillance cardiologique au-delà de l’adolescence (et en pratique jusqu’à l’âge où la probabilité d’expression cardiaque cumulée est estimée proche de 100 %) (figure 2). Cette recommandation s’adresse avant tout aux formes de la maladie reconnues comme familiales.
Repérage des tableaux cliniques particuliers
Rien ne permet habituellement de distinguer chez un propositus avec CMD si sa maladie relève d’une forme familiale ou non. Dans certains cas cependant, le bilan clinique approfondi peut permettre de suspecter fortement l’origine génétique de la CMD, lorsqu’il existe un tableau clinique particulier.
Il s’agit d’abord de l’association d’une CMD avec une myopathie squelettique. Cette dernière est parfois fruste et doit être recherchée attentivement. Dans certains cas il n’existe pas de signes cliniques squelettiques mais seulement une atteinte infra-clinique qui est reflétée par une rhabdomyolyse chronique et diagnostiquée par un taux élevé et souvent permanent de CPK plasmatiques. L’étiologie sous-jacente est variable mais dominée par les mutations du gène de la dystrophine (transmission liée à l’X).
Dans d’autres familles, il s’agit de l’association d’une CMD avec des troubles de conduction de type bloc auriculo-ventriculaire ou dysfonction sinusale sévère, survenant habituellement avant la dysfonction myocardique et conduisant souvent à implanter un pacemaker. La cause principale est représentée par les mutations du gène des lamines A/C (transmission autosomique dominante).
Discuter la réalisation d’un test génétique
Le test génétique moléculaire peut constituer une aide supplémentaire et importante dans la prise en charge médicale de la famille. Dans le cadre de la forme commune de CMD, sa rentabilité est encore modeste puisque l’analyse extensive des gènes actuellement répertoriés dans la maladie ne permet de retrouver la mutation chez le propositus que dans moins de 25 % des formes familiales pourtant avérées (intérêt de l’analyse du gène codant la chaîne lourde bêta de la myosine). Les analyses génétiques réalisées dans les formes cliniques particulières évoquées plus haut sont en revanche bien plus souvent couronnées de succès.
Intérêt du test génétique prédictif
Quand la mutation est identifiée chez un patient avec CMD, il est très facile et rapide de déterminer le statut génétique des apparentés. Le résultat de ce test prédictif va permettre de guider la surveillance cardiaque dans la famille en identifiant ceux qui ont réellement besoin de poursuivre la surveillance (en présence de la mutation), et ceux qui n’en ont pas besoin (si absence de la mutation) (figure 3).
Figure 3. Illustration d’un test génétique prédictif. Une femme de 41 ans (asymptomatique et bilan cardiaque normal) consulte (indiquée par une flèche sur l’arbre) et réalise un test génétique prédictif. La mutation avait été identifiée dans sa famille dans le gène codant la chaîne lourde bêta de la myosine (T1019N). Sa propre mère avait été greffée à 49 ans puis était décédé à 58 ans. Le test de la consultante montre la présence de la mutation (notée « + »). Une surveillance cardiologique échographique régulière est organisée. Une CMD apparaît à l’âge de 45 ans (FEVG 46 %, patiente asymptomatique) puis évolue rapidement avec signes congestifs 6 mois plus tard (FEVG 30 %). Le traitement a pu être mis en place rapidement et l’évolution est rapidement favorable.
Intérêt diagnostique du test génétique
Dans certains cas, le test génétique peut s’avérer utile au diagnostic différentiel (entre un cœur d’athlète et une CMD débutante) ou encore chez un patient avec CMD avérée mais sans contexte familial, la famille souhaitant savoir si la maladie est génétique et s’il existe donc un risque de récurrence dans la famille (figure 4).
Figure 4. Illustration d’un test génétique diagnostique. Les parents consultent car leur 1er enfant est décédé de CMD et ils veulent connaître le risque de récidive pour la fratrie. Ils ont un 2e enfant, et la maman est enceinte d’un 3e enfant (« G »). Les parents ont un bilan échographique normal. Le test génétique réalisé chez l’enfant avec CMD identifie une mutation (notée « + ») à l’état hétérozygote dans le gène de la troponine T (mutation R141W), ce qui affirme la nature génétique de la maladie. Les tests génétiques réalisés dans le reste de la famille montrent l’absence de la mutation dans la fratrie (notée « - »), et aussi chez les parents. La mutation de l’enfant était une mutation de novo. La famille est rassurée.
Intérêt pronostique du test génétique
L’identification précise du gène et de la mutation causale chez un patient avec CMD pourrait être utile à la stratification pronostique lorsque des corrélations entre le génotype (gène sous-jacent) et le phénotype (ici le pronostic) sont rapportées (tableau). De telles corrélations n’ont pas été véritablement rapportées dans les CMD, en dehors d’une exception notable. L’identification d’une mutation du gène des lamines A/C implique un haut risque de troubles conductifs sévères et précoces (justifiant une surveillance particulière) et aussi un risque élevé de troubles du rythme ventriculaire, parfois avant même la dysfonction myocardique (amenant à discuter précocement un défibrillateur).
Intérêt potentiel du test génétique prénatal
Le test génétique peut être discuté par des parents qui ne souhaitent pas transmettre la maladie à leur descendance. La caractérisation du statut génétique du fœtus en début de grossesse, et la décision de procéder à une interruption de grossesse en cas de mutation, soulève des enjeux médicaux, éthiques et philosophiques complexes. Elle doit être discutée au cas par cas.
En pratique
La dimension familiale et génétique de la CMD est de connaissance récente.
Sa prise en compte doit être systématique et conduire à une enquête cardiologique familiale dans tous les cas, et parfois à discuter un test génétique, de façon à améliorer la prise en charge de ces patients et de leurs apparentés.
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