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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 15 mar 2005Lecture 11 min

La stimulation multisite dans l'insuffisance cardiaque : qui, quand, comment ?

S. CAZEAU, C. ALONSO et G. JAUVERT, InParys, Saint-Cloud

La stimulation multisite à visée hémodynamique est désormais une thérapeutique reconnue dans l’insuffisance cardiaque. Elle s’attache à corriger les anomalies de la synchronisation des contractions des oreillettes et des ventricules induites par la maladie.

Le dépistage des candidats a reposé initialement sur les troubles de conduction visibles en électrocardiographie de surface. Aujourd’hui, l’identification des troubles de la synchronisation commence à faire appel à l’échographie. Celle-ci autorise une évaluation plus fine du type d’asynchronisme et permet une ébauche de quantification.   Chez qui et quand implanter un stimulateur multisite ? Trois questions essentielles doivent être posées au préalable : • existe-t-il ou non une indication traditionnelle associée de stimulation cardiaque définitive ? • quel est l’état de la conduction auriculo-ventriculaire ? • quel est l’état de la fonction ventriculaire gauche ? Pour schématiser, quatre situations différentes seront envisagées.   Indication traditionnelle de stimulation cardiaque définitive, à fonction VG et conduction AV normale Ce sont des patients chez qui la conduction auriculo-ventriculaire spontanée est conservée (dysfonction sinusale, maladie rythmique auriculaire, BAV paroxystique, hypersensibilité sino-carotidienne, etc…). Chez ces patients, tout doit être fait pour ne pas capturer les ventricules et a fortiori, la stimulation biventriculaire multisite n’a aucune place aujourd’hui. Les travaux illustrant ces concepts datent des années 90. Rosenqvist a montré les poids respectifs de la synchronisation AV et du respect de la séquence d’activation mécanique spontanée. Chez des patients avec une fonction VG normale implantés pour dysfonction sinusale à conduction AV préservée, le mode AAI, le mode DDD et le mode VVI ont été comparés à l’occasion d’une étude hémodynamique en échocardiographie. Le mode DDD, comme prévu, s’était révélé supérieur au mode VVI grâce à la contribution atriale au débit cardiaque. Contre toute attente, le mode AAI s’était révélé encore supérieur. Ceci suggérait, pour la première fois, que l’existence d’une dégradation de la fonction VG induite par la capture par la sonde de stimulation ventriculaire placée à l’apex VD. Ainsi la stimulation biventriculaire n’est jamais indiquée chez ce type de patient qui se verra au contraire proposer des modes respectant les ventricules spontanés soit VVI à fréquence basse, soit AAI, soit surtout de vrais modes DDD fonctionnant en AAI tels que le mode DDD-CAM ou le mode AAI safe-R. Une indication traditionnelle de stimulation cardiaque définitive, à fonction VG normale, et à conduction AV altérée. Ce sont des patients qui doivent être « capturés » dans les ventricules pour une raison vitale (bloc AV de haut degré). Faut-il implanter un stimulateur biventriculaire ? La réponse est résolument « non » aujourd’hui. La seule certitude est la nécessité, une fois l’appareil implanté, d’optimiser la durée du remplissage diastolique VG par réglage du délai auriculo-ventriculaire. Nous sommes dans une situation simple où il n’y a pas de compromis à réaliser entre la capture ventriculaire et la fusion ventriculaire, et où la séquence d’activation mécanique est réglée par la seule position des électrodes ventriculaires. La méthode la plus rapide consiste à comparer les effets d’un DAV trop court à ceux d’un DAV trop long sur le délai entre le début du QRS et la fin de l’onde A (QRS–A) (figure 1). • À DAV trop court, ce délai est maximum, stable, car tout raccourcissement supplémentaire ne fait qu’amputer encore plus la fin de l’onde A. • À DAV trop long, ce délai se raccourcit, la fin de l’onde A étant un repère fixe, non influencé par la fermeture mitrale qui se produit plus à distance. Figure 1. Formule de Ritter : optimisation du DAV pour le remplissage (sur bloc complet) (DAV2 – DAV1) – (spike-A1 – spike-A2) représente l’excès de raccourcissement qu’il faut rajouter à DAV1 pour obtenir le DAV final. Le DAV permettant le remplissage optimal dans cette configuration est obtenu par une formule popularisée par P. Ritter : DAV opt = (DAV long – DAV court) – ([QRS–A] court – [QRS-A] long)) + DAV court. Une fois cette valeur obtenue en VDD, c’est-à-dire en détection atriale, il faut la répéter en DDD sous stimulation atriale et déterminer l’extension du DAV nécessaire pour compenser le délai électro-mécanique lié à la capture auriculaire par la sonde atriale (figure 2). Figure 2. Extension du DAV entre onde P détectée (mode VDD) et onde P stimulée (mode DDD). Une fois ces valeurs obtenues, il faut programmer le raccourcissement automatique du DAV à l’effort (figures 3 A et 3 B), en prévoyant une variation moyenne de 50 ms entre la valeur qui sera appliquée à la fréquence de base et la valeur appliquée à la fréquence maximale programmée. Les buts sont : • de maintenir une synchro AV pour des intervalles RR plus courts ; • de s’adapter à l’augmentation du tonus sympathique à l’effort qui raccourcit les délais électromécaniques ; • d’optimiser la réponse ventriculaire à l’accélération sinusale en favorisant le mode en 1 pour 1 et en Wenckebach au détriment de la réponse en 2 pour 1. Figure 3 A. Mode DDD DAV = 156 ; PRAT = 460 ms ; pas de raccourcissement automatique du DAV. Le point de 2 pour 1 est à 135 cpm. Repos (réponse ventriculaire 1 pour 1). Effort modéré (réponse ventriculaire en mode Wenckebach à la fréquence maximale). Effort max : 1 onde P sur 2 n’est pas vue au-delà de 135 cpm car la période réfractaire est trop longue et la fréquence ventriculaire chute à 68 cpm ! Figure 3 B. Mode DDD même fréquence de base et fréquence maximale. DAV automatique de 156 à 47 ms ; PRAT = 340 ms ; le point de 2 pour 1 monte de 135 à 175 cpm. Repos (réponse ventriculaire 1 pour 1). Effort modéré (réponse ventriculaire en mode Wenckebach à la fréquence maximale). Effort max : toutes les ondes P sont vues au-delà de 135 cpm jusqu’à 175 cpm car la période réfractaire raccourcit grâce au DAV automatique et la réponse ventriculaire ne tombe pas en 2 pour 1. N’oublions pas que le DAV est une des composantes de la période réfractaire du stimulateur qui conditionne l’écoute auriculaire, la cadence ventriculaire et donc le débit cardiaque. Ces principes de réglage s’appliquent pleinement, quel que soit le stimulateur, DDD traditionnel ou DDD biventriculaire. Il n’y a pas d’indication traditionnelle de stimulation cardiaque définitive, la fonction VG est anormale, la conduction AV est « normale » Chez ces patients, se pose aujourd’hui le problème de l’identification des candidats à une resynchronisation multisite.   MUSTIC, MIRACLE et COMPANION Ces trois études soutiennent le principe d’une implantation chez les patients en insuffisance cardiaque symptomatique malgré un traitement médical optimisé, avec une fraction d’éjection < 35 %, un cœur dilaté à plus de 27 mm/m2 de surface corporelle, et dont le QRS est > 120 ms. Néanmoins, les études contrôlées ont montré l’existence de patients avec des QRS larges ne répondant pas à la thérapie et des patients à QRS fins théoriquement non-indiqués, chez qui l’implantation se révélaient bénéfique. C’est pourquoi de plus en plus de praticiens tentent d’identifier directement l’anomalie mécanique à corriger et non son corollaire électrique. L’échographie-Doppler permet une modélisation de la désynchronisation cardiaque en trois niveaux successifs auriculo-ventriculaire, interventriculaire et intraventriculaire. Dans tous les cas, l’analyse de la désynchronisation impose le recueil simultané d’une trace ECG de qualité et un repérage des ouvertures et fermetures des valves. L’analyse échographique ne sera pas détaillée ici.   Si la fonction VG est anormale et que l’on doit, pour des raisons « rythmologiques », capturer le ventricule Malgré l’absence d’études contrôlées validant ce concept, les différents acteurs s’accordent en faveur de l’implantation systématique immédiate d’un système de stimulation biventriculaire en lieu et place d’un appareil monodroit. Déjà, l’étude MUSTIC dans son bras de patients en FA stimulés pour BAV (spontané ou induit par une ablation de la jonction AV) montrait un bénéfice immédiat lié à la resynchronisation biventriculaire comparé à la simple stimulation droite. Dans un sous-groupe de patients déjà porteurs d’un stimulateur DDD au sein d’une population de 65 biventriculaires consécutifs étudiés à la clinique Bizet sur le plan mécanique et présentés en 2002, on constate après « up-grading » par une sonde VG supplémentaire, la réduction de la largeur des QRS d’une valeur moyenne de 40 ms, l’amélioration d’une classe de la situation fonctionnelle et l’augmentation immédiate des indices d’éjection aortique échographiques. Ces améliorations sont obtenues sans modification de la fréquence cardiaque avec une augmentation de 15 % du temps de remplissage ventriculaire gauche, malgré une optimisation initiale du délai AV en configuration DDD « droite » et une amélioration de la synchronisation interventriculaire avec réduction de plus de 50 % du délai interventriculaire par amélioration du délai prééjectionnel gauche d’une valeur d’environ 40 ms et amélioration de la synchronisation intraventriculaire par réduction de 20 % de la durée de la systole du segment latéral de la paroi VG, diminution des 2/3 de la contraction diastolique anormale, et restauration d’une vraie relaxation isovolumétrique. Ces données ont été confirmées par l’étude prospective contrôlée RD-CHF. Ce travail, en cours de publication, compare en cross-over la stimulation droite traditionnelle et la stimulation biventriculaire chez des patients porteurs chroniques d’un stimulateur traditionnel « upgradé » au moment du changement de boîtier par introduction d’une électrode supplémentaire à visée ventriculaire gauche. Les résultats montrent une amélioration de 20 % des capacités fonctionnelles des patients en biventriculaire par rapport à la performance qu’ils peuvent effectuer en stimulation classique et une réduction immédiate et significative des hospitalisations pour insuffisance cardiaque. L’explication est liée à l’aggravation constante de la désynchronisation inter– et intraventriculaire par la stimulation monodroite, et qui est d’ailleurs à l’origine du concept de stimulation biventriculaire. Il est tentant d’extrapoler ces données et d’essayer « d’éviter » aux patients présentant déjà une désynchronisation et nécessitant un pacemaker tous les effets aggravants bien connus de la stimulation classique. Ce type d’indication illustre une fois de plus les contradictions entre la médecine basée sur les preuves (qui manquent encore) et le simple bon sens médical.   Comment implanter un stimulateur multisite biventriculaire ? Historiquement, les premières implantations ont été réalisées par voie épicardique chirurgicale thoracique. Elles sont actuellement en recul, en raison de la lourdeur de la procédure et d’un taux de complications plus élevé, particulièrement rythmique. Sur le plan éthique, elles sont difficilement défendables compte tenu de l’existence des approches endoveineuses. On les réserve généralement aux échecs de cathétérisme du sinus coronaire. Cela n’est peut-être que partie remise si se développent de vrais systèmes de stimulation multipoints.   Technique L’approche endoveineuse est devenue la méthode d’implantation de première intention. On distingue la stimulation du ventricule gauche par le biais du réseau veineux coronaire (stimulation épicardique endoveineuse), et la stimulation endocavitaire ventriculaire gauche pratiquée après cathétérisme transseptal qui est encore expérimentale. Le cathétérisme du sinus coronaire est actuellement la principale technique utilisée, et c’est vers elle que se concentrent les efforts de recherche et développement. Depuis 5 ans, les constructeurs ont développé des modèles de sondes spécifiques pour cet usage tentant de concilier des objectifs parfois contradictoires. Il s’agit d’obtenir des sondes les plus « fermes » possibles pour cathétériser le sinus coronaire, et aussi des sondes les plus fines et souples possibles pour aller dans les petites veines du réseau coronaire. On utilise désormais largement des kits d’introduction comportant des gaines préformées, permettant de cathétériser de manière stable le sinus coronaire et de réaliser une angiographie veineuse coronaire à la recherche d’une veine cible. La sonde en elle-même comporte une lumière centrale pour le passage d’un guide permettant, au choix, de rigidifier ou d’incurver le matériel. Le guide permet parfois de cathétériser la veine cible, la sonde étant poussée ensuite autour du guide.   La sonde Les sondes doivent également garantir un bon contact avec l’épicarde pour autoriser des seuils de stimulation les plus bas possibles. Elles sont généralement préformées, ce qui aide également à les stabiliser. L’impédance de ces sondes doit être élevée pour diminuer la consommation de courant.   Bilan actuel de la procédure Le taux d’implantations réussies n’atteint pas encore les 100 % et en raison de la morphologie (tortueuse ou non) et du calibre des veines ; il dépend aussi largement de l’expérience et de l’habileté de l’opérateur. Le taux de complications reste faible, dominé essentiellement par les déplacements. Les temps de procédure sont très variables, de quelques minutes à plusieurs heures. En revanche, les critères peropératoires permettant d’affirmer qu’une implantation est réussie, c’est-à-dire que la thérapeutique est effectivement délivrée restent à définir… On ne pourra longtemps se contenter d’une modification du QRS. Des expériences d’assistance échographique à l’implantation commencent à se développer mais restent difficiles en raison de la nécessité de mobiliser machine et praticien pendant des procédures longues avec un risque infectieux supplémentaire. Par ailleurs, le bien-fondé de cette approche mécanique, même si elle paraît logique, reste à démontrer.   Faut-il se tourner progressivement vers l’utilisation d’un défibrillateur ? De plus en plus de boîtiers de resynchronisation sont des défibrillateurs. Les arguments théoriques pour justifier cette attitude sont de plusieurs ordres : • il s’agit de patients en insuffisance cardiaque donc exposés au risque de mort subite ; • cette population recoupe souvent celles indiquées pour un défibrillateur (type MADIT) ; • une partie importante des patients implantés en multisite décèdent de mort subite ; • tant qu’à implanter un boîtier, autant choisir celui qui possède toutes les fonctions ; • sans oublier l’effet de « mode », « l’exemple » si l’on peut dire, américain (plus de défibrillateurs que de stimulateurs dans cette indication), et l’effet pervers induit par l’administration française qui a souvent limité les centres agréés au multisite à ceux autorisés pour le défibrillateur.   Néanmoins plusieurs questions restent sans réponses • L’utilisation de sondes de défibrillation permet-elle la même qualité de resynchronisation que celle procurée par les sondes de stimulations classiques, non soumises aux mêmes contraintes d’efficacité de choc électrique, et que l’on pourrait placer dans des sites plus « rentables » sur le plan hémodynamique ? • Qu’en est-il de la morbi-mortalité surajoutée d’un défibrillateur comparativement à un stimulateur ? • La mort subite est-elle aussi importante après le remodelage inverse induit par la stimulation biventriculaire à visée hémodynamique ? • Qu’en est-il du problème économique et où s’arrêter ? • Qu’en est-il du problème organisationnel si les centres sont en nombre si limité ?   Conclusion   La stimulation multisite commence à se codifier. Les indications sont basées sur les données des études initiales de validation qui s’attachaient plus à démontrer le concept qu’à identifier précisément les populations cibles. Les patients de « la vie réelle » sont aujourd’hui identifiés préférentiellement par l’échocardiographie. Les prochaines études devront valider l’échocardiographie dans la sélection des candidats à la resynchronisation et définir des paramètres simples et reproductibles. Les indications tendent à s’élargir mais avant que la stimulation multisite ne devienne une technique « de routine », la technique d’implantation devra encore être simplifiée et le taux de succès approcher les 100 %.

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