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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 20 fév 2007Lecture 8 min

La tachycardie d'effort peut-elle avoir des effets cardiaques délétères ?

F. CARRÉ, CHRU de Rennes

Pour l’ensemble de ses effets bénéfiques, en particulier cardiovasculaires, la pratique régulière d’une activité physique modérée doit être recommandée à tous. La pratique aiguë d’un exercice physique intense et prolongé pourrait induire une « fatigue » myocardique modérée et transitoire. De plus, en dehors de tout exercice musculaire, des cardiomyopathies arythmiques et en particulier post-tachycardie sont décrites. On peut donc se demander si les expositions répétées aux tachycardies prolongées induites par les séances d’entraînement ne pourraient pas avoir à la longue un effet délétère sur le système cardiovasculaire.

On peut s’interroger sur le possible retentissement cardiovasculaire à long terme des charges d’entraînement majeures, parfois plus de 30 heures hebdomadaires, que certains sportifs s’imposent. La signification et la physiopathologie précise de la « fatigue » myocardique, (évoquée sur des données fonctionnelles échographiques et sur des perturbations biologiques), restent mal connues.   Adaptations de la fréquence cardiaque lors d’un exercice musculaire Lors d’un exercice musculaire, la consommation d’oxygène (VO2) de l’organisme augmente. Pour adapter les apports aux besoins, le débit cardiaque (DC) et la différence artérioveineuse en oxygène (D [A-V] O2) augmentent, comme le montre l’équation de Fick, VO2 = DC x D [A-V] O2. Les deux facteurs du DC, le volume d’éjection systolique (VES) et la fréquence cardiaque (FC) participent à son augmentation. La majoration du VES est due à une augmentation de la précharge (retour veineux) et de la contractilité (loi de Starling et inotropisme positif des catécholamines). Lors d’un exercice dynamique progressivement croissant et maximal, la FC augmente quasi-linéairement avec l’intensité de l’effort. Cette tachycardie d’effort est sinusale et sa régulation neurohormonale. Ainsi, jusqu’à 40-60 % de la VO2 maximale, l’accélération de la FC est liée à la levée du frein vagal. Au-delà, la tachycardie est due à la stimulation sympathique, renforcée si l’exercice se prolonge par l’effet des catécholamines circulantes. À l’effort maximal, la FC dépend essentiellement de l’âge. Lors d’un exercice d’intensité constante mais prolongé, c’est-à-dire > 30-80 min selon le type d’effort, le niveau d’entraînement et les conditions environnementales, une « dérive » de la FC est observée. En effet, malgré l’intensité constante de l’exercice, la FC augmente progressivement par stimulation catécholergique. Sur le plan cardiovasculaire, cette adaptation répond principalement à la baisse du volume d’éjection systolique secondaire à la déshydratation et à la fatigue myocardique. Lors de la récupération, la FC diminue d’abord brutalement en réponse au « coup de frein vagal » puis plus lentement par disparition progressive de l’influence du sympathique et des catécholamines. Avec l’entraînement en endurance, la cinétique d’adaptation de la FC est modifiée. Elle augmente moins vite à l’effort car, lors des faibles niveaux d’exercice, le sportif privilégie son volume d’éjection systolique et « épargne » sa FC qu’il utilise pour les efforts les plus intenses. La FC maximale est peu modifiée par l’entraînement, elle peut être diminuée de quelques battements mais elle n’est jamais augmentée. L’entraînement améliore aussi la vitesse de récupération de la FC. Enfin, une bradycardie de repos sinusale, avec parfois des rythmes d’échappement (sinus coronaire, jonctionnel, etc.), secondaire à une modification de la balance autonomique (hyposympaticotonie et hyperparasympathicotonie) et à une baisse de la FC intrinsèque est observée. En bref, la pratique régulière d’un entraînement en endurance impose au myocarde une alternance « tachycardie-bradycardie » sinusale.   Données expérimentales La « performance » myocardique dépend essentiellement de trois systèmes intracardiomyocytaires, le système énergétique qui libère en permanence l’ATP utilisé pour les mouvements calciques intracellulaires (stockage et libération) et par le système contractile (complexe actine-myosine et troponine-tropomyosine). Une tachycardie chronique, indépendamment des autres composantes du travail cardiaque, peut entraîner des adaptations myocardiques biochimiques. L’équipement enzymatique énergétique du cardiomyocyte est fréquence-dépendant. En effet, l’étude de différents modèles animaux a retrouvé une corrélation négative entre la FC de repos et l’activité enzymatique aérobie mitochondriale mais pas avec l’activité glycolytique anaérobie du cardiomyocyte. Dans le modèle de tachycardie chronique induite par stimulation, les mécanismes d’adaptation enzymatiques varient selon le niveau de FC imposé. En cas de tachycardie modérée, l’équipement enzymatique aérobie est amélioré. En revanche, en cas de stimulation rapide, ces mécanismes d’adaptation sont dépassés et une cardiomyopathie dilatée partiellement réversible après arrêt de la stimulation est observée. Enfin, dans un modèle d’entraînement physique (85 min par jour, 5 jours/7 pendant 16 à 22 semaines) qui correspond en fait à un modèle d’alternance tachycardie-bradycardie, aucune modification enzymatique significative n’est observée. L’efficacité des mouvements calciques qui est aussi négativement corrélée à la FC de repos est améliorée en cas de tachycardie induite modérée, mais altérée en cas de tachycardie importante et prolongée. Des modifications modérées et dépendantes de la régulation calcique de la transitoire sont rapportées dans certains modèles d’entraînement en endurance. Par exemple, chez le rat, la densité membranaire cardiomyocytaire des récepteurs bêta-1 adrénergiques est diminuée alors que celle des récepteurs bêta-2 et muscariniques n’est pas modifiée. La sensibilité de ces récepteurs peut aussi être modifiée. La composition du système contractile, en particulier en isoformes de myosine, dépend de la FC de repos des animaux étudiés. Plus la FC est élevée et plus le pourcentage de l’isoforme rapide de la myosine est exprimé. Cet équipement contractile ne peut être modifié qu’en cas de tachycardie très rapide (> 300 bpm) et prolongée. Une altération du cytosquelette avec fibrose associée est aussi décrite en cas de tachycardie induite élevée et prolongée. Peu de modifications sont observées dans les modèles d’entraînement physique, pour lesquels les niveaux de FC atteints restent cependant relativement modestes. En résumé, sur le plan expérimental, les modifications myocardiques biochimiques chroniques induites par l’alternance tachycardie/bradycardie secondaire à l’entraînement physique restent très modérées. Cela semble, en partie, dû au niveau de tachycardie relativement bas. Il faut cependant noter que les durées d’entraînement imposées dans les modèles étudiés restent relativement éloignées de celles soutenues par certains sportifs.   Données cliniques Les effets de la pratique intense des sports d’endurance sur la fonction myocardique et sur la survenue d’arythmies ont été les plus étudiés. Il faut distinguer les effets aigus et chroniques de ce type d’effort. Retentissement aigu des efforts d’ultra-endurance. Des altérations myocardiques modérées et transitoires peuvent être observées au terme d’une épreuve d’endurance. Concernant le retentissement fonctionnel étudié par échocardiographie, la plupart des études se sont intéressées aux fonctions systolique et diastolique ventriculaires gauches. Bien que les résultats varient selon les caractéristiques de l’effort (type, intensité, durée, environnement, niveau d’entraînement) réalisé, plusieurs travaux ont mis en évidence une « fatigue » cardiaque caractérisée par une altération fonctionnelle transitoire. Les modifications des conditions de charge (pré- et postcharges) inhérentes à ce type d’effort ne suffisent pas à expliquer cette altération, et un trouble des qualités de relaxation et/ou de contraction du myocarde a été évoqué. Le trouble de fonction diastolique pourrait être dû à une altération du métabolisme calcique intracytoplasmique par ischémie fonctionnelle, acidose ou élévation de la concentration de phosphates inorganiques. L’altération de la fonction contractile illustrée par de faibles augmentations du taux de BNP circulant pourrait aussi être multi-factorielle. L’hypothèse de foyers de nécrose myocardique très localisés a été émise devant l’élévation de marqueurs biologiques comme les créatine-kinases et les troponines d’origine cardiaque. D’importance toujours très modérée, ces augmentations de marqueurs biologiques sont aussi très transitoires (< 24-48 heures) et leur réelle signification reste controversée. L’effet inotrope négatif parfois décrit pourrait aussi être dû à un ou plusieurs autres facteurs comme une exposition prolongée à un taux élevé d’acides gras libres circulants et/ou de radicaux libres ainsi qu’à une altération des différents réflexes autonomiques. L’exposition prolongée à la stimulation catécholergique peut expliquer la désensibilisation (« down-regulation » et/ou uncoupling) des récepteurs bêtaadrénergiques observée après un exercice prolongé. Cette désensibilisation peut expliquer l’altération fonctionnelle vue précédemment et la moindre réponse chronotrope à la stimulation catécholergique pharmacologique qui a été décrite chez certains participants. Il a aussi été décrit, lors d’exercices extrêmement prolongés (plus de 24 heures), une baisse de la fréquence cardiaque (10 % toutes les 10 heures) d’effort, associée à une diminution de l’intensité de l’exercice. Liée aussi à la désensibilisation adrénergique, cette « adaptation » pourrait avoir un effet protecteur sur le myocarde et en particulier sur le risque ischémique. De très rares cas d’œdème aigu pulmonaire chez des sujets a priori sains, survenant au décours de ce type d’effort, ont été rapportés. Il pourrait donc exister, lors de ce type d’effort, une sorte de continuum entre des lésions réversibles et irréversibles myocardiques avec une susceptibilité individuelle variable et un risque peut-être plus important chez les sujets les moins entraînés. Retentissement chronique des efforts d’ultra-endurance. La répétition d’efforts prolongés peut modifier de manière modérée la morphologie cardiaque (« cœur d’athlète ») mais elle ne s’accompagne pas de troubles durables des fonctions cardiovasculaires. Au contraire, la performance myocardique est améliorée avec, au repos et lors des efforts sous-maximaux, une bradycardie et une amélioration fonctionnelle surtout diastolique. La tachycardie n’est pas la seule contrainte à laquelle le myocarde est soumis lors de ce type d’effort, des modifications volumiques et neurohormonales y sont associées. De plus, l’intermittence de ces stimuli peut en partie expliquer les adaptations bénéfiques de la pratique sportive régulière. Des limites à ces adaptations peuvent cependant exister. Illustrées par la survenue chez certains sportifs endurants d’arythmies surtout supraventriculaires mais parfois ventriculaires ou d’une intolérance à l’orthostatisme (près de 15 % des sportifs endurants), elles témoignent d’une limite individuelle à un entraînement très intense de ce type. Le plus souvent une diminution de la quantité et de l’intensité d’entraînement permet de faire disparaître les symptômes.   En pratique   La pratique aiguë d’efforts intenses et dépassant plusieurs heures peut s’accompagner d’altérations myocardiques fonctionnelles modérées et rapidement réversibles qui, dans l’immense majorité des cas, n’ont pas de retentissement clinique. L’entraînement à ce type d’épreuves est aussi le plus souvent bien toléré sur le plan cardiovasculaire. Chez certains sujets prédisposés, cependant, les limites de ces adaptations peuvent être dépassées avec la survenue d’arythmies et/ou d’intolérance à l’orthostatisme. La tachycardie d’effort et sa régulation peuvent, pour une part, expliquer ces phénomènes.

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