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Risque

Publié le 09 oct 2007Lecture 9 min

Le cardiologue face au traitement hormonal de la ménopause

P. CHANSON, hôpital de Bicêtre, Paris

Après avoir connu une très large promotion, en particulier parce qu’il était censé prévenir le risque cardiovasculaire, le traitement hormonal de la ménopause (THM) a subi, à la fin des années 90, un coup d’arrêt après les résultats des larges études américaines d’intervention randomisées contre placebo (HERS, WHI…) montrant qu’en réalité il exposait, du moins en prévention secondaire, à une augmentation de ce risque. Faut-il pour autant ne plus le prescrire ? Non, car si le THM a des inconvénients et expose à un certain risque (cancer du sein, risque veineux thromboembolique…), il a aussi des avantages : c’est en particulier le seul qui traite efficacement ces bouffées de chaleur qui empoisonnent la vie de nombreuses femmes.

Une question de candidates Heureusement, l’analyse plus fine des données issues des grands essais semble indiquer que le THM au plan cardiovasculaire, n’a peut-être pas le même effet chez les femmes quand il est prescrit dans les 10 ans suivant la ménopause alors qu’elles n’ont pas encore d’athérome (il pourrait alors même être protecteur) et chez les femmes plus âgées et/ou ayant déjà des lésions athéromateuses (en favorisant la déstabilisation de la plaque, il pourrait alors précipiter un accident coronarien). En 2007, on définit donc un peu mieux les bonnes et les mauvaises candidates au THM. On dispose aussi d’un peu plus d’arguments scientifiques en faveur de la voie d’administration percutanée des estrogènes et du choix du progestatif.   Le THM : une histoire tourmentée On a longtemps considéré la ménopause comme une simple insuffisance hormonale à substituer pour corriger les pathologies chroniques apparaissant chez la femme après la ménopause : ostéoporose, troubles cognitifs, maladies cardiovasculaires... Pourtant, au cours de l’histoire tourmentée du THM, qui a démarré dans les années 1930(1), il est rapidement devenu évident que les choses n’étaient pas si simples car le THM était associé à une petite augmentation du risque de cancer du sein et d’accidents veineux thromboemboliques. Le rapport bénéfices/risques était néanmoins jugé favorable puisque, jusqu’à la fin des années 90, les études de cohorte montraient que le THM prévenait l’athérosclérose, le faisant recommander chez toute femme ménopausée, en l’absence de contre-indications. L’étude HERS, première étude prospective randomisée contre placebo, en 1998(2), a permis de comprendre que le THM ne prévenait pas le risque cardiovasculaire, voire qu’il l’augmentait, en prévention secondaire. Même si cette étude n’était pas indemne de critiques méthodologiques (les femmes étaient plus obèses, faisaient moins d’exercice, étaient plus âgées… que dans la « vraie vie »), elle a semé un trouble considérable dans les esprits. L’interruption prématurée de l’étude WHI(3) en 2002, en confirmant ces données aussi en prévention primaire (du moins en cas d’association des estrogènes avec des progestatifs), a fini d’ébranler les convictions concernant le THM : si le THM exposait à un risque cardiovasculaire plutôt qu’à une protection, son rapport bénéfices/risques s’inversait. Depuis cette époque, un nombre moins important de femmes sont traitées et certaines ont arrêté le THM. Pourtant, il reste le traitement le plus efficace des bouffées de chaleur, ce qui a conduit certaines de celles qui l’avaient arrêté à le reprendre ! Alors que doit en penser le cardiologue en 2007 ? Le THM procure-t-il bien les bénéfices qu’on en attend ?   Bénéfices en termes de confort et de qualité de vie L’effet bénéfique du THM sur les bouffées de chaleur, l’atrophie de la muqueuse vaginale, la sexualité, les troubles de l’humeur et donc sur la qualité de vie, peut constituer une justification évidente de sa prescription(4). Pourtant, évalué de façon objective par des échelles de qualité de vie, si l’on en croit les études prospectives randomisées contre placebo, c’est en fait chez les femmes gênées par leurs bouffées de chaleur (c’est-à-dire les femmes les plus jeunes) que l’effet du THM sur la qualité de vie est démontré(5) ! Les estrogènes pourraient, via leur effet sur le tractus uro-génital, prévenir l’apparition de prolapsus et/ou d’incontinence. Mais les études randomisées ne montrent pas un effet déterminant du THM.   Bénéfices du THM à long terme Prévention de l’ostéoporose (6,7) De nombreuses études épidémiologiques et essais cliniques ont montré une diminution significative de la perte osseuse (augmentation de 2 à 5 % de la densité minérale osseuse) et de l’incidence des fractures ostéoporotiques (surtout au niveau du rachis) chez les femmes ménopausées traitées par estrogènes. Cependant, cet effet protecteur est limité à la durée d’utilisation du THM : dans les années qui suivent son interruption, une dégradation rapide de la masse osseuse se produit, avec une perte quasiment totale du bénéfice. Prévention cardiovasculaire Un objectif longtemps revendiqué du THM dans les années 80-90, était la prévention des événements cardiovasculaires. En effet, les études épidémiologiques d’observation (confirmant les données expérimentales obtenues chez l’animal) avaient montré que les femmes sous THM avaient moins de maladies cardiovasculaires, aussi bien en prévention primaire qu’en prévention secondaire. On l’expliquait par l’effet bénéfique des estrogènes sur le métabolisme lipidique (augmentation du HDL-cholestérol), sur la plaque d’athérome, sur l’endothélium vasculaire et sur la vasodilatation. Cependant, depuis 1998, plusieurs études prospectives randomisées, contrôlées, contre placebo, réalisées à large échelle aux États-Unis (HERS, WHI), n’ont pas confirmé cet effet bénéfique du THM sur la survenue des événements cardiovasculaires et cela, en prévention primaire comme en prévention secondaire (2,3,7,8). Au contraire, en particulier en prévention secondaire, le THM (notamment quand il associe estrogènes et progestatifs) tendrait même à s’accompagner d’une augmentation des événements, dans la première année de traitement (effet prothrombotique des estrogènes oraux ?). Prévention des troubles cognitifs  Un autre objectif longtemps revendiqué du THM était la prévention des troubles cognitifs, en particulier de la démence, confirmée par les études épidémiologiques d’observation(9). Cependant, d’après les résultats des premières études prospectives randomisées contrôlées, contre placebo (HERS, WHI), l’effet bénéfique du THM sur la fonction cognitive n’est pas confirmé après 65 ans. L’incidence des démences pourrait même être supérieure (fréquence des accidents vasculaires cérébraux chez les femmes ménopausées plus jeunes traitées par THM, donné par voie orale). Prévention du cancer du côlon La réduction de son incidence sous THM atteint 20 à 30 %. Les données issues des études d’observation sont confirmées par les études prospectives randomisées(6,7). Pourquoi une telle discordance entre les études d’observation et les études prospectives ? Alors que les résultats attendus (à partir des études d’observation) pour l’effet préventif du THM sur les conséquences de l’ostéoporose ou du cancer du côlon ont été vérifiés par les études prospectives d’intervention, cela n’est pas le cas pour la prévention des événements cardiovasculaires et des troubles cognitifs. Quelles en sont les raisons ? Dans les études d’observation (où l’on analyse le devenir de cohortes de femmes « tout-venant »), les femmes spontanément traitées par les estrogènes par leur médecin sont, en fait, avant même tout traitement, à moins de risque cardiovasculaire (les médecins tendent à prescrire des estrogènes à des femmes qui fument moins, sont plus minces, font plus d’exercice, ont un meilleur niveau socio-éducatif...) que les femmes à qui leur médecin a préféré ne pas en donner (biais de prescription). Par ailleurs, certains effets délétères du THM pourraient s’expliquer par l’effet prothrombotique des estrogènes qui ont pu favoriser la survenue d’accidents thrombotiques sur une pathologie coronarienne préexistante, chez certaines femmes prédisposées(10). L’effet de l’âge est probablement aussi très important à prendre en compte : en effet, lorsque les études prospectives randomisées contrôlées sont réanalysées en sous-groupe en fonction de l’âge, le THM n’expose pas au même risque cardiovasculaire entre 50 et 59 ans et au-delà de 60 ans… Là encore, les estrogènes n’ont vraisemblablement pas le même effet sur des artères jeunes et dépourvues d’athérome, sur lesquelles ils gardent peut-être un effet protecteur) alors qu’ils pourraient déstabiliser la plaque d’athérome lorsque celle-ci était déjà constituée(11,12). De plus, le type et la voie d’administration des estrogènes jouent peut-être un rôle.   Les risques du THM   Le cancer du sein (6,7) Son risque de survenue est corrélé à la durée du traitement et à l’âge. Il est, en moyenne, augmenté de 20 à 30 % par le THM selon les études d’observation ou les études prospectives. Il est le même quelle que soit la forme (orale ou percutanée) d’administration des estrogènes. En chiffres absolus, à l’échelon individuel, le risque reste minime. Sous THM donné pendant 5 ans, le nombre de cas supplémentaires, pour 10 000 femmes sera de 8 chaque année(13). Ce risque disparaît après l’arrêt du THM. Plusieurs études concordantes tendent à montrer que le risque de cancer du sein serait peut-être plus important en cas d’association estrogènes + progestatifs qu’en cas d’estrogènes seuls. Le type de progestatif associé semble aussi important à prendre en compte si l’on en croit les résultats de l’étude E3N : le risque (à court terme, en tout cas) des femmes prenant un THM contenant des progestatifs synthétiques paraît, en effet, significativement supérieur de 40 % environ à celui des femmes dont le THM comporte de la progestérone micronisée(14).   Les accidents veineux thromboemboliques (AVTE)(6,7) Le risque est multiplié par 2. En chiffres absolus, il reste néanmoins minime : ainsi, les femmes de 50-59 ans traitées par THM pendant 5 ans feront 4 AVTE de plus et les femmes de 60-69 ans en feront 9 de plus que les femmes non traitées. Ce risque paraît limité aux estrogènes donnés par voie orale si l’on en croit les résultats de l’étude française ESTHER(15). Et, selon cette étude, le choix du progestatif associé n’est pas non plus indifférent : les dérivés norpregnanes seraient thrombogéniques alors que la progestérone micronisée ou les dérivés pregnanes (dydrogestérone ou médrogestone, acétate de chlormadinone, acétate de cyprotérone ou acétate de médroxyprogestérone) semblent ne pas conférer de risque thrombotique(16).   Les accidents vasculaires cérébraux (AVC)(6,7) Le risque de survenue d’AVC (ischémique mais non hémorragique) pourrait être augmenté de 30 %.   Lithiases biliaires Son risque serait augmenté de 50 % environ par le THM.   En pratique : quelle balance bénéfices/risques ? En termes de risque absolu(3), il apparaît finalement que le THM donné pendant 5 ans à 1 000 femmes en bonne santé, dans des pays occidentaux, est responsable, soit d’un cancer du sein, soit d’un AVC, soit d’une embolie pulmonaire supplémentaire, chez 6 femmes de 50 à 59 ans et chez 12 femmes de 60 à 69 ans. Le bénéfice objectif absolu est le suivant : pour 1 000 fem-mes âgées de 50 à 59 ans traitées par THM, 1,7 événements tels qu’un cancer colorectal ou une fracture du col fémoral sont évités (5,5 pour 1 000 femmes de 60 à 69 ans traitées par THM). Tout compte fait, les événements observés, qu’ils soient délétères ou bénéfiques sont donc assez rares… mais, quand on en fait le bilan, il faut bien reconnaître que l’équilibre bénéfice/risque ne penche pas franchement en faveur du THM, et cela au fur et à mesure que l’âge avance. La possible survenue de ces événements face au confort du bon contrôle des bouffées de chaleur reste donc une affaire de jugement très individuelle, tant pour le médecin prescripteur que pour la femme. Le rapport bénéfice/risque du THM doit donc être discuté de façon individuelle et, si l’indication est retenue (après vérification des contre-indications), on recommande maintenant de proposer le THM pour une courte période, assez tôt après la ménopause, et de renforcer par ailleurs les conseils hygiéno-diététiques (exercice physique, apport vitamino-calcique).   En pratique   Quoi qu’il en soit, les femmes à risque cardiovasculaire, les femmes ayant déjà un athérome (en particulier les diabétiques) ne sont probablement plus les candidates qu’elles ont longtemps été ! À la lecture des dernières données de la littérature publiée, les meilleures candidates sont donc plutôt les femmes les plus jeunes (entre 50 et 59 ans) très gênées par leurs bouffées de chaleur, à condition qu’elles n’aient pas d’athérome déjà constitué. S’il faut probablement privilégier les estrogènes par voie transdermique (pour limiter le risque thromboembolique veineux), il faut les associer (si la femme n’a pas eu d’hystérectomie) de préférence à des progestatifs comme la progestérone micronisée (pour limiter le risque de cancer du sein) ou les dérivés pregnanes (pour limiter le risque thromboembolique veineux). Ces recommandations étaient déjà celles faites en France par l’AFSSAPS : des recommandations prudentes, de bon sens, bien éloignées des prises de position extrêmes des Américains… qui, si souvent, rejettent avec autant d’ardeur ce que, la veille, ils adoraient !

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