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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 31 jan 2006Lecture 8 min

Le traitement « minute » des troubles du rythme - Les comprimés dans la poche

J.-F. LECLERCQ, CMC Monceau, Paris

L’époque est aux patients exigeants et pressés… De plus en plus souvent, ils demandent à pouvoir stopper eux-mêmes un trouble du rythme. Il faut dire à leur décharge que la perspective de passer quelques heures à attendre aux urgences d’un hôpital public n’a rien de réjouissant…

Or, il est effectivement possible de leur con-seiller un certain nombre de traitements efficaces pour les différents troubles du rythme. Pour cela, quelques règles doivent être respectées. Les règles - Avoir un diagnostic, ou du moins une orientation diagnostique, est indispensable avant de pouvoir conseiller quoi que ce soit. Autrement dit, on ne peut envisager de conseiller un traitement « minute » qu’à un patient que l’on connaît et que l’on suit. On est loin de la télé-médecine et de la médecine au téléphone… cela repose sur un enregistrement ECG percritique. Le traitement « minute » s’adressera donc aux récidives. - Réserver la technique aux patients sans cardiopathie sévère. Les autres doivent aller aux urgences. - Si l’essentiel de la question est, bien sûr, représenté par une prise unique orale d’un médicament, la fameuse « pill-in-the-pocket therapy » des Anglo-Saxons, il ne faut pas négliger d’indiquer une conduite à tenir plus générale, et des moyens thérapeutiques non médicamenteux. Les indications Très schématiquement, quatre types de troubles du rythme peuvent justifier un traitement minute, s’ils sont désagréablement perçus par le patient : • la tachycardie sinusale, • les tachycardies paroxystiques de Bouveret, • la fibrillation auriculaire paroxystique, • certains troubles du rythme ventriculaires.   La tachycardie sinusale Celle de la jeune femme anxieuse ou souffrant simplement éréthisme cardiaque est un motif de consultation ou d’appel téléphonique fréquent ; dans ce cas, le problème est surtout diagnostique. Bien sûr, l’habitus et l’interrogatoire sont évocateurs chez une patiente à cœur sain, mais pour avoir enregistré fréquemment des tachycardies de Bouveret authentiques au cours de « crises » décrites avec un luxe de détails et tous les symptômes imaginables sauf des palpitations, on devient prudent… et l’on cherchera systématiquement à avoir un tracé ECG percritique : Holter de 24h, 48h, R-test ou appareil similaire. Quand le diagnostic est assuré par un ECG normal rapide, on peut évidemment conseiller en première intention une faible dose d’un bêtabloqueur d’action rapide (si la patiente n’est pas asthmatique) : par exemple 20 mg de propranolol. Cette « pill-in-the-pocket therapy » doit être assortie d’une explication sur la bénignité du symptôme.   La tachycardie de Bouveret Elle peut être invalidante par son caractère inopiné et soutenu. La tolérance est habituellement excellente chez le sujet à cœur sain et les syncopes au démarrage de la crise restent exceptionnelles. Mais si la crise se prolonge, elle peut devenir moins bien tolérée et peut par ailleurs entraîner un passage en fibrillation auriculaire, même en l’absence de cardiopathie. Les manœuvres vagales Il est souvent aisé pour un patient bien « éduqué » de stopper un accès de Bouveret par les manœuvres vagales. Les plus efficaces lorsqu’elles sont effectuées par le patient lui-même sont la manœuvre de Valsalva et le réflexe nauséeux. Il est fondamental de leur expliquer que ces maneuvres ont d’autant plus de chances de stopper la crise qu’elles sont effectuées dans les premières minutes, sinon la stimulation sympathique réactionnelle rendra leur succès beaucoup plus aléatoire. Bien des patients arrêtent ainsi plus de 90 % de leurs crises. Mais il y en a toujours quelques-unes qu’ils ne parviennent pas à stopper. De plus, les manœuvres vagales peuvent favoriser la transformation en fibrillation auriculaire. Par conséquent, il ne faut pas conseiller cette technique à un patient qui a un syndrome de Wolff-Parkinson-White et des crises de Bouveret, car on l’exposerait à une fibrillation auriculaire rapide grave. Ces patients doivent impérativement être explorés et « ablatés » dans un centre de rythmologie spécialisé. Associer le repos strict à la prise médicamenteuse Lorsque l’ECG de base est normal, il y a 95 chances sur 100 qu’il n’y ait pas de préexcitation patente et l’on peut conseiller les manœuvres vagales et, en cas d’échec, une prise médicamenteuse, toujours associée au repos strict, de préférence couché. En effet, d’exceptionnelles observations de mort subite au cours d’activités sportives chez des patients ayant un Bouveret incitent à recommander aux patients de rester bien calmes… Bêtabloqueurs ou anticalciques ? Quel est le rôle éventuel d’une prise médicamenteuse ? Ralentir la conduction nodale et favoriser l’arrêt spontané. Deux types de médicaments sont utilisables : un bêtabloqueur (par exemple 40 mg de propranolol) ou un anticalcique (vérapamil ou diltiazem). À noter quand même que le délai d’action est forcément de plusieurs dizaines de minutes. L’ATP intraveineux, très efficace, ne peut être utilisé que sous contrôle ECG.   La fibrillation auriculaire paroxystique C’est l’indication la plus fréquente du traitement minute. Celui-ci se conçoit chez un patient ayant des accès mal ressentis mais n’entraînant pas de signes d’insuffisance cardiaque congestive. Un patient avec une FA mal tolérée au plan hémodynamique doit être hospitalisé. Donc, on ne s’adresse en pratique ici qu’à la FA paroxystique récidivante sur cœur sain ou HTA bien tolérée. Quel traitement choisir ? Quels sont les médicaments utilisables pour « réduire », c’est-à-dire pour écourter les crises ? Deux catégories d’antiarythmiques sont efficaces sur la FA, les médicaments de classe I et ceux de classe III. Pour pouvoir être utilisables en traitement « minute », il est nécessaire que la demie-vie des produits soit aussi brève que possible. Cela exclut en pratique les deux médicaments les plus efficaces en traitement de fond : l’amiodarone et le flécaïnide. Avec leurs demi-vies respectives de 20 jours et de 20 heures, on ne peut espérer avoir un effet rapide par voie orale. L’utilisation intraveineuse reste possible, mais on est en dehors du cadre de l’ambulatoire et de la prescription gérée par le patient. Force est donc de se rabattre sur le disopyramide (200-300 mg de la forme non retard), la propafénone (300-600 mg), ou le sotalol (80-160 mg) qui ont des chances d’être efficaces en prise unique. La prescription d’une petite dose de bétabloqueur (20 ou 40 mg de propranolol) peut être associée à celle du disopyramide ou de la propafénone, si l’on sait que le rythme ventriculaire de la FA est habituellement élevé chez le patient considéré. Encore une fois, il est exclu de dire que l’on peut traiter tous les accès de FA de cette façon, et l’on doit individualiser la prescription au patient, ce qui suppose d’avoir déjà des enregistrements percritiques au préalable, et de s’être fait une idée de la tolérance des accès. La posologie minimale doit être utilisée chez les patients qui sont déjà sous traitement de fond par amiodarone ou flécaïnide. En cas d’échec, une deuxième dose ne peut être conseillée qu’après 4 h pour le disopyramide, et 6 h pour la propafénone ou le sotalol. Dans tous les cas, il est fondamental d’expliquer au patient que le repos strict au lit ou au fauteuil est impératif pendant les heures qui suivent la prise médicamenteuse, ceci afin d’éviter le risque de flutter 1/1. En effet, tout traitement antiarythmique efficace agit en ralentissant le rythme propre de la FA avant de la stopper, et il se peut que la FA se transforme en flutter par augmentation progressive de la longueur d’onde de réentrée et fixation dans le macrocircuit de réentrée qu’est le flutter (figure 1). Si le patient fait un effort à ce moment, il peut se mettre à conduire en 1/1 au ventricule avec mauvaise tolérance hémodynamique, syncope, voire mort subite. Pour cette raison, le traitement minute est à proscrire chez les patients indisciplinés, hyperactifs, exerçant un métier de sécurité, ou sportifs. Enfin, la réduction médicamenteuse de la FA expose probablement moins que la cardioversion électrique au risque d’embolisation de régularisation, mais ce risque n’est certainement pas négligeable. S’il s’agit d’accès fréquemment récidivants, elle ne se conçoit guère que chez un patient anticoagulé au long cours, ou à la rigueur associée à une injection d’une dose curative d’HBPM. Figure 1. Transformation d’une fibrillation auriculaire en flutter commun sous antiarythmique. Le rythme propre de l’oreillette est passé de 400 à 240 bpm, mais on a alors un conduction 1/1 au ventricule en l’absence de freination du nœud AV. Les troubles du rythme ventriculaire Ils ne relèvent habituellement pas d’un traitement antiarythmique « minute » Quoique… s’il s’agit d’extrasystoles ventriculaires sur cœur sain, isolées ou en salves (par exemple les TV infundibulaires, figure 2), il est parfaitement possible de prescrire en cas de gêne fonctionnelle inhabituelle une dose de bêtabloqueur, de vérapamil, voire de propafénone. Mais cela vient en alternative à un traitement de fond médicamenteux, ou une ablation si les ESV sont monomorphes. Comme il s’agit habituellement d’une arythmie chronique, on est conduit à utiliser un traitement de fond et la place du traitement minute est assez réduite. Figure 2. Tachycardie ventriculaire en salves infundibulaires. Elle peut justifier un traitement « minute », mais relève le plus souvent d’un traitement de fond. Le « Bouveret » ventriculaire Les véritables « Bouverets ventriculaires » sont représentés le plus souvent par les TV fasciculaires où tout se résume à des crises sporadiques bien tolérées sans arythmie intercritique (figure 3). Là, c’est l’inverse car la place du traitement de fond (médicamenteux ou instrumental) est discutable si les accès sont très espacés. On peut parfaitement conseiller un traitement « minute » avec une prise unique de vérapamil (120-240 mg) ou de propafénone. Là encore, le repos est impératif après la prise médicamenteuse, et en cas d’échec l’injection de vérapamil IV en milieu spécialisé est à préconiser. Figure 3. Tachycardie ventriculaire fasciculaire, donnant cliniquement un « Bouveret ventriculaire » et se prêtant parfaitement à un traitement « minute » par exemple par vérapamil. On comprend que, dans ces deux cas, un diagnostic précis du trouble du rythme, ainsi qu’une évaluation complète de l’état cardiaque sont évidemment indispensables comme préalable à toute prescription de ce type. Les TV sur cardiopathie gauche (coronariens, cardiomyopathies) ne relèvent pas d’un traitement « minute » : elles doivent être hospitalisées d’urgence. Une fois le diagnostic fait, les patients doivent impérativement recevoir un défibrillateur automatique qui se chargera de réaliser un traitement non pas « minute », mais « secondes »… Restent les troubles du rythme ventriculaires de la dysplasie du VD qui ne requièrent pas toujours l’implantation d’un défibrillateur. Une simple majoration du traitement de fond peut parfois être conseillée au patient en cas d’accès trop fréquents.   À retenir   On ne traite bien que ce que l’on connaît. Ici plus qu’ailleurs, le diagnostic doit précéder le traitement. Même si le médecin a un diagnostic, le patient peut voir son trouble du rythme se modifier… Tel patient qui d’habitude a un Bouveret va se retrouver en FA, tel autre qui d’habitude a de la FA va faire du flutter, ou une bitachycardie (FA + TV) s’il a un substrat électrique pour cela. C’est le charme de la rythmologie… Il faut donc être prudent sur les doses d’antiarythmique prescrites, et bien expliquer au patient que toute mauvaise tolérance inhabituelle doit l’amener aux urgences. Le traitement « minute » ne s’adresse qu’aux gens pressés. Les autres se coucheront en attendant que ça passe, ou se contenteront de majorer leur traitement de fond en prenant un comprimé de flécaïnide ordinaire ou de propafénone de plus, ou encore une petite dose de charge d’amiodarone, ce qui fera effet 6 à 12 h plus tard. Tout est fonction de la tolérance individuelle et des souhaits du patient.

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