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Cardiologie générale

Publié le 09 déc 2008Lecture 6 min

Les vieux cardiologues vus par les jeunes cardiologues ou une histoire récente de la cardiologie

S. ZUILY, Hôpital Brabois Adultes, CHU de Nancy

Difficile de ne pas créer un schisme et une polémique avec un titre si provoquant… Et pourtant, il y a tellement de choses à raconter quand on fait l’effort de se mettre à la place de nos maîtres qui en leur temps n’étaient rien d’autres que des « jeunes » cardiologues ! Le vrai point commun est cette cardiologie qui n’a cessé d’évoluer à travers les siècles, haletante, le cœur battant, permettant à nos aînés d’être des précurseurs !

En effet, il n’y a pas de jeunes ou de vieux cardiologues, il n’y a que des pionniers !
De tout temps, le cœur était l’organe préféré des hommes, grâce notamment à sa représentation de porteur des sentiments amoureux. Tous les sens qui lui sont attribués témoignent bien de son importance : à cœur ouvert, avoir le cœur gros, avoir le cœur sur la main, avoir mal au cœur…
Sans remonter au XVIIe siècle avec Harvey démontrant la nature de la circulation sanguine, revenons quelques décennies en arrière, lorsque nos maîtres actuels étudiaient auprès des patients.

Les grandes avancées Ce n’est qu’en 1947, que Beck et son équipe réanimèrent grâce à un défibrillateur un adolescent de 14 ans lors d’une opération pour malformation congénitale de la cage thoracique : le mythe de l’impuissance médicale face à la mort subite commençait à s’éroder… Forts de cette expérience, en 1966 à Belfast, Geddes et Pantridge créèrent la première unité mobile de soins intensifs au monde à l’aide d’une ancienne ambulance et d’un défibrillateur rudimentaire alimenté de deux batteries de voitures de 12 volts. Dans les années 80, les défibrillateurs devenaient semi-automatiques, capables de détecter une fibrillation ventriculaire. C’est hier, en février 1980 à Baltimore, que le premier défibrillateur automatique implantable a été utilisé. Aujourd’hui, nous assistons au développement de l’accès aux défibrillateurs et à la formation aux gestes de premiers secours grâce notamment à la campagne auprès du grand public : « 1 vie = 3 gestes ». Un jour, qui sait, le défibrillateur automatique externe sera aussi courant dans les foyers qu’un extincteur d’incendie ? Les médicaments n’ont cessé d’évoluer : c’est en 1982, que furent introduites en clinique les héparines de bas poids moléculaires. Aujourd’hui, nous assistons au développement de nouvelles générations d’antithrombotiques. Par ailleurs, les diurétiques de l’anse n’ont pas toujours été utilisés, bien évidemment ; il n’y avait pas si longtemps, mise à part les saignées dans le traitement des patients atteints d’insuffisance cardiaque, on utilisait également des queues de cerise ! Quelles pratiques actuelles auront l’air si surprenantes aux yeux de nos confrères de demain ? Mes maîtres me racontent volontiers cette époque où tout infarctus du myocarde était traité systématiquement par aspirine, héparine et xylocaïne. Il ne fallait pas compter sur les angioplasties primaires, les anti-GP-IIb/IIIa, ou les thrombolyses. Toutes les complications à court terme étaient envisageables : du choc cardiogénique à toute la panoplie des troubles du rythme, sans oublier les ruptures mécaniques… Les cardiologues de cette époque devaient passer de bien mauvaises gardes ! L’arrivée de la streptokinase dans les années 60, ouvrait une nouvelle ère dans le traitement de la phase aiguë de l’infarctus. Ainsi, les étudiants n’étaient plus obligés d’apprendre que l’évolution systématique de la repolarisation faisait obligatoirement apparaître un sus-décalage du segment ST comme témoin d’un anévrisme séquellaire ! Grâce à toutes les avancées de ces dernières décennies, le métier d’urgentiste coronaire a radicalement changé. Grâce entre autres, aux systèmes de soins, aux défibrillateurs et aux traitements de la phase aiguë de l’infarctus du myocarde, les patients ont changé, eux aussi : les patients de plus mauvais pronostic à long terme sont ceux atteints de syndrome coronarien aigu ST- et non ST+, la prévalence de l’insuffisance cardiaque ne cesse d’augmenter… La chirurgie s’est perfectionnée La chirurgie, parallèlement à l’anesthésie, a fait des progrès considérables : encore récemment, on voyait mourir des jeunes femmes atteintes de maladie rhumatismale dite dépassée, aujourd’hui des quasi-centenaires récemment opérés gambadent dans les couloirs de nos services ! Nos maîtres ont vu Christian Barnard réussir le 3 décembre 1967 la première greffe cardiaque chez un homme. Sur les 100 personnes greffées dans le monde l’année suivante, aucune ne survécut plus de 18 mois, excepté un Français opéré à Marseille, Emmanuel Vitria, qui vécut près de 19 ans sans que l’on comprenne la raison de ce succès, si ce n’est la douceur de vivre de notre belle cité phocéenne ! C’était hier aussi, en 1981, que la ciclosporine permit de passer de 30 à 70 % de succès à un an chez les patients greffés. Depuis, comme en témoigne notre maître Christian Cabrol, les résultats des greffes cardiaques ne cessent de s’améliorer. Leur nombre n’est réduit que par le manque de greffons, qui est la principale limitation pour les malades dont la greffe reste le dernier recours. Souvenez-vous également en 1982 de la première implantation du cœur artificiel Jarvik par William de Vries chez un patient volontaire de 62 ans. Il surprenait le monde créant ainsi un enthousiasme considérable, entretenu par une couverture médiatique sans équivalent dans l’histoire de la médecine. À la suite d’échecs répétés, le programme prévu initialement pour 100 patients devait être abandonné en 1983. La période comprise entre 1982 et 2002 voyait le développement considérable de la technique d’assistance circulatoire tandis que tous les programmes de cœur artificiel étaient abandonnés, sauf un : le système Abiocor. C’est en juin 2002 que ce système est mis en place chez un patient en insuffisance cardiaque terminale. Dernièrement, personne n’a pu rater l’annonce officielle parue le 27 octobre dernier concernant le projet de l’équipe du Pr Carpentier, qui dévoilait un cœur entièrement artificiel mis au point dans l’ombre durant vingt longues années ! Encore une première mondiale ! Actuellement, les assistances ventriculaires de première génération ont, quant à elles, été utilisées chez plus de 5 000 malades, dans près de 170 services de chirurgie cardiaque à travers le monde. Aujourd’hui encore, l’assistance circulatoire fait l’objet d’études, dont celle surprenante de Birks et coll. : grâce à l’assistance circulatoire et à nos médicaments spécifiques visant l’insuffisance cardiaque, les auteurs ont pu observer une récupération quasi-complète d’une insuffisance cardiaque non ischémique considérée comme terminale. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Un demi-siècle plein de surprises ! Si l’on considère qu’un de nos maîtres, actuellement en fin d’exercice, était externe des hôpitaux dans les années soixante, il pourra se vanter d’avoir assisté aux avancées suivantes : 1958 : Première implantation de stimulateur cardiaque 1961 : Premier choc électrique externe 1961 : Première mise en place chez l'homme d'une prothèse mécanique mitrale (A. Starr) 1964 : Premier pontage aorto-coronaire (M.-E. de Bakey) 1967 : Première transplantation cardiaque (C. Barnard) 1968 : Première implantation chez l'homme d'une bioprothèse valvulaire (A. Carpentier) 1969 : Première coronarographie sélective en France (E. Hazan) 1977 : Première angioplastie coronaire (A. Grüntzig) 1980 : Première implantation d’un défibrillateur automatique (1982 en France) 1982 : Première implantation d'un cœur artificiel de type Jarvik (W. de Vries) 1985 : Première réussite d'une cardiomyoplastie chez l'homme (A. Carpentier) 1986 : Première mise en place d’un stent intracoronaire (J. Puel) 2000 : Première intervention en chirurgie cardiovasculaire par autogreffes de cellules musculaires dans le myocarde (P. Menasché) 2002 : Premier remplacement d’une valve aortique par méthode de cathétérisme (A. Cribier) Impressionnant ! Et la liste s’allongera encore… Et demain ? Un de mes jeux favoris consiste à imaginer quelles sont les pistes actuellement innovantes qui feront les avancées de la cardiologie de demain ? Prenons l’exemple de l’insuffisance cardiaque ; je pense notamment à la prévention bien sûr mais aussi à la surveillance, aux nouvelles molécules, aux traitements alternatifs, aux techniques invasives de plus en plus abouties, à l’avènement de la génétique ou aux avancées sans fin de la recherche fondamentale… Un jour ou l’autre, je l’espère, je serai aussi un « vieux » cardiologue et je pourrai expliquer aux jeunes générations à quelles avancées j’ai pu assister ; car nous aussi, nous l’espérons, aurons la chance de voir notre pratique se modifier grâce aux progrès technologiques et surtout aux changements conceptuels. Mais il ne faut pas que cette course à l’innovation ne nous fasse perdre l’élément unique et fondateur qui nous lie à nos aînés et qu’ils ont sans cesse appris et oublié : la sémiologie clinique. À nous donc d’ouvrir nos yeux et de nous investir dans ce qui sera la cardiologie de demain ! Prenons également exemple sur nos aînés et faisons perdurer ce compagnonnage qui prône entraide, protection, éducation et surtout, transmission des connaissances. Même si nous serons les vieux cardiologues de demain, une chose est sûre, la cardiologie sera toujours la même : en avance sur son temps afin de donner toutes ses chances aux patients. J’en ai le cœur net !

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