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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 03 juin 2008Lecture 7 min

L'état préfibrillatoire : rêve ou réalité ?

J.-F. LECLERCQ, P. FIORELLO, F. HALIMI, C. BERTRAND et P. ATTUEL, Paris et Le Chesnay

Le diagnostic de la fibrillation auriculaire (FA) paroxystique reste en 2008 une difficulté quotidienne pour tous les cardiologues. Or, prévoir la survenue d’un accès de FA est un point important pour la pratique clinique : si l’on est capable de dire que tel ou tel patient a toutes les chances de faire de la FA prochainement, on peut envisager de lui donner un traitement préventif (à visée antithrombotique ou antiarythmique). De même, prévoir le risque de passage en FA permanente chronique est aussi très important puisque tout cardiologue sait que cela représente souvent un tournant dans l’histoire naturelle du patient, surtout en présence d’une cardiopathie, avec un risque majeur d’insuffisance cardiaque. Avons-nous des éléments prédictifs de ces deux risques, et peut-on ainsi dire que tel patient est dans un état « préfibrillatoire », ce qui sous-entend que bien qu’étant en rythme sinusal dominant, on doit s’attendre à le trouver en FA au prochain suivi ?

Prédiction du risque de FA paroxystique Un certain nombre de pistes sont importantes à connaître et à explorer, car plusieurs éléments prédictifs doivent être mémorisés. La piste épidémiologique Les études de population ont bien montré que les facteurs prédictifs de survenue de FA sont : l’âge, l’hypertension artérielle, la taille et la pratique du sport. Il est de pratique courante de voir à notre consultation spécialisée des grands gaillards à pression artérielle limite qui ont fait du sport de façon intense ou qui continuent à en faire et qui ont de la FA paroxystique avant la cinquantaine. Si un tel patient vient vous voir pour des palpitations, le diagnostic de FA paroxystique est bien plus vraisemblable que si c’est une petite jeune femme sédentaire. La piste électro-cardiographique L’ECG de surface en rythme sinusal apporte des éléments diagnostiques. Le plus évident est le trouble de conduction intra-atrial. Dans sa forme la plus caricaturale, il réalise ce que d’aucuns ont appelé un bloc du faisceau de Bachmann, structure située à la partie supérieure et antérieure du septum inter-atrial et qui a pour fonction de transmettre l’influx sinusal au toit de l’oreillette gauche. La grande taille de ce faisceau explique qu’il n’est jamais le siège d’un bloc complet mais, lorsqu’il fonctionne mal (bloc du 1er degré), l’influx d’origine sinusale va être obligé de dépolariser l’OG en passant par le sinus coronaire, donc beaucoup plus bas. L’onde P va donc être plus longue, et avoir un vecteur de dépolarisation qui s’inverse en son milieu : d’abord dirigé de haut en bas comme chez tout un chacun, il est ensuite dirigé de bas en haut. On a alors l’aspect de la figure 1, à savoir une onde P large avec une bosse en D1 et un aspect positif puis négatif en D3 et V1. Lorsque le trouble conductif est moins prononcé, on a simplement une onde P élargie et bossue, mais qui, là encore, a une grande valeur diagnostique chez quelqu’un qui se plaint de palpitations. Bien entendu, si l’ECG montre en plus des extrasystoles atriales, cela renforce l’hypothèse… Figure 1. ECG montrant un bloc inter-atrial de haut degré. La piste de l’interrogatoire C’est le temps principal de l’examen pour le rythmologue. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la description précise par le patient d’un rythme irrégulier et rapide au cours de la crise est rare… La palpitation est souvent décrite de façon beaucoup plus vague, et son horaire nocturne ou tout au moins au repos est un meilleur guide que ce qui est ressenti. Elle peut être totalement absente, et de meilleurs signes sont la polyurie post-critique ou la difficulté soudaine à effectuer un effort standard pratiqué sans problème la veille et, le lendemain, exprimée par le patient comme une dyspnée ou une simple asthénie absolument inhabituelle. La piste du Holter C’est l’examen complémentaire essentiel, qui permet d’apprécier la fréquence du trouble rythmique et ses caractéristiques. Il est logique et évident que plus les extrasystoles auriculaires (ESA) sont fréquentes, plus le risque de passer en FA est grand. Les ESA jouent le rôle de trigger et, plus celui-ci est fréquent, plus on a de chances d’enclencher une FA si le patient a le substrat électrophysiologique nécessaire pour cela. C’est exactement la même chose pour le risque de FV et la fréquence des ESV. Ainsi, leur répétition, leur présence après une pause post-extrasystolique (réalisant un lambeau de bigéminisme) et, bien entendu, leur prématurité sont des éléments prédictifs indiscutables du risque de FA. L’exemple de la figure 2 montre de telles prématurités très importantes donnant des accès de FA brefs. C’est ce que l’on observe dans ce que l’on appelle les FA « focales » générées par des ESA venant des veines pulmonaires chez des sujets jeunes. Dans ces cas, on voit souvent un déterminisme vagal évident, avec des variations importantes de fréquence cardiaque avant les ESA. L’exemple de la figure 3 est particulièrement démonstratif : l’à-coup vagal qui se matérialise par un ralentissement brutal, véritable coup de frein sinusal, permet l’éclosion des ESA sous forme de bigéminisme ou de doublets et salves. En pareil cas, on peut être sûr que le patient est exposé à faire de la FA paroxystique, même si celle-ci n’a pas pu être documentée. C’est bien la raison pour laquelle l’hypertonie vagale est un facteur déterminant majeur de survenue de FA paroxystique chez les sujets à cœur sain (la FA est plus fréquente chez les joueurs de tennis ou les coureurs cyclistes que chez les golfeurs(1)). Figure 2. Holter montrant le démarrage nocturne d’un accès de FA par une extrasystole auriculaire très prématurée, avant l’onde T. Mise en évidence d’un foyer de la veine pulmonaire supérieure gauche. Figure 3. Holter montrant comment les à-coups vagaux générant un allongemement brutal du cycle sinusal (astérisques) permettent l’éclosion des esa, bigéminées ou en doublets, bloquées (flèches), chez une patiente jeune ayant un foyer des veines pulmonaires. Mais il n’en reste pas moins exact que toutes ces pistes peuvent être prises en défaut, comme le montre l’exemple de la figure 4 : une dame de 60 ans de forte corpulence qui ne se plaint de rien, sinon d’être essoufflée, ce que l’on comprend vu son tour de taille, mais qui est explorée pour des AIT à répétition. Le Holter montre le démarrage d’une FA paroxystique par une ESA peu prématurée, et non précédée par quelque événement notable que ce soit. On touche là du doigt nos insuffisances en matière de diagnostic de la FA. C’est bien pour cette raison qu’il persiste des indications d’exploration endocavitaire de la vulnérabilité atriale à titre diagnostique. La mise à disposition prochaine de Holters implantables, conçus pour faire ce diagnostic sur de longues périodes de surveillance, va-t-elle modifier cet état de fait ? Cela reste à voir… Pour l’instant, le diagnostic de la FA chez ce genre de patients reste un rêve, ou une affaire de chance comme dans le cas présenté, ou de volonté pour des patients et des praticiens motivés. Figure 4. Démarrage de FA paroxystique enregistré par chance au Holter chez une patiente ayant très peu d’esa intercritiques. Le couplage initiateur est long. Prédiction du risque de passage en FA permanente Ceci est au mieux examiné chez les sujets ayant de la FA paroxystique ou persistante documentée. Dans une série personnelle sur 360 patients de ce type, le risque de passage en FA permanente est linéaire et la « demi-vie » du rythme sinusal après un premier épisode de FA est de 11 ans (figure 5). Les facteurs prédictifs de cet événement sont : l’âge, la taille de l’OG, la dysfonction sinusale, le caractère persistant de la FA ayant habituellement nécessité un choc pour sa réduction et, enfin, l’absence de traitement antiarythmique ou son suivi par un généraliste. Figure 5. Courbe actuarielle de persistance du risque de passage en FA permanente après un premie répisode de FA (série personnelle de 360 patients). Tous ces facteurs doivent évidemment être connus et pris en considération pour la conduite du traitement. De même, ainsi que cela est spécifié dans les recommandations de la Task Force ESC/AHA/ACC de 2006, il doit être bien expliqué au patient (et au généraliste…) que le but du traitement n’est pas de supprimer les symptômes, mais d’éviter ou de retarder ce passage en FA permanente, facteur pronostique péjoratif majeur pour de nombreux patients. Ainsi, si les récidives sous traitement sont rares et brèves, celui-ci sera poursuivi et non pas modifié à tout bout de champ à la moindre palpitation. Il faut en quelque sorte expliquer au patient que la guérison n’est pas envisageable, mais que, sous réserve de bien surveiller son traitement anticoagulant, la situation n’est pas très grave tant qu’il reste en rythme sinusal prédominant. Dans le cas de la FA persistante qui a nécessité un choc pour sa réduction, les critères prédictifs de rechute ont été particulièrement étudiés, car ceci est plus simple que dans le cas de la FA paroxystique. Là encore, l’âge, la taille de l’OG, son activité mécanique après la cardioversion, mais aussi le nombre d’ESA au Holter, la fréquence cardiaque moyenne et sa variabilité sont des facteurs identifiés de rechute. Ici aussi, on retrouve le rôle néfaste de l’hypertonie vagale après la cardioversion. Enfin, il est d’observation courante qu’en cas de FA persistante à rechutes, nécessitant des cardioversions itératives, quel que soit le traitement antiarythmique utilisé, le répit accordé par chaque choc est de plus en plus court et on se dirige inéluctablement vers la FA permanente. Si la tolérance de celle-ci est médiocre, c’est probablement une des meilleures indications qui soient d’ablation de l’oreillette gauche.   En pratique   L’état préfibrillatoire existe chez certains patients, pas chez tous. Si tel est le cas, c’est une opportunité qui justifie des traitements antiarythmique et antithrombotique appropriés. Il témoigne d’un risque élevé de rechute sous traitement médical, et fournit au rythmologue de bons candidats aux techniques d’ablation. En effet, dans ce domaine les techniques de traitement ont progressé ces dernières années plus vite que celles du diagnostic. Mais le balancier peut revenir…

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