Publié le 25 mai 2010Lecture 7 min
L'ischémie par test d'effort
H. DOUARD, Hôpital Cardiologique du Haut Lévèque
Il n’est pas rare de nos jours qu’un patient soit adressé pour une épreuve d’effort afin d’évaluer le retentissement d’une coronaropathie… déjà objectivée par coronarographie !
En d’autres termes, on a déjà objectivé une ou plusieurs sténoses coronaires angiographiques et cherché à établir s’il existe réellement une indication à soulager des symptômes (qui restent à vérifier objectivement) ou éviter des événements coronariens ultérieurs par une revascularisation.
Cette réflexion – certes tardive – est cependant déjà louable comparativement à bien d’autres stratégies purement luminographiques ; il faut cependant avouer qu’elles sont souvent dictées par la découverte de lésions pas toujours très serrées, afin d’essayer de leur imputer ou non des symptômes parfois atypiques, ou encore l’existence de lésions guère favorables à une revascularisation quelle qu’elle soit, et pour lesquelles l’objectivation d’un faible retentissement ischémique et clinique conforterait dans l’abstention. Cette tendance à mettre « la charrue avant les bœufs » n’est pas exceptionnelle dans les analyses de prise en charge des coronariens stables.
Actuellement, plus de la moitié des patients sont revascularisés, en dehors des situations cliniques instables, sans aucune évaluation fonctionnelle ni quantification ischémique préalable quelle qu’elle soit. Cela est, bien sûr, en non-conformité avec toutes les recommandations les plus récentes de prise en charge des coronariens stables, qu’ils soient symptomatiques ou non.
Globalement, les techniques de revascularisation ne sont supérieures au simple traitement médical que si 10 % du myocarde apparaît ischémique à l’effort.
La démonstration d’une ischémie d’effort témoignant d’un territoire myocardique menacé est donc la pierre angulaire de la stratégie thérapeutique.
Ces recommandations reposent sur des études solides et concordantes. Ainsi, dans la récente étude HEART and SOUL, le bon pronostic spontané des patients asymptomatiques ou sans ischémie myocardique démontrée est à nouveau souligné, à l’inverse des patients symptomatiques ou avec une ischémie objectivée.
Certes, l’âge parfois élevé des coronariens implique des comorbidités notamment ostéo-articulaires qui limitent les évaluations objectives à l’effort ; mais pour ceux-là, les tests pharmacologiques (échographie dobutamine, scintigraphie adénosine) permettraient une évaluation objective du retentissement ischémique. Pour les tests d’effort isolés, une des limitations est aussi liée aux tracés de repos parfois perturbés (FA, blocs de branche complets) qui incontestablement limitent une quantification fiable de l’ischémie d’effort.
La quantification de l'ischémie par épreuve d'effort
La quantification d’une ischémie par épreuve d’effort est largement dépendante du protocole utilisé. Les protocoles très progressifs, en général utilisés pour l’insuffisance cardiaque, peuvent minimiser, voire négliger une authentique ischémie, comparativement à un test aux incréments plus élevés. En cas de prévalence extrêmement forte et de test initial négatif, ces protocoles dits abrupts peuvent démasquer une authentique ischémie absente sur un test traditionnel (expliqué par un recrutement de collatéralité, voire une vasodilatation inhabituelle du territoire sténosé).
Le critère le plus ancien et également le plus robuste pour quantifier l’ischémie par épreuve d’effort demeure l’analyse de l’évolution du segment ST. L’analyse du test reste souvent binaire (test positif ou négatif, selon l’existence ou non d’un sous-décalage additionnel > 1 mm en cas de pente horizontale ou descendante, et de > 1,5 mm ou en cas de pente ascendante). Mais la cinétique et l’importance des modifications de la repolarisation sont globalement bien corrélées à la sévérité des lésions.
Les atteintes mono-, bi- ou tritronculaires génèrent des sous-décalages maximaux du ST en fin d’effort, statistiquement différents et de plus en plus conséquents (si ces tests sont maximaux, démaquillés, etc.). D’autres critères de gravité sont également bien connus tels que la chute tensionnelle de fin d’effort, une faible FC max atteinte ainsi qu’une faible performance lors d’un test arrêté pour symptômes limitants (douleur, blockpnée). Cependant, ces résultats s’appuient sur de larges séries de patients et ne permettent pas toujours des différenciations individuelles en pratique courante.
Plus l’atteinte du réseau coronaire est sévère, plus l’apparition d’un sous-décalage significatif est précoce et plus tardive est sa correction après effort.
Rappelons également qu’un sous-décalage n’apparaissant qu’en récupération a la même valeur diagnostique péjorative. Cette cinétique est mieux appréciée en pondérant les mesures du segment ST par l’évolution chronotrope (ST/FC). Cette pondération a été à l’origine de mesures de pente ST/FC, mieux corrélées aux indices de sévérité angiographique (classique différentiation mono-, bi- et tritronculaire ou scores angiographiques plus élaborés), mais validées lors de protocoles spécifiques sur tapis roulant (OKIN-KLIEGFIELD).
Quant à l’apparition d’un sus-décalage du segment ST à l’effort, elle est beaucoup plus spécifique d’une atteinte coronaire et témoigne – en dehors de quelques rares cas d’angor spastique plus ou moins pur – d’une lésion proximale sévère justifiant une revascularisation urgente ; de plus, la valeur topographique du sus-décalage d’effort est ici parfaite (figure 1).
Les autres « nouveaux critères » (décrits en fait il y a déjà plus de vingt ans pour la plupart) sont plus qualitatifs que quantitatifs en termes de sévérité ischémique. Ils tendent à corriger la valeur diagnostique du test en cas de prévalence extrême (faible ou très élevée) associée à une évolution du segment ST ambiguë.
Figures 1 et 2. Patient de 41 ans sans facteurs de risque (père ayant présenté un IDM à 65 ans), mais avec angor typique récent ; arrêt du test pour douleur franche à 120 watts, 173 b/min, avec un sous-décalage très significatif se majorant en récupération ; l’analyse plus fine (figure 2) montre une ébauche de sus-décalage en antéroseptal, avec discret élargissement des QRS, augmentation de l’onde R, liés à une sténose très serrée S2 de l’IVA.
Place actuelle des tests d'effort
L’épreuve d’effort isolée reste – et doit rester – l’examen de première intention quand elle est réalisable (limitation électrocardiographique et comorbidités déjà soulignées auxquelles on peut ajouter la non-coopération du patient). Pour les Anglo-Saxons, elle reste le goal keeper des dérives invasives régulièrement condamnées. L’exemple actuel de l’engouement de la FFR en est l’illustration : un match comparant cette mesure invasive de rapport de pressions trans-sténotique à celle du sous-décalage d’effort reste à faire, bien qu’en termes financiers… la messe soit déjà dite !
L’intérêt de l’épreuve d’effort en 2010 s’exprime davantage en termes pronostiques qu’en indices de quantification ischémique, mieux validée désormais par les nouvelles techniques d’imagerie complémentaire.
La valeur de ces examens est supérieure quand l’effort y est couplé plutôt que lors d’un stress purement médicamenteux.
Le niveau d’effort réalisé en reste le critère pronostique le plus fiable (J. Myers), qu’il soit isolé ou intégré dans des scores plus ou moins sophistiqués purement ergométriques, voire cliniques, en y adjoignant les facteurs de risque présents (Morice). Ainsi, le score développé par Mark il y a déjà près de vingt ans, qui intègre performance, importance du sous-décalage, fréquence max atteinte et limitation fonctionnelle angineuse, reste l’un des plus simples et fiables en termes de risque d’événement coronarien ultérieur.
Dans cette quantification de l’ischémie, l’apparition d’un angor empêchant pour une fréquence cardiaque et un niveau d’effort bas est un critère de sévérité qui doit justifier l’indication d’une revascularisation à titre symptomatique.
Conclusions
Il y a quelque part un goût d’inachevé dans la valeur des tests d’effort en termes de quantification ischémique car les scores prometteurs, validés il y a de nombreuses années, ne l’ont été que sur tapis roulant et dans des populations restreintes, le plus souvent anglo-saxonnes, sans toujours tenir compte de l’âge, du sexe et de la réelle prévalence. Les techniques plus sophistiquées scintigraphiques puis échocardiographiques, se sont révélées plus attractives – le malade n’est plus le seul acteur de son diagnostic – et surtout plus sensibles avec une quantification objective de l’importance du territoire ischémique, une valeur topographique que l’épreuve d’effort ignore (en dehors du sus-décalage d’effort, bien sûr exceptionnel). La valeur pronostique des tests d’effort reste cependant encore largement validée ; une bonne performance réalisée, à facteurs de risque et lésions coronaires égaux, augure toujours d’un bon pronostic spontané, bien que très souvent peu considérée dans les décisions de revascularisation.
Qui dépister ?
L’information diagnostique du test d’effort est maximale quand il est appliqué aux populations à prévalence intermédiaire. Le dépistage d’une ischémie dans une population à faible prévalence (homme avant 45 ans, femme avant 55 ans asymptomatique et sans facteur de risque) est donc inutile. Au-delà, ou plus tôt en cas de symptôme suspect, la prévalence augmente avec le nombre de facteurs de risque présents, et la recherche d’une ischémie même silencieuse devient plus licite. Certaines professions ou activités sportives à risque peuvent cependant justifier un dépistage plus systématique et précoce. La population des diabétiques, en croissance exponentielle, doit être particulièrement ciblée en raison du caractère souvent insidieux (fréquence des ischémies myocardiques silencieuses) et des complications coronaires fréquentes après dix ou quinze ans de diabète déclaré.
En pratique
Le retentissement ischémique doit rester la pierre angulaire de l’indication de revascularisation
Les attitudes tendant à prouver et quantifier l’ischémie sont plus « courageuses » mais souvent à contretemps de la cardiologie dite moderne, malgré ce que prônent les recommandations officielles.
Elles sont pourtant plus rentables scientifiquement et économiquement sans que ce soit au détriment d’une survenue accrue de décès ou d’infarctus.
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