Publié le 22 jan 2008Lecture 9 min
L'urgence hypertensive existe-t-elle ? Quelle prise en charge ?
F. NAIJA1, G. KIERZEK2, J.-L. POURRIAT2 et J. BLACHER1 1Centre de Diagnostic et de Thérapeutique, Hôtel-Dieu, Paris 2Service des Urgences, Hôtel-Dieu, Paris
L’hypertension artérielle est définie par une élévation de la pression artérielle ≥ 140 mmHg pour la systolique et/ou 90 mmHg pour la diastolique. Des chiffres tensionnels supérieurs à ces valeurs peuvent avoir une tolérance variable et certaines élévations tensionnelles peuvent mettre en jeu le pronostic vital à très court terme.
Définition
Le terme « urgence hypertensive » est souvent abusivement employé pour désigner une simple élévation de la pression artérielle sans atteinte viscérale associée. Sur le plan théorique, l’urgence hypertensive est définie comme une situation où l’élévation des chiffres de pression artérielle est directement responsable du retentissement immédiat sur l’organisme, et dont l’absence de prise en charge thérapeutique présente un risque majeur de complications rapides.
Par conséquent, l’urgence est définie par la « nécessité » d’un traitement parentéral et/ou d’une prise en charge en unité de soins intensifs ou de réanimation. Idéalement, cette « nécessité » devrait être validée par la preuve d’un bénéfice obtenu par des essais cliniques, qui fait actuellement défaut.
La recherche des signes cliniques d’une atteinte cardiaque, neurologique ou vasculaire associée à l’élévation tensionnelle permet de distinguer alors deux situations(1, 2) :
- l’élévation tensionnelle sans souffrance viscérale immédiate qui ne met pas en jeu le pronostic vital dans l’immédiat, nommée « urgencies » par les auteurs anglo-saxons ; la pression artérielle élevée a, en elle-même, une valeur séméiologique des plus limitées ;
- l’élévation tensionnelle avec souffrance viscérale pouvant mettre en jeu le pronostic vital à très court terme, nommée « emergencies », situation qui nécessite une prise en charge rapide.
Rappelons que l’AFSSAPS(3) définit l’urgence hypertensive par :
- une élévation de la pression artérielle, généralement > 180 mmHg pour la pression systolique et/ou > 110 mmHg pour la pression diastolique, chez un sujet non traité ou traité par des antihypertenseurs ; toutefois, une élévation tensionnelle rapide en deçà de ces valeurs peut constituer une urgence hypertensive s’il existe une souffrance viscérale, en particulier chez la femme enceinte ;
- et une complication concomitante grave, récente ou imminente, mettant en jeu le pronostic vital à court terme : atteinte cardiaque, vasculaire, cérébrale, rénale ou oculaire.
Est-ce que ces urgences hypertensives sont fréquentes ? Si oui, quelle doit en être leur prise en charge actuelle ?
Prévalence réelle-données internationales
Il existe très peu de travaux qui se sont intéressés aux urgences hypertensives(4).
Zampaglione et coll.(5) ont étudié sur une période de 12 mois tous les passages pour élévation tensionnelle symptomatique dans le service des urgences de l’hôpital de Turin. Le premier résultat est que l’élévation tensionnelle, avec (emergencies) ou sans atteinte viscérale (urgencies) concernait près de 27 % de l’ensemble des admissions (médicales) tous diagnostics confondus, soit tout de même 3 % de l’ensemble des patients s’étant présentés aux urgences de l’hôpital de Turin pendant la période d’étude.
La majorité (76 %) de ces patients ne présentait pas d’atteinte viscérale (urgencies) ; ils consultaient aux urgences en raison de symptômes divers dont les plus fréquents étaient représentés par des céphalées (22 %), des épistaxis (17 %), ou une agitation psychomotrice (10 %). Les 24 % restants (emergencies) présentaient des précordialgies (27 %), de la dyspnée (22 %), ou encore un déficit neurologique (21 %). L’atteinte viscérale finalement diagnostiquée se traduisait par un AVC dans 24 % des cas, un OAP dans 23 %, une encéphalopathie hypertensive dans 16 % des cas et 4,5 % des patients avaient un diagnostic d’hémorragie cérébrale. Il est important de noter que l’hypertension n’était pas connue des patients dans 8 % des emergencies et 28 % des urgencies.
L’âge et le niveau de pression artérielle diastolique étaient les deux seuls paramètres (en dehors des signes liés aux atteintes organiques) qui différenciaient les patients porteurs d’une crise hypertensive avec et sans atteinte viscérale (tous deux plus élevés dans les emergencies que dans les urgencies).
Les auteurs concluent que les urgencies et les emergencies représentent une cause fréquente de passage aux urgences, et que ces deux entités diffèrent dans leurs présentations cliniques. L’accident vasculaire cérébral et l’œdème pulmonaire cardiogénique représentent les deux atteintes viscérales prédominantes.
Une autre étude d’observation(6) a été réalisée dans quatre services d’urgences aux États-Unis ; étaient éligibles les patients présentant une pression artérielle systolique > 140 mmHg ou une pression artérielle diastolique > 90 mmHg ; 1 396 patients ont été inclus, 44,3 % avec une HTA grade 1, 25,3 % avec une HTA grade 2, et 30,3 % avec une HTA grade 3. Les Noirs américains étaient plus présents dans les deux groupes les plus sévères et la dyspnée était le symptôme le plus fréquemment associé à l’élévation de la PA. Finalement, au sein de cette cohorte de 1 396 patients, une hypertension artérielle permanente était confirmée chez la majorité d’entre eux, et le pourcentage des patients non traités pour leur hypertension était important (52,7 %) ; parmi les hypertendus traités, 42,1 % avaient récemment oublié une prise médicamenteuse.
Les données du service des urgences de l’Hôtel-Dieu de Paris
Les nouveaux comportements des usagers en matière de recours aux soins et l’évolution de l’organisation des soins entre médecine de ville et hôpital se traduisent par une augmentation du nombre de passages aux urgences dans les établissements publics (+ 43 % sur la dernière décennie et 14 millions de passages en 2004)(7). La mesure de la pression artérielle doit faire partie de l’examen clinique de tout patient admis dans un service d’accueil des urgences(8).
Ces services sont ainsi largement confrontés à l’hypertension artérielle et représentent un site privilégié de prise en charge où les différentes formes cliniques se rencontrent :
- découverte d’une HTA non connue ;
- HTA chronique, de stade 1 ou 2, qu’elle soit bien contrôlée ou non ;
- urgences hypertensives, emergencies ou urgencies.
Nous avons conduit une étude rétrospective avec analyse des dossiers des patients ayant consulté le service des urgences sur une période de 1 an et ayant une PAS > 180 mmHg ou une PAD > 110 mmHg, avec ou sans défaillance viscérale en rapport avec l’HTA.
Durant la période définie, 45 000 patients ont consulté aux urgences, dont 1 598 patients avaient les critères d’inclusion définis ci-dessus ; la prévalence des urgences hypertensives (emergencies ou urgencies) a été de 3,6 %. Les patients concernés étaient des hommes (58 %), aux antécédents d’HTA connue (46 %) et traitée (35 %). L’immense majorité des urgences hypertensives concernait des urgencies (91 %) mais 7 % des patients présentaient une véritable emergency avec retentissement viscéral (2 % n’ont pu être classés en raison de données manquantes) ; 3 % des patients seulement étaient enregistrés sous le motif de recours HTA. Concernant la prise en charge médicale, seulement 18 % des patients ont bénéficié d’un contrôle de la PA avec réalisation d’une seconde mesure après leur passage au box de l’infirmière d’accueil et d’orientation (IAO) et 13 % ont reçu un traitement médicamenteux antihypertenseur ; 20 % ont été hospitalisés, dont 2 % en soins intensifs cardiologiques.
Cette étude montre que l’immense majorité des patients (97 %) présentant une urgence hypertensive viennent consulter pour un autre motif, soulignant ainsi l’intérêt d’une mesure systématique de la PA dès le box d’IAO.
Des traitements médicamenteux antihypertenseurs sont sûrement prescrits encore trop fréquemment alors que les chiffres de PA ne sont pas recontrôlés dans 82 % des cas. Des solutions simples ont été envisagées pour améliorer la prise en charge :
- mise en évidence sur les dossiers des patients des constantes anormales ;
- systématisation de la seconde mesure de la PA (en cas de PA élevée à l’arrivée) lors de l’installation des patients en box d’examen ;
- mise à disposition de protocoles diagnostiques et thérapeutiques écrits ;
- formation continue des personnels médicaux en partenariat avec les services spécialisés dans la prise en charge de l’HTA ;
- développement des réseaux (consultation d’HTA).
Spécificité de la prise en charge de certaines situations urgentes(2)
L’urgence neurovasculaire
Conduite à tenir
L’interprétation de chiffres tensionnels élevés(9) nécessite une analyse méthodique en respectant les règles suivantes :
- le diagnostic est fondé sur des mesures correctes et répétées de la pression artérielle et sur la recherche de signes de souffrance viscérale ;
- s’assurer de la permanence de l’élévation de la tension artérielle. Il est clairement recommandé de ne considérer le patient comme étant hypertendu que si cette élévation tensionnelle persiste au-delà d’un délai d’une heure (en l’absence de défaillance viscérale associée) et après correction d’éventuels facteurs déclenchants (stress, douleurs, arrêt du traitement antihypertenseur, etc.) ;
- évaluation de la pertinence d’une décision diagnostique et/ou thérapeutique par rapport au tableau clinique : pathologie aiguë avec HTA susceptible d’en aggraver la morbidité ou la mortalité et HTA maligne avec souffrance viscérale nécessitant un contrôle tensionnel urgent.
Les situations urgentes dont la morbidité et la mortalité peuvent être influencées par l’élévation des chiffres tensionnels : œdème aigu du poumon, dissection aortique, syndrome coronarien aigu, accidents neurovasculaires aigus, intoxications (cocaïne, amphétamine, LSD, phénylpropanolamine, phencyclidine).
Spécificité de la prise en charge de certaines situations urgentes(2)
L'urgence neurovasculaire
L’urgence hypertensive est associée dans près de 30 % des cas à un accident vasculaire cérébral (AVC) d’origine ischémique (25 %) ou hémorragique (5 %).
La prise en charge d’un sujet qui présente un tableau clinique d’AVC comporte la réalisation en urgence d’explorations complémentaires, notamment un scanner et/ou une IRM cérébrale.
Dans l’attente de ces examens, la prescription d’un traitement antihypertenseur d’action rapide expose à des risques d’aggravation de l’état neurologique(9) par réduction de la pression de perfusion.
En présence d’une hémorragie sous-arachnoïdienne, le contrôle de la pression artérielle se justifie, à la phase aiguë, par le risque d’une récidive du saignement. Secondairement, le risque d’ischémie par vasospasme est important(10). La prise en charge de ces patients en milieu neurochirurgical est recommandée.
L’œdème aigu du poumon
Cette urgence thérapeutique peut être observée avec ou sans hypertension. L’œdème aigu du poumon (OAP) associé à une élévation tensionnelle est une urgence hypertensive fréquente chez l’hypertendu âgé. Le traitement de l’OAP utilise les diurétiques de l’anse et les dérivés nitrés par voie veineuse. La vasodilatation veineuse et la réduction de la postcharge participent à l’action favorable de ces médicaments(11).
La douleur thoracique
L’élévation tensionnelle accompagnée d’une douleur thoracique doit faire évoquer la déstabilisation d’une pathologie coronaire ou une dissection aortique.
Le transport rapide du patient dans un centre pouvant assurer le diagnostic et le traitement de ces troubles s’impose.
Les dérivés nitrés semblent particulièrement indiqués en première intention dans ces circonstances.
Au cours de la prise en charge de la dissection aortique, la normalisation de la pression artérielle constitue un objectif thérapeutique afin de diminuer les contraintes mécaniques sur la paroi des vaisseaux lésés. L’administration des médicaments hypotenseurs doit se faire par voie parentérale(12).
L’urgence hypertensive au cours de la grossesse
L’urgence hypertensive est essentiellement rencontrée au cours de la grossesse dans la prééclampsie sévère. Définie par l’association des critères suivants : pression artérielle > 160/110 mmHg, protéinurie d’apparition récente > 2 g/24 h, créatininémie > 12 mg.l-1 ou 92 mmol.l-1, ou existence d’un ou plusieurs éléments d’un syndrome HELLP(13). Elle atteint son point culminant dans l’éclampsie, définie comme l’apparition de crises convulsives sans autre cause chez une femme prééclamptique.
D’autres urgences hypertensives peuvent être aussi rencontrées au cours de la grossesse : œdème pulmonaire, hémorragie cérébrale, encéphalopathie hypertensive. Le traitement antihypertenseur est alors indiqué pour protéger la mère et préparer l’extraction fœtale qui s’impose à court terme.
Comme dans les autres urgences hypertensives, une baisse trop rapide de la pression artérielle expose la mère à des complications ischémiques ; en outre, elle réduit le débit sanguin utéro-placentaire et peut compromettre la survie fœtale.
L’objectif du traitement antihypertenseur au cours de la grossesse est de réduire sans excès la pression artérielle(14).
En pratique
L’urgence hypertensive reste un motif de passage aux urgences et/ou d’hospitalisation relativement fréquent mais sa prévalence exacte est difficile à préciser.
L’urgence hypertensive doit s’apprécier en fonction de la présence de signes de souffrance viscérale.
Sur le plan thérapeutique, la réduction sans délai de la PA ne s’avère nécessaire qu’en cas de retentissement viscéral ; de plus, dans ces situations d’urgences hypertensives « vraies », toute réduction rapide de la PA peut être associée à des conséquences néfastes (souffrance rénale, ischémie myocardique et/ou cérébrale) ; enfin, l’HTA associée à un accident vasculaire cérébral ne requiert que rarement un traitement à la phase aiguë.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :