Publié le 18 sep 2007Lecture 7 min
Objectifs glycémiques chez le coronarien âgé stable
M. LAMANDÉ1, T. CONSTANS2 1. SSR-EHPAD, Pôle de gériatrie, CHRU de Tours 2. Service de médecine interne gériatrique, CHRU de Tours
Le diabète du sujet âgé, habituellement de type 2, a une prévalence plus élevée que chez l’adulte jeune. Trois patients âgés diabétiques sur 4 meurent d’une complication macroangiopathique. L’utilisation d’échelles gériatriques validées permet de distinguer les patients fragiles des patients autonomes, indemnes d’une comorbidité trop lourde, et de définir des objectifs glycémiques adaptés.
Le diabète est une pathologie fréquente et grave. Chez les sujets âgés, il s’agit essentiellement d’un diabète de type 2. Un diabétique sur deux est un sujet âgé de plus de 65 ans. La prévalence du diabète passe ainsi de 10,5 % chez les sujets ambulatoires de plus de 65 ans à 20 % chez les plus de 80 ans, pour ensuite décroître, le diabète multipliant par deux la mortalité cardiovasculaire.
Chez le sujet âgé, le diabète est un facteur de déclin cognitif, de dépression, d’incontinence urinaire, de chutes et de douleurs chroniques. Malgré tous ces éléments, aucune étude n’a à ce jour démontré l’intérêt de faire baisser la glycémie chez le sujet de plus de 65 ans, le seul travail faisant référence étant l’étude britannique UKPDS(1) qui a montré qu’un bon contrôle glycémique et tensionnel diminue de façon importante les complications micro- et macro-angiopathiques chez des sujets de moins de 65 ans. Une question revient donc fréquemment : « Faut-il traiter le sujet âgé diabétique et si oui avec quels objectifs ? ».
Le sujet âgé diabétique
Depuis 1997, la définition du diabète, y compris chez le sujet âgé, repose sur de nouveaux critères diagnostiques : glycémie à jeun ≥ 1,26 g/l, soit 7 mmol/l, à 2 reprises à plus de 3 semaines d’intervalle et/ou glycémie ≥ 2 g/l (11 mmol/l) à n’importe quel moment de la journée, en dehors de tout traitement hyperglycémiant et/ou toute situation de stress.
Cette dernière partie de la définition est importante ; en effet, chez le sujet âgé, il n’est pas rare, lors de situation de stress (infection, intervention chirurgicale, épisodes ischémiques, etc.), du fait d’une sécrétion de cytokines (IL1, IL6, TNF), de constater une ascension glycémique par le biais des hormones hyperglycémiantes de la contre-régulation. Ces situations peuvent alors nécessiter une insulinothérapie le temps de la prise en charge de l’épisode aigu afin d’éviter les complications liées à l’hyperosmolarité. À distance de ces épisodes de stress, de nombreux patients recouvrent une glycémie normale et nous ne sommes donc pas dans le cadre d’un diabète avec ses complications chroniques. Il ne faut donc pas hésiter dans ces situations de stress à répéter les dosages glycémiques et à mesurer l’HbA1c pour évaluer l’ancienneté des hyperglycémies.
Quant à la définition du sujet âgé, plusieurs sont proposées, souvent en rapport avec l’âge civil. Ainsi, l’OMS définit le sujet âgé comme un sujet âgé d’au moins de 65 ans. D’autres utilisent l’âge de la retraite, âge fluctuant suivant les professions exercées. D’autres encore retiennent l’âge moyen d’entrée en institution, soit 85 ans. L’âge civil n’est donc pas la meilleure définition pour caractériser ce sujet qui appartient à une population des plus hétérogènes, tant sur le plan clinique que fonctionnel. Des études multivariées ont montré que d’autres éléments sont plus importants comme marqueurs pronostiques.
Il est donc plus intéressant de définir ce sujet âgé par son « âge physiologique », notion abstraite, corrélée aux facteurs génétiques, à l’expérience de vie du sujet et aux comorbidités associées, sources de vieillissement pathologique et de diminution de l’espérance de vie.
Cette notion est, en effet, essentielle ; par exemple, un sujet de 70 ans, hypertendu, diabétique et ayant déjà fait un AVC, a une espérance de vie proche de celle d’un sujet de 90 ans seulement diabétique.
La définition du diabète est la même définition chez le sujet âgé que chez le sujet jeune. La personne âgée se définit par son âge, mais aussi par son espérance de vie et ses comorbidités.
Quelques particularités du sujet âgé
Le vieillissement se définit par un ensemble de modifications physiologiques et psychologiques qui diminuent les capacités fonctionnelles de l’organisme et sa capacité d’adaptation aux situations d’agression.
Concernant le métabolisme glucidique, le vieillissement a des effets très modestes sur la glycémie à jeun chez le sujet sain (soit une augmentation de 0,01 g/l par décennie au-delà de 30 ans)(2). Ses effets sur la glycémie postprandiale sont plus prononcés en raison d’une réduction de la capacité d’insulinosécrétion pancréatique, d’une diminution du pouvoir hypoglycémiant de cette dernière et d’une insulinorésistance périphérique.
L’insulinorésistance est principalement liée à l’augmentation de la masse grasse intra-abdominale, et à la diminution de la masse maigre squelettique et du nombre de transporteurs de glucose dans le muscle. Cependant, il ne faut pas oublier le rôle des facteurs environnementaux dans l’insulinorésistance : notamment le type de régime alimentaire, la diminution de l’activité physique et la polymédication (sous diurétique, le risque de diabète est multiplié par 3, sous bêtabloquant par 5 et, si les deux sont associés, par 10).
Le vieillissement s’accompagne aussi de modifications d’autres fonctions :
- une altération de la fonction rénale ; il faut évaluer la fonction rénale par la formule de Cockcroft plutôt que par la créatininémie ;
- avec l’âge, la réduction de la sensation de soif et la diminution des possibilités de concentration des urines font que le patient âgé se déshydrate plus facilement. Il s’adapte aussi plus difficilement à une réduction des apports en sodium (diminution des possibilités de réabsorption tubulaire du sodium). Ces modifications expliquent la fréquence des insuffisances rénales fonctionnelles et des hyponatrémies ;
- à poids égal, l’augmentation la masse grasse, et la diminution de la masse musculaire induisent une diminution du capital hydrique (45 % du poids du corps à 80 ans au lieu de 60 % chez l’adulte jeune) ;
- la fréquente réduction du taux d’albumine circulante, en raison d’un état de dénutrition exogène ou d’un état inflammatoire, limite les capacités de transport des médicaments et augmente la forme libre pharmacologiquement active (tel est le cas de la digoxine, des antivitamines K et d’autres molécules fortement liées à ce transporteur).
Ces éléments doivent être pris en compte car ils modifient la pharmacocinétique chez le sujet âgé, favorisant ainsi le risque de surdosage pour les molécules hydrosolubles, d’accumulation et d’action prolongée pour les molécules liposolubles.
Il faut également tenir compte d’autres effets du vieillissement qui limitent les possibilités de traitement du fait de leur retentissement sur l’autonomie, comme les effets sur les fonctions sensorielles (baisse de l’acuité visuelle, etc.).
Le vieillissement n’est pas source de pathologie, mais il rend moins apte à faire face aux agressions.
Il expose aux risques d’accumulation pour les traitements liposolubles et de surdosage pour les traitements hydrosolubles.
Quel type de sujet âgé ?
La population âgée est très hétérogène, phénomène accentué par l’ancienneté du diabète et ses complications éventuelles, le diabète étant un facteur d’accélération du vieillissement. Prendre en charge un sujet âgé diabétique coronarien ne revient donc pas à traiter seulement son diabète et sa coronaropathie, mais à prendre en charge cette personne dans sa globalité, y compris environnementale et sociale.
Partant de ce postulat, il est nécessaire d’évaluer au mieux le sujet âgé, afin de guider l’approche thérapeutique et avoir l’attitude la moins délétère. Cette évaluation est basée sur l’utilisation de marqueurs et d’échelles gériatriques (tableau 1), dont les bénéfices ont été démontrés dans la littérature.
Nous évaluons ainsi :
– l’autonomie du sujet et plus particulièrement l’autonomie fonctionnelle (ce que peut faire le sujet pour assurer les activités de la vie quotidienne) et l’autonomie décisionnelle (ce qu’il souhaite faire) ;
– les morbidités en présence, cardiovasculaire et autres, ce qui conduit à distinguer trois catégories de sujets âgés (tableau 2).
Les objectifs glycémiques
Avec l’allongement de l’espérance de vie, un sujet de 75 ans a largement le temps de développer les complications micro- et macroangiopathiques d’un diabète et d’en payer les conséquences. Cependant, il n’existe pas de consensus fixant les objectifs glycémiques chez le sujet âgé, faute d’études. Seule l’expérience d’experts a permis la parution, ces dernières années, de recommandations tenant compte du niveau de fragilité du patient. Ces recommandations ont pour but d’éviter chez le sujet en bonne santé, sans pathologie invalidante ou sévère, l’apparition des complications du diabète et chez le sujet fragile, à l’espérance de vie réduite, d’éviter les hypoglycémies et le coma hyperosmolaire. Le tableau 3(3-6) rappelle ces recommandations par ordre chronologique.
Les objectifs sont donc de plus en plus draconiens et, actuellement, on peut se fixer comme limites celles des recommandations européennes. Cependant, le contrôle de la glycémie ne s’envisage pas sans les autres mesures réduisant le risque cardiovasculaire (contrôle de l’HTA, de la dyslipidémie, arrêt du tabac, maintien d’une activité physique, etc.). Les bénéfices d’une normalisation de la pression artérielle et des lipides sanguins s’observent en 2 à 3 ans(7,8), alors que 8 années de contrôle glycémique sont nécessaires pour obtenir un effet sur la rétinopathie ou la néphropathie(1).
En pratique
La prise en charge du patient coronarien stable diabétique doit se faire en fonction de son espérance de vie corrélée à son niveau de fragilité, lui-même défini par l’expérience de vie du patient et ses comorbidités associées.
Elle doit aussi tenir compte des autonomies fonctionnelle et décisionnelle du patient. Seules des recommandations de plus en plus draconiennes, fruits d’expérience et non d’études, fixent les objectifs à poser.
Cependant le contrôle glycémique ne s’envisage pas sans la prise en charge des autres facteurs de risques cardiovasculaires dont le patient tirera bénéfice plus rapidement.
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