HTA
Publié le 12 sep 2006Lecture 7 min
Place actuelle des bêtabloquants dans le traitement de l’HTA
P. LANTELME et C. BESNARD, hôpital de la Croix-Rousse, Lyon
Les bêtabloquants représentent l'une des cinq classes majeures d'antihypertenseurs recommandés en première intention dans le traitement de l'hypertension artérielle (HTA) (HAS 2005). Cette place de choix est liée, sur le plan physiologique, à l'importance du système nerveux sympathique dans le contrôle tensionnel et, sur le plan physiopathologique, à son rôle dans la genèse de l'HTA essentielle. Elle est liée également à de nombreux essais thérapeutiques ayant validé le bénéfice de cette classe dans l'HTA ainsi que dans d'autres pathologies cardiaques fréquemment associées (insuffisance cardiaque, infarctus du myocarde, etc.).
Les bêtabloquants : une classe très hétérogène
L’une des difficultés liées à cette classe est la diversité de ses représentants avec des actions pouvant varier très sensiblement. Ainsi, la cardioselectivité représente l'aptitude d'une molécule à ne bloquer que les récepteurs β1 et pas les récepteurs β2 (vasodilatateurs). Il s'agit d'une propriété souhaitable dans le traitement de l'HTA. L'activité sympathomimétique intrinsèque est l'effet agoniste partiel de certains bêtabloquants (acébutolol, pindolol). Enfin, certains bêtabloquants possèdent des propriétés vasodilatatrices plus marquées, soit par effet α-bloquant, soit en rapport avec une augmentation de la production de NO (carvédilol, céliprolol, labétalol, nébivolol) qui pourraient être intéressantes dans le traitement de l'HTA. Ces différences importantes font qu'encore plus que pour les autres catégories d'antihypertenseurs, il est difficile d'extrapoler les résultats (bénéfices ou maléfices) de l'un de leurs représentants à l'ensemble de la classe des bêtabloquants.
Bénéfices du traitement par les bêtabloquants
Plusieurs essais thérapeutiques ont montré l'efficacité des bêtabloquants en termes de prévention cardiovasculaire incluant, pour certains d'entre eux, un bénéfice sur la mortalité, en comparaison à un diurétique ou à un placebo (MRC trial, HAPPHY, IPPPSH, MAPHY, entre autres). En 2003, la comparaison systématique des classes d'antihypertenseurs de référence par la métaanalyse de Turnbull incluant 162 341 patients a montré que le bénéfice du traitement est principalement lié à l'abaissement du niveau tensionnel quelle que soit la molécule. À cet égard les « médicaments anciens » n'apparaissent en moyenne pas moins efficaces que les nouvelles molécules (inhibiteurs du système rénine-angiotensine, antagonistes calciques). Il faut néanmoins insister sur le fait que ce bénéfice moyen, voisin d'une classe à l'autre, n'exclut pas des différences dans des sous-groupes ou sur des critères particuliers.
Alors qu’ils n'ont pas pu démontrer de bénéfice supplémentaire comparativement aux diurétiques sur la maladie coronaire, les bêtabloquants en association avec les diurétiques semblent plus efficaces que les antagoniques calciques et aussi efficaces que les inhibiteurs de l'enzyme de conversion sur la prévention de l'insuffisance cardiaque. A contrario, ils pourraient s'avérer moins efficaces dans certains groupes d'hypertendus (cf infra). Toutefois, l’une des difficultés dans l'interprétation de ces métaanalyses réside dans le fait que les bêtabloquants et les diurétiques sont considérés ensemble et comparés aux nouvelles molécules, de telle sorte qu'il est difficile de déterminer la part de bénéfice conférée spécifiquement par chacun des traitements (bêtabloquant vs diurétique).
Sur le plan économique, les bêtabloquants représentent une classe particulièrement compétitive puisque, avec les diurétiques, ils constituent les antihypertenseurs les moins chers.
Inconvénients/limites de l'utilisation des bêtabloquants
En termes d’efficacité
De nouvelles données obtenues dans des populations particulières, suggèrent un bénéfice moindre des bêtabloquants par rapport aux nouveaux traitements.
Ainsi, chez des hypertendus avec hypertrophie ventriculaire gauche électrocardiographique (étude LIFE, Losartan Investigation For Endpoints reduction in hypertension), une stratégie basée sur l'aténolol, éventuellement associé à un diurétique, s'est avérée inférieure à une stratégie basée sur le losartan, éventuellement associé à un diurétique, en termes de prévention des accidents vasculaires cérébraux. De la même manière, l'étude ASCOT (Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial) a montré une tendance similaire dans une population d'hypertendus cumulant au moins trois autres facteurs de risque entre une stratégie bêtabloquant et une stratégie antagoniste calcique. Une explication intéressante de ces différences nous vient d'une étude ancillaire d'ASCOT, l'étude CAFE (Conduit Artery Function Evaluation), qui montre que la pression centrale, reflet de la rigidité artérielle, des phénomènes de réflexions d'onde de pouls et des résistances périphériques est différemment influencée par les traitements antihypertenseurs alors que les pressions brachiales peuvent être identiques. Or, c'est probablement plus la pression centrale que la pression brachiale qui détermine le retentissement cardiaque ou cérébral de l'HTA.
Dans le prolongement de ce raisonnement, il est vraisemblable que, dès lors que l'on s'intéresse à l'HTA des sujets plus âgés, et surtout à l'HTA systolique, les bêtabloquants, et notamment ceux dépourvus de propriétés vasodilatatrices, ne constituent pas la classe la plus performante. Cela est cohérent avec les résultats de la revue de 1998 de F. Messerli. Chez les sujets âgés, il a montré que les bêtabloquants sont moins efficaces que les diurétiques sur la prévention cardiovasculaire, notamment en termes de coronaropathie.
En termes de tolérance
L'autre volet limitant l'utilisation des bêtabloquants est leur assez mauvaise image en termes de tolérance.
Une sensation d'asthénie et de blocage au démarrage de l'effort est assez fréquente. Cette intolérance peut se corriger avec l'utilisation d'une dose plus faible éventuellement en association avec un autre produit (et notamment un diurétique) si nécessaire. L'utilisation d'une molécule avec une activité sympathomimétique intrinsèque peut aussi remédier à cette intolérance.
Une pathologie bronchique obstructive. Si l'asthme vrai est une contre-indication, la bronchite chronique obstructive peut rester compatible avec l'utilisation d'un bêtabloquant cardiosélectif si l'indication cardiovasculaire est importante (par exemple en cas de maladie coronaire).
Des troubles de la fonction sexuelle, diminution de la libido et trouble de la fonction érectile chez l'homme. Il s'agit d'une question récurrente bien difficile. Il est certain que, chez l'hypertendu, les causes de dysfonction érectile sont nombreuses et pas toujours seulement attribuables aux traitements. Parmi ces derniers, les bêtabloquants ne semblent pas augmenter le risque de façon significative.
L'apparition de nouveaux cas de diabète est plus fréquente avec cette classe qu'avec les nouvelles molécules telles que les bloqueurs du système rénine-angiotensine ou les antagonistes calciques. L'impact de ce résultat en termes de prévention cardiovasculaire reste à établir.
Pour la pratique : indications des bêtabloquants (en 2006)
• Les recommandations pour la prise en charge de l'HTA viennent d'être remises à jour (HAS 2005). Les bêtabloquants font partie des cinq traitements utilisables en première intention dans l'HTA essentielle en l'absence de contre-indication. De plus, il existe des indications formelles si l'HTA s'associe à une coronaropathie, notamment après un infarctus. Chez le sujet coronarien n'ayant pas fait d'infarctus, cette classe est également recommandée. Enfin, le patient hypertendu insuffisant cardiaque symptomatique doit être traité par l'un des quatre bloquants ayant l'AMM : le bisoprolol, le carvédilol, le métoprolol et le nébivolol.
En l'absence d'indication formelle, il existe des indications logiques de traitement par les bêtabloquants. En effet, deux systèmes de régulation sont essentiels dans le contrôle de la pression artérielle : le système nerveux sympathique et le système rénine-angiotensine. Ces deux systèmes interagissent de façon importante, la rénine étant activée par la stimulation des récepteurs β1 au niveau du rein. Ils sont activés chez l'hypertendu jeune qui a une HTA plutôt à « rénine haute » par opposition au sujet âgé qui développe plus fréquemment une HTA à « rénine basse ». Ainsi, l'utilisation d'un bêtabloquant ou d'un inhibiteur du système rénine-angiotensine est logique en première intention chez le sujet jeune selon la stratégie des paniers thérapeutiques prônée par l'HAS. Dans ces situations, il faut essayer de privilégier l'utilisation d’un bêtabloquant cardiosélectif à dose infra maximale. L'apparition de nouvelles molécules dotées de propriétés vasodilatatrices plus marquées (céliprolol, névibolol par exemple) pourrait s'avérer intéressante pour combiner un effet de diminution du débit cardiaque à un effet de vasodilatation. Sont aussi des indications logiques les HTA avec arythmie d'effort ou associée à une fréquence cardiaque élevée.
Plus controversée est l'utilisation dans le diabète et en présence d'une artériopathie des membres inférieurs. En fait, l'HTA du patient diabétique est plutôt une indication privilégiée de traitement bêtabloquant selon les recommandations du groupe de travail de l'European Society of Cardiology de 2004. De même, l'artériopathie des membres inférieurs ne contre-indique pas l'essai d'un traitement bêtabloquant qui, par ailleurs, est susceptible d'apporter un bénéfice particulier chez cette catégorie de patients.
Il existe en revanche des situations ou les bêtabloquants ne représentent pas le traitement de choix, c'est l'HTA systolique, situation caractérisée surtout par des résistances vasculaires élevées alors que le débit cardiaque est plutôt diminué. Selon les recommandations HAS 2005, il faut ici privilégier le traitement diurétique ou antagoniste calcique associé, selon les cas, à un bloqueur du système rénine-angiotensine. De même, l'HTA associée à une hypertrophie ventriculaire gauche devra plutôt conduire à l'introduction d'un traitement par antagoniste des récepteurs de l'angiotensine II.
Conclusion
En 2006, les bêtabloquants restent toujours une des classes de référence dans le traitement de l'HTA, notamment chez les patients jeunes et dans les formes systolo-diastoliques.
Leur efficacité, largement documentée, doit conduire à leur utilisation systématique en l'absence de contre-indication dans les cas de co-morbidité cardiaque (coronaropathie ou insuffisance cardiaque) et dans le respect des règles de prescription et de surveillance.
Les effets indésirables importants peuvent bien souvent être atténués sous réserve d'utiliser des doses faibles et des produits cardio-sélectifs. Malgré le possible bénéfice protecteur additionnel des nouvelles classes médicamenteuses dans des populations particulières, les chiffres tensionnels atteints au plan individuel sont probablement plus importants que l'effet protecteur spécifique de tel ou tel agent.
Dans ces conditions les bêtabloquants restent particulièrement bien placés en termes de balance coût/efficacité, avec les diurétiques. L'arrivée de nouvelles molécules dans la famille des bêtabloquants permettra peut-être d'en améliorer le profil d'efficacité, notamment au niveau vasculaire, et la tolérance.
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