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Prévention et protection

Publié le 05 sep 2006Lecture 6 min

Plaidoyer pour l'interdiction de fumer dans les lieux publics

J.-L. GAYET, Paris

La journée sans tabac du 31 mai 2006 a été marquée en France par l'expression du mécontentement des partisans d'une loi imposant l'interdiction totale de fumer dans tous les lieux publics dont la soumission au Parlement avait été repoussée quelques semaines plus tôt. Après l'Irlande (29/03/2004), la Norvège (01/06/04), l'Italie (10/01/05) et, tout dernièrement, l'Écosse (26/03/06), on pouvait penser que la France, préparée de longue date par les lois Veil (10/07/76) et Evin (10/01/1991), serait la prochaine à passer à l'interdiction totale. Face aux succès constatés dans les pays qui ont déjà franchi le pas, et notamment en Irlande où la convivialité des bars a un caractère emblématique, l'attentisme français peut être vu non pas comme un temps d'arrêt mais comme un véritable pas en arrière. Pourtant, les arguments en faveur de cette mesure ne manquent pas et il est peut-être bon, à ce stade, d’en rappeler les principaux.

Une catastrophe sanitaire mondiale Insister sur la catastrophe sanitaire provoquée par le tabac fait figure de truisme mais il arrive un stade où l'évidence provoque une banalisation qui fait oublier la dure réalité des chiffres. Pour ne parler ici que du risque cardio-vasculaire qui est très loin d'être isolé, le tabagisme est responsable de 11 % des décès causés par l'ensemble des maladies cardiovasculaires, récemment estimées responsables de 1,62 millions annuels de décès dans le monde. Face aux méfaits du tabagisme direct, les études épidémiologiques montrent globalement que le tabagisme passif est responsable d'une surmortalité cardiovasculaire de 25 %.   Effet néfaste même pour de faibles expositions Il est difficile d'imaginer qu'un niveau d'exposition apparemment aussi faible que celui du tabagisme passif aux toxiques du tabac puisse être aussi néfaste. Toutefois, les arguments en faveur du contraire ne manquent pas. - La fumée rejetée par les fu-meurs est d'autant plus toxique qu'elle est déjà elle-même un concentré de toxiques rejetés par le poumon. - L'effet vasculaire, notamment thrombogène du tabac est très rapide. - Au risque lié à une exposition prolongée, vient ainsi s'ajouter un risque immédiat qui confère au tabagisme, tant actif que passif, un rôle de facteur déclenchant d'événements aigus. - Enfin, les données épidémiologiques les plus récentes montrent parfaitement l'augmentation du risque d'infarctus du myocarde (IDM) pour tous les niveaux d'exposition au tabagisme. Lieux de travail et lieux de détente L'extension de l'interdiction de fumer à l'ensemble des lieux de travail, quasiment l'équivalent de l'interdiction de fumer dans tous les lieux publics, est une avancée considérable. Elle renforce le droit de pouvoir ne pas travailler dans une ambiance polluée pour l'ensemble des travailleurs, y compris les employés des lieux qui, comme les bars et restaurants, sont des lieux traditionnels de détente, pour l'essentiel de leurs clients en dehors des heures de travail. Ce droit a récemment été confirmé en France par un arrêté de la Cour de Cassation qui a condamné un employeur pour ne pas avoir satisfait l'obligation de protection contre le tabagisme dans son entreprise.   Améliorations environnementales et biologiques L'effet favorable de l'interdiction de fumer dans les lieux publics instaurée en Norvège en 2004 a pu être vérifié dans une étude de suivi longitudinal dans laquelle la diminution des taux des polluants de l'air ambiant et les concentrations urinaires de cotinine des employés ont été significativement réduits. Les concentrations urinaires de cotinine avaient cependant tendance à remonter à distance de la mise en application des mesures de restriction, sans pour autant regagner leurs niveaux de départ. Une autre étude a comparé l'évolution des taux de cotinine urinaire chez les personnels non fumeurs de débits de boissons de République d'Irlande avant et après l'instauration de l'interdiction de fumer sur tous les lieux de travail et celle des personnels de ces établissements en Irlande du Nord ou il n'y avait pas eu de pareille mesure. La fin de l'exposition en République d'Irlande s'est accompagnée d'une réduction significative des concentrations de cotinine urinaire alors qu'elles n'avaient diminué que de façon modeste et non significative en Irlande du Nord. Rien ne laissait supposer que ces modifications aient été accompagnées de modifications significatives de l'environnement personnel.   Conséquences sur les fumeurs Une des questions les plus importantes est celle de l'impact de ces mesures sur le comportement des fumeurs actifs. Les interdictions de fumer dans les lieux publics sont responsables à la fois d'une diminution du nombre de fumeurs et du nombre de cigarettes fumées chez ceux qui continuent. Il existe une relation entre le taux de fumeurs et différents niveaux de restriction du tabagisme dans les lieux de travail. En Irlande, neuf mois après mise en place de l'interdiction de fumer sur tous les lieux de travail de mars 2004, 80 % de ceux qui avaient cessé de fumer depuis, estimaient avoir été favorisés par cette mesure dans leur décision. De plus, 88 % estimaient qu'elle les avait aidés à rester abstinents. Il est toutefois possible que les taux de rechutes à long terme soient identiques avec ou sans interdiction de fumer. Ces effets trouvent aussi une confirmation dans la diminution globale des ventes de cigarettes constatée en Irlande et en Italie. On sait toutefois que l'effet bénéfique de la réduction du tabagisme actif sur les lieux de travail tend à s'estomper légèrement avec le temps.   Démonstration d'un effet de santé publique L'argument le plus fort en faveur d'une interdiction totale de fumer dans les lieux publics doit venir de la démonstration de son effet bénéfique direct sur la réduction de certaines pathologies. L'exemple le plus spectaculaire, toutes pathologies confondues vient sans doute des États-Unis où deux villes, Helena (Montana) et Pueblo (Colorado), ont pu mettre à profit un certain isolement géographique pour évaluer l'impact d'une telle mesure sur le risque d'hospitalisation pour infarctus myocardique. Dans les deux cas, il a été possible d'établir un lien chronologique entre l'instauration de l'interdiction de fumer et une réduction statistiquement significative des taux d'admissions pour infarctus myocardique. La publication des résultats de l'étude d'Helena a donné lieu à de vives critiques méthodologiques auxquelles n'échappera probablement pas celle des résultats de l'étude de Pueblo. Toutefois, ces études sont extrêmement encourageantes et elles devraient être prises en considération pour jeter les bases d'un suivi sanitaire adapté de toute mesure d'éviction à grande échelle du tabac dans les lieux publics.   Les craintes des débitants Un rapport récent de l'Office Central des Statistiques d'Irlande montre que les volumes des ventes et chiffres d'affaire des bars de ce pays a bien diminué de 3,8 à 5,8 % au cours des 9 premiers mois suivant la mise en place de l'interdiction de fumer sur tous les lieux de travail. Toutefois, cette diminution s'inscrit dans le cadre d'une chute amorcée depuis l'an 2000 et elle est potentiellement imputable à des facteurs démographiques, culturels et socio-économiques préexistants. Une remontée de 2,3 % a même été constatée entre septembre et novembre 2004.   La minorité agissante Les fumeurs opposés à une interdiction totale de fumer dans les lieux publics revendiquent souvent le droit aux libertés individuelles. Il apparaît tout à fait légitime d'assumer le risque volontaire d'exposer sa santé et même sa vie en toute liberté. Toutefois, dans le cas du tabagisme, c'est faire totale abstraction du coût social engendré et de la liberté des non-fumeurs de ne pas se voir exposés malgré eux à un risque sanitaire démontré et non désiré.   La majorité silencieuse L'acceptation d'une interdiction totale de fumer dans les lieux publics est généralement grande. Avant son institution en Italie, qui comportait alors 26,2 % de fumeurs âgés > 15 ans, elle était plébiscitée par 85 % des adultes.   Et en France ? Avec les lois Veil et Evin, la France a longtemps été considérée comme le pays européen exemplaire. Pourtant, ces textes (ou plutôt les Français dans la mesure où ils ne sont systématiquement pas respectés) ont bien montré leurs limites. L'ambiguïté de la notion d'espaces réservés en est certainement en grande partie responsable d'autant que l'on sait qu'elle est inefficace, notamment parce que l'imposition d'une ventilation efficace (7 l/min/personne) est illusoire. La concision de chacune des trois propositions de loi qui ont été déposées à l'Assemblée nationale (une demi-douzaine de ligne au maximum en trois articles) par Y. Bur (13/10/2005) et C. Evin (28/02/2006) ou au Sénat par R. Del Pichia (02/03/ 06) montre bien que seule l'interdiction totale permettra d'agir efficacement. Pour nécessaire qu'elle soit, une décision aussi radicale ne doit pas réduire les délais indispensables pour que les esprits soient préparés, que des moyens de contrôle et de répression efficaces soient instaurés et surtout que soient envisagée la mise en place d'indicateurs cliniques et biologiques d'efficacité qui devront aider à convaincre les ultimes opposants.

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