Études
Publié le 06 déc 2005Lecture 7 min
PROactive : les points forts de l'étude
B. CHARBONNEL, Hôtel-Dieu, Nantes
Les résultats très attendus de l’étude PROactive (PROspective pioglitAzone clinical Trial In macroVascular Events), grande étude clinique de prévention cardiovasculaire secondaire par la pioglitazone (Actos®) chez des patients diabétiques de type 2, ont été publiés dans le Lancet du 8 octobre 2005.
Chacun s’accorde à reconnaître que le risque cardiovasculaire du diabète de type 2 est majeur et de grandes études d’événements ont clairement démontré l’intérêt des antihypertenseurs et des statines chez ces patients.
Paradoxalement, aucune démonstration clinique d’un avantage cardiovasculaire des différents agents hypoglycémiants n’avait jusqu’alors été menée.
UKPDS
UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes Study group), seule étude disponible — et célèbre pour cette raison — n’a pas montré d’avantage net en termes de prévention cardiovasculaire. En effet, aucun bénéfice significatif n’a été noté ni pour les deux sulfamides utilisés dans l’étude (chlorpropamide ou glibenclamide) ni pour l’insuline. Des résultats sont mitigés pour la metformine dans un petit sous-groupe de l’étude, à savoir un bénéfice cardiovasculaire en monothérapie mais, à l’inverse, un effet délétère en traitement combiné (si l’on veut faire des comparaisons, il faut souligner que tous les patients de PROactive recevaient un traitement combiné…).
Il ne faut donc pas faire dire à l’UKPDS plus qu’elle ne peut du fait des limites méthodologiques majeures suivantes :
• il s’agit d’une étude ancienne, datant de plus de 20 ans ;
• elle s’applique donc mal aux diabétiques actuels dont les modalités de prise en charge ont beaucoup changé ;
• elle n’avait pas été spécialement conçue pour la prévention cardiovasculaire ;
• elle n’était pas en double insu ;
• la plupart des patients ont changé plusieurs fois de modalités thérapeutiques en cours d’étude, etc.
Le premier point fort de PROactive est donc de représenter une grande étude moderne de prévention cardiovasculaire chez le diabétique avec un agent hypoglycémiant.
Rationnel et dessin de l’étude
Les glitazones (rosiglitazone et pioglitazone) sont des agents hypoglycémiants d’efficacité comparable à celle des sulfamides ou de la metformine et qui ont démontré différents effets pléïotropes vasculaires favorables dans les études expérimentales ou sur différents facteurs et/ou marqueurs de risque vasculaire comme la CRP ou les lipides (la pioglitazone est plus efficace sur le profil lipidique que la rosiglitazone).
PROactive a recruté 5 238 patients en Europe. Il s’agissait de diabétiques de type 2 ayant déjà présenté un accident cardiovasculaire :
• 50 % d’infarctus du myocarde (IDM),
• 20 % d’accidents vasculaires cérébraux (AVC),
• 20 % d’artérites, etc..
Il s’agissait de diabétiques très malades : la moitié des patients avaient déjà eu au moins deux événements vasculaires.
Ces patients étaient traités de façon active suivant les standards modernes : traitements hypoglycémiants, y compris l’insuline un tiers des patients), traitements antihypertenseurs, statines ou fibrates, antiagrégants, traitements à visée cardiovasculaire (95 % des patients). Il était demandé par le protocole de maintenir et d’intensifier si besoin ces traitements au cours de l’étude pour obtenir les valeurs cibles des recommandations. Sur cette base thérapeutique très active ont été ajoutés soit la pioglitazone 45 mg, soit un placebo (figure 1).
Il s’agit-là d’un point fort de PROactive : les résultats observés sous pioglitazone l’ont été « en plus » d’une thérapeutique moderne, intensive, tous azimuts.
Figure 1. Le protocole. La pioglitazone ou le placebo ont été « ajoutés » à une thérapeutique (antidiabétiques, antihypertenseurs, antiagrégants, médications cardiovasculaires, etc.) intensifiée.
ProActive a été une étude conduite par les événements, autrement dit arrêtée quand plus de 760 événements ont été atteints à la condition d’un recul de 2,5 ans pour le dernier patient inclus. Comme les événements ont été nombreux dans cette population très malade, PROactive s’est révélée (trop ?) courte : 2,8 ans en moyenne d’observation. C’est beaucoup moins que la plupart des autres grandes études cliniques comparables, par exemple 5 ans dans HPS (Heart Protection Study) pour ne pas parler du suivi de plus de 10 ans de l’UKPDS.
Résultats
Le critère primaire de PROactive a été composite, à savoir la survenue de l’un des événements suivants : mortalité toutes causes, infarctus du myocarde non fatal (y compris silencieux), AVC, syndrome coronarien aigu, revascularisation coronaire, revascularisation de jambe, amputation de jambe.
Ce critère primaire a été réduit de 10 % à 3 ans par la pioglitazone, différence non significative.
Cette non-significativité du critère primaire de PROactive est sans aucun doute un point faible de l’étude car elle limite le niveau de preuves du bénéfice cardiovasculaire de la pioglitazone suggéré par l’analyse précise des différents événements observés.
Tous les événements « durs » (mortalité, infarctus du myocarde non silencieux, AVC, syndrome coronarien aigu) ont en effet été moins nombreux sous pioglitazone. En revanche, les événements qui dépendent en partie de décisions médicales, telles les revascularisations ou l’amputation de jambe, n’ont pas été améliorés par la pioglitazone : c’est la non-différence sur ces événements qui rend compte de la non-significativité du critère primaire.
D’ailleurs, un critère secondaire principal avait été prédéfini dans le plan d’analyse statistique, critère composite très habituel dans les grandes études de prévention vasculaire (c’est la raison pour laquelle il avait été prédéfini) : première survenue de l’un des événements suivants : mortalité, infarctus du myocarde, AVC.
Ce critère secondaire principal a été réduit de 16 % à 3 ans par la pioglitazone, différence significative (figure 2).
Le bénéfice vasculaire sur un critère « dur », non dépendant des décisions médicales, est évidemment un autre point fort de PROactive, à rapprocher de la diminution de 17 % à 3 ans d’un critère composite comparable sous simvastatine dans HPS, avant il est vrai, d’atteindre à 5 ans dans HPS une réduction de 22 % de significativité indiscutable.
Figure 2. Le critère secondaire principal. Délai de survenue d’un décès, IDM (sauf IDM silencieux) ou AVC.
Les résultats métaboliques de PROactive sont un autre point fort de l’étude :
• meilleur contrôle glycémique (différence de 0,5 % de HbA1c) avec un excellent résultat global à 6,9 % sous pioglitazone, sans échappement secondaire comme observé dans l’UKPDS ;
• l’intensification du traitement oral par la pioglitazone (en bi- ou trithérapie orale puisqu’elle est ajoutée aux traitements en cours) a permis d’obtenir ce bon résultat sans qu’il soit généralement besoin d’insuline : il a fallu prescrire l’insuline deux fois plus souvent sous placebo pour les deux tiers des patients non insulinotraités au départ ;
• la dyslipidémie diabétique a été améliorée sous pioglitazone : diminution des triglycérides de 13 %, augmentation du HDL-cholestérol de 9 % ;
• la pression artérielle a été significativement diminué de 3 mmHg sous pioglitazone.
Il est bien sûr tentant d’essayer d’attribuer tout ou partie des résultats vasculaires à ces améliorations métaboliques mais cela paraît très difficile ; il est nécéssaire d’attendre les analyses spécifiques qui seront publiées, car on manque de repères. En tout cas, les équations de risque issues de l’UKPDS sont a priori peu pertinentes pour la population de PROactive, très différente dans ses caractéristiques initiales et dans les modalités de sa prise en charge.
Les effets secondaires
PROactive était également très attendue sur ce terrain car on manquait un peu de recul quant à la classe des glitazones. Un point fort de PROactive est de n’avoir mis en évidence aucun effet secondaire des glitazones qui n’était déjà connu.
Il est particulièrement rassurant de confirmer l’absence de toxicité hépatique de la pioglitazone et de ne rien voir de significatif en matière de cancer, ce qui est important pour un médicament qui agit en modifiant nombre de synthèses protéiques.
Les effets secondaires déjà connus des glitazones ont été retrouvés :
• œdèmes des membres inférieurs dans 8 % des cas ;
• prise de poids (+ 4 kg à 3 ans) ;
• décompensation d’insuffisance cardiaque sans augmentation de la mortalité par insuffisance cardiaque : 6 % d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque sous pioglitazone vs 4 % sous placebo et 1 % de mortalité dans les deux groupes. Ces chiffres, en valeur absolue, sont d’ailleurs plutôt rassurants dans cette population à très haut risque.
Un point fort de PROactive est de permettre d’évaluer, au cas par cas dans la pratique clinique, le rapport bénéfice/risque de la pioglitazone.
Il est possible que certains des cas d’insuffisance cardiaque rapportés par les investigateurs (sans critère précis d’adjudication dans le protocole) aient été de simples œdèmes, dont on sait qu’ils sont plus fréquents sous glitazones… Il est important en pratique clinique de bien faire la distinction.
Différentes études convergent pour montrer que les glitazones n’entraînent pas de dysfonction myocardique mais décompensent parfois, par inflation hydrosodée, une insuffisance cardiaque préexistante. Cette décompensation est réversible par le traitement ad hoc. PROactive va plutôt dans ce sens puisque la mortalité par insuffisance cardiaque n’est pas majorée. Il n’en reste pas moins que PROactive confirme la contre-indication règlementaire des glitazones en cas d’insuffisance cardiaque et donne des chiffres pour bien cerner, au cas par cas, le rapport bénéfice/risque de la pioglitazone.
Au total
PROactive est une étude d’un extrême intérêt :
- elle suggère fortement, sans le prouver totalement, un bénéfice cardiovasculaire de la pioglitazone ;
- elle confirme les effets déjà connus des glitazones, qu’il s’agisse des nombreux effets métaboliques favorables ou des effets indésirables ;
- elle donne des arguments importants pour un traitement hypoglycémiant intensifié des diabétiques de type 2, à savoir une bithérapie ou une trithérapie orale précoces, l’insuline si besoin, avec une place privilégiée pour la pioglitazone, tout du moins dans le cadre des traitements oraux combinés.
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