Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 07 nov 2006Lecture 8 min
Quand envisager une resynchronisation ? La sélection des candidats à l'implantation
S. CAZEAU, P. RITTER, C. ALONSO, A. LAZARUS et G. JAUVERT pour InParys
La stimulation multisite fait désormais partie des moyens thérapeutiques reconnus de l’insuffisance cardiaque (IC). Les recommandations de la Société européenne de cardiologie considèrent ce traitement en classe I chez les patients ayant une fraction d’éjection (FE) abaissée et une désynchronisation ventriculaire marquée par un QRS élargi au-delà de 120 ms et qui restent symptomatiques en classe III ou IV de la classification NYHA malgré un traitement médical optimisé. Le niveau de preuve est maximal (A) concernant l’amélioration de la symptomatologie fonctionnelle et la réduction des hospitalisations pour IC. Il est un peu plus faible, en classe B, concernant la mortalité car il ne repose que sur une seule étude contrôlée, bien que de taille.
Le concept de resynchronisation a été identifié dès l’origine de cette thérapeutique en 1994. La réduction de la largeur du QRS ayant été repérée au cours des premières études pilotes, sa largeur initiale avant l’intervention s’est imposée petit à petit comme étant le marqueur le plus simple à utiliser au cours des nombreux essais multicentriques qui ont servi ensuite à valider le concept. C’est la raison pour laquelle les recommandations s’y réfèrent.
Aujourd’hui, la stimulation multisite est un traitement curatif, chez des patients symptomatiques, et n’a pas encore de place dans la prévention de la dégradation de la fonction ventriculaire gauche chez les patients qui ne se plaignent de rien, même en présence d’une désynchronisation.
Avant de considérer un patient comme candidat, il faut donc s’assurer que sa symptomatologie n’est pas liée à un traitement traditionnel insuffisant. À l’inverse, il ne faudra pas méconnaître des patients pauci-symptomatiques qui ont réadapté leur activité physique à leurs possibilités ; la pratique d’un test objectif tel qu’une évaluation cardiorespiratoire avec mesure du pic de VO2 permettra le plus souvent d’identifier les patients qui ont besoin de quelque chose de plus que le traitement médical traditionnel.
La stimulation multisite corrige des troubles de propagation de l’activité électrique intracardiaque entre, d’une part, les oreillettes et les ventricules et, d’autre part, à l’intérieur des ventricules. Malheureusement, il existe actuellement une focalisation excessive sur les seuls troubles de conduction intraventriculaire, raison pour laquelle l’essentiel des publications – qui font la base des recommandations – se concentrent uniquement sur la durée du QRS.
En pratique clinique, nous distinguerons deux situations fréquentes.
Patients avec QRS large
Malheureusement, justement parce que le QRS est large, les stimulistes ne recherchent pas d’autres marqueurs de la désynchronisation. Toutes les études de validation (MUSTIC, MIRACLE, PATH-CHF, CONTAK, COMPAGNON, CARE-HF) ont en commun d’avoir utilisé ce marqueur. On assiste cependant, au fil des années, à un glissement progressif de la valeur initiale à 150 ms retenue dans l’étude princeps (MUSTIC [MUltisite STimulation In Cardiomyopathies]) à 120 ms pour CARE-HF (CArdiac REsynchronisation in Heart Failure), qui est à ce jour le principal essai de morbi-mortalité dans le domaine.
Malheureusement, quelles que soient les études, 30 à 35 % des patients restent « non répondeurs », et certains sont même aggravés par la stimulation multisite biventriculaire. S’agirait-il de patients chez qui le QRS ne reflète pas l’existence d’un asynchronisme ?
Nous savons déjà depuis quelques années que plusieurs travaux montrent bien l’absence de parallélisme strict entre la largeur des QRS et l’existence d’une désynchronisation intraventriculaire potentiellement accessible à un système de resynchronisation. L’équipe bordelaise a largement démontré que, même chez les patients à QRS large (160 ms), il pouvait exister un nombre significatif de cas où l’asynchronisme entre le septum et la paroi latérale pouvait être absent. La corrélation globale entre cet asynchronisme mécanique et la largeur des QRS était très modérée (r = 0,49 ; p = 0,03).
Cette évidence a poussé à développer des méthodes alternatives à l’électrocardiogramme, basées sur une identification directe des anomalies mécaniques à corriger.
Une modélisation échographique de la désynchronisation a déjà été présentée dans ces colonnes. Elle repose sur une identification de la désynchronisation séparée en trois niveaux, auriculo-ventriculaire, interventriculaire et intraventriculaire.
La désynchronisation auriculo-ventriculaire est marquée par la réduction de temps de remplissage ventriculaire gauche, par fusion de l’onde E et de l’onde A, dont la valeur doit être rapportée à celle du cycle cardiaque. Une valeur < 40 % est généralement considérée comme une anomalie susceptible d’être corrigée par le stimulateur (figure 1).
Figure 1. Désynchronisation AV marquée avec une diminution du temps de remplissage VG rapportée à la fréquence cardiaque.
À l’étage interventriculaire, la désynchronisation est facilement déterminée par comparaison du délai prééjectionnel gauche (mesuré entre le début du QRS et le début de l’éjection aortique – valeur normale < 120 ms) et du délai prééjectionnel droit (du début du QRS au début de l’éjection pulmonaire – valeur normale < 100 ms). Une différence supérieure à 40 ms est généralement considérée comme étant synonyme de désynchronisation interventriculaire (figure 2).
Figure 2. Allongement du délai prééjectionnel gauche > 140 ms, avec désynchronisation interventriculaire > 40 ms.
À l’étage intraventriculaire, deux concepts s’affrontent alors que le débat n’a pas d’objet.
La majorité des publications fait référence à un délai de contraction entre différents segments du ventricule gauche avec des analyses plus ou moins complexes suivant les auteurs : de 2 à 12 segments peuvent être étudiés… Différentes méthodes sont proposées allant de la mesure directe en mode TM aux techniques les plus sophistiquées incluant le Doppler tissulaire. Il s’agit de la désynchronisation spatiale.
Si ce concept de délai entre les parois est facile à comprendre, en aucun cas, il ne permet d’identifier les patients qui présentent un retard homogène de conduction dans l’ensemble du myocarde ventriculaire.
Dans cette situation, le trouble de propagation aboutit à l’absence de différences de délai entre les différents segments, bien que ceux-ci se contractent à un moment totalement inapproprié, souvent après la fermeture de la valve aortique, voire pendant le remplissage du cycle cardiaque suivant. Ces anomalies définissent le concept de désynchronisation intraventriculaire temporelle (figure 3).
Figure 3. Désynchronisation temporelle. Existence d’une contraction diastolique de la paroi latérale après la fermeture de la valve aortique et ouverture de la valve mitrale (overlap).
Quand on intègre ce concept en place du précédent, on comprend aisément qu’une désynchronisation spatiale sera le simple résultat d’une désynchronisation temporelle hétérogène. De même, cette désynchronisation temporelle, qui aboutit à des contractions extrêmement tardives, influera sur la relaxation isovolumétrique et le remplissage du cycle cardiaque suivant, et influera donc sur la synchronisation auriculo-ventriculaire du cycle cardiaque suivant. Enfin, on s’aperçoit souvent que l’hétérogénéité de la désynchronisation intraventriculaire temporelle favorise la désynchronisation interventriculaire.
En identifiant les candidats à une resynchronisation non pas sur des critères électriques, mais en ne retenant que les patients présentant une désynchronisation mécanique repérée à l’écho incluant la désynchronisation intraventriculaire temporelle, le taux de réponses après implantation passe de 65 à 85 %. Une échocardiographie préopératoire est donc utile même en cas de QRS large …
Le cas le plus difficile est représenté par les patients à QRS « fins »
Le travail pilote d’une équipe Italienne (Achili) a illustré ce que tout le monde peut constater au quotidien, c’est-à-dire que certains patients peuvent s’améliorer. Ainsi, 52 patients en IC, candidats potentiels à l’implantation en raison d’une désynchronisation inter- et intraventriculaire, ont été appareillés et classés en deux groupes suivant la durée de leur QRS. Le groupe 1 (n = 38) avait un QRS > 120 ms. Le groupe 2 (n = 14) avait un QRS < 120 ms. Le groupe à QRS « large » a vu ses complexes s’affiner après implantation, ce qui est un critère habituel de certitude que la thérapie a été délivrée. Le groupe 2 a vu son QRS s’allonger, quoique de manière non significative, ce qui laisse à penser qu’il n’avait pas été resynchronisé correctement. Néanmoins, au cours du suivi, les deux groupes se sont améliorés de manière similaire et significative sans que la largeur des QRS puisse être considérée comme un facteur prédictif de succès.
De même, en revenant au travail de Garrigue sur les relations entre désynchronisation intraventriculaire (spatiale) et largeur du QRS, et en se focalisant cette fois sur les patients dont le QRS était compris entre 80 et 120 ms, on s’aperçoit qu’environ la moitié d’entre eux présente des asynchronismes intraventriculaires « spatiaux » significatifs.
Qu’en est-il des recommandations ?
Sur la base des résultats des études COMPANION (Comparison of Medical Therapy, Pacing, and Defibrillation in Chronic Heart Failure) et CARE-HF, les candidats doivent avoir un QRS ≥ 120 ms. Pourquoi donc se poser des questions ? Néanmoins un peu de curiosité pousse à regarder la largeur effective des QRS des patients réellement inclus dans ces deux études. On s’aperçoit alors que ces deux travaux n’ont en fait réuni que des patients dont la largeur moyenne est de 160 ms.
Malgré les recommandations « officielles » nord-américaines et européennes, il n’y a donc aucune justification médicale aujourd’hui pour implanter un patient avec un QRS < 150 ms en se basant sur ce seul critère.
Pour répondre à ce problème une étude prospective mécanistique de validation a été entreprise, l’étude DESIRE. Celle-ci a réuni des patients en IC classe III ou IV sous traitement médical optimisé, à la seule condition que leurs QRS soient < 150 ms. Tous les patients de cette étude ont été implantés, quel que soit le résultat de l’échocardiographie initiale. Celle-ci n’a servi qu’à les classer en deux groupes, désynchronisés ou non désynchronisés selon les critères échographiques détaillés plus haut. Pour être désynchronisé, il fallait présenter au moins un seul critère anormal. Ces critères simples sont accessibles à n’importe quel opérateur, même non entraîné, sur n’importe quelle machine d’échographie, même « basique ».
Retenir ces critères simples :
• un temps de remplissage < 40 % du cycle cardiaque,
• et/ou un délai interventriculaire > 40 ms,
• et/ou un délai prééjectionnel gauche > 140 ms,
• et/ou un conflit de 50 ms entre la fin de la contraction de la paroi latérale et le début du remplissage du cycle cardiaque suivant.
Au total, 60 patients ont été réunis, avec un QRS moyen de 120 ± 19 ms ; 70 % des patients considérés comme désynchronisés ont tiré un bénéfice clinique de l’implantation contre seulement 30 % des patients non désynchronisés (p < 0,004). La largeur du QRS pré- ou postopératoire n’a pas permis d’identifier les patients répondeurs.
L’échographie simple, permet donc d’identifier plus précisément que l’électrocardiogramme les patients candidats à une resynchronisation même en cas de QRS « fin ». Néanmoins, malgré les progrès récents dans l’identification des candidats un certain taux de non-réponse persiste. Chez ces patients correctement identifiés, souvent l’évaluation mécanique postopératoire montre une resynchronisation imparfaite. Ils pourraient à l’avenir probablement bénéficier d’une implantation assistée par échocardiographie afin d’optimiser le placement des électrodes pour une meilleure thérapie de resynchronisation.
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