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Valvulopathies

Publié le 05 avr 2005Lecture 9 min

Quand opérer une insuffisance aortique chronique asymptomatique ?

C. TRIBOUILLOY, T. GOISSEN et F. LEVY, CHU Amiens Sud

L’insuffisance aortique (IA) représente 13 % des valvulopathies sur valve native. Les atteintes dystrophiques sont actuellement les plus fréquentes dans les pays industrialisés. Les risques évolutifs sont liés au retentissement ventriculaire gauche (VG) de la régurgitation, source de dysfonction VG et de décès à long terme, et à l’existence d’une pathologie pariétale aortique, source de dissection et de rupture.

En présence d’une IA sévère symptomatique, l’indication opératoire est habituellement à retenir car l’apparition des symptômes signe en général la présence d’une dysfonction VG, l’intervention permettant une amélioration fonctionnelle et un gain en termes de survie. Par conséquent, si l’interrogatoire laisse planer le moindre doute chez un patient « dit » asymptomatique, on réalise une épreuve d’effort avec, si possible, mesure des échanges gazeux respiratoires afin de détecter les « faux asymptomatiques », qui sont a priori à opérer si l’IA est sévère. Les indications chirurgicales chez les « vrais asymptomatiques » reposent sur l’analyse de différents critères : l’âge, les pathologies associées, les diamètres et volumes télédiastolique et télésystolique, la fraction d’éjection (FE) de repos et le diamètre de l’aorte ascendante. Ces facteurs sont prédictifs de la survie spontanée et/ou postopératoire. Les résultats des séries chirurgicales récentes d’IA opérées sont excellents, probablement en rapport avec des interventions plus précoces chez des patients moins symptomatiques atteints d’une cardiopathie moins évoluée.   Histoire naturelle   IA chronique asymptomatique sans dysfonction VG Les patients peuvent rester asymptomatiques pendant de longues périodes, sans dégradation de la fonction systolique. L’apparition des symptômes ou d’une dysfonction VG est un facteur prédictif d’évolution défavorable. L’analyse des séries récentes montre que la fréquence d’apparition de symptômes et/ou d’une dysfonction systolique VG est de moins de 6 % par an. Cependant, plus du quart des décès ou des dysfonctions VG ne sont pas précédés de symptômes et le risque de mort subite semble exister surtout en présence d’une grande dilatation VG. Si l’évaluation de la symptomatologie fonctionnelle est essentielle pour discuter la chirurgie en présence d’une IA sévère (figure 1), elle n’est pas suffisante : l’évaluation quantitative du retentissement VG est aussi indispensable. Figure 1. Courbe de survie sous traitement médical d’une série d’insuffisances aortiques chroniques selon la classe fonctionnelle de la NYHA à l’inclusion. La survie des patients en classe I est significativement meilleure que celle des patients en classe II ou en classe III-IV (Dujardin et al. Circulation 1999 ; 99 : 1851-7). Chez ces patients asymptomatiques sans dysfonction VG, l’âge et le diamètre télésystolique (DTS) sont les facteurs prédictifs de décès les plus puissants. Le risque de survenue d’un décès, de symptômes ou d’une dysfonction VG systolique est extrêmement faible pour des DTS VG < 40 mm et des DTD VG < 70 mm, alors qu’il est élevé quand ces diamètres excèdent respectivement 50 mm et 70 mm (tableau 1). Des données récentes suggèrent logiquement d’indexer (figure 2) les diamètres à la surface corporelle. Ainsi, le DTS VG indexé est un facteur pronostique plus puissant que le DTS VG non indexé. En l’absence de chirurgie, le taux de mortalité annuel est significativement plus élevé quand le DTS VG indexé dépasse 25 mm/m2 (7,8 %/an versus 1,6 %/an) (figure 3). Figure 2. Exemple de calcul du diamètre télésystolique indexé du ventricule gauche (DTD VG indexé), à partir d’une coupe TM du ventricule gauche obtenue par voie parasternale gauche grand axe en échocardiographie. Figure 3. Courbes actuarielles de survie d’une série d’insuffisances aortiques chroniques sous traitement médical selon la valeur à l’entrée de l’étude du diamètre télésystolique ventriculaire gauche indexé (Dujardin et al. Circulation 1999 ; 99 : 1851-7). IA chronique avec dysfonction systolique VG Les patients sont le plus souvent symptomatiques. Néanmoins, dans un travail récent, 28 % des patients dont la FE était < 35 % étaient en classe fonctionnelle I de la NYHA. En l’absence de chirurgie, ces patients deviennent rapidement symptomatiques (incidence de survenue des symptômes estimée à plus 25 % par an). Le taux annuel de mortalité est d’autant plus élevé quand la FE est diminuée (5,8 %/an quand FE < 55 % vs 2 %/an quand FE ≥ 55 %) et que cette diminution est ancienne. Ainsi, en l’absence de symptôme, une diminution de la FE de repos doit conduire à envisager la chirurgie. L’évaluation de la FE à l’effort ne semble pas apporter d’éléments supplémentaires.   IA avec dilatation anévrysmale de l’aorte ascendante Ces patients, comme les IA dystrophiques (figure 4), que l’on rencontre dans le syndrome de Marfan, la maladie annuloectasiante et les bicuspidies, sont exposés à un risque important de dissection aortique et donc de décès. Ce risque est d’autant plus important que l’aorte est plus dilatée. Ces dissections et ruptures aortiques surviennent le plus souvent lorsque le diamètre maximal aortique dépasse 60 mm, mais existent aussi pour des diamètres moindres compris entre 50 et 60 mm ou plus rarement < 50 mm. Figure 4. Exemple échocardiographique et schématisation d’une insuffisance aortique (IA) dystrophique avec dilatation anévrysmale de l’aorte ascendante dans le cadre d’une maladie de Marfan. OG = oreillette gauche ; VG = ventricule gauche ; AO = aorte. En présence d’un syndrome de Marfan ou d’une bicuspidie, les recommandations les plus récentes retiennent l’indication d’une chirurgie « prophylactique » de la dissection aortique quand le diamètre de l’aorte ascendante dépasse 50 mm. Dans la maladie annuloectasiante, pour laquelle on ne dispose que de peu de données, la valeur seuil de diamètre recommandée pour intervenir est de 50 ou 55 mm. Ici encore, il serait logique d’indexer systématiquement le diamètre aortique à la surface corporelle, particulièrement chez les femmes qui ont un risque de dissection supérieur à celui des hommes pour un diamètre aortique comparable. Nous manquons actuellement de données pour proposer une valeur seuil indexée à la surface corporelle conduisant à envisager la chirurgie. Le risque de complications pariétales aortiques est aussi plus élevé lorsque le diamètre aortique augmente rapidement au cours du suivi ou en présence d’une histoire familiale de dissection aortique. Ainsi, la dilatation de l’aorte ascendante et sa vitesse de progression peuvent conduire à opérer un patient asymptomatique quels que soient la sévérité de l’IA et le degré de retentissement VG. Pendant la grossesse, la tolérance hémodynamique de l’IA est habituellement bonne. Les femmes atteintes d’ un syndrome de Marfan sont exposées à un risque de dissection dès que le diamètre de la racine aortique dépasse 40 mm. La grossesse est alors déconseillée. Une surveillance étroite clinique et échographique est impérative lors d’une grossesse quand le diamètre aortique est < à 40 mm, associée au traitement bêtabloquant.   Résultats de la chirurgie Le traitement chirurgical consiste le plus souvent en un remplacement valvulaire.   En l’absence de dilatation de l’aorte ascendante Le remplacement valvulaire n’est envisagé que si l’IA est sévère. Les patients avec IA modérée ne sont pas candidats à la chirurgie. La mortalité opératoire du remplacement valvulaire aortique est proche de 3 % dans les séries récentes. Chez les patients asymptomatiques, ce risque est plus faible (< 1,5 %) et la survie à 5 ans excellente, comprise entre 83 et 90 % dans les publications récentes. Attendre l’installation d’une symptomatologie sévère (dyspnée classe III-IV NYHA) est risqué : la survie postopératoire à 10 ans des patients classe I-II en préopératoire est de 78 % et de 45 % pour les classes préopératoires III-IV.   En présence d’une dilatation anévrysmale de l’aorte ascendante Un remplacement combiné de la valve aortique et de l’aorte ascendante avec réimplantation des coronaires peut être indiqué quelle que soit la sévérité de l’IA. Cette chirurgie « prophylactique » de la dissection a permis une amélioration considérable du pronostic de ces patients. Dans le syndrome de Marfan, l’espérance de vie estimée à 45 ans en 1972 atteindrait aujourd’hui 72 ans. La mortalité opératoire dans les séries récentes est faible (< 2 %) et la survie à distance excellente, alors que la mortalité opératoire est très lourde, multipliée par 8 ou 10, au stade aigu d’une complication pariétale aortique. En présence d’une dilatation anévrysmale de l’aorte avec IA modérée et des valves aortiques paraissant normales en échographie, on peut proposer un remplacement de l’aorte ascendante avec réimplantation des coronaires et conservation de la valve aortique native. Ces interventions sont séduisantes car elles évitent la mise en place et les complications d’une prothèse valvulaire. Elles s’adressent cependant à des chirurgiens experts dans ce domaine. Les résultats à moyen terme publiés sont bons.   Indications opératoires Les indications opératoires (tableau 2) sont basées sur les dimensions VG et la FE, et la taille de l’aorte ascendante. L’âge et les comorbidités sont évidemment essentiels à considérer car ils conditionnent le risque opératoire. On n’hésitera pas à répéter un examen, en particulier l’échocardiographie ou la mesure de la FE isotopique, pour s’assurer de la validité du résultat, que l’on confronte systématiquement aux données cliniques et aux autres examens paracliniques, avant de retenir une indication chirurgicale. Deux situations peuvent être schématiquement distinguées.   IA chronique sévère sans dilatation de l’aorte ascendante La chirurgie est recommandée : • dès l’apparition de symptômes, même modérés ou transitoires (dyspnée, angor) ; • en présence d’une dilatation VG franche avec un DTS VG > 25 mm/m2 (ou 50 mm non indexé). Certains auteurs conseillent d’intervenir aussi quand le DTD VG est > 70 mm, mais les données de la littérature sont moins nombreuses pour retenir formellement cette valeur seuil non indexée ; • quand la FE VG de repos est < 55 %. Une arythmie ventriculaire complexe, surtout si elle s’aggrave à l’effort, est aussi un élément qui incite à proposer la chirurgie. Peu de données sont néanmoins disponibles sur la relation entre la mort subite et l’hyperexcitabilité ventriculaire dans l’IA.   IA avec dilatation anévrysmale de l’aorte ascendante On recommande une intervention rapide en présence d’un syndrome de Marfan, d’une bicuspidie ou d’une maladie annuloectasiante, indépendamment de la symptomatologie fonctionnelle, de la sévérité de l’IA et de la fonction VG : • dès que le diamètre de l’aorte ascendante dépasse 50 mm, en attendant de disposer de valeurs indexées ; • quand le diamètre de l’aorte ascendante se majore rapidement au cours du suivi (par exemple de plus de 5 mm en moins d’un an). Des antécédents familiaux de dissection aortique, une petite surface corporelle et un désir de grossesse incitent à opérer plus précocement les patients jeunes si le risque opératoire est faible et si une chirurgie « conservatrice » est possible.   Place du traitement médical   Traitement vasodilatateur Peu de données sont disponibles. Les plus encourageantes concernent les IEC et la nifédipine. En pratique, les vasodilatateurs (IEC ou dihydropyridine) ne sont pas recommandés en présence d’une IA modérée sans dysfonction VG ou sans HTA associée et ne doivent pas aujourd’hui modifier ou retarder les indications chirurgicales admises des IA sévères. Ils trouvent leur place pour retarder la chirurgie chez les patients asymptomatiques porteurs d’une IA sévère dont le DTS VG est < 25 mm/m2 et la FE VG > 55 %, et après remplacement valvulaire quand une dysfonction VG persiste.   Traitement bêtabloquant Il mérite d’être systématiquement utilisé quand l’IA n’est pas sévère pour prévenir la dissection aortique dans le syndrome de Marfan, mais certainement aussi dans les bicuspidies et la maladie annuloectasiante. Les bêtabloquants ralentissent la progression du diamètre de la racine aortique et réduisent la survenue d’événements cardio-vasculaires (dissection, chirurgie, etc.). Ils sont aussi recommandés après la chirurgie pour prévenir les éventuelles récidives de dissection.   Conclusion   Il convient toujours de s’assurer du caractère asymptomatique du patient. Si l’interrogatoire laisse planer le moindre doute, il ne faut pas hésiter à réaliser une épreuve d’effort avec, si nécessaire, mesure des échanges gazeux respiratoires pour détecter les faux asymptomatiques. Chez un patient asymptomatique, les indications opératoires dépendent du retentissement ventriculaire gauche de la régurgitation aortique et du degré de dilatation de l’aorte ascendante. Le risque opératoire, conditionné par l’âge et les facteurs de comorbidité, est, bien sûr, essentiel à considérer. Un diamètre télésystolique ventriculaire gauche > 25 mm/m2 et une fraction d’éjection ventriculaire gauche au repos < 55 % conduisent à recommander la chirurgie. La chirurgie est aussi recommandée en présence d’un syndrome de Marfan, d’une bicuspidie, ou d’une maladie annuloectasiante dès que le diamètre de l’aorte ascendante dépasse 50 ou 55 mm, quelle que soit la sévérité de la régurgitation aortique.

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