Études
Publié le 29 juin 2009Lecture 11 min
Que penser des dernières données des études sur les antiagrégants plaquettaires ?
P. SABOURET, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière
Les anti-agrégants plaquettaires sont devenus incontournables dans la prise en charge des manifestations athérothrombotiques (syndromes coronariens aigus (SCA), accidents ischémiques cérébraux (AIC), artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI)), aussi bien à la phase aiguë qu’au long cours. En effet, l’aspirine (étude ISIS-2) et le clopidogrel (étude COMMIT) font partie des rares classes thérapeutiques disponibles à avoir démontré une réduction de la mortalité totale chez les patients ayant présenté un événement athérothrombotique majeur.
Les traitements anti-agrégants plaquettaires actuellement disponibles agissent soit par inhibition de production de la thromboxane AII, soit par inhibition des récepteurs P2Y12 de l’ADP (Adénosine Diphosphate), soit par inhibition des récepteurs GP IIb-IIIa. D’autres molécules, modulant l’activité plaquettaire via d’autres récepteurs, sont en cours de développement.
Les grandes études
Les bénéfices démontrés par le clopidogrel dans de nombreuses études randomisées (CURE, CURE-PCI, CREDO, CAPRIE, COMMIT, CLARITY) ont permis de préciser les bénéfices d’un traitement par thiénopyridines, nécessitant une actualisation récente des recommandations européennes et nord-américaines. Cette réussite a incité à développer de nouvelles thiénopyridines. Le prasugrel est donc apparu et a été récemment évalué versus clopidogrel dans le champ spécifique des SCA revascularisés par angioplastie percutanée, le plus souvent avec implantation de stent(s).
Comme le clopidogrel, le prasugrel est une pro-drogue, qui produit un métabolite actif, qui inhibe de façon irréversible les récepteurs P2Y12, mécanisme d’action commun à la classe des thiénopyridines. Il est rapidement absorbé (Tmax entre 30 et 60 minutes) et produit une inhibition rapide et prolongée (jusqu’à 72 h) de l’activité plaquettaire. Il est ensuite hydrolysé, méthylé et conjugué, pour être éliminé principalement dans les urines (70 %) et dans les selles (25 %).
TRITON
Afin de mieux établir le rapport bénéfice-risque (bénéfice : réduction des événements ischémiques, risque : surcroît d’hémorragies majeures) de cette nouvelle thiénopyridine, l’étude TRITON-TIMI 38 (Trial to Assess Improvement in Therapeutic Outcomes by Optimizing Platelet Inhibition with prasugrel Thrombolysis In Myocardial Infarction 38) a été réalisée. Les patients présentant un SCA et devant être revascularisés par stent coronaire ont été randomisés entre le prasugrel et le clopidogrel, traitement de référence, en association avec de l’aspirine, pour un suivi de 6 à 15 mois post-procédure de revascularisation.
Une vision complète de la méthodologie et des résultats publiés ou présentés permettent de mieux appréhender actuellement cette étude pour une application éventuelle en pratique clinique.
Plusieurs points méritent d’être analysés minutieusement :
- Les résultats sur le critère primaire ;
- Le choix de la dose de charge ;
- Le temps d’administration de la dose de charge ;
- Les tests d’agrégabilité plaquettaire ;
- La stratégie thérapeutique (6/1 versus 4/1 pour clopidogrel) et les bénéfices uniquement à J30 ;
- La définition et calcul du critère primaire ;
- La définition de l’infarctus du myocarde ;
- Le risque hémorragique ;
- La problématique des thromboses de stent ;
- La dose d’entretien du prasugrel ;
- L’application clinique pratique des résultats et les questions non résolues ;
- Perspectives.
Optimiser la dose de charge du clopidogrel
Plusieurs travaux, notamment français, des équipes marseillaises, strasbourgeoises, lilloises et parisiennes ont objectivé une réponse biologique incomplète au clopidogrel, qui peut être corrigée par un monitoring de l’activité plaquettaire, le plus souvent avec le VASP, avec emploi d’une ou plusieurs dose(s) de charge de 300 mg puis le maintien à une posologie de 150 mg par jour. La variabilité de la réponse après une dose de charge de clopidogrel a été rapportée depuis quelques années (Serebruany, J Am Coll Cardiol 2005, O’Donoghue, Circulation 2006) sur différents tests biologiques (LTA : light transmission agregometry, VASP, Verify Now). Trois études princeps vont en ce sens (SCRIPPS clinic, RECLOSE et EXCELSIOR). Pour répondre à cet écueil, la dose de charge optimale du clopidogrel a été déterminée à 600 mg, notamment grâce aux travaux de G. Montalescot et J.-Ph. Collet, confirmés par d’autres études (études ALBION, ISAR-CHOICE), complétées éventuellement par des travaux sur d’autres doses de charges avec maintien d’une posologie de 150 mg au long cours, monitoré par les tests avec un rapport risque/bénéfice favorable.
Dans l’étude JUMBO-TIMI 26, aucun bénéfice clinique n’a été démontré avec le prasugrel par rapport au clopidogrel, ni en termes de réduction des événements ischémiques, ni sur le profil de tolérance. L’étude TRITON TIMI-38 est, quant à elle, une étude randomisée qui compare le prasugrel à la dose de charge de 60 mg puis à une dose d’entretien de 10 mg par jour au clopidogrel à la dose de charge de 300 mg suivi d’une dose d’entretien habituelle de 75 mg par jour dans les syndromes coronariens aigus (angor instable ou infarctus du myocarde (IDM) avec sus-décalage du segment ST).
La méthodologie de l’étude TRITON
Le choix des doses
Les études de titration du prasugrel n’ont pas été publiées, mais les données des études comparatives entre les posologies de thiénopyridines et l’inhibition de l’activité plaquettaire (IPA : Inhibition of Platelet Activity) objective que la dose de charge (loading dose) de 60 mg utilisée pour le prasugrel équivaut à une dose de charge de 1 000 mg pour le clopidogrel, et que la dose d’entretien de 10 mg de prasugrel correspond à une posologie de 175 mg de clopidogrel. La comparaison de l’efficacité des thiénopyridines dans ce schéma est difficile compte tenu de l’absence de bioéquivalence des posologies choisies, avec un rapport de doses (6/1 pour le prasugrel versus 4/1 pour le clopidogrel), favorable pour le prasugrel, notamment lors des premières heures post-SCA, alors que l’étude JUMBO plaidait pour l’utilisation d’une dose de charge de 40 mg de prasugrel versus la dose de 300 mg de clopidogrel.
Le temps d’administration
L’étude TRITON démontre que clopidogrel et prasugrel font jeu égal en termes de prévention des événements cardiovasculaires majeurs, lorsque la dose de charge du clopidogrel est administrée avant la procédure de revascularisation ainsi que le préconisent les dernières recommandations européennes et nord-américaines, et même pendant la procédure d’angioplastie coronaire.
Le bénéfice cardiovasculaire du prasugrel s’exprime, lui, chez les patients ayant reçu la dose de charge après la revascularisation percutanée (56 % des patients), ce qui est favorable pour le prasugrel, en raison de l’inhibition plaquettaire plus précoce qu’il induit, d’autant que l’utilisation des antiGP IIb-IIIa n’était réalisée que chez 45 % des patients, ce qui pourrait expliquer en partie la réduction du risque relatif de 16 % des infarctus du myocarde à J1. Le protocole aurait pu s’inspirer de celui de l’étude ABOARD, présentée à l’ACC par G.Montalescot, et dans lequel tous les patients recevaient une perfusion d’antiGPIIb-IIIa afin de diminuer les événements thrombotiques précoces liés au délai d’action du clopidogrel, qui doit idéalement être administré avant la procédure, apportant des bénéfices CV démontrés depuis l’étude CREDO.
Les critères cliniques
On constate que la mortalité cardiovasculaire et la mortalité totale sont superposables entre les groupes randomisées.
Les bénéfices du prasugrel s’observent sur les infarctus du myocarde non mortels, dont la définition a incité certains experts à demander une nouvelle analyse : celle de l’équipe TIMI 38 a confirmé la réduction des infarctus du myocarde sous prasugrel. Le critère primaire combiné (délai de survenue d’un événement cardiovasculaire majeur, d’un infarctus du myocarde, d’un AVC) ne tient compte que des événements ischémiques, avec une réduction uniquement sur le critère IDM, mais n’intègre pas les hémorragies mortelles ni celles engageant le pronostic vital, significativement plus fréquentes dans le groupe prasugrel (21 versus 5 et 85 vs 56 respectivement), alors que les critères d’inclusion et d’exclusion minoraient le risque hémorragique de la population incluse par rapport au profil des populations de coronariens décrit dans de nombreux registres internationaux. Une étude comparant deux antiagrégants devrait évaluer la balance bénéfice-risque (réduction des événements ischémiques/risques hémorragiques), avec selon l’analyse statistique de Victor Serebruany, une réduction du risque du critère combiné risque hémorragique-risque ischémique qui ne serait plus significatif entre le prasugrel et le clopidogrel, conforté par des mortalités superposables.
Les thromboses de stent
Elles n’étaient pas mentionnées dans la publication du design de l’étude ni dans le « TRITON Clinical Research Form ». Leur prévalence dans les études précédentes étant estimée à 2 % par an. L’incidence des thromboses de stent dans TRITON TIMI 38 est plus élevée dans le groupe clopidogrel, probablement en raison de la dose administrée (300 mg au lieu des 600 mg souvent utilisées) et du délai d’administration.
Les résultats de l’étude HORIZONS AMI communiqués lors de l’ACC 2009 montre l’importance de la dose de charge de clopidogrel sur l’incidence des thromboses de stent : 1,6 % seulement sous 600 mg versus 3,4 % sous 300 mg (p = 0,03).
Le bénéfice estimé sur les thromboses de stents par l’emploi du prasugrel est en outre contrebalancé par un surcroît d’hémorragies graves, alors même que le score TIMI tend à exclure un certain nombre d’événements hémorragiques sévère par rapport à d’autres scores, et donc à être favorable au prasugrel. Victor Serebruany note donc que si la mortalité par thrombose de stent est en faveur du prasugrel, ce qui concerne 2 % des patients, les deux anti-agrégants plaquettaires font jeu égal pour tous les autres patients.
Les diabétiques
On peut noter que leur population dans TRITON est relativement jeune, avec une faible prévalence d’une atteinte rénale (clairance de créatinine < 60 ml/min et/ou présence d’une microalbuminurie), contrastant avec les données des registres de patients diabétiques coronariens. La forte prévalence de l’obésité était un facteur ajouté de minoration du risque hémorragique, ce qui rend indispensable la mise en place de registres pour évaluer le véritable rapport risque-bénéfice de cette stratégie dans la « vie réelle ».
Il est d’ailleurs à souligner qu’aucun bénéfice n’a été démontré pour la population non diabétique sous prasugrel.
L’échelle hémorragique TIMI sous estime un certain nombre d’événements hémorragiques, ce qui peut poser un problème sur le risque hémorragique et l’observance des patients dans la pratique clinique.
Le risque d’hémorragies graves est cumulatif avec le prasugrel et se maintient sur le long cours, contrairement aux données de CURE, où le risque d’hémorragies majeures avec la bithérapie aspirine-clopidogrel survenait principalement les premières semaines. La balance bénéfice/risque est d’ailleurs défavorable pour le prasugrel au-delà de J30.
Le surcroît significatif d’hémorragies graves observées dans TRITON sous prasugrel contre-indique son emploi chez les patients dont le poids est inférieur à 50 kilos et les patients âgés de plus 75 ans, populations souvent rencontrées en USIC ou la population est plus âgée, avec un pourcentage conséquent de femmes de faible poids, et une prévalence beaucoup plus fréquente de comorbidités (atteinte polyartérielle, insuffisance rénale), ce qui rend l’emploi potentiel du prasugrel relativement délicat.
Le prasugrel est également contre-indiqué chez les patients aux antécédents cérébrovasculaires, compte tenu de la majoration de 30 % d’événements « défavorables » observés sous prasugrel. Sachant que les registres (GRACE, REACH, ALLIANCE, PATHOS, etc.) montrent que l’atteinte polyartérielle est fréquente et conditionne le pronostic, et que les patients coronariens, au décours d’un SCA, ont un risque d’accident cérébrovasculaire de 0,7 % à J30 et de 1,5 % à 10 mois de suivi, se poserait le dilemme de l’attitude thérapeutique la plus adaptée chez les patients sous prasugrel. Enfin, le prasugrel n’a pas encore d’expertise pour les patients présentant une AOMI, pour tous les patients non revascularisés.
Le clopidogrel semble l’actuel chef de file des antiagrégants plaquettaires, compte tenu de l’éventail de preuves cliniques apportées par les grandes études randomisées (CURE, CURE-PCI, CAPRIE, CREDO, COMMIT, CLARITY). L’étude CURRENT-OASIS 7 permettra d’évaluer les bénéfices du clopidogrel à 150 mg de J2 à J7 puis à 75 mg de J8 à J30 au décours d’un SCA.
Pharmacogénétique et anti-agrégants plaquettaires
Trois études récentes de pharmacogénétique sur les événements cliniques chez des patients traités par clopidogrel pour un syndrome coronarien aigu ont été publiées en décembre 2008 et rapportées par la presse « grand public ». Ces trois études portent sur des populations différentes de patients coronariens (patients de moins de 45 ans victimes d’un infarctus myocardique, patients tout venant traités pour un infarctus, patients traités par angioplastie +/- stent coronaire dans le cadre d’une étude randomisée contrôlée) et aboutissent à des conclusions discordantes en étudiant le polymorphisme d’un gène codant pour le cytochrome P450, qui module le métabolisme du clopidogrel, qui est une pro-drogue : deux des études constatent une majoration du risque d’événements cardiovasculaires chez les porteurs d’un ou deux variants alléliques du gène codant le cytochrome P450, alors que la troisième étude n’objective une majoration du risque que chez les patients porteurs de deux variants, alors que les porteurs d’un seul variant allélique auraient un risque moindre que les patients sans variant du gène.
Cette différence entre les résultats est tout sauf anodine, puisque dans un cas les variants d’un ou deux allèles représentent 30 % des patients coronariens, alors que dans l’autre cas, la présence des deux variants n’est observée que chez 3 % des patients.
Ces résultats ne permettent donc pas de conclusion définitive. Des études sont en cours pour déterminer quel est le test anti-agrégant plaquettaire de référence et s’il peut compléter ou se substituer à l’approche pharmaco-génomique.
La stratégie thérapeutique optimale en cas de résistance est imparfaitement précisée (nouvelle dose de charge de clopidogrel, doublement de la dose avec maintien au long cours, remplacement par une autre thiénopyridine). La communication de J.-P. Collet à l’ACC 2009 sur sa cohorte de patients jeunes ayant présenté un infarctus du myocarde, complétée par la publication récente de l’équipe de G. Montalescot dans Circulation, représente une approche séduisante pour guider la stratégie thérapeutique du patient coronarien.
Perspective
Concernant les patients en prévention secondaire, il semble indispensable d’affiner les stratégies thérapeutiques sur la base des données récentes, en étant attentif aux profils des patients (atteinte polyartérielle, présence d’un diabète ou d’une insuffisance rénale).
Les études de résistance aux antiagrégants plaquettaires doivent nous permettre de définir quel sera le test de référence en pratique clinique pour parler de résistance, de confirmer ou infirmer les données récentes sur la pharmacogénomique, et de définir une stratégie optimale, permettant de réduire les événements CV ischémiques sans majorer les hémorragies graves.
On se dirige donc vers « un menu à la carte » qui devrait permettre d’améliorer le pronostic des patients athérothrombotiques.
Pour la prévention primaire, des études chez les patients à risque CV élevé utilisant des thiénopyridines sont nécessaires compte tenu des résultats contrastés, voire décevants obtenus avec l’aspirine.
Conflits d’intérêts : L’auteur de cet article, Pierre Sabouret déclare avoir reçu des honoraires au cours de ces 5 dernières années de différents laboratoires pharmaceutiques, parmi lesquels DAICHI- SANKYO, Sanofi-Aventis, BMS.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :