Publié le 27 juin 2006Lecture 12 min
Qu'est-ce qu'une pression artérielle normale ?
M. SAFAR, hôpital de l’Hôtel-Dieu, Paris
Quoi de plus simple que de mesurer la pression artérielle et d’en tirer des conséquences thérapeutiques ? En fait, cette véritable épreuve de « sémiologie médicale » repose (ou devrait reposer) sur une accumulation de connaissances physiologiques et physiopathologiques et sur des données épidémiologiques colligées au cours de très nombreuses études, dont nous rappelons ici la complexité.
Quelques définitions « arbitraires » en préambule
Une pression artérielle (PA) est dite « normale » lorsque la pression artérielle systolique (PAS) est < 140 mmHg et la pression artérielle diastolique (PAD) est < 90 mmHg. Cette définition est arbitraire mais universellement acceptée. De plus, considérée comme indépendante de l’âge. Chez les sujets jeunes, PAS et PAD sont toutes les deux élevées et ce, de manière parallèle (et/ou proportionnelle). Chez les sujets âgés (> 75 ans), l’hypertension artérielle (HTA) est presque constamment à prédominance systolique. Lorsque cette HTA systolique est isolée, la définition en est une PAS > 140 mmHg et une PAD < 90 mmHg. Ainsi, la PAD est basse tandis que la PAS et la pression pulsée (pression pulsée = PAS-PAD) sont élevées. En fait, très souvent, chez les patients âgés, l’HTA est de type systolo-diastolique, mais dans ces cas, presque constamment à très large prédominance systolique. Le diagnostic de cette dernière variété, c'est-à-dire une HTA systolo-diastolique à prédominance systolique, doit être acceptée avec prudence car la PAD est difficile à mesurer chez les sujets âgés et son niveau est presque toujours surestimé par les méthodes de mesure utilisées.
Ainsi, toute classification des patients faite en fonction du niveau de pression artérielle est, par définition, arbitraire.
Sur le plan épidémiologique, la distribution de la PA est gaussienne. Il n’existe qu’une seule population associant normotendus et hypertendus, et non pas deux populations séparées : les sujets normaux et les sujets pathologiques.
Pendant longtemps, le problème majeur de l’HTA a été de rechercher sa cause, rénale ou surrénale. Cette recherche étant négative dans plus de 90 % des cas, un plus grand nombre d’études ont dès lors porté sur l’efficacité des traitements antihypertenseurs. L’HTA est devenue un « facteur de risque cardiovasculaire », au même titre que le diabète, l’hypercholestérolémie, l’excès de poids et le tabagisme. L’HTA est même un des premiers, ou même le premier facteur de risque cardiovasculaire dont il faut tenir compte dans la prévention des complications cérébrales, rénales ou cardiaques des patients. Ce fait important domine l’approche physiopathologique de toute variété d’HTA.
Le but de cet article est, dans le cadre de la mesure de la PA, de décrire les aspects hémodynamiques de l’HTA, d’en établir certains mécanismes physiopathologiques principaux, et finalement d’en analyser les conséquences au plan clinique et thérapeutique.
Les leçons de la courbe de PA
Pression continue et pression pulsatile dans le système cardiovasculaire
Le système cardiovasculaire est constitué d'une pompe cardiaque et de conduits permettant d'apporter aux tissus les quantités d'oxygène nécessaires et cela, avec le meilleur rendement possible. La notion de « rendement optimal en oxygène » nécessite une perfusion continue (et non pas pulsatile) du sang à l'étage artériolo-capillaire.
Chez le sujet vivant, une perfusion continue est difficile à obtenir car la pompe cardiaque est par définition alternative. Un bon fonctionnement du système cardiovasculaire nécessite un mécanisme d'adaptation grâce auquel la perfusion cyclique provenant du cœur est transformée en une perfusion continue au niveau des organes. Ce mécanisme, appelé « effet Windkessel », est obtenu grâce aux propriétés viscoélastiques de l'aorte thoracique.
Lors de la systole cardiaque, une partie du sang, lors de l'éjection ventriculaire, se dirige directement vers les vaisseaux périphériques, réalisant ainsi une perfusion systolique. Une autre partie du sang éjecté (environ 50 %) est « stockée » durant la même période près de la paroi aortique, puis restituée durant la diastole, entraînant ainsi une perfusion diastolique des vaisseaux périphériques. L'association d’une perfusion systolique et diastolique réalise ainsi une perfusion continue.
Cet effet « Windkessel » est rendu possible grâce à l'élasticité de la paroi de l'aorte thoracique, dont le diamètre augmente de manière significative au moment de la systole et revient à sa valeur initiale durant la diastole. Ce phénomène physiologique est altéré chaque fois que la paroi de l'aorte thoracique devient rigide. Cette augmentation de rigidité est une caractéristique importante du vieillissement cardiovasculaire. Celui-ci est progressif et survient toujours de manière prédominante au niveau des artères centrales, c’est-à-dire avant tout au niveau de l'aorte thoracique et de ses principales branches.
Le point important de cet article est de décrire les relations physiopathologiques complexes observées entre le cœur et les vaisseaux qui permettent de régler le niveau de PA.
Les deux composantes de la courbe de PA
Du fait des conditions de transport en oxygène que l’on vient de décrire, la courbe de pression artérielle peut être divisée en deux composantes : l’une continue et l’autre pulsatile (figure).
Figure. Courbe de pression artérielle.
La composante continue. La composante continue suppose qu’un débit cardiaque Q, considéré ici comme constant, traverse le système vasculaire selon un gradient de pression représenté, à son entrée, par la pression aortique moyenne (PAM) et, à sa sortie, par la pression veineuse centrale (PVC). La PAM est la PA continue correspondant à un travail cardiaque donné, lui-même calculé à partir de la surface sous la courbe de PA. Le gradient de pression est égal à PAM- PVC (avec PVC voisin de zéro, ceci par rapport au niveau de PAM).
Dans ces conditions, on admet que le niveau de PAM est proportionnel à Q, le débit cardiaque, selon une équation PAM = R x Q où R est un coefficient du circuit vasculaire représentant la résistance à l’écoulement du flux, c'est-à-dire l’ensemble des forces de frottements secondaires à l’écoulement de ce flux continu. Poiseuille a montré que R dépend de plusieurs paramètres : la longueur du conduit vasculaire, la vélocité et la viscosité du sang, et surtout la puissance 4 du diamètre du conduit. Plus le diamètre est réduit, plus la résistance au flux est grande.
Dans l’HTA, le débit Q est voisin de la normale (environ 5 l/min), tandis que R est augmenté, montrant ainsi que les forces de frottements sont augmentées et siègent au niveau des vaisseaux de petit diamètre : les artérioles. C’est là la définition classique et universellement admise de l’HTA. Celle-ci s’applique uniquement au cas d’une perfusion continue des vaisseaux, ce qui est une très grande approximation. Les vaisseaux sont alors uniquement considérés comme les vaisseaux de faible diamètre, ceux qui siègent à l’extrémité du système artériel : les artérioles.
La composante pulsatile. La composante pulsatile de la pression artérielle est une donnée plus réaliste à considérer chez l’hypertendu, dans la mesure où elle tient compte du mouvement alternatif de la pompe cardiaque et de ses conséquences sur la pression pulsée (PP), représentée en pratique par la différence (PAS – PAD) au niveau de l’aorte thoracique. La PP est influencée par la vitesse de l’éjection ventriculaire au moment de la systole et surtout par l’élasticité de la paroi aortique. L’inverse de l’élasticité aortique est la rigidité, dont le caractère principal provient de la qualité du tissu artériel (indépendante de la PA) et de ses modifications avec l’âge.
Notons que, pour une PAM donnée, plus l’artère est rigide, plus la PAS est augmentée de manière disproportionnée par rapport à la PAD, et plus la PP est élevée.
Ces considérations indiquent qu’il existe en fait deux variétés d’HTA :
• l’une, chez les sujets les plus jeunes, où les PAS, PAD, PAM et PP sont augmentées de manière proportionnelle, en conséquence d’une réduction des diamètres artériolaires et de l’augmentation des résistances vasculaires ;
• l’autre chez les sujets plus âgés où, pour une même PAM que chez le sujet jeune, les PAS et PP sont proportionnellement plus élevés que la PAD.
La PAD peut même être abaissée (c’est l’HTA systolique isolée) en conséquence même de l’augmentation de la rigidité aortique.
Propagation de l’onde de pression, HTA et ondes de réflexion
Chez tout individu, l’éjection ventriculaire est responsable de la survenue d’une onde de choc au niveau de la paroi aortique. Cette onde se propage le long de l’arbre artériel à une vitesse donnée, appelée vitesse de l’onde de pouls (VOP). Cette vitesse est rapide, de l’ordre de 5 à 7 mètres par seconde. Mesurable de manière non invasive, la VOP est d’autant plus rapide que la paroi artérielle est plus rigide. Arrivée à la périphérie du système artériel, et notamment au niveau des bifurcations artériolaires, l’onde incidente de pression est réfléchie et revient, à la même VOP, vers le cœur. L’amplitude de l’onde réfléchie diffère de celle de l’onde incidente et varie selon la topographie exacte des sites de réflexions, eux-mêmes liés à la présence des discontinuités de la paroi artérielle (et surtout à la présence des bifurcations artériolaires). Ainsi, l’onde de pression enregistrée habituellement au niveau de l’aorte est la sommation de l’onde incidente et de l’onde réfléchie ainsi définies. Toutefois, cette sommation des deux ondes diffère remarquablement chez le sujet jeune et chez le sujet âgé.
Chez le sujet jeune, l’amplitude de l’onde de pression pulsée (PP) est plus petite au niveau des artères centrales qu’au niveau des artères périphériques (de l’ordre de 11 à 14 mmHg). En effet, chez un sujet jeune aux artères souples, la VOP est relativement basse, et l’onde réfléchie revient vers le cœur durant la diastole : il n’y a pas de conséquence de cette onde de « retour » sur le niveau de la PAS ; l’onde de retour tend plutôt à augmenter la PAD, ce qui favorise la perfusion coronaire. En effet, la perfusion coronaire est uniquement diastolique, car la contraction myocardique interrompt constamment la circulation coronaire durant la systole cardiaque.
Chez le sujet âgé, la situation hémodynamique est tout à fait différente. Comme dans le territoire aortique, la rigidité artérielle (la VOP) augmente considérablement avec l’âge et il y a une tendance à l’égalisation des niveaux de PAS centrales et périphériques, pour un individu donné. Comme la VOP est plus élevée chez les sujets âgés que chez le sujet jeune, l’onde réfléchie revient très rapidement vers le cœur, durant la systole. Ce fait important comporte deux conséquences :
- tout d’abord, il existe un supplément d’augmentation du niveau de la PAS, dû à la superposition de l’onde incidente et de l’onde réfléchie durant la systole. Cette sommation augmente la PAS et la PP : elle est responsable d’une HTA systolique et le risque d’hypertrophie cardiaque est accru par rapport au sujet jeune, en raison de l’augmentation de la contrainte systolique ;
- par ailleurs, le retour systolique de l’onde réfléchie implique une baisse conjointe du niveau de PAD, et donc de la perfusion coronaire avec un risque accru d’ischémie coronaire.
Notons enfin qu’actuellement, toutes les modifications ainsi décrites des ondes incidentes et réfléchies sont devenues mesurables de manière simple et non invasive chez l’homme.
Au total
Les anomalies les plus caractéristiques de l’HTA sont l’augmentation des pressions systolique, diastolique et moyenne, associées à une vitesse accrue de la propagation de l’onde de pression (VOP).
Chez le sujet jeune, l’augmentation des trois ondes de pression (PAS, PAD, PAM) est proportionnelle. De plus les pressions pulsées périphériques (brachiales) sont supérieures aux pressions pulsées centrales (aortique et carotidienne).
Chez le sujet âgé, la PAS (brachiale ou centrale) est plus élevée que ne le demande la PAD et, de fait, très souvent la PAD peut rester normale ou basse (qu’elle soit brachiale ou centrale). Il en résulte une augmentation de la pression pulsée (PAS-PAD) qui devient identique dans les artères centrales et périphériques et augmente ainsi la postcharge cardiaque.
Les méthodes d’évaluation clinique de la PA
Du fait des variations continuelles de la PA (variations nycthémérales, influences des émotions, du stress, de la fatigue, etc.), le diagnostic de l’HTA doit être basé sur de nombreuses mesures effectuées à différentes occasions. La PA peut être mesurée au cabinet médical, à domicile par le patient lui-même ou enregistrée automatiquement au cours de 24 heures avec un appareil portable.
Au cabinet médical
La mesure de la PA au cabinet médical nécessite le respect des conditions suivantes :
• repos de quelques minutes laissé au patient avant la mesure ;
• utilisation d’un brassard de dimension adaptée à la taille du bras (un brassard trop petit conduit à une surestimation de la PA; un brassard trop large, à une sous-estimation) et bras maintenu au niveau du cœur ;
• mesure aux deux bras lors de la première consultation ; s’il existe une différence, les mesures ultérieures doivent être effectuées sur le bras où la valeur la plus élevée a été retrouvée ;
• gonflage du brassard à un niveau suffisant pour rechercher la PA maximale et dégonflage lent par des paliers de 2 mmHg ;
• réalisation d’au moins deux mesures espacées de 1-2 min et, en cas de différence, les répéter ;
• mesure après 1 et 5 min en orthostatisme à la recherche d’une hypotension orthostatique, notamment chez les patients âgés, diabétiques, ou sous traitement antihypertenseur ;
• les appareils de mesure semi-automatiques sont utiles car, standardisés, ils évitent la présence du médecin et atténuent l’effet blouse blanche ;
Il est recommandé de mesurer la PA au cours de trois consultations sur une période de 3 à 6 mois. Cet intervalle de temps entre les mesures sera plus réduit si le niveau initial de la pression ou le niveau du risque CV sont élevés (par exemple pour une PA > 180/110 mmHg, une visite de contrôle doit être programmée rapidement).
La mesure de la PA au cabinet médical est simple et rapide mais peut entraîner des erreurs fréquentes de diagnostic tant par excès (HTA « blouse blanche ») que par défaut (HTA masquée).
Afin d’éviter les erreurs de diagnostic qui pourraient concerner 1 patient sur 4, il serait peut-être nécessaire de mesurer la PA en dehors du cabinet médical. Cela peut être réalisé par le patient lui-même à son domicile ou mieux en utilisant un enregistrement automatique des 24 heures.
L’automesure tensionnelle
La méthode d’automesure tensionnelle nécessite, pour le patient, 3 mesures consécutives en position assise, le matin et le soir, pendant 3 jours, en période d’activité habituelle.
Cette méthode est plus reproductible que la mesure en consultation et permet de prédire le risque CV. Elle peut être utile dans l’évaluation de l’efficacité du traitement antihypertenseur. Il est possible qu’elle puisse améliorer également l’observance du traitement par le patient. Le seuil de PA définissant l’HTA est de 135/85 mmHg.
La mesure ambulatoire de PA des 24 heures (MAPA)
Elle apporte une évaluation de PA reproductible et bien corrélée à l’atteinte des organes cibles. Cette méthode permet surtout de mieux connaître la PA sur l’ensemble du nycthémère. Elle dépiste les patients dont la pression ne diminue pas la nuit, ce qui correspondrait à un plus grand risque cardiovasculaire.
La MAPA est particulièrement indiquée en cas de variabilité tensionnelle importante constatée au cours d’une même ou de plusieurs consultations, ou chez les patients à risque cardiovasculaire « faible » mais ayant un niveau tensionnel élevé en consultation. Une HTA résistante au traitement et une évaluation thérapeutique représentent en fait les meilleures indications de la MAPA.
Comme pour l’automesure, le seuil définissant l’HTA par la MAPA est inférieur à celui des mesures au cabinet médical : 130/80 mmHg (moyenne des 24 heures).
Au total
La mesure de la PA est une « épreuve » de sémiologie médicale nécessitant un praticien entraîné. La mesure, bien qu’assez précise, est pleine d’embûches et de difficultés. Son but est :
- de dépister la présence d’une HTA,
- de montrer que celle-ci nécessite ou non un traitement médicamenteux.
De cette décision découle un traitement qui va durer toute la vie et nécessiter une surveillance cardiaque.
Il n’existe pas de règle absolue et indiscutable évitant au médecin toute erreur dans cette technique de prévention cardiovasculaire. Seules la qualité de ses mesures et la prudence de ses décisions sont en causes.
Une bibliographie sera adressée aux lecteurs sur demande au journal.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :