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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 25 jan 2011Lecture 10 min

Qu’est-ce que la micro alternance de l’onde T (TWA) ? Vers une meilleure stratification des patients à risque de mort subite

P. MAURY, Hôpital Universitaire Rangueil, Toulouse et D. MARANGONI, Consultant pour Cambridge Heart®, Italie

La mort subite (MS) est un problème majeur récurrent de santé publique, touchant annuellement environ 300 000 personnes aux états-Unis et 1 000 000 en Europe avec des chiffres estimés (d’après ces données) à 30 000 à 50 000 en France. Dans 80 % des cas, la MS survient à domicile, dans 40 % des cas sans témoin, avec un taux de survie estimé à peine à 5 %. La MS est secondaire à une arythmie ventriculaire maligne (TV ou FV) dans 75 % des cas et seul le défibrillateur implantable – et dans une moindre mesure le défibillateur externe semi automatique – semble être une arme thérapeutique fiable et efficace.
Selon le paradoxe de Myerburg, si le risque est majeur en cas de cardiopathie évoluée (FE basse, postinfarctus, antécédents de TV), les MS survenant dans ce cadre ne représentent qu’un pourcentage tres faible des MS totales, qui surviennent en majeure partie dans la population générale, laquelle est à risque mineur(1).

Au cours des dernières années et en fonction de la publication des études de prévention secondaire puis primaire, on a assisté à l’extension progressive des indications d’implantation des défibrillateurs, passant des patients survivants d’arythmies ventriculaires malignes aux patients asymptomatiques à haut risque de mort subite. Cela a eu comme corollaire une augmentation nette du nombre d’implantations et aussi la baisse de la diminution relative de la mortalité totale de 50 % à 25 %. Cependant, à l’aube d’une nouvelle inflation du nombre d’implantations, il apparaît que seuls 40 % des patients insuffisants cardiaques éligibles pour un défibrillateur sont finalement implantés(2), probablement du fait d’une mauvaise identification ou d’une sélection imparfaite des patients à risque ou encore d’une certaine aversion des médecins, patients et de la société pour l’appareillage. Par ailleurs, toute une population à risque réel mais mal appréhendable reste privée des bénéfices potentiels du défibrillateur car elle ne correspond pas aux indications validées dans les recommandations. Le gain sur la mortalité globale procuré par le défibrillateur est variable, avec réduction de 11 % en prévention secondaire (9 patients à implanter pour en sauver 1) et 5 % seulement en prévention primaire (18 patients à implanter pour sauver une vie). La majorité des patients implantés ne se serviront donc pas de leur appareil :  24 % de patients avec thérapies appropriées à 18 mois, moins de 40 % de patients avec chocs à 4 ans. À la recherche d’un marqueur de MS… Il y a donc nécessité d’un marqueur fiable, non invasif et économique permettant de mieux sélectionner les patients qui vont réellement bénéficier de leur défibrillateur, ce qui revient à chercher, parmi les patients des « populations à risque »,  ceux dont le risque réel est réduit et aussi à détecter des patients à risque important hors des « populations à risque » habituelles. Un grand nombre de marqueurs de mort subite ont été successivement proposés et testés, comme la fraction d’éjection, la classe NYHA, la variabilité sinusale, le baro-réflexe, les arythmies ventriculaires au Holter, les potentiels tardifs, la turbulence de l’onde T, la durée du QT ainsi que sa dispersion et sa variabilité, la largeur des QRS, l’existence d’une FA, le déclenchement d’arythmies lors de l’exploration électrophysiologique ou même la fréquence cardiaque de repos ou d’effort. Force est de constater qu’à part la fraction d’éjection et peut-être, la classe NYHA ou la variabilité sinusale, aucun de ces marqueurs n’a résisté à l’épreuve du temps et des études prospectives, et que très peu sont actuellement utilisés en pratique clinique pour la sélection des patients à implanter. Avec le recul, la sensibilité de ces marqueurs est finalement assez faible et leur valeur prédictive est jugée insuffisante pour qu’ils puissent être utilisés en pratique courante. Un nouveau marqueur de mort subite a cependant émergé au cours des dernières années, qui semble tenir ses promesses sur le long terme : l’alternance de l’onde T (TWA). Qu’est-ce que la TWA ? La TWA est une modification dans la morphologie/amplitude/durée ou polarité de tout ou partie de la repolarisation (segment ST, onde T ou onde U) qui survient un battement cardiaque sur deux. Elle peut se manifester lors de diverses situations pathologiques qui partagent alors un risque d’arythmie ventriculaire (syndrome du QT long, angor de Prinzmetal, hypokaliémie). En effet, il existe dans les modèles expérimentaux d’ischémie un rapport temporel étroit entre l’apparition de la TWA et le démarrage d’arythmies spontanées. Cette alternance de la repolarisation est secondaire à une alternance des potentiels d’action cellulaires dans certaines zones myocardiques, zones qui peuvent même parfois être en opposition de phase (cellules à long potentiel d’action voisinant des cellules à court potentiel d’action et vice versa au battement suivant, appelée alternance discordante, qui est très arythmogène). Les bases ioniques sont encore imprécises mais pourraient faire intervenir une restitution exagérée secondaire à la désactivation des canaux potassiques (allongement excessif du potentiel d’action secondaire à une diastole longue) et/ou une alternance dans les mouvements calciques intracellulaires traduisant un dépassement des capacités d’homéostasie calcique des cellules myocardiques. Tout ceci entraîne une dispersion spatiale de la repolarisation, notamment en cas d’alternance « discordante », induisant la possibilité de réexcitation focale ou réentrée en phase 2 ou 3 (les cellules à long potentiel d’action pouvant réexciter celles à potentiel d’action court) et de bloc unidirectionnel, donc potentiellement de réentrée au sein du myocarde ventriculaire(3). Comment l’identifier ? La TWA peut être visible sur l’ECG (quand elle est > 50 µV) mais ceci est rare et caricatural, annonciateur d’arythmies à très court terme (QT long) (figure 1). Dans l’immense majorité des cas, la TWA est uniquement détectable par des techniques d’analyse mathématique du signal (micro TWA). Elle peut être physiologique (post-extrasystolique, après changement brutal de fréquence, lors des fréquences rapides > 200/min ou encore sous l’effet des catécholamines) ou pathologique lorsqu’elle survient lors de l’ischémie ou pour des fréquences plus lentes. Figure 1. Exemple d’alternance majeure de l’onde T sur QT long et hypokalémie, ici clairement visible sur l’ECG et annonciatrice d’arythmies ventriculaires (torsades de pontes) à court terme. La technique de mesure de référence, la seule approuvée par la FDA et les guidelines américains et européens, repose sur une analyse spectrale utilisant un appareil particulier (CH 2000 ou HearTwave II, Cambridge Heart®), analyse effectuée à partir d’un ECG enregistré en continu lors d’une mini-épreuve d’effort (ou encore sous perfusion d’isoprénaline, de dobutamine ou pendant une stimulation atriale) permettant d’atteindre une fréquence seuil de 110-120/min(4). Cette technique permet la détection de TWA < 1 µV. C’est un examen relativement rapide, non invasif, ambulatoire, qui, outre le système Cambridge Heart®, ne nécessite que des électrodes spéciales à haute résolution (« multi-contacts »). Son interprétation est parfois délicate (mais actuellement automatisée) et sa reproductibilité est excellente à court et long terme (67 à 97 %). D’un point de vue technique, une analyse spectrale par transformée rapide de Fourier est pratiquée sur des séries de 128 valeurs d’amplitude (correspondant à 128 battements cardiaques successifs), une série pour chaque échantillon de la repolarisation entre le point J (qui marque la fin du QRS) et la fin de l’onde T. Un aggrégat spectral de toutes ces analyses sur l’ensemble du segment ST est ensuite calculé pour chaque dérivation précordiale et pour les dérivations orthogonales X, Y et Z. L’amplitude spectrale à la fréquence de 0,5 cycle/battement est considérée comme représentative de l’amplitude de la TWA, et le voltage de l’alternance (Valt, équivalent à la différence de voltage entre battement pair ou impair et un battement moyenné) est égal à la racine carrée de la différence entre l’amplitude spectrale à la fréquence de 0,5 cycle/battement et l’amplitude spectrale des fréquences immédiatement inférieures (bruit). La TWA est jugée positive si Valt > 1,9 µV (à condition qu’elle le soit en dessous de 110/min et dure au moins 1 min) dans les dérivations X, Y, Z (ou le vecteur moyen) ou dans 2 précordiales adjacentes, avec un rapport d’alternance k supérieur à 3 (k = amplitude spectrale d’alternance – amplitude moyenne bruit/ déviation standard du bruit)(4). Une analyse plus fine peut cependant être nécessaire(5). Une TWA positive est retrouvée chez 1,7 % population normale. Dans 20 à 40 % des cas, le résultat est « indéterminé » du fait d’ESV, d’impossibilité d’atteindre la fréquence seuil, d’accélération trop rapide, de bruit électrique ou d’une TWA pas assez soutenue. Cependant, la valeur pronostique d’une TWA indéterminée rejoint celle d’une TWA positive (voir plus loin)(6). La TWA peut être mesurée sur des QRS stimulés, sur des QRS larges, sous anti-arythmiques ou bêtabloqueurs, mais pas en FA ni si les ESV sont trop nombreuses. Figure 2. Exemple de résultat de TWA positive obtenue avec l’appareil de la firme Cambridge Heart®. La fréquence cardiaque tout au long de l’exercice est représentée en haut. Le niveau de TWA correspondant (Valt) est représenté par les courbes en regard des dérivations orthogonales X, Y et Z et VM (vector magnitude). L’échelle du quadrillage est de 2 µV. L’alternance est définie comme positive si Valt est supérieur à 1,9 V pendant 1 minute avec un rapport d’alternance k > 3 (les zones grisées sont celles ou le rapport k est > 3) (voir texte pour explication). Quelle est sa valeur prédictive ? Une TWA positive ou indéterminée est retrouvée dans les deux tiers des cas et a une valeur prédictive positive médiocre (15 à 20 %) mais une valeur prédictive négative excellente (97 %) vis-à-vis du risque d’arythmie ventriculaire maligne, valeurs au moins équivalentes aux autres marqueurs électriques usuels, qui est indépendante des autres facteurs de stratification et qui, en outre, ne s’est pas démentie au fur et à mesure des grands travaux prospectifs de ces dernières années, avec un risque relatif de 4 en prévention primaire(7). • Dans l’étude princeps de Rosenbaum(4), la TWA était hautement prédictive de la survenue d’arythmie, avec une valeur prédictive comparable à celle de la stimulation ventriculaire programmée. En prévention secondaire, la TWA était le seul facteur indépendant de récidives d’arythmies ventriculaires. Mais c’est dans le domaine de la prévention primaire que les résultats sont les plus intéressants. • En postinfarctus chez des patients de type MADIT-2 (FE < 30-35 %), la TWA était un facteur indépendant de mortalité totale (8 % vs 15 %, p = 0,002), de mortalité rythmique et de thérapies appropriées par le défibrillateur. Pour les patients non implantés également, la TWA était un facteur indépendant de surmortalité totale (RR : 2,27, p = 0,001) avec une valeur prédictive négative de plus de 96 % pour la mortalité rythmique(6). Chez ces mêmes patients, seuls ceux avec TWA positive ou indéterminée montraient a posteriori un bénéfice de l’implantation d’un défibrillateur sur la mortalité totale, les patients implantés ou non avec une TWA négative ayant le même taux de mortalité(8). Il est conclu de cette étude que le défibrillateur réduit la mortalité totale de 55 % dans le groupe TWA non négative essentiellement grâce à la diminution de la mortalité rythmique (diminution de 70 %) et que la réduction de mortalité par le défibrillateur en cas de TWA négative, même si elle devenait significative, ne serait probablement pas « coût-efficace » (76 implantations pour sauver une vie). • L’étude ABCD était une étude prospective ciblant les patients de type MUSTT (postinfarctus, FE < 40 % et TV non soutenues) : la TWA était aussi fiable que la stimulation ventriculaire programmée pour prédire la survenue d’événements rythmiques majeurs dans cette population, la combinaison des deux étant en outre synergique (2 % seulement d’événements à 1 an si les deux sont négatives) mais la valeur prédictive de la TWA disparaissait après la première année, indiquant l’intérêt potentiel de tests annuels(9). • Dans le postinfarctus sans altération majeure de la FE (> 40 %), on a souligné aussi l’intérêt d’une stratification par la TWA puisque, même si la valeur prédictive positive était très basse dans cette population à faible risque (9 %), la valeur prédictive négative était quasi parfaite (> 99 %), la TWA étant le seul facteur indépendant de mort subite et plus puissant que les facteurs prédictifs usuels (RR : 19, p < 0,0001)(10). • Dans l’insuffisance cardiaque avec FE abaissée (< 40 %), on notait aussi une diminution significative de la mortalité globale, d’arythmie soutenue ou de chocs appropriés en cas d’examen négatif (15 % vs 2,5 %, RR : 5,5, p < 0,001) avec une valeur prédictive négative encore ici excellente (98 %)(11). Dans cette étude, la TWA est un facteur indépendant et plus puissant que la FE, et les patients avaient un excellent pronostic en cas de TWA négative, quels que soient la FE, le stade fonctionnel, la cardiopathie ou le traitement bêtabloqueur. • Dans la cardiomyopathie dilatée non coronarienne aussi la TWA semble utile : dans l’étude ALPHA, la mortalité cardiaque ou la survenue d’arythmies malignes sont significativement plus basses en cas de TWA négative (9,9 % vs % 2,6 %, RR : 3,21, p = 0,013) avec une valeur prédictive négative excellente (97 %). La mortalité totale et la mortalité rythmique sont aussi significativement plus basses(12). • Enfin, dans la population tout venant réalisant une épreuve d’effort, la TWA aussi est un facteur prédictif de mortalité totale, cardiovasculaire et subite(13). • Seule petite ombre au tableau, l’étude MASTER-1, conduite sur des patients de type MADIT-2 implantés, n’a pas retrouvé pas de différence dans la survenue de chocs appropriés selon le résultat de la TWA, mais la mortalité totale, quoique diminuée si la TWA est négative (mais pas par diminution de la mortalité cardio-vasculaire), n’était pas l’objectif principal de l’étude, et on sait que les thérapies appropriées ne peuvent pas être corrélées à la mortalité présumée en l’absence de défibrillateur(14). La même remarque s’applique aux résutats mitigés des patients de l’étude SCD-HeFT(15). En pratique L’excellente valeur prédictive négative de la TWA vis-à-vis de la mort subite, jamais réellement prise en défaut jusqu’à présent, a fait que celle-ci fait désormais partie de la stratification du risque rythmique et incluse par exemple dans les recommandations américaines de 2006 (classe II a, niveau de preuves A) et prise en charge par les organismes de remboursement, et aussi utilisée couramment par nos voisins européens. Cependant, pour des raisons obscures probablement en partie économiques, la distribution de l’appareil Cambridge Heart® sur le sol français est quasiment absente ou pour le moins confidentielle. On ne peut que déplorer cet état de fait, la généralisation de cet examen non invasif permettrait très probablement d’éviter bon nombre d’implantations inutiles en prévention primaire, notamment dans les cas litigieux ou les indications limites.    Avec la collaboration de A. Rollin, A. Duparc,P. Mondoly, C. Cardin, S. Hascoet, M. Berry, B. Honton, M. Delay

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