Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 21 juin 2011Lecture 6 min
Vie quotidienne du porteur de défibrillateur : chocs itératifs
H. BLANGY, N. SADOUL, C. DE CHILLOU, I. MAGNIN-POULL, M. ANDRONACHE, E. ALIOT, CHU de Nancy
Le défibrillateur (DAI) est un appareil programmable dont le rôle est de détecter les signaux électriques intracardiaques afin de traiter les troubles du rythme ventriculaires. Pour cela, il utilise des critères de fréquence et améliore sa spécificité à l’aide d’algorithmes plus ou moins complexes qui ne sont pas infaillibles. La survenue de chocs répétés chez un patient implanté d’un DAI n’est pas exceptionnelle et peut représenter une urgence vitale.
Une urgence vitale
À ce titre, elle nécessite une prise en charge coordonnée spécialisée et l’information préalable du patient.
Habituellement, un contrôle rapproché du DAI est recommandé après un choc isolé. En cas de chocs multiples, le contrôle doit avoir lieu très rapidement, idéalement le jour même. Enfin, si les chocs sont incessants, l’appel du SAMU puis une hospitalisation en USIC ou en réanimation sont indispensables. Le premier rôle du SAMU puis du médecin implanteur sera de déterminer si les chocs sont appropriés ou non (figure 1). Dans les deux cas, il pourra avoir recours à l’utilisation de l’aimant sous certaines conditions. L’aimant permet en effet d’interrompre les thérapies antitachycardiques lorsqu’il est posé sur le boîtier. Inversement, le retrait de l’aimant réactive les thérapies antitachycardique aussitôt. La mise en place d’un aimant sur un DAI ne se traduit par aucun signe électrocardiographique (sauf SORIN) et ne permet en aucun cas d’apprécier le degré d’usure de la batterie. Il s’agit seulement d’un interrupteur on/off des thérapies antitachycardiques.
Figure 1 : Organigramme (d’après Swerdlow, Pacing Clin Electrophysiol 2005 ; 28 : 1322-46).
Chocs inappropriés
Cliniquement, les chocs ne sont habituellement pas précédés de prodromes, les circonstances sont variées et peuvent orienter a priori le diagnostic (repos, effort, bricolage, utilisation de matériels électriques, etc.) L’enregistrement ECG et l’interrogation du DAI permettent rapidement d’écarter le diagnostic de TV ou de FV. Il s’agit d’une situation où l’utilisation de l’aimant peut être essentielle.
Plusieurs cas peuvent se présenter :
Phénomènes de sur-détection
C’est la détection de signaux intracardiaques normaux aboutissant à un phénomène de double comptage : onde P, télé-onde R, onde T. Des possibilités de réglage existent pour écrêter ces signaux ; il est aussi possible de réduire la sensibilité avec dans ce cas le risque de sous-détecter une authentique FV. La sur-détection de l’onde T est la plus fréquente (figure 2), particulièrement en cas de syndrome de Brugada.
Figure 2 : Choc délivré après sur-détection de l’onde T. Les marqueurs VS correspondent à des battements détectés en zone sinusale, les marqueurs FS sont détectés en zone FV. La détection des ondes T conduit à un double comptage et à la détection d’une pseudo tachycardie en zone FV, jusqu’au choc délivré (CD). La sur-détection cesse après le choc.
Myopotentiels, courant électrique de 50 Hz (figure 3), parasites en rapport avec une fracture de sonde (figure 4)… Le traitement consiste à éviter la source d’interférences, dans ce cas une véritable enquête policière est parfois nécessaire, ou à remplacer le matériel défectueux.
Figure 3 : Bruit électrique aboutissant à un choc. Au niveau de la ligne de marqueurs, ceux de l’oreillette sont situés au-dessus, ceux du ventricule en dessous. Les parasites sont détectés comme un rythme ventriculaire très rapide comme en témoignent les marqueurs. Le choc est délivré en « 3 ».
Figure 4 : Série de chocs secondaires à une fracture de sonde. Sur chaque bande (4 de haut en bas) il existe une ligne d’EGM atriaux et une ligne d’EGM ventriculaires. La ligne de marqueurs se situe au-dessus des lignes d’EGM. Le trait plein intermittent correspond à la mise en charge. La ligne d’EGM V est anarchique à la différence de la ligne d’EGM A. Les parasites sont dus à la fracture de la sonde V et sont à l’origine de la détection d’un rythme ventriculaire rapide et instable imitant une FV.
Figure 5 : Orage rythmique à l’origine de plusieurs chocs. L’accélération du rythme ventriculaire se traduit par une tachycardie stable et à début brutal détectée majoritairement en zone FV (marqueurs rouges).
Ces dernières années, le petit monde de la défibrillation a été sensibilisé au problème de la fragilité des sondes avec la série Fidélis (Medtronic). Une sonde fracturée est à l’origine de parasites anarchiques qui amènent le DAI à établir de faux diagnostics de FV et à traiter par des chocs parfois nombreux. Ces chocs peuvent eux-mêmes avoir un effet pro-arythmique dont l’issue peut être fatale(1). C’est pourquoi l’intervention du SAMU et l’utilisation de l’aimant en pareil cas sont essentielles.
Tachycardie supraventriculaire (TSV)
Ces TSV peuvent entrer dans la zone de détection programmée (TV, FV). Sur le seul critère de fréquence, le DAI applique alors la thérapie programmée (stimulation antitachycardique ATP, chocs). Pour éviter cela, un appareil double ou triple chambre va utiliser la relation entre oreillette et ventricule pour établir son diagnostic, tout en sachant qu’un patient peut présenter deux types de tachycardies en même temps.
Des algorithmes de discrimination sont également programmables, uniquement en zone TV : début brutal (une tachycardie sinusale débute progressivement), stabilité (une ACFA est instable), morphologie (compare rythme sinusal et rythme en tachycardie). Pour que ces algorithmes soient appliqués, il est recommandé de programmer une zone FV haute (> 220 bpm) et de ne pas limiter leur intervention dans le temps à l’aide de minuteries proposées par la plupart des constructeurs.
• Tachycardie sinusale : intérêt de programmer le début brutal et de prescrire des bêtabloquants.
• ACFA : intérêt de programmer la stabilité + antiarythmiques. Recours possible à l’ablation.
• Flutter, TJP : intérêt de la morphologie, car début brutal et stabilité sont pris en défaut. Rôle des antiarythmiques et surtout de l’ablation.
Chocs appropriés
Les chocs sont généralement précédés de prodromes (lipothymie, palpitations, vertiges, etc.), parfois d’une syncope qui efface dans ce cas le souvenir du choc. La survenue de chocs répétés sur TV/FV définit un orage rythmique. Il ne s’agit pas d’une arythmie ventriculaire résistant aux thérapies mais d’une arythmie qui est arrêtée par la thérapie et qui redémarre. La définition de l’orage rythmique est variable, on retient habituellement la survenue d’au moins 2 arythmies ventriculaires en 24 heures, séparées par un retour en rythme sinusal (ou en ACFA). L’incidence de l’orage rythmique varie de 10 à 20 % dans les séries les plus anciennes qui comportaient une majorité d’implantations en prévention secondaire. Plus récemment dans MADIT II, au terme d’un suivi de 20,6 ± 12,8 mois, 20 % des patients ont présenté un épisode isolé et 4 % ont présenté un orage rythmique défini par la survenue d’au moins 3 épisodes en 24 heures(2). Chez des patients resynchronisés avec un suivi de 19 ± 11 mois, 7 % ont présenté un orage rythmique répondant à la même définition(3).
L’hospitalisation en USIC ou en réanimation est requise. Il faut rechercher et corriger une cause réversible (dyskaliémie, ischémie, hyperthyroïdie, etc.). Dans 65 % des cas cependant, aucune cause n’est retrouvée. La prise en charge repose alors sur les antiarythmiques (bêtabloquants, amiodarone) et l’ablation(4). Dans certains cas de chocs incessants, il peut être nécessaire d’inhiber le DAI (sous scope) et de placer le patient sous sédation.
Au final, si la prise en charge associe ces différentes techniques et que les patients reçoivent un traitement médical optimal, le pronostic de ceux ayant présenté un orage rythmique ne diffère pas significativement de celui des autres patients implantés dans la série de Brigadeau et al.(5). En revanche, dans MADIT II, l’orage rythmique est un marqueur indépendant du risque de mortalité, en particulier durant les 3 premiers mois où ce risque est multiplié par 14(2). Une surmortalité est également constatée dans le registre de Gasparini et al.(3).
En pratique
Les chocs répétés chez un patient implanté d’un DAI représentent une situation d’urgence qui peut menacer le pronostic vital. La démarche diagnostique vise d’abord à établir si les chocs sont appropriés ou non, à ce titre l’interrogation du DAI est au centre de la prise en charge. Le traitement découlera ensuite directement du diagnostic. Il sera volontiers étiologique, faisant intervenir différents acteurs avec, selon les cas, réglage du DAI, correction d’un facteur déclenchant, prescription d’un traitement antiarythmique, réalisation d’une ablation par radiofréquence.
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