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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 17 oct 2006Lecture 10 min

Stimuler : bien ! Mais où ?

J.-C. DAUBERT, CHU Rennes

La stimulation cardiaque permanente aura bientôt cinquante ans : la première implantation d’un pacemaker intracorporel fut réalisée en Suède en 1958. Pendant quatre décennies, la stimulation cardiaque a joué la carte de la simplicité technique : une sonde posée à l’apex du VD lorsqu’il fallait stimuler le ventricule, une sonde préformée en J placée dans l’auricule droit lorsqu’il fallait détecter et/ou stimuler l’oreillette. Ces sites traditionnels, d’accès aisé, ont donné satisfaction à une époque où l’on s’embarrassait peu de considérations hémodynamiques, ni de conséquences cliniques à long terme. La reconnaissance de phénomènes de remodelage électrique et/ou anatomique et fonctionnel, induits ou aggravés par la stimulation, parfois précoces (semaines ou mois), souvent plus tardifs (années, voire décennies), est récente.

La stimulation cardiaque permanente aura bientôt 50 ans L’utilisation des sites traditionnels est indiscutablement associée à un risque accru d’insuffisance cardiaque et d’arythmies, sans qu’on en connaisse toutefois l’incidence exacte. On commence seulement à mieux en cerner les facteurs prédictifs. Depuis une dizaine d’années, cette prise de conscience suscite des recherches très actives sur les sites de stimulation alternatifs autant dans l’oreillette que le ventricule. Ce court article se propose d’en faire la synthèse et d’en dégager les quelques certitudes acquises et les nombreuses incertitudes persistantes.   Oreillette   Site traditionnel L’oreillette est habituellement stimulée dans l’auricule droit (sonde passive ou vissée) ou la paroi latérale haute (sonde vissée). De tous les sites atriaux, la région de la crista terminalis est celle dont la stimulation a les effets électrophysiologiques les moins favorables, y compris sur cœur sain : • raccourcissement et dispersion accrue des périodes réfractaires ; • allongement et hétérogénéité des temps de conduction, aggravés après extrastimulus ; • vulnérabilité avec induction plus facile d’arythmies… Les perturbations de conduction peuvent aussi générer une désynchronisation mécanique avec retard de contraction de l’oreillette gauche et altération du synchronisme auriculo-ventriculaire dans le cœur gauche, à moins que le temps de conduction nodale s’allonge en conséquence. Ces désordres électriques et électromécaniques sont surtout notables en cas de cardiopathie figurée avec dilatation de l’oreillette gauche : cardiomyopathie hypertrophique, cardiopathie hypertensive, cardiopathies ischémiques… Mais l’incidence réelle et le risque pronostique de ces remodelages atriaux, induits ou aggravés par la stimulation auriculaire en site traditionnel sont encore ignorés.   Sites alternatifs Trois sites ont été évalués en pratique clinique : deux sites septaux et l’oreillette gauche via le sinus coronaire. Le septum interatrial peut être stimulé dans sa partie haute et antérieure au-dessus de la fosse ovale ; ce site, probablement optimal, peut être de repérage difficile sans l’aide de l’échocardiographie transœsophagienne. La portion postéroseptale est d’accès plus aisé après avoir placé une sonde de référence dans le sinus coronaire. La zone d’intérêt se situe sur les lèvres de l’ostium (Saksena) ou à son voisinage immédiat dans le triangle de Koch (Padeletti). La stimulation est assurée par une sonde vissée, avec des performances électriques (seuil, recueil endocavitaire) voisines de celles observées dans les sites traditionnels. La resynchronisation électrique est immédiatement visible sur l’ECG de surface, avec une onde P stimulée très brève, plus courte que l’onde P intrinsèque, à l’inverse de la stimulation atriale haute. Parallèlement, les études endocavitaires ont montré une homogénéisation des temps de conduction et des périodes réfractaires. Ce bénéfice électrophysiologique évident a-t-il un impact sur la prévention des arythmies atriales à moyen-long terme ? Cela est probable, mais non encore prouvé. De petites études, dont certaines randomisées, (Bailin, Padeletti) suggèrent que comparée à la stimulation atriale droite haute, la stimulation septale en l’un ou l’autre site réduit la « charge » d’arythmies paroxystiques et le risque de survenue d’une fibrillation atriale permanente chez des patients implantés pour dysfonction sinusale. Toutefois la taille et la méthodologie de ces essais ne permettent pas d’établir de conclusion. Il est donc trop tôt pour recommander les sites septaux comme sites préférentiels pour la stimulation atriale permanente, mais il est probable que l’évolution des pratiques se fera dans ce sens d’autant que le bénéfice électrophysiologique s’accompagne d’un bénéfice hémodynamique par amélioration du synchronisme auriculo-ventriculaire dans le cœur gauche, du moins en cas de stimulation double-chambre (Hermida). L’oreillette gauche peut être stimulée au niveau de sa paroi postéro-latérale via le sinus coronaire en utilisant soit des sondes passives spécialement préformées (Daubert), soit des sondes actives, vissées dans la paroi du sinus. La fiabilité technique est moins bonne (risque plus élevé de déplacement et d’élévation de seuils) que celle de la stimulation septale, et le bénéfice électrophysiologique ne semble pas supérieur. L’intérêt est essentiellement hémodynamique dans des situations qui réclament un synchronisme auriculo-ventriculaire optimal dans le cœur gauche, en particulier certaines cardiomyopathies hypertrophiques obstructives. Une autre indication pratique, moins exceptionnelle, est l’oreillette droite non stimulable avec une oreillette gauche qui demeure électriquement et mécaniquement fonctionnelle. La stimulation atriale multisite combinant un site atrial droit et le sinus coronaire (stimulation biatriale : Daubert), ou deux sites dans l’oreillette droite (Saksena), a connu un certain succès dans les années 90. Deux études randomisées de petite taille (Symbiapace et DAPAF) ont montré une tendance favorable sur les récidives d’arythmies soutenues chez des patients avec troubles de conduction intraatriaux de haut degré et arythmies atriales réfractaires. Ces techniques n’ont pas connu le développement clinique espéré en raison de leur relative complexité, d’un niveau de preuve demeuré insuffisant et de la compétition de la stimulation septale (même si cette dernière n’est pas mieux validée). Elles mériteraient d’être plus largement réévaluées, au moins chez les patients avec troubles de conduction intraatriaux.   Ventricule   Site traditionnel : l’apex du ventricule droit Stimuler le ventricule droit au niveau de l’apex est la facilité ; en effet, rien n’est plus aisé que de franchir la tricuspide et de pousser la sonde vers la pointe. De plus, la position est stable et les caractéristiques électriques sont habituellement excellentes. Dès lors, pourquoi chercher la complexité de sites alternatifs ? La stimulation apicale est profondément antiphysiologique car elle inverse la séquence d’activation et de contraction du ventricule, générant un asynchronisme inter- et intraventriculaire. Les cœurs sains adultes semblent assez bien s’accommoder de ces contraintes, encore que nous manquions d’études de suivi à très long terme. Cela ne semble pas être le cas des cœurs immatures (nouveau-nés et enfants) et des cœurs adultes malades, où le risque de développement d’une dysfonction systolique du ventricule gauche et d’insuffisance cardiaque est élevé. Ce phénomène de remodelage négatif a été particulièrement bien démontré dans deux situations : les blocs auriculo-ventriculaires congénitaux (Thambo) et les cardiopathies ischémiques à fonction ventriculaire gauche (VG) altérée (étude DAVID). Il n’y a en fait qu’une situation pathologique où la désynchronisation imposée peut avoir un effet favorable : la cardiomyopathie hypertrophique obstructive (CMO). En retardant l’épaississement du septum basal et en diminuant le mouvement systolique antérieur de la mitrale, la stimulation apicale réduit le gradient intraventriculaire et peut améliorer les symptômes. Le niveau de preuve est toutefois modeste, même si la stimulation reste le seul traitement de la CMO évalué dans des essais randomisés (études PIC et M-PATHY). Les recommandations internationales ne lui ont accordé qu’une classification de niveau II-b, insuffisante pour en faire un traitement de référence. Il garde néanmoins une place de seconde intention, ou de première intention chez les sujets âgés.   Sites alternatifs La recherche du site optimal de stimulation ventriculaire en pratique courante et la correction des désynchronisations spontanées ou induites par la stimulation conventionnelle ont suscité un très vif intérêt pendant la dernière décennie. Il n’est pas prêt de s’éteindre ! Les sites alternatifs dans le ventricule droit ont pour objet de prévenir et non de corriger le remodelage de désynchronisation. C’est donc la définition du site optimal pour le patient tout-venant qui est concernée. Trois sites ont été évalués : - l’infundibulum (face latérale), d’accès facile avec une sonde vissée, mais de faible intérêt clinique. Plusieurs études contrôlées en cross-over (Victor, Mehra, Bourge) ou en bras parallèles (Stambler) n’ont pu montrer de supériorité sur les symptômes, la capacité d’effort, la fonction VG et les événements cliniques par rapport à la stimulation apicale de référence. La seule différence se voit à l’ECG avec une normalisation de l’axe de QRS, mais sans modification de sa durée ; - le septum, plus difficile à identifier pour le stimuliste, apparaît beaucoup plus intéressant (figure 1). Deux petites études randomisées en cross-over (Tse, Victor) ont récemment montré que, comparée à la stimulation apicale, la stimulation septale prévenait la détérioration de la fonction VG dès 3 mois chez des patients à fraction d’éjection (FE) initialement basse (< 45 %), plus tardivement chez des patients à FE initialement normale. Des études complémentaires sont nécessaires pour évaluer le réel impact clinique de ce remodelage ventriculaire inversé. Il est possible qu’avec une technique de localisation mieux définie, le septum soit prochainement reconnu comme site optimal de stimulation ventriculaire pour le patient tout-venant ; - la stimulation « hisienne » est un idéal difficilement accessible. Il s’agit en réalité d’une stimulation septale de voisinage (Desmukh, Ochetta) à l’aide d’une électrode vissée, guidée par le repérage du His (ECG endocavitaire). Les QRS stimulés sont fins ou peu élargis (120 ms en moyenne) avec un axe normal. Les études électromécaniques ont confirmé qu’elle n’engendrait pas de désynchronisation ventriculaire et qu’elle préservait, voire améliorait, la performance ventriculaire gauche. Cette méthode, encore peu évaluée, a des limites techniques, en particulier des seuils de stimulation 2 à 3 fois plus élevés que la stimulation apicale ou septale, et un recueil endocavitaire de faible amplitude. Enfin elle n’a d’intérêt qu’en l’absence de troubles de conduction distaux, ce qui en limite l’application pratique. Figure 1. Septum F + P : clichés thoraciques d'un patient implanté avec deux sondes ventriculaires, l'une en site conventionnel (apex VD), l'autre vissée dans la partie moyenne du septum. Le ventricule gauche et la stimulation biventriculaire La stimulation ventriculaire gauche n’est pas une nouveauté. Avant l’avènement de la voie endocavitaire à la fin des années 60, la plupart des stimulateurs étaient implantés par thoracotomie avec une électrode épicardique placée sur le ventricule gauche ; on ne parlait pas à l’époque d’insuffisances cardiaques induites par la stimulation ! Les premières tentatives de stimulation à partir des veines coronaires ont été rapportées à la fin des années 80 chez des patients dont l’accès au ventricule droit était barré par une prothèse mécanique tricuspide. L’application à la resynchronisation cardiaque est plus récente, rapportée par notre équipe en 1997 à partir d’une expérience débutée quatre ans plus tôt. La stimulation endocavitaire du ventricule gauche est une technique aujourd’hui bien codifiée (figure 2). L’expérience croissante des opérateurs et la disponibilité de nouvelles technologies, ont permis d’atteindre des taux de succès très élevés à l’implantation : 96 % dans l’étude CARE-HF (CArdiac REsynchronisation in Heart Failure). Une position optimale pour la resynchronisation (veine latérale) peut être obtenue dans 80 à 90 % des cas. En cas d’échec de la voie endoveineuse, d’autres techniques d’implantation peuvent être proposées : la voie transseptale avec implantation endocardique d’une électrode vissée ; la voie épicardique chirurgicale par thoracotomie ou technique mini-invasive (vidéopéricardoscopie).  Figure 2. Stimulation BIV. Radiographies thoraciques face et profil d'un patient implanté avec un stimulateur triple chambre pour insuffisance cardiaque. La sonde VG est placée dans une veine cardiaque postéro-latérale ; la sonde VD est vissée sur la paroi antérieure à mi-hauteur, et la sonde atriale est vissée à la base de l'auricule droit F + P.   La stimulation du ventricule gauche isolée ou plus souvent associée à celle du ventricule droit en site optimisé (stimulation biventriculaire) est aujourd’hui largement validée pour le traitement de l’insuffisance cardiaque systolique avec désynchronisation ventriculaire. Elle améliore significativement symptômes et qualité de vie (études MUSTIC [MUltisite STimulation In Cardiomyopathies] et MIRACLE [Multicenter InSync RAndomized CLinical Evaluation]), réduit la morbidité majeure, en particulier le nombre et la durée des hospitalisations pour décompensation, et améliore la survie (réduction de la mortalité totale et des morts subites) : études COMPANION (Comparison of Medical Therapy, Pacing, and Defibrillation in Chronic Heart Failure) et CARE-HF (CArdiac REsynchronisation in Heart Failure). Les recommandations internationales (ESC et ACC/AHA), publiées fin 2005, situent la resynchronisation cardiaque en classe I, niveau d’évidence A pour les patients restant symptomatiques en classe NYHA III-IV malgré un traitement médical optimisé, en rythme sinusal, avec une FEVG < 35 % et une durée de QRS > 120 ms. D’autres indications sont en cours d’évaluation : prévention de la progression de l’insuffisance cardiaque chez les patients désynchronisés en classe NYHA I-II, patients en fibrillation atriale permanente, patients déjà stimulés… Mais il faudra attendre plusieurs années pour avoir une réponse. Une dernière question concerne l’utilisation éventuelle du ventricule gauche comme site optimal de stimulation ventriculaire hors désynchronisation et insuffisance cardiaque. Des études sont en cours, comparant stimulation VG et stimulation apicale VD chez des patients avec indication classique de stimulation cardiaque permanente. Le rapport bénéfice/risque devra être analysé avec une attention particulière. Il n’est pas dit que l’éventuel bénéfice de la stimulation G sur la prévention du remodelage ventriculaire compense la difficulté technique et les risques accrus de l’intervention.   En pratique   Les sites de stimulation cardiaque traditionnels (oreillette droite haute, apex du ventricule droit) sont les plus faciles d’accès, mais les plus délétères en termes électrophysiologiques et hémodynamiques. Leur activation permanente et prolongée est associée à un risque de remodelage électrique et/ou anatomique et fonctionnel, source d’arythmies et d’insuffisance cardiaque par dysfonction ventriculaire. Ce risque semble particulièrement élevé pour les cœurs immatures (nouveau-nés et enfants) et chez l’adulte, dans certaines cardiopathies dont les cœurs ischémiques à FE basse. La prévention de ces phénomènes passe probablement par le choix de nouveaux sites plus performants. Les sites septaux pourraient répondre à ce besoin. En présence d’une désynchronisation électromécanique de haut degré, qu’elle soit spontanée (cardiomyopathies) ou induite par la stimulation en sites traditionnels, les sites gauches deviennent indispensables, le plus souvent associés à un site droit optimisé dans un but de resynchronisation optimale.

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