Insuffisance cardiaque
Publié le 09 nov 2010Lecture 7 min
Insuffisance cardiaque : le choix du bêtabloquant importe-t-il ?
M. GALINIER, CHU Toulouse-Rangueil
Les Journées françaises de l'insuffisance cardiaque
Alors qu’un effet de classe unit les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2, qui ne se différencient en pratique que par leur demi-vie et donc leur durée d’action, la famille des bêtabloquants est très hétérogène avec de multiples différences entre les molécules et un trait commun : l’inhibition compétitive et réversible des récepteurs ß1-adrénergiques qui prédominent au niveau du coeur. En sus de leur affinité pour ce récepteur ß1-adrénergique qui détermine leur degré de cardiosélectivité, deux autres propriétés rendent compte des différences entre bêtabloquants : l’existence d’une activité sympathique intrinsèque (ASI), qui entraîne essentiellement une stimulation des ß2-récepteurs et des propriétés ancillaires notamment vasodilatatrices, de mécanismes divers : inhibition des récepteurs a-adrénergiques vasculaires qui sont vasoconstricteurs, stimulation des récepteurs ß2 vasculaires qui sont vasodilatateurs, stimulation des récepteurs ß3 adrénergiques, stimulation directe la NO synthase, etc.
Dans l’hypertension artérielle
Au cours de l’HTA ces spécificités rendent compte, non pas d’une différence d’action antihypertensive, la dose de chaque produit ayant été déterminée pour obtenir un effet hypotenseur équivalent, mais d’une tolérance biologique et clinique variable. Les effets défavorables de certains bêtabloquants sur les métabolismes glucidique et lipidique ont ainsi conduit à déconseiller leur utilisation chez les hypertendus à risque de diabète ou présentant un syndrome d’insulinorésistance. Les bêtabloquants vasodilatateurs semblent mieux tolérés au plan biologique. Quant aux différences de tolérance clinique rapportées par les patients, elles sont illustrées par une situation fréquente, consistant chez un hypertendu traité par nébivolol présentant des palpitations, à remplacer ce bêtabloquant par du sotalol pour ses propriétés antiarythmiques spécifiques : un certain nombre de patients décrivent alors une asthénie alors que l’effet antihypertenseur est similaire.
Chez les coronariens
En postinfarctus du myocarde, une moindre diminution du risque de décès sous l’effet des bêtabloquants avec ASI conduit à utiliser préférentiellement les bêtabloquants sans ASI. Dans cette situation clinique, il existe une relation entre l’amplitude de la diminution de la fréquence cardiaque sous bêtabloquant et la réduction des décès totaux, de la mort subite et de l’infarctus.
Dans l’insuffisance cardiaque
La physiopathologie de l’insuffisance cardiaque est marquée par une activation précoce et constante du système nerveux sympathique, à l’origine d’une désensibilisation des bêtarécepteurs myocardiques par découplage de l’unité réceptrice membranaire à l’adényl-cyclase, puis dans un deuxième temps par une down-regulation des b-récepteurs, qui pourrait influer sur la réponse aux différents bêtabloquants. En effet, la diminution du nombre des récepteurs bmyocardiques porte essentiellement sur les b-1-récepteurs, avec une augmentation relative des récepteurs b2-adrénergiques. Au cours de cette maladie, s’il est recommandé de privilégier l’emploi des bêtabloquants ayant démontré leur efficacité dans cette pathologie, et ainsi de les substituer aux autres bêtabloquants s’ils étaient initialement utilisés pour une autre indication comme l’HTA ou la maladie coronarienne, on est en droit de se demander s’il existe des critères de choix entre ces quatre molécules.
D’un point de vue pharmacologique, deux sont parfaitement comparables, b1-sélectifs sans ASI, dépourvus d’effets annexes : le bisoprolol et le métoprolol. Les deux autres sont au contraire dotés d’une action vasodilatatrice mais d’un mécanisme différent :
- le carvédilol, qui est non sélectif, possède une action antagoniste 1 puissante et un effet anti-oxydant démontré chez l’animal ;
- le nébivolol, qui est le bêtabloquant le plus b1-sélectif, possède une action b3 stimulante qui est en grande partie à l’origine de son effet vasodilatateur en entraînant une augmentation de biodisponibilité de l’oxyde nitrique (NO).
Peu d’études ont comparé les effets hémodynamiques de ces différentes molécules. Le carvédilol pourrait améliorer davantage la fonction ventriculairegauche à l’effort que le métoprolol mais entraînerait davantage d’hypotension. Le carvédilol semble plus améliorer l’hémodynamique rénale que le tartrate de métoprolol ; son utilisation pourrait être associée à une moindre détérioration à long terme de la fonction rénale comparativement au tartrate de métoprolol chez les patients insuffisants cardiaques. Quant au bisoprolol qui, à la différence des trois autres molécules, est éliminé à part égale par le foie et les reins, son remplacement par du carvédilol ou vice versa chez des insuffisants cardiaques ayant une altération de la fonction rénale n’a pas été associée à court terme à une modification significative de la fonction rénale ou de la pression artérielle.
Concernant la diminution du risque de morbi-mortalité, un effet favorable des quatre molécules a été retrouvé dans les études versus placebo mais avec des amplitudes diverses. Si un effet de classe des bêtabloquants participe incontestablement à cette action bénéfique, plusieurs arguments plaident pour l’existence de différences entre ces molécules au cours de l’insuffisance cardiaque, notamment les résultats de l’étude BEST avec le bucindolol, un bêtabloquant non b1-sélectif avec ASI possédant une action vasodilatatrice d’origine mixte. Les causes du relatif échec de cet essai, où le bucindolol n’a entraîné qu’une réduction non significative de 10 % de la mortalité par rapport au placebo, demeurent imparfaitement élucidés, d’autant qu’une analyse en sous-groupe retrouve chez les sujets blancs en classe III de la NYHA une diminution significative de 22 % de la mortalité.
Quant à l’absence de significativité de la réduction de 12 % de la mortalité observée sous nébivolol au cours de l’étude SENIORS, elle semble due aux caractéristiques des patients inclus, âgés de plus de 70 ans et non à la molécule étudiée. En effet, le bénéfice du nébivolol est comparable à celui des autres bêtabloquants cardio-sélectifs, le bisoprolol et la métoprolol, chez les patients de moins de 75 ans présentant une fraction d’éjection ≤35 %. Deux métaanalyses des essais des bêtabloquants dans l’insuffisance cardiaque ont été réalisées. La première conclut à un effet de classe, ne retrouvant pas d’hétérogénéité entre les différents essais. La deuxième, qui classe les essais en fonction du bêtabloquant utilisé, conclut à un effet non similaire sur la mortalité des différentes molécules. En effet, en comparaison au carvédilol, le bisoprolol et le métoprolol ont une efficacité similaire, alors que les effets du bucindolol et du nébivolol sont moindres. Ainsi tous les bêtabloquants vasodilatateurs n’ont pas la même efficacité.
Quant à la comparaison directe des effets sur la morbi-mortalité d’un bêtabloquant doté d’une action vasodilatatrice, le carvédilol, et d’un bêtabloquant bêta-1-sélectif pur, le tartrate de métoprolol, elle a fait l’objet de l’étude COMET. Dans cet essai, ayant inclus 3 029 patients, d’âge moyen 62 ans, essentiellement en classe II et III de la NYHA, avec une fraction d’éjection ≤35 %, le carvédilol a entraîné une diminution de 17 % de la mortalité par rapport au tartrate de métoprolol, effet retrouvé dans les différents sous-groupes prédéfinis.
Cette étude démontre que les effets ancillaires des bêtabloquants peuvent avoir une influence sur leur bénéfice ; en effet l’intensité du blocage des bêta-récepteurs myocardiques ne semble pas en cause, la diminution de la fréquence cardiaque ayant été identique avec les deux molécules. Une augmentation plus importante de la fraction d’éjection ventriculaire gauche sous carvédilol, probablement liée à son action vasodilatatrice, pourrait être à l’origine de cette efficacité supérieure.
En pratique, c’est dans le sous-groupe des insuffisants cardiaques en fibrillation atriale que la différence entre les quatre molécules semble la plus pertinente.
En effet, les agents b1-sélectifs paraissent alors moins favorables que les bêtabloquants non sélectifs. Ainsi, au cours de l’étude CIBIS II, l’effet bénéfique du bisoprolol sur la mortalité n’a pas été retrouvé chez les patients en fibrillation atriale par rapport aux sujets en rythme sinusal, alors qu’au cours de l’étude COMET, l’effet bénéfique sur la mortalité du carvédilol par rapport au tartrate de métoprolol reste significatif dans le sousgroupe des 600 patients en fibrillation atriale à l’inclusion. Il est possible que le blocage combiné des b1 et des b2 récepteurs myocardiques participe alors à un meilleur contrôle de la fréquence ventriculaire. De plus, chez les insuffisants cardiaques en rythme sinusal, la prévention de la fibrillation atriale est plus marquée avec les bêtabloquants non cardiosélectifs.
Les recommandations des sociétés savantes ne précisent pas de critères de choix entre les quatre bêtabloquants indiqués dans l’insuffisance cardiaque systolique.
Néanmoins, elles déconseillent l’emploi du tartrate de métoprolol et recommandent de n’utiliser que le succinate de métoprolol. Il semble cependant logique de préférer un bêtabloquant non sélectif en cas de fibrillation atriale, comme le carvédilol. Quant au nébivolol, sa grande sélectivité b1-adrénergique favorise son emploi en cas de bronchopneumopathie chronique obstructive associée et son action vasodilatatrice, médiée par le NO, son utilisation chez les patients porteurs d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs. Le remplacement de l’un de ces bêtabloquants par un des trois autres est possible et il est alors conseillé de débuter le nouveau médicament à la dose équivalente à la moitié de la posologie obtenue avec l’ancien, puis d’augmenter jusqu’à la dose cible tolérée. Ainsi en cas de survenue d’une hypotension sous carvédilol, favorisée par son action α-bloquante, il pourra être remplacé par un bêtabloquant non vasodilatateur.
Dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, les données sont plus rares. Dans l’étude SWEDIC le carvédilol n’a amélioré les paramètres Doppler du remplissage ventriculaire gauche que chez les patients présentant une fréquence cardiaque > 70 batt/min à l’inclusion. Concernant la morbi-mortalité, on ne peut se référer qu’à l’étude SENIORS, où une analyse en sous-groupe a retrouvé une efficacité comparable du nébivolol que la fraction d’éjection soit > ou ≤ 35 %. L’HTA étant la principale cause de cette affection, il semble donc logique de privilégier les bêtabloquants dotés d’une action vasodilatatrice, en particulier le nébivolol.
En pratique
L’utilisation des bêtabloquants au cours de l’insuffisance cardiaque est devenue en France une réalité.
Le bisoprolol, du fait de son développement en Europe et de la simplicité de ses posologies obéissant à la règle des 10, est actuellement le bêtabloquant le plus prescrit.
Il existe cependant une place pour les bêtabloquants vasodilatateurs qui sont sous-employés.
L’important reste cependant d’initier puis de majorer les posologies d’un des quatre bêtabloquants indiqués au cours de l’insuffisance cardiaque jusqu’à la dose cible ou du moins la posologie maximale tolérée.
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