Publié le 15 mar 2005Lecture 10 min
Thérapeutiques innovantes dans l’insuffisance cardiaque - Thérapie génique, thérapie cellulaire
A.-A. HAGÈGE, hôpital européen Georges Pompidou, Paris
Thérapies génique et cellulaire ont émergé ces dernières années comme des moyens potentiels de protection, sauvetage ou réparation du myocarde ischémique.
Plus particulièrement les possibilités de néovascularisation des zones ischémiques et de régénération du myocarde infarci ont été soulignées, bien que de nombreuses incertitudes persistent.
Thérapie génique
Angiogenèse
Elle a pour concept la réactivation du myocarde hibernant en augmentant la vascularisation myocardique par transfert de gènes codants pour des substances spécifiques. Les molécules les plus utilisées dans ce but sont les facteurs de croissance vasculaire comme le FGF (fibroblast growth factor), le VEGF (vascular endothelial growth factor) ou le HGF (hepatocyte growth factor).
Les études expérimentales menées chez l’animal ont apporté la preuve de la validité du concept avec augmentation de la vascularisation des zones ischémiques et récupération de la fonction ventriculaire lorsque ces molécules sont apportées, soit directement dans le myocarde, soit via une infection cellulaire par un virus inactivé porteur du gène codant pour ces facteurs.
Après un enthousiasme initial, les essais cliniques de phases I et II (souvent de petites tailles) ont été beaucoup moins spectaculaires que les données précliniques. Avec le VEGF, quels que soient le vecteur utilisé (injections directes épicardiques ou endocavitaires d’un vecteur adénoviral, d’un plasmide ou de VEGF recombinant), ou l’indication (postinfarctus, angor sévère non accessible à une revascularisation), les résultats sont inconstants et peu spectaculaires (étude VIVA, 2003). Des résultats décevants ont également été rapportés dans l’angor après administration intracoronaire de FGF porté par un adénovirus (étude AGENT, 2002).
Autres voies
Lors du remodelage ventriculaire et de l’insuffisance cardiaque, l’excès de stress pariétal est en lui-même source de destruction cellulaire par apoptose. Les thérapeutiques freinant le processus apoptotique (dans lequel sont impliquées une multitude de protéines) sont potentiellement protectrices. L’inhibition de Bcl-2, une des protéines clés de l’apoptose cellulaire, s’est avérée bénéfique sur la fonction ventriculaire chez l’animal, essentiellement sur des modèles expérimentaux d’ischémie reperfusion.
L’altération de la contractilité cellulaire dans l’insuffisance cardiaque est due à la désensibilisation adrénergique et/ou à la réduction des mouvements calciques. Il est possible d’agir par transferts de gènes, soit sur les récepteurs adrénergiques ou sur l’adénylate cyclase (bAR ou bARK1), soit les flux calciques (SERCA-2a, phospholamban). De telles manipulations chez la souris transfectée se sont parfois révélées protectrices contre l’apparition d’une insuffisance cardiaque, mais elles ont pu aussi accélérer la progression de la maladie et le décès. Ces résultats ne sont pas surprenants quand on sait que toutes les études menées chez l’homme ayant utilisé des inotropes se sont soldées par un excès de mortalité.
Limitations
De nombreuses inconnues subsistent :
• Faut-il réellement privilégier le transfert de gène ou plutôt l’administration de la protéine ?
• Quelle est la technique optimale d’administration (doses uniques ou répétées) ?
• Quelles sont les voies d’administration optimales (percutanées ou chirurgicales) ?
Le type de transfert de ces facteurs est important (un transfert prolongé en grande quantité grâce à un vecteur viral sera plus efficace qu’une injection unique) comme le ciblage myocardique (pour éviter les effets délétères à distance). De plus, avec les facteurs favorisant la néoangiogenèse, la possibilité d’effets délétères (expansion/déstabilisation de la plaque d’athérome, développement de vaisseaux fonctionnellement anormaux, rétinopathie proliférante, potentialisation de la croissance de tumeurs malignes, etc.) n’est pas écartée. L’administration par voie générale d’un adénovirus porteur du gène bénéfique semble exclue après le décès tragique (par processus inflammatoire généralisé et incontrôlable) d’un jeune homme après injection de fortes quantités d’adénovirus dans l’artère hépatique aux États-Unis en 1999 (New York Times, 9 décembre 1999), ce qui a fortement (et transitoirement) freiné le développement de la thérapie génique au profit de la thérapie cellulaire.
Thérapie cellulaire
Concept
Faute de pouvoir utiliser des cardiomyocytes adultes (considérés en général comme incapables de multiplication et donc difficiles à obtenir en grand nombre), il faut se tourner vers des cellules souches, capables de se multiplier ex vivo en culture et/ou in vivo dans le myocarde, dans plusieurs buts potentiels, éventuellement associés :
• régénération du pool de cellules contractiles ;
• préservation du pool de cellules contractiles ;
• diminution et/ou régression du remodelage ventriculaire.
Les mécanismes potentiels des bénéfices attendus sont les suivants :
• différenciation des cellules souches en cardiomyocytes (ou au moins en cellules contractiles) ;
• recrutement (par sécrétion de cytokines par les cellules greffées) des cellules souches cardiaques adultes présentes dans le cœur de l’hôte (dont on sait l’existence en faible nombre à l’âge adulte) et qui peuvent alors se différencier en cardiomyocytes ;
• angiogenèse ou vasculogenèse par sécrétion de facteurs de croissance par les cellules greffées ou par potentialisation de la sécrétion de ces facteurs par les cellules hôtes ou par différenciation des cellules greffées en cellules endothéliales ou musculaires lisses vasculaires ;
• diminution de l’apoptose des cellules hôtes (par effet paracrine).
Cellules greffées
De très nombreux types de cellules souches ont été proposés :
Issues d’organes adultes (en greffe autologue) :
• myoblastes du muscle squelettique ;
• cellules souches myocardiques.
Issues de tissus adultes (en greffe autologue) :
• moelle osseuse : moelle totale, cellules mononuclées (progéniteurs hématopoïétiques et/ou endothéliaux, autres sous-types plus homogènes définis par marquage, etc.), cellules stromales ou mésenchymateuses, etc.) ;
• cellules du sang circulant (progéniteurs hématopoïétiques, cellules pluripotentes type MAPC, etc.).
Issues de tissus non adultes (avec les problèmes potentiels de rejet) :
• cardiomyocytes fœtaux ;
• cellules embryonnaires (blastocyste, sang du cordon).
Le type cellulaire idéal reste à déterminer, mais, à défaut de pouvoir obtenir par simple biopsie myocardique des cellules souches cardiaques (dont la présence, la quantité et les modalités d’obtention restent discutés), les cellules embryonnaires (qui peuvent dans certaines conditions se différencier en cardiomyocytes et ont des capacités de multiplication importantes) n’en sont probablement pas loin. Les expériences sur ce type cellulaire devraient se multiplier avec l’assouplissement des lois régissant leur utilisation dans le monde (notamment en France depuis juin 2004).
Myoblastes squelettiques
Ce sont les myoblastes squelettiques qui, indéniablement, ont fait l’objet de données expérimentales les plus exhaustives depuis près de 20 ans (Chiu, 1995), notamment en raison de leurs particularités favorables (facilité d’obtention par simple biopsie musculaire, possibilité d’utilisation en greffes autologues, capacités de multiplication élevées in vitro, forte résistance à l’ischémie permettant leur survie dans des zones de fibrose) (figures 1 et 2).
Figure 1. Greffe de myoblastes dans les cardiomyopathies ischémiques.
Figure 2. Injections intracoronaires de cellules souches médullaires dans les syndromes coronariens aigus.
Ainsi, après greffe dans une zone d’infarctus, et en dépit d’une mortalité cellulaire initiale très élevée, les myoblastes :
• se multiplient, se différencient en myotubes (cellules musculaires squelettiques adultes) et forment des greffons viables au sein de la fibrose postinfarctus, résultats confirmés à l’autopsie du premier patient greffé (Hagège, Lancet 2002) ;
• sont capables de se contracter in vivo, mais pas de manière synchrone aux cellules hôtes, faute de l’existence de connections entre greffon et tissu greffé (Léobon, PNAS 2002) ;
• améliorent la fonction globale ventriculaire gauche (résultat constamment observé quels que soient la technique d’évaluation, l’équipe en cause, le modèle expérimental, mais aussi dans l’étude clinique de phase I) et probablement la fonction régionale, par un(des) mécanisme(s) non élucidé(s) ;
• sécrètent des facteurs de croissance (angiogéniques notamment).
Les myoblastes squelettiques ont été, de ce fait, privilégiés pour la première application clinique en juin 2000 (Menasché, Lancet 2001), la première étude de phase I (faisabilité, sécurité), menée dans le postinfarctus (10 patients) par une équipe française (Menasché, JACC 2003), et l’étude MAGIC (Myoblast Autologous Grafting in Ischemic Cardiomyopathy), essai randomisé de phase II (efficacité), international, multicentrique, initié par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et la société de biotechnologies Genzyme® Biosurgery). MAGIC est un essai portant sur des patients coronariens, aux antécédents d’infarctus (sans viabilité en écho-dobutamine), avec FE < 35 % et indication de pontage(s) aorto-coronaire(s) dans des territoires autres que celui de l’infarctus, recevant myoblastes ou placebo (milieu de culture) dans la zone infarcie. Les myoblastes (prélevés par simple biopsie de 10-15 g à la cuisse sous anesthésie locale 3 semaines avant la chirurgie programmée, puis mis en culture au laboratoire pendant ce délai) sont injectés directement à l’aiguille dans le myocarde fibreux.
Les modalités de culture ont été validées en France par l’AFSSAPS (jusqu’à 1 milliard de myoblastes produits à partir d’une simple biopsie) et la sécurité de l’acheminement de la biopsie, du centre où la chirurgie est programmée vers le laboratoire de thérapie cellulaire (St-Louis à Paris, pour l’Europe, et Genzyme® à Boston, pour l’Amérique) puis du laboratoire vers la salle d’opération l’a été également.
Plus de 40 patients ont été inclus à ce jour (300 prévus) dans l’étude MAGIC. Les inclusions sont proposées par les cardiologues de ville ou les centres hospitaliers auprès des centres régionaux (CHU) participants à l’étude (où auront lieu biopsie, pontages et greffes) : Besançon, Bordeaux, Grenoble, Nantes, Lille, Lyon (2 centres), Paris (HEGP, Cochin), Rennes, Rouen, Toulouse.
La possibilité d’arythmies ventriculaires induites dans la période postopératoire a nécessité l’implantation systématique d’un défibrillateur (non illicite chez ces patients si l’on en croit les résultats de l’étude MADIT II).
Le critère principal d’évaluation est l’amélioration en échocardiographie de la contractilité segmentaire dans la zone infarcie greffée préalablement akinétique, tandis que les critères secondaires portent sur la fraction d’éjection, la morbidité et la mortalité cardio-vasculaires. Les résultats ne devraient pas être disponibles avant 2 ans.
D’autres études utilisant les myoblastes, administrés par voie épicardique ou transendocardiques, dans les cardiopathies ischémiques, sont également en cours aux États-Unis et en Europe.
Cellules souches médullaires
Il faut souligner d’emblée que la différentiation des cellules souches médullaires (CSM) en cardiomyocytes, longtemps espérée voire affirmée (Orlic, Nature 2001), a été récemment réfutée (à l’exception peut-être des cellules souches mésenchymateuses, présentes en petite quantité dans la moelle totale) par plusieurs travaux récents (Murry et Balsam, Nature 2004). Pas plus que les myoblastes, les CSM ne se transforment en cardiomyocytes, mais ils donnent naissance à des cellules de la lignée hématopoïétique qui peuvent avoir leurs propres effets favorables (angiogenèse).
L’intérêt potentiel des CSM est leur accessibilité, plus simple que les myoblastes, l’absence de mise en culture (ces cellules se multiplient difficilement in vitro), ce qui permet leur utilisation dans des situations d’urgence comme dans les syndromes coronaires aigus (SCA). De plus, la possibilité pour les cellules progénitrices endothéliales (EPC) de se différencier en culture en cellules endothéliales matures, peut être utilisée en thérapeutique (angiogenèse). Les EPC sont extraites des cellules mononucléées (MNC) de la moelle osseuse ou (plus difficilement) du sang périphérique. L’existence d’EPC circulants capables de migrer et de se transformer en cellules cardiaques (mis en évidence par la présence de cellules cardiaques XY dans des cœurs prélevés chez des femmes et transplantés chez des hommes) soulève l’espoir d’une mobilisation possible de ces cellules chez le coronarien (par le G-CSF par exemple).
En dépit de la relative pauvreté des travaux expérimentaux, les CSM ont fait l’objet, en raison de leur facilité d’obtention (par simple aspiration médullaire à la crête iliaque d’environ 130 ml), d’applications cliniques nombreuses, notamment en Allemagne dans les SCA. Citons parmi celles-ci :
• l’étude de Stamm (Lancet 2003) basée sur des injections lors de pontages de cellules médullaires autologues dans la zone bordante de l’infarctus ;
• les études de Strauer (Circulation 2002) et TOPCARE-AMI (Assmus, Circulation 2002) menées à J4-J6 de l’infarctus avec des MNC autologues (médullaires ou périphériques) administrées en intracoronaire ;
• les études de Perin (Circulation 2003) et Tse (Lancet 2003) menées dans les cardiomyopathies ischémiques par injections transendocardiques de MNC ;
• l’étude randomisée BOOST (Lancet 2004) utilisant de la moelle autologue (filtration 6-8 heures, puis injections intracoronaires d’environs 30 ml au-delà du ballonnet d’angioplastie à J4-J8 du SCA) versus un groupe contrôle.
Ces études suggèrent une efficacité très modérée et inconstante sur la fraction d’éjection globale comme segmentaire (essentiellement dans les zones bordantes de l’infarctus).
Il faut en rapprocher les résultats spectaculaires d’une étude japonaise randomisée contrôlée menée chez des patients artéritiques sévères chez lesquels l’administration intramusculaire de PEC circulants autologues entraîne une néoangiogenèse avec une efficacité clinique manifeste (Tateishi-Yuyama, Lancet 2002).
Ces études ne permettent donc pas de conclure définitivement sur l’efficacité de ces greffes cellulaires, efficacité dont le mécanisme exacte reste méconnu (angiogenèse, sécrétion de facteurs paracrines). Alors qu’il ne semble pas exister d’arythmies graves provoquées par ce type de greffe, d’autres complications ont été récemment évoquées :
• augmentation de la fréquence des resténoses intrastents dans une étude humaine utilisant des EPC obtenus après stimulation par G-CSF et réinjectés par voie intracoronaire ;
• micro-infarctus myocardiques lors d’injections intracoronaires de cellules mésenchymateuses médullaires chez le chien (Kang et Vuilliet, Lancet 2004).
L'avenir
À l’évidence, les myoblastes squelettiques (dont l’obtention en grande quantité nécessite une culture prolongée) semblent préférentiellement s’adresser aux cardiomyopathies ischémiques tandis que les CSM sont plutôt indiquées dans les SCA. L’efficacité clinique de la thérapie cellulaire pour régénérer/préserver le myocarde ischémique avec des conséquences fonctionnelles favorables reste discutée. Les mécanismes potentiels de cette efficacité sont aujourd’hui méconnus (plus encore le mécanisme principal, la régénération du pool cardiomyocytaire, sur lequel était fondé ce traitement, a été réfuté), mais il faut souligner que de nombreuses thérapeutiques médicales ont été utilisées avec une efficacité clinique validée bien avant que les mécanismes exacts de leurs effets bénéfiques n’aient été élucidés.
Enfin, d’autres voies sont actuellement à l’étude, portant sur les modalités de culture, la lutte contre la mortalité précoce des cellules greffées, la modification du matériel génétique des cellules avant greffe (sécrétion de facteurs clés de croissance, protection contre la mort cellulaire, etc.), la recherche de voies d’administration moins invasives (voie du sinus coronaire, déjà testée en clinique), l’étude d’autres applications (cardiomyopathies dilatées)...
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