Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 02 mai 2006Lecture 7 min
Traitement de la FA : la chirurgie a-t-elle sa place ?
J.-F. OBADIA, hôpital cardiothoracique Louis Pradel, Lyon
Le traitement chirurgical de la fibrillation auriculaire (FA) est essentiellement proposé en association à un geste sur la valvule mitrale. Ces FA complexes avec oreillettes remodelées n’ont jamais été une cible thérapeutique pour les techniques endocavitaires et il est peu probable que cela change. Le meilleur traitement de ces FA est néanmoins préventif et milite pour une chirurgie précoce des valvulopathies. Dans le traitement des FA isolées, la chirurgie mini-invasive pourrait devenir une alternative séduisante aux procédures endocavitaires de plus en plus complexes pour peu qu’on accepte de se donner les moyens objectifs d’une évaluation comparative de ces nouvelles techniques.
Introduction
Comme pour les autres thérapeutiques interventionnelles antiarythmiques, le traitement de la FA a longtemps été chirurgical avant d’être endocavitaire. Dans les années 80, les travaux de l’équipe de St-Louis (Boisneau et Cox) ont conduit à l’intervention du « labyrinthe de Maze », qui reste aujourd’hui encore le gold standard en termes d’efficacité avec plus de 90 % de retour en rythme sinusal (figure 1). Cette efficacité affichée et reconnue reste toutefois très théorique car, compte tenu de sa lourdeur, la chirurgie de la FA ne s’est jamais réellement développée et elle n’a jamais représenté un secteur significatif de l’activité de la chirurgie cardiaque.
Figure 1. Résultats de l’intervention de MAZE : la chirurgie de Maze reste le Gold standard en matière d’efficacité dans le traitement non médical de la FA.
L’ablation percutanée des FA isolées, développée au cours des années 90 en particulier sous l’influence de l’équipe bordelaise, s’intéresse à un secteur qui n’était autrefois qu’exceptionnellement chirurgical. Il est donc historiquement faux de présenter les techniques chirurgicales et percutanées comme si elles étaient en compétition.
Physiopathologie
Il semble exister un continuum dans l’évolution des FA (figure 2) avec au départ un facteur déclenchant, préférentiellement situé au niveau de l’abouchement des veines pulmonaires dans l’oreillette gauche (théorie des foyers), suivi d’un remodelage avec dilatation auriculaire qui entretient et pérennise l’arythmie (théorie du substrat). Ces données physiopathologiques expliquent bien le succès de l’ablation percutanée dans les FA paroxystiques où l’isolement des veines pulmonaires est suffisant pour exclure un foyer arythmogène localisé.
Figure 2. Au début, les FA paroxystiques sont essentiellement la conséquence de foyers situés dans les veines pulmonaires (VP), donc accessible à une isolation percutanée des veines pulmonaires (IVP). Ensuite, le remodelage auriculaire devient l’élément essentiel générant les FA permanentes et surtout persistantes qui ne sont alors curables qu’au prix d’un geste auriculaire complémentaire (Maze chirurgical).
La nécessité de réaliser des lignes transmurales dès qu’il s’agit de FA plus complexes rend bien compte des limites actuelles des techniques percutanées qui peinent à réaliser de vraies lignes d’ablation continues intraauriculaires.
En revanche, la chirurgie isole non seulement les veines pulmonaires mais, de plus, elle permet de réaliser facilement des lignes complémentaires intraauriculaires, ce qui lui donne un avantage décisif dans le traitement des FA complexes.
Acceptabilité d’une nouvelle technique
Pour être largement acceptée une nouvelle technique doit être suffisamment efficace au prix d’une agressivité modérée, ce qui n’est ni le cas de la chirurgie de Maze (efficace mais trop complexe), ni des techniques percutanées (peu agressives mais d’efficacité inconstante).
L’immense majorité des patients en FA ne relève donc pas aujourd’hui de ces thérapeutiques interventionnelles.
Les investissements majeurs de l’industrie dans ce secteur prometteur ont permis et laissent espérer des progrès à venir, certains tant pour la chirurgie que pour les techniques endocavitaires.
- Le côté agressif de la chirurgie a notablement diminué en remplaçant les lignes d’incisions-sutures par des sources d’énergie différentes (froid, radiofréquence, ultrasons, micro-ondes, etc.) mais au prix d’une légère diminution des performances surtout lorsque les lignes d’ablation sont limitées au cœur gauche et lorsque la ligne rejoignant l’anneau mitral est absente.
- Les techniques ablatives ont, au contraire, amélioré leurs performances, mais au prix d’une complexification accrue des procédures (cathétérisme trans-septal, mapping auriculaire, durée augmentée de procédures parfois multiples, etc.).
Finalement aujourd’hui (figure 3), après des chemins inverses, la chirurgie et les techniques percutanées ont tendance à se rejoindre en termes d’efficacité et d’agressivité, même si une différence majeure persiste : les patients pris en charge en chirurgie ont des FA plus complexes que ceux habituellement traités par les techniques percutanées.
Figure 3. Schéma évaluant l’acceptabilité d’une nouvelle technique : la chirurgie de Maze est certes efficace, mais trop complexe pour connaître un développement significatif. Les techniques d’ablation percutanées sont peu invasives, mais restent insuffisamment efficaces en dehors des FA paroxystiques. En simplifiant le schéma des lignes de Maze la chirurgie perd en efficacité (flèche verte). Pour augmenter leur efficacité, les techniques ablatives sont devenues plus complexes (flèche jaune).
Encadré 1. Place actuelle de la chirurgie ?
La chirurgie de la FA ne s’est réellement imposée qu’en association à un geste sur la valvule mitrale. L’activité d’ablation endocavitaire de la FA s’intéresse aux FA isolées souvent paroxystiques et donc à un secteur qui n’a jamais été chirurgical. Il est donc historiquement faux de présenter les techniques chirurgicales et ablatives comme si elles avaient été en compétition.
Encadré 2. Les atouts de la chirurgie
Elle permet, avec des sources d’énergie variées, appliquées en épicardique ou bipolaire (risque œsophagien et risque des sténose pulmonaire exclu), des gestes plus complets (exclusion des foyers pulmonaires + lignes intra-auriculaires ± exclusion de l’auricule gauche) et donc plus efficaces. Les approches mini-invasives de moins en moins agressives sont finalement comparables aux procédures endocavitaires complexes avec cathétérisme trans-septal et cartographie intra-OG.
Encadré 3. Évaluation des résultats.
L’évaluation future de ces thérapeutiques chirurgicales ou endocavitaires restera délicate tant les facteurs confondants dans l’interprétation des résultats sont nombreux.
Indication : taille de l’OG, type et ancienneté de la FA traitée…
Résultats : pérennité du RS obtenu avec ou sans contractilité auriculaire, avec ou sans anti-arythmiques associés, avec ou sans antithrombotiques…
Encadré 4. Du bon sens.
Le meilleur traitement des FA secondaires est la correction chirurgicale précoce de la valvulopathie responsable.
La majorité des FA essentielles sont bien tolérées au prix de thérapeutiques médicales simples et les nouvelles approches interventionnelles chirurgicales ou percutanées voire hybrides devront être adoptées prudemment et évaluées avec précision. Le véritable enjeu de l’avenir, c’est l’évaluation.
Les atouts potentiels de la chirurgie
Une courte anesthésie générale est plus confortable que de longues séances itératives d’ablations percutanées. L’agression des gestes réalisés par un abord mini-invasif (figure 4) est finalement peu différente de celle des procédures complexes avec cathétérisme transseptal et cartographie intra-OG.
Figure 4. Progrès de la chirurgie mini-invasive : au prix d’une agression minime (anesthésie générale < 2 h) et d’une hospitalisation courte, un geste anti-arythmique complet devrait être réalisable.
La chirurgie peut utiliser les voies épicardique ou bipolaire qui éliminent complètement le risque de perforation œsophagienne inhérent à la voie endocardique, seule possible pour les techniques endocavitaires. La chirurgie peut aussi utiliser toutes les énergies (radiofréquence, froid, ultrasons, micro-ondes, etc.) alors que les techniques endocavitaires se limitent essentiellement à la radiofréquence et plus récemment au froid.
L’application chirurgicale plus précise des sources d’énergie à distance des ostiums vasculaires élimine le risque de sténose des artères pulmonaires rencontré après ablation percutanée. Surtout, les gestes réalisés par la chirurgie sont plus complets (figure 5). Le résultat respecte ainsi mieux les principes du gold standard (Maze), ce qui permet d’attendre un contrôle meilleur et plus durable du rythme sinusal, en particulier pour les FA complexes anciennes.
Figure 5. Schémas comparatifs des gestes habituellement réalisés : les techniques ablatives se limitent classiquement à l’exclusion des foyers pulmonaires (PVI) par application de radiofréquence autour des veines pulmonaires droites et gauches (VPD et VPG). La chirurgie autorise un geste plus complet en s’adressant en plus au remodelage auriculaire, ligne en direction de la valvule mitrale (M) et de l’auricule gauche (LA). Elle peut également diminuer la taille de l’OG et/ou exclure l’auricule gauche.
Évaluation des résultats
Une étude comparative est nécessaire si l’on veut que les avantages théoriques de la chirurgie aient une chance de s’exprimer. Il faudrait alors évaluer non seulement les indications (type et ancienneté de la FA, taille de l’OG, etc.), mais aussi la qualité des résultats qui ne se limite pas au taux immédiat de retour en rythme sinusal.
Il faut également tenir compte de la pérennité du rythme, de la nécessité ou non de poursuivre un traitement pharmacologique ou d’implanter un pacemaker. La récupération contractile des oreillettes gauche et droite doit être évaluée en échographie.
Enfin, le résultat fonctionnel et le taux d’accidents thrombo-emboliques avec ou sans antithrombotiques doivent être précissé.
Il apparaît donc que, même au-delà des obstacles corporatistes, l’évaluation de ces thérapeutiques restera délicate tant les facteurs confondants dans l’interprétation des résultats sont nombreux.
En pratique
Le véritable enjeu pour le futur n’est pas la FA associée aux valvulopathies, dont le traitement devrait rester chirurgical, ni les FA paroxystiques, qui seront de plus en plus efficacement accessibles aux techniques percutanées, mais, au contraire, toutes les FA isolées permanentes résistantes au traitement médical, pour lesquelles les places de la chirurgie et de l’ablation restent à définir.
C’est seulement dans ces nouvelles indications que la chirurgie et les techniques percutanées peuvent éventuellement être en compétition. Il est aussi possible que des techniques hybrides tirant avantage de ces deux approches voient le jour.
Il est toutefois essentiel de rappeler que, dans la majorité des cas, les FA essentielles sont parfaitement bien tolérées au prix de thérapeutiques médicales simples et que les approches interventionnelles chirurgicales ou percutanées devront être adoptées prudemment et évaluées avec précision. Le véritable enjeu de l’avenir, c’est l’évaluation.
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