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Cardiomyopathies

Publié le 30 mai 2006Lecture 12 min

Alcoolisation septale dans la CMO - Chez tout patient qui reste symptomatique ?

M.-C. MORICE, Massy et P. Charron, Paris

La cardiomyopathie hypertrophique est caractérisée par une hypertrophie asymétrique du septum, avec ou sans obstruction dynamique de la voie d’éjection, et une élévation des pressions de remplissage diastolique. Il s’agit d’une cardiomyopathie primitive de composante héréditaire. La prévalence de la cardiomyopathie hypertrophique dans la population générale est estimée aux alentours de 1 pour 500. Beaucoup moins nombreux sont les patients symptomatiques, et encore moins nombreux ceux qui le restent sous traitement médical bien conduit. Ce sont ces derniers pour lesquels une option thérapeutique autre que médicale doit être envisagée. L’engouement pour cette technique se traduit par des chiffres : le nombre total des patients traités par alcoolisation, depuis sa description il y a 11 ans (4 000), dépasse maintenant le nombre cumulé de patients opérés de myomectomie depuis la description de cette technique il y a près de 50 ans (3 000).
M.-C. Morice et P. Charron expriment ici leur point de vue sur cette séduisante thérapeutique.

Une alternative séduisante  P. CHARRON, CHU La Pitié-Salpêtrière, Paris         Peut-on proposer cette technique à tout patient symptomatique ayant une cardiomyopathie obstructive (CMO) ? Tout un chacun peut-il, sans arrière-pensée, se lancer dans cette procédure interventionnelle ? La réponse doit clairement être nuancée. Sans remettre en cause la procédure d’alcoolisation coronaire septale, que nous pratiquons nous-mêmes régulièrement à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière après avoir acquis la technique auprès de nos collègues allemands il y a plusieurs années déjà, nous allons passer en revue brièvement les éléments de réponse à notre disposition. Le bénéfice de la procédure À court terme, la réduction du gradient intraventriculaire gauche obtenue par alcoolisation septale est manifeste, aussi bien au repos qu’après épreuve de provocation. Le score NYHA s’abaisse significativement, et les paramètres objectifs de capacité d’effort (durée d’épreuve d’effort, consommation maximale d’oxygène) s’améliorent également. Les deux éléments suivants amènent à pondérer ces résultats. Le bénéfice n’est avéré qu’à court terme selon des publications dont le recul est le plus souvent de 6 mois, et au maximum de 3 ans et, dans ce dernier cas, sur des effectifs de moins de 100 cas dans chaque cohorte. Que se passe-t-il au-delà de 3 ans ? Nous n’en avons aucune idée. On peut d’ailleurs se demander ce que sont devenus les milliers de patients qui ont fait l’objet de la procédure et s’étonner qu’une nouvelle technologie n’ait pas donné lieu à la constitution de registres prospectifs systématiques. Le bénéfice de la procédure n’a pas été comparé directement à la technique de référence qui reste l’intervention chirurgicale de myomectomie. Il n’existe aucune étude randomisée. Nous disposons seulement de quelques études comparatives de cohortes de patients. Dans la plupart d’entres elles, l’amélioration du gradient et du score NYHA est similaire avec les deux techniques (quoique moindre après l’alcoolisation dans l’expérience de la fondation Cleveland). Dans les rares études qui disposent d’une appréciation objective de la capacité d’effort (VO2 max en l’occurrence), le résultat était significativement meilleur après myomectomie qu’après alcoolisation (expérience de McKenna et coll.).   Les effets secondaires de la procédure à court terme   La mortalité associée à l’alcoolisation septale ne doit surtout pas être négligée. Toutes les séries, et en particulier celles des équipes qui ont la plus grande expérience en la matière, rapportent une mortalité de 1 à 2 % pendant la phase hospitalière (ce taux est de 1,7 % sur 404 procédures en Allemagne). Cela apparaît très proche des 2 % de mortalité hospitalière rapportés avec la myomectomie, dans des centres expérimentés. La dernière série chirurgicale rapportée en 2005 concernant 289 myomectomies rapporte même un taux de mortalité de 0,8 % (figure 1). Figure 1. Comparaison des 2 techniques (études randomisées). La morbidité de l’alcoolisation septale est elle-même substantielle : - l’effet secondaire le plus fréquemment observé est le bloc auriculo-ventriculaire complet, qui conduit à implanter un pacemaker dans près de 20 % des cas après alcoolisation septale dans la plupart des centres, et au mieux dans près de 10 % des cas pour les centres les plus expérimentés (figure 2). En revanche, le taux d’implantations de pacemaker après chirurgie est d’environ 2 %, soit près de 10 fois moins ; - de plus, après l’alcoolisation septale, il est difficile de prédire l’extension de la zone nécrosée. Dans certains cas, la procédure peut se compliquer d’une nécrose excessive et dommageable, soit par reflux de l’éthanol dans l’artère IVA (par rupture du ballonnet ou par manque d’étanchéité), soit par diffusion en aval dans un réseau qui vascularise non seulement le septum basal mais aussi une zone atypique comme un pilier mitral ou le ventricule droit. Dans notre expérience, cette dernière situation peut être utilement prédite par l’échographie de contraste. Figure 2. Fréquence de la mise en place d’un stimulateur après la procédure. Les effets secondaires de la procédure à long terme La grande question, toujours non résolue, est de savoir quel est le devenir à long terme des patients ayant bénéficié d’une alcoolisation septale. Nous ne possédons pas d’élément de réponse puisque le suivi de cohortes ne dépasse pas 3 ans. En revanche, des interrogations sont légitimes. Un possible risque de remodelage ventriculaire en raison de la création initiale d’un infarctus du myocarde, avec possible évolution plus fréquente vers la dysfonction ventriculaire gauche ? À court terme, il a seulement été montré que la fraction d’éjection s’abaisse de quelques pourcents, mais sans pertinence clinique. Un éventuel risque proarythmogène de la technique. Plusieurs cas cliniques ont d’ailleurs été rapportés avec mort subite ou trouble du rythme ventriculaire soutenu survenant au-delà de la phase hospitalière précoce (durant cette phase précoce, le risque d’arythmie est classique et justifie la surveillance sous scope pendant 4 à 7 jours). Il n’est pas possible de déterminer si ces cas sont en relation avec l’histoire naturelle de la maladie ou bien s’ils relèvent d’un effet proarythmogène. Ils incitent à penser à tout le moins que la procédure d’alcoolisation septale ne modifie probablement pas l’histoire naturelle de la maladie et son risque rythmique. La myomectomie fait-elle mieux que l’alcoolisation septale à cet égard ? De récentes données permettent de le suggérer. Une étude collaborative publiée en 2005 a suivi une cohorte de 1 337 patients avec CMH. La survie cumulée à six ans dans le groupe des patients opérés de myomectomie (289 patients) s’est révélée significativement meilleure que celle des patients non opérés avec CMH obstructive (228 patients) et similaire à celle des patients avec CMH non obstructive (820 patients).   Des indications variables selon le type de patient Les caractéristiques des patients doivent être minutieusement établies avant de pouvoir retenir l’indication d’un traitement non pharmacologique, et de faire le choix de l’alcoolisation septale. Il faut d’abord bien s’assurer que le patient est suffisamment symptomatique (classe III ou IV de la NYHA) et que le traitement pharmacologique a été bien conduit, avec une dose maximale de bêtabloquant ou l’association à diverses autres thérapeutiques (inhibiteur calcique, disopyramide, cibenzoline). Sinon, il n’est pas possible de retenir d’indication pour ces procédures non pharmacologiques, en raison de la morbi-mortalité associée. Il faut ensuite faire un examen échographique attentif. Une insuffisance mitrale significative et des anomalies mitrales organiques associées (malposition de pilier, élongation de valve) vont conduire à préférer une intervention chirurgicale avec un geste de myomectomie qui sera complété par une plastie mitrale. - La présence d’une obstruction de localisation atypique (médio-ventriculaire ou apicale) ou la présence d’un second site d’obstruction (observation assez fréquente si on la recherche bien) ne rendra pas raisonnable une alcoolisation septale. De même, l’obstruction intraventriculaire gauche contraste parfois avec une épaisseur septale modeste (< 18 mm) qui ne fait pas retenir l’alcoolisation septale en raison de l’impact possible de la nécrose. Enfin, les incertitudes qui pèsent sur les effets à long terme ne permettent pas aujourd’hui de retenir l’indication d’une alcoolisation chez un enfant ou un adolescent. La chirurgie est ici une indication élective. - À l’inverse, une comorbidité associée rendra plus délicate une intervention chirurgicale et orientera davantage vers une alcoolisation septale. Par ailleurs, les patients qui ont une obstruction significative après épreuve de provocation mais absente au repos ne sont pas de bons candidats pour la chirurgie alors que l’indication est actuellement retenue pour l’alcoolisation septale.   Conclusion   L’alcoolisation coronaire septale constitue une alternative séduisante à l’intervention de myomectomie chez le patient symptomatique avec CMH obstructive. Les données disponibles obligent cependant à reconnaître que de nombreuses incertitudes pèsent sur le long terme de ces patients. De plus la morbi-mortalité observée à court terme ne doit pas être sous-estimée puisqu’elle est finalement globalement équivalente à celle de l’intervention chirurgicale, qui reste la technique de référence chez ce type de patient. Les indications doivent être sélectives et retenues après un examen minutieux, notamment échographique, et la procédure doit être confiée à un centre expérimenté.   Un élargissement contrôlé des indications M.-C. MORICE, Institut Cardiovasculaire Paris Sud, Massy  Découverte dans les années 50, la cardiomyopathie obstructive (CMO) a commencé à être traitée chirurgicalement dans les années 60. Ce traitement chirurgical, utilisé depuis maintenant 45 ans, demeure la stratégie thérapeutique de référence. En 1996, Sigwart a proposé l’alcoolisation septale comme technique alternative. L’utilisation de cette technique s’est largement répandue puisque l’on considère que quelque 3 000 patients ont été traités dans le monde en 45 ans par la chirurgie alors que plus de 4 000 patients ont été traités en 10 ans par alcoolisation septale.   En quoi consiste la technique ? Cette intervention percutanée consiste à injecter une solution d’alcool pur dans une branche septale de l’artère coronaire interventriculaire antérieure afin de provoquer un infarctus du myocarde dans le septum ventriculaire proximal. L’ablation septale reproduit les conséquences hémodynamiques de la myectomie ; elle : • diminue l’épaisseur et l’excursion septales basales (induisant un mouvement septal akinétique ou hypokinétique), • élargit la chambre de chasse du ventricule gauche, • et réduit ainsi le mouvement antérieur systolique de la valve mitrale et la régurgitation mitrale. Après la réalisation d’une coronarographie standard, on positionne un cathéter à ballonnet dans le segment proximal d’une artère septale majeure à l’aide de guides coronaires flexibles. Une sonde de stimulation temporaire est placée à l’apex ventriculaire droit en prévision de la survenue d’un nœud (bloc) atrioventriculaire. Après inflation du ballonnet, on procède à une artériographie de la lumière pour vérifier que le ballonnet se trouve dans la position anatomique souhaitée et pour s’assurer qu’aucune fuite d’alcool ne se produise dans l’IVA ou le système veineux coronaire. L’échocardiographie myocardique de contraste (avec injection d’un produit de contraste) permet de sélectionner la branche septale appropriée, de déterminer précisément la partie du septum ciblée pour l’injection d’alcool et l’induction de l’infarctus, et de s’assurer que la branche septale choisie ne perfuse pas également d’autres territoires plus éloignés du myocarde ventriculaire droit ou gauche ou des muscles papillaires (figure 1).   Figure 1. Écho de contraste permettant de cibler la zone septale appropriée. La quantité d’éthanol à injecter est estimée par visualisation angiographique de l’anatomie septale. En général, on injecte lentement de 1 à 3 cm3 (1,5 à 2 cm3 en moyenne) d’éthanol dessiqué (concentration à 95 % minimum) dans la branche septale et le septum par l’intermédiaire du cathéter à ballonnet (figure 2). Cette injection induit un infarctus du myocarde qui se traduit par une élévation des CPK de l’ordre de 400 à 2 500 unités, ce qui correspond à une surface de nécrose représentant 3 à 10 % de la masse ventriculaire gauche (20 % du septum).   Figure 2. Injection d’éthanol dans la branche septale après sa localisation par écho de contraste. Baseline = état basal ; Contrast = contraste ; Ethanol = éthanol.   Une alcoolisation septale réussie entraîne une réduction du gradient mesurable dans la salle de cathétérisme. Dans la plupart des cas, une diminution secondaire progressive du gradient survient au bout de 6 à 12 mois dans une mesure équivalente à celle obtenue après myectomie (figure 3 A et B). Elle résulte du remodelage du septum, sans affecter de manière significative la fraction d’éjection ventriculaire gauche globale. Figure 3. A. Effet durable de l’alcoolisation sur le gradient de repos. B. Régression de l’épaisseur septale au fil du temps après alcoolisation. On observe souvent une évolution du gradient en 2 phases dans les cas où les résultats immédiats de l’ablation septale se traduisent par une réduction spectaculaire (probablement imputable à la sidération du myocarde) suivie d’une augmentation de l’ordre de 50 % du niveau préprocédural, le lendemain de la procédure, probablement en raison de l’œdème, puis d’une diminution qui peut être très importante au cours des mois suivants.   Apport de l’imagerie par résonance magnétique - En complément de l’échocardiographie, qui reste l’outil de choix pré-, per- et postprocédure, nous avons pris l’habitude de suivre ces patients en IRM. Outre la morphologie de la cardiomyopathie par l’étude de la perfusion précoce et tardive, l’IRM permet d’apprécier avant la procédure, l’existence ou non de foyers fibreux dans le myocarde, dont on a dit qu’ils étaient un facteur prédictif de mauvais pronostic, et surtout, après la procédure, d’être l’un des témoins du succès de l’alcoolisation septale. On peut fort bien mesurer l’importance de la masse nécrosée, sa localisation dans le septum et apprécier à moyen terme l’amincissement de ce septum (figures 4, 5 et tableau). - L’IRM de contrôle après procédure montre de façon constante une diminution, voire une disparition de l’insuffisance mitrale, qui est notée aussi de façon constante en préprocédure. Cela démontre l’inutilité des gestes chirurgicaux complémentaires ou exclusifs pratiqués sur la valve mitrale. Figure 4. Hypoperfusion septale. Figure 5. Réhaussement tardif. Notre expérience à l’Institut Jacques Cartier Elle porte sur 77 patients et 83 procédures depuis l’an 2000. L’âge moyen des patients était de 54 ans, 56 % étaient de sexe masculin, 90 % étant en classe fonctionnelle II et plus ; 29 % des patients avaient déjà un pacemaker. Le gradient moyen était de 80 mm. Deux septales ont été alcoolisées (notre travail est guidé par les échographistes et nous n’avons pas rencontré de cas où le patient n’avait pas de septale à alcooliser). Le gradient résiduel postprocédure était de 22 mm, le pic de CPK à 1 000 en moyenne avec un pic de troponine à 37. Il y a eu 3 échecs (3,6 %) : incapacité de réduire le gradient ou de cathétériser une septale. Les complications postprocédurales ont été : un décès (1,2 %) à la suite d’un BAV survenu à J4. Par ailleurs, 6 patients (10,10 %) ont eu besoin d’un pacemaker.   Que faut-il en attendre ?   Une substitution progressive à la chirurgie Comme souligné précédemment, l’alcoolisation septale est dans les faits en train de rendre la chirurgie obsolète en s’y substituant. L’ablation par alcoolisation septale, beaucoup plus simple à mettre en pratique, a également une courbe d’apprentissage et devrait être aussi pratiquée régulièrement pour obtenir une morbi-mortalité basse.   Dans l’attente d’études randomisées Bien qu’aucune étude randomisée n’ait prouvé que l’alcoolisation septale était aussi efficace que la chirurgie ou plus efficace que le traitement médical en ce qui concerne la survie des patients, il est indiscutable que l’amélioration des symptômes est constante et probablement identique à celle obtenue par la chirurgie. Pour comparer les deux techniques en termes d’efficacité Pour le prouver, il faudrait une étude randomisée qui n’a pas été conduite à ce jour car la pathologie est relativement rare, les centres expérimentés dans les deux techniques encore plus. On peut noter que le consensus ACC/ESC sur la cardiomyopathie, publié en 2003, préconisait un volume supérieur à 10 myectomies par an dans les centres de chirurgie. Or, peu de centres pratiquent ce nombre d’interventions. et en termes de risques Des études à long terme menées chez les patients traités sont nécessaires. Récemment, le risque potentiel d’augmenter les troubles du rythme en créant un infarctus septal avec risque de mort subite a été soulevé (figure 6). Ce risque n’a pas été mis en évidence dans la réalité, mais il mériterait sans aucun doute d’être exploré sur le long terme. Figure 6. Analyse de survie et résultats en termes de mort subite d’origine cardiaque. Cependant, les pionniers de cette méthode, en particulier les équipes allemandes qui en ont la plus large expérience, rapportent des résultats à moyen terme très favorables, qui ne supportent pas l’hypothèse de l’aggravation du risque rythmique.   En conclusion   La technique d’alcoolisation septale est rapide, efficace et sûre dans des mains expérimentées. Elle représente une façon élégante et moins invasive d’amincir le septum et de le rendre akinétique, permettant ainsi de façon constante d’améliorer les symptômes des patients ou d’abolir le gradient et constituant une alternative au traitement chirurgical. Même si la chirurgie reste le traitement de référence, nous disposons maintenant de 10 ans de recul sur les alcoolisations septales. Cette procédure est de loin la plus employée dans le traitement des cardiomyopathies obstructives symptomatiques avec gradient important. La relative simplicité de la procédure et la morbi-mortalité assez basse ne doivent cependant en aucun cas justifier, à notre avis, l’élargissement des indications à d’autres patients que ceux très symptomatiques (NYHA III et IV) avec gradient provoqué ou spontané > 80 sous traitement médical.

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