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Complication

Publié le 31 mai 2014Lecture 5 min

Défibrillateur et conduite automobile

M. LERECOUVREUX, Y. HÉMERY et C. D'IVERNOIS, Centre Hospitalier de la Côte

Le défibrillateur automatique implantable (DAI) a démontré son efficacité pour diminuer le risque de mort subite, mais un trouble du rythme ventriculaire grave expose à un risque d’incapacitation brutale dont la survenue au volant est potentiellement dangereuse pour le conducteur et les autres usagers. Quel est le niveau de ce risque ? Quelles recommandations donner à nos patients ? Quelles est leur responsabilité et la nôtre ? 

L’incapacitation soudaine est une notion qui n’est jamais abordée dans les grandes études de l’ère du DAI. En effet, ce concept est très différent de celui de mort subite. L’évaluation du risque lié à la conduite est donc difficile et repose bien souvent sur des consensus d’experts. Dès 1992, une première approche du risque théorique a été proposée par la Canadian Cardiovascular Society et reste d’ailleurs toujours d’actualité. C’est la « Risk of harm formula » : RH = TD x V x SCI x Ac où RH est le risque de dommage à autrui, TD la proportion de temps passé au volant (0,25 pour un conducteur professionnel, 0,04 pour un conducteur à titre privé), V le type de véhicule conduit (1 pour un professionnel, 0,28 pour un privé), SCI le risque d’incapacitation subite, Ac la probabilité pour qu’un tel événement soit responsable de morts ou de blessés (0,02 selon les statistiques). Un RH de 0,005 % a été jugé arbitrairement comme acceptable, ce qui correspond à un SCI de 1 % pour un conducteur professionnel et de 22 % pour un conducteur privé. Un conducteur privé est un conducteur qui conduit moins de 36 000 km/an, passe moins de 720 h/an au volant, conduit un véhicule de moins de 11 tonnes et ne gagne pas sa vie en conduisant. Les conducteurs qui ne remplissent pas tous ces critères sont considérés comme professionnels. Le risque est-il réel ? À côté de cette approche très théorique, plusieurs études se sont intéressées au risque réel en analysant le risque d’arythmie, puis celui de syncope, et enfin leurs conséquences sur la route. Le risque de récurrence d’une arythmie ventriculaire chez les patients implantés en prévention secondaire augmente progressivement avec une incidence actuarielle de 28 % après 6 mois, 33 % après 12 mois, 50 % après 24 mois et 64 % après 48 mois(1). Dans le registre polonais la probabilité d’un épisode arythmique était de 1,9 % le 1er mois, de 3,3 % le 2e mois, 3,7 % le 3e mois puis restait en dessous de 2 % par mois les 3 mois suivants(2). Le risque de syncope en cas de choc, évalué autour de 15 %, est favorisé par une fraction d’éjection basse, l’induction d’une TV rapide lors de l’exploration électrophysiologique ou une FA chronique(3,4). Qu’en est-il du risque pour les autres usagers ? A.B. Curtis et son équipe ont tenté de chiffrer ce risque en envoyant un questionnaire à tous les médecins implanteurs de DAI aux États-Unis. Sur les 61 % de réponses reçues, 30 accidents de véhicules automobiles liés à des chocs ont été identifiés (soit 10,5 % des chocs reçus au volant) entre 1980 et 1992. Parmi eux, 9 ont été mortels (8 porteurs de DAI et un passager), ce qui permettait de calculer un taux de mortalité par accident de la route de 7,5/100 000 patients-années. Ce taux était bien plus bas que celui de la population générale aux États-Unis en 1989 (18,4/100 000)(5). Plus récemment, J. Thijssen et al. ont analysé le délai de survenue du 1er puis du 2e choc chez 2 786 patients implantés en prévention primaire et secondaire(6). Ils ont ensuite utilisé la « risk of harm formula » et analysé les délais après lesquels les patients sortaient de la zone de risque annuel acceptable de 0,005 %. En prévention secondaire, les patients conducteurs professionnels avaient toujours un risque supérieur au seuil de 0,005 %. De façon surprenante les conducteurs privés restaient toujours en dessous de ce seuil et ce dès l’implantation. Après la survenue d’un choc approprié, un délai de 2 mois était nécessaire pour redescendre en dessous du seuil acceptable. En prévention primaire, l’incidence des chocs appropriés est plus basse, comprise entre 6 et 7,5 %(6,7). Le « risk of harm » reste toujours en dessous des 0,005 % pour les conducteurs privés et supérieur au seuil pour les conducteurs professionnels. Après un 1er choc approprié, le risque est supérieur au seuil pendant 4 mois(6).   Une surveillance spécialisée Dans la pratique, en France, l’arrêté du 21 décembre 2005 fixe la liste des affections médicales incompatibles avec l’obtention ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance d’un permis de conduire de durée de validité limitée. Pour les patients du groupe 2, dit lourd (permis C, D, E[C] et E[D]), l’implantation d’un DAI est incompatible avec la conduite automobile. Pour les patients du groupe 1, dit léger (A, B et E[B]), la conduite peut être reprise selon l’avis spécialisé mais l’arrêté distingue les patients appareillés en prévention primaire de ceux appareillés en prévention secondaire, ces derniers se voyant attribuer un permis à validité temporaire de 2 ans. Dans les 2 cas, les patients doivent être l’objet d’une « surveillance spécialisée régulière ». Les conducteurs du groupe lourd (et également les chauffeurs de taxi, d’ambulance, de ramassage scolaire, les conducteurs affectés au transport public de personnes et les enseignants à la conduite) sont soumis à des visites médicales périodiques à la préfecture. Dans les autres cas, il incombe au porteur de DAI (et non à son médecin, tenu au secret médical) de se déclarer à la préfecture en vue d’une visite médicale auprès d’un médecin agréé. En pratique, la plupart des patients ne font pas cette démarche ce qui peut avoir des conséquences graves en cas d’accident car l’assurance peut théoriquement se retourner vers le conducteur en cas d’absence de permis de conduire valide. Informer le patient Le rôle du cardiologue est d’informer le patient de ces dispositions réglementaires et de lui préciser les restrictions de conduite qui s’appliquent après l’implantation du DAI ou la survenue d’une thérapie. C’est pourquoi l’EHRA a publié en 2009 un rapport consensus(8). La conduite y est interdite pour les conducteurs du groupe lourd et des délais de restriction de conduite sont proposés pour le groupe léger (tableau). Enfin, de nouvelles normes européennes d’aptitude médicale sont en cours de validation par les États membres. Elles reprennent les recommandations de l’EHRA en diminuant toutefois le délai de reprise de la conduite à 2 semaines en cas de primo-implantation en prévention primaire pour le groupe léger, tenant ainsi compte des données récentes de la littérature.     Conclusion Le danger que représentent les porteurs de DAI pour eux-mêmes et autrui reste faible tant qu’ils ne conduisent pas à titre professionnel. Ils doivent toutefois se soumettre aux dispositions de l’arrêté du 21/12/2005 qui prévoit en particulier une restriction de durée de validité du permis en cas de prévention secondaire.  Le cardiologue peut s’appuyer sur le consensus de l’EHRA pour formuler des restrictions temporaires de conduite après l’implantation.  

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