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Complication

Publié le 29 juin 2024Lecture 6 min

Fuite tricuspidienne et sondes

Antoine DA COSTA, Karim BENALI, Romain PIERRARD, Saint-Étienne

L’insuffisance tricuspidienne (IT) associée aux dispositifs implantables cardiaques avec sondes (DICS) est devenue une entité clinique à part entière dans la littérature médicale. La prévalence peut varier entre 7 et 30 % dans les séries publiées, et dans 5 % des cas l’IT sera considérée comme sévère. Trois mécanismes principaux sont à l’origine de ces fuites. Elles peuvent être liées à l’implantation, aux conséquences de la stimulation ou aux effets du dispositif lui-même, ces mécanismes intervenant de manière intriquée dans leur genèse. L’approche diagnostique repose sur l’imagerie, préférentiellement l’échocardiographie 3D, qui permettra d’établir ou non si la sonde interfère avec la coaptation de la valve. La prise en charge est multidisciplinaire.

Prévalence et pronostic   La prévalence et l’incidence des IT secondaires à la mise en place des DICS varient entre 7 % et 41 % dans la littérature(1). Une cohorte prospective multicentrique récente publiée par Vieitez rapporte 5 % d’IT sévère(2) alors qu’une autre étude rapporte 20 % d’aggravation d’IT préexistantes avec un total de 41 % d’IT modérées(3). Comme on peut le voir sur la figure 1, l’intérêt est croissant pour cette complication sous-estimée et négligée(1). Sur les études les plus récentes, malheureusement majoritairement rétrospectives, la prévalence moyenne d’IT significatives oscille entre 15 et 30 %(1-3). Figure 1. Prévalence des IT secondaires aux dispositifs avec sondes (figure reproduite avec la permission des auteurs Andreas M et al. Eur Heart J, 2024(1)).   L’évolution et l’aggravation des IT post-DICS ne diffèrent pas des autres phénotypes d’IT avec des risques de remodelage du cœur droit, une augmentation des volumes de l’oreillette droite (OD) et du ventricule droit (VD), et une altération de la fonction VD à l’origine d’une insuffisance cardiaque. Sur le long terme, les patients porteurs de DICS avec IT modérée à sévère ont une surmortalité de 1,6 à 2,5 après ajustement à l’âge, au sexe, à la présence d’une fibrillation atriale (FA) ou d’une valvulopathie ou myocardiopathie gauches(4).   Mécanismes   Plusieurs mécanismes interviennent dans la genèse des IT après implantation d’un DICS. Les 3 principaux sont décrits figure 2. Le premier, précoce, est mécanique, lié à l’implantation de la sonde, principalement par restriction du mouvement d’un feuillet, la présence de la sonde ou son appui sur un feuillet interférant avec la fermeture de la valve (coaptation). Le nombre et le diamètre des sondes, ainsi que leurs positions au travers de la valve, vont aggraver l’IT. Plus rarement, à la phase précoce, surviennent des complications à l’origine de l’IT comme des phénomènes de perforation, avulsion ou lacération ou rupture des cordages plus que du feuillet de la valve. Ces phénomènes sont liés aux repositionnements itératifs avec des vis extériorisées, comme on peut le constater dans les techniques de stimulation de la branche gauche. Tous les facteurs avec appui sur un feuillet ou adhérence au feuillet vont participer au mécanisme de survenue d’une IT. La valve la plus touchée est la valve septale, avec 14 % d’IT secondaires après implantation(1). Les 2 autres mécanismes à l’origine d’une IT sont plus tardifs et surviennent entre 1 et 12 mois, voire plus. Il s’agit bien sûr des phénomènes de remodelage ventriculaire secondaires à la stimulation VD apicale, à l’origine d’une désynchronisation et d’une dilatation VD, elle-même responsable d’une fuite tricuspidienne fonctionnelle par dilatation de l’anneau tricuspide(5,6). Enfin le 3e mécanisme est lié aux sondes sur le long terme, avec des risques d’endocardite tricuspide d’origine infectieuse ou des risques de déchirure traumatique des feuillets ou des cordages de la valve tricuspide lors d’extraction, quel que soit le système utilisé(1,5-7). Il peut aussi y avoir des phénomènes d’encapsulation de la sonde ou d’adhérence chroniques à l’origine de la perte de mobilité des feuillets valvulaires ou de l’appareil sous valvulaire. Figure 2. Principaux mécanismes des IT secondaires à la mise en place d’un DICS (figure reproduite avec la permission des auteurs Andreas M et al. Eur Heart J, 2024(1)).   Facteurs de risque   Les facteurs de risque associés au développement d’une IT sont bien établis dans la littérature et font référence aux mécanismes induisant la fuite : la technique de mise en place de la sonde (passage en direct de la valve tricuspide versus passage en « prolabant » la sonde, l’angle et la pression mécanique de la sonde sur la valve, le nombre et la taille des sondes ; un pourcentage de stimulation VD élevé (> 50 %), les antécédents d’extraction de sonde(s) ou de chirurgie valvulaire, même gauche ; la dilatation du VD ; la FA chronique avec les IT atriales et l’hypertension pulmonaire(1,5-8). Les stratégies alternatives aux DICS doivent toujours être considérées au moment du choix du dispositif en fonction de l’indication afin de prévenir le risque de valve-sparing.   Options à envisager (1) Stimulateurs sans sonde (2) Sondes épicardiques (3) Stimulation hissienne (4) Stimulation VG unique (via le sinus coronaire) (5) Stimulation de la branche gauche (6) Défibrillateur sous-cutané   Résumé des recommandations (niveau d’évidence B = données observationnelles ; C = consensus d’experts)   Imagerie et DICS(1,7) Une échocardiographie transthoracique (ETT) doit être réalisée avant et après toute implantation d’un DICS. Les patients à plus haut risque doivent être suivis régulièrement (C). Toutes les techniques pour éviter les interactions sondes et valve tricuspide doivent être mises en œuvre (« prolapsing technique » par exemple) (C). Une implantation de novo doit prendre en compte toutes les approches épargnant les interactions entre sonde et valve tricuspide (stimulation hissienne, stimulateur sans sonde, stimulation de l’aire de la branche gauche, stimulation épicardique et implantation de sonde gauche dans le sinus coronaire) (B).   Prise en charge des patients avec IT sévère(1,7) Les patients avec IT sévère et présence de sonde(s) de dispositifs implantables doivent être adressés à un centre pour une prise en charge multidisciplinaire avec un centre de référence chirurgical et/ou d’extraction de sondes (C). L’écho 3D et le scanner cardiaque sont préconisés afin d’analyser le mécanisme exact de l’interaction entre sonde(s) et valve tricuspide (C). L’indication et l’interrogation du dispositif implantable doivent être réanalysées pour optimiser la programmation et juger du caractère essentiel ou non du stimulateur (C). Une évaluation spécialisée de la fonction ventriculaire droite et une mesure des pressions pulmonaires sont nécessaires afin d’estimer les risques opératoires (intervention chirurgicale ou prise en charge interventionnelle) (B).   Traitement des IT sévères(8,9) L’évaluation des scores de risque (e.g. TRI-SCORE) est requise (B). Une extraction précoce doit être envisagée si l’on considère les impossibilités d’amélioration à long terme après implantation ou en présence d’une dilatation de l’anneau tricuspide (B). En fonction des risques et de la caractéristique des sondes, l’extraction doit être envisagée pour faciliter les procédures soit interventionnelles soit chirurgicales (C). Les patients à faible risque chirurgical doivent bénéficier d’une chirurgie dans des centres experts (C). Les techniques percutanées sont à envisager chez les patients âgés avec comorbidités et haut risque chirurgical (C).   Considérations générales sur les traitements(1,7) L’évaluation échographique pré- et post-opératoire permet d’analyser au préalable la présence d’une IT, son mécanisme et d’en assurer le suivi, avec en « ligne de mire » l’identification du mécanisme exact. La présence d’une IT organique ou fonctionnelle grade III-IV avant implantation devra orienter vers des techniques préférentiellement sans sonde ou alternatives (stimulation de la branche gauche ou du VG via le sinus coronaire). Cette approche préventive est cruciale pour le pronostic à moyen et à long terme de ces patients. En cas d’aggravation significative post-implantation d’une IT vers un grade élevé, une fois le mécanisme évalué et considéré, l’approche est en faveur d’une extraction précoce avec correction de la fuite qu’elle soit par l’extraction transcutanée de la sonde et un repositionnement ou par une alternative chirurgicale chez les patients à faible risque opératoire ou par les techniques de correction percutanée telles que les « triclips » ou les prothèses endovasculaires (TTVR) chez les patients à haut risque chirurgical. Une étude récente internationale multicentrique portant sur 426 patients rapporte une mortalité à 30 jours à 5,8 % avec une approche de type plastie tricuspidienne à cœur battant dans une population sans facteur infectieux(10).

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