Publié le 14 déc 2016Lecture 8 min
Entretien avec le Pr A. Vahanian
Propos recueillis par J. ABTAN, Hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris
À quel moment vous êtes-vous décidé à devenir médecin et qu’est-ce qui vous a motivé ?
Pr A. V. : Pour être honnête, je n’en suis plus très sûr ! La médecine est une histoire familiale puisque mon père mais aussi mon grand-père étaient médecins et je pense qu’inconsciemment je n’ai jamais vraiment envisagé un autre cursus et ce, malgré l’étonnement de mes professeurs du Lycée Louis- Le-Grand où les études de médecine étaient considérées insuffisamment élitistes.
Si vous n’aviez pas pris cette voie, quel autre métier vous aurait attiré ?
AV : Peut-être ingénieur, comme la majorité de mes camarades de lycée ?
Vous avez ensuite débuté vos études de médecine à la faculté Saint-Antoine à Paris, est-ce que vous pensez que les études de médecine étaient différentes d’aujourd’hui ?
AV : C’était bien entendu une autre époque puisque je me suis inscrit avant mai 68 et que cet événement a tout bouleversé. Ce dont je me souviens le plus, c’est que nous étions obnubilés par la préparation des concours dès nos toutes premières années : le concours de l’externat d’abord (qui a été supprimé après mai 68), puis surtout le concours de l’internat. Ensuite, la différence principale concerne le temps beaucoup plus long que nous passions à l’hôpital. Avec le temps, l’implication des étudiants dans la vie hospitalière est moins grand ; je pense que c’est dommage.
Qu’est-ce qui vous a dirigé vers la cardiologie ?
AV : J’y suis venu plutôt tard finalement, puisque c’est après avoir été nommé à l’internat que j’ai échangé, par hasard à la demande d’un de mes camarades, un poste d’externe en psychiatrie à Maison Blanche avec un poste d’externe en cardiologie à Broussais, qui était à l’époque « Le » temple de la cardiologie. En arrivant, j’ai annoncé d’emblée mon souhait de faire Chamonix-Zermatt et il se trouve que le Pr Valty qui était l’agrégé du service avait lui-même réalisé la traversée. C’est par ce biais qu’il m’a convaincu de choisir la cardiologie. Je dois donc finalement beaucoup à cette grande classique des Alpes !
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au cours de vos années à la faculté ?
AV : Indéniablement Mai 68 ! Il faut avoir vécu cette période pour bien comprendre l’exaltation du moment. Nous allions tous les soirs à l’Odéon avec nos blouses blanches, nous défilions dans les rues de Paris ; c’était une période un peu extraordinaire.
Vous avez ensuite débuté un internat de cardiologie, quels ont été vos modèles ?
AV : J’ai eu plusieurs modèles. Il y eu tout d’abord Pierre Maurice qui a été mon chef de service. Puis mon « grand frère en cardiologie » Bernard Lancelin, qui a été mon interne quand j’étais externe puis mon chef de clinique quand j’étais interne et qui m’a aiguillé vers la « cardiologie invasive » à ses débuts. C’est lui qui m’a présenté Jean-Léon Guermonprez et ensemble, ils m’ont conseillé de partir au Canada pour faire « du cathétérisme ». J’y ai rencontré Paul-Robert David qui m’a appris les bases « du métier » et dont les leitmotivs me suivent encore aujourd’hui ! « L’important ce n’est pas d’avoir raison mais de gagner » et « tu l’as ou tu l’as pas ! »Et pour conclure… « Le meilleur c’est moi ». Des devises très nord-américaines mais qui ont un certain bon sens.
Enfin et si je devais ne retenir qu’un seul nom, ce serait celui de Jean Acar. C’est lui qui m’a le plus marqué par sa personnalité mais surtout par ses qualités médicales. Encore aujourd’hui, il me semble qu’il est le meilleur médecin que j’ai connu.
Vous avez pris le train de la cardiologie interventionnelle très tôt, vous souvenez-vous de cette période ?
AV : C’était, il est vrai, les balbutiements de la technique. J’ai débuté sous la direction de Jacqueline Forman en apprenant à cathétériser des artères axillaires après une dénudation qui prenait un certain temps ! Puis avec Bernard Lancelin, nous montions des sondes de Swan Ganz, nous faisions des His ; ensuite, J.-L. Guermonprez m’a enseigné les rudiments de la coronarographie avant mon départ au Canada où j’ai énormément appris. Je suis retourné a Montréal au tout début des années 1980 pour « apprendre » l’angioplastie coronaire auprès de Paul Robert David qui nous a « proctoré » comme on dit maintenant, dans les premiers cas faits à Henri Mondor avec mes vieux amis Yves Louvard et Herbert Geshwind.
Aviez-vous déjà l’intuition que cette aventure irait si loin ?
AV : C’était difficile mais à l’époque le cathétérisme n’était pas une voie très prisée. En particulier les hospitaliers et hospitalo-universitaires n’étaient que rarement investis et, sous l’influence de Bernard (Lancelin) et Jean-Leon Guermonprez, j’ai eu le sentiment, sans parler de prémonition, que cette voie était porteuse d’innovation. Les choses ont ensuite été transformées par l’avènement de l’angioplastie coronaire puis de l’interventionnel valvulaire.
Aujourd’hui, comment voyez-vous l’avenir de cette discipline ?
AV : Je pense qu’elle va se développer de façon exponentielle. Il y a plusieurs versants à ce développement : tout d’abord le versant coronaire qui ne diminuera pas dans la mesure où la prise en charge des syndromes coronaires aigus va se poursuivre. Le stenting coronaire, c’est vrai, paraît être une technique déjà très aboutie mais les technologies d’imagerie endocoronaire, par exemple, le traitement des occlusions chroniques apporteront sans doute leur lot d’amélioration dans ce domaine. D’autre part, je pense que pour la partie structurelle, nous allons assister à une véritable explosion : le TAVI n’est qu’au début de sa dissémination et l’histoire naturelle de la maladie laisse à penser que des millions de patients vont être traités et que le TAVI sera la technique de première intention dans la sténose aortique dans un futur proche ; les techniques qui concernent la valve mitrale ne remplaceront sans doute pas la chirurgie mais représenteront un complément très important pour nos patients. Les innovations vont être très nombreuses et les techniques concernant la tricuspide suivront probablement très vite. L’électrophysiologie, elle, a déjà connu un boom énorme qui va probablement se poursuivre et c’est sans parler de l’occlusion de l’auricule gauche, et des autres techniques telles les fermetures de FOP/CIA, fermeture de fuite paraprothétique… Tout ceci me parait très enthousiasmant !
Comment les cardiologues doivent s’adapter à cette nouvelle donne ?
AV : Je pense que surtout avec le TAVI, les cardiologues interventionnels ont compris que l’acte interventionnel ne pouvait pas être un acte isolé, mais qu’il nécessite une implication de A à Z dans la prise en charge du patient. Cela a plusieurs aspects. Le premier est que les cardiologues doivent rester des cliniciens, et qu’il est impératif qu’ils connaissent le patient en amont de l’intervention mais aussi qu’ils suivent son évolution. D’autre part, cette prise en charge passe par une meilleure connaissance, voire une appropriation des techniques d’imagerie, le scanner, l’échographie, l’IRM et pour que cette adaptation se fasse, je pense qu’il est nécessaire que soient développés des trainings particuliers, adaptés aux interventionnels.
Dans ce cadre, la somme de connaissance est telle et en telle évolution que les interventionnels vont inévitablement être amenés à faire des choix, à l’image de ce qui ce passe en rythmologie.
Quels sont vos plus beaux souvenirs dans le domaine interventionnel ?
AV : Je pense que ce qu’il y a de plus extraordinaire c’est l’innovation et de voir de nouvelles techniques guérir des patients sous nos yeux. Je retiens, bien évidemment, l’angioplastie primaire dans l’infarctus du myocarde ; pour des gens de ma génération, quelle joie de voir s’ouvrir, sous nos yeux une artère occluse, surtout quand on pense au nombre de vies que cette stratégie a sauvé !
Ensuite, bien évidemment, il y a l’apparition du TAVI dans la sténose aortique que nous devons à l’esprit d’innovation et à la ténacité d’Alain Cribier. Il faut souligner encore à quel point il a été pionnier ! Dans notre équipe nous avons quelques « petites » premières à notre actif, notamment dans le domaine de la sténose mitrale, mais je me dois de souligner à quel point cela a été une entreprise collective avec Bertrand Cormier, Eric Brochet, Dominique Himbert, David Messika-Zeitoun et bien sûr Bernard Iung. J’espère qu’à l’échelle de cette maladie encore très fréquente dans le monde, nous avons laissé une petite trace. Plus récemment avec Dominique, Marina Urena, Eric et David nous nous sommes particulièrement intéressés à l’implantation de valves de TAVI dans l’orifice mitral opéré ou très calcifié.
Est-ce que vous vous souvenez de votre premier article publié ?
AV : Cela remonte à bien loin mais il me semble qu’il s’agissait d’un travail à la Pitié-Salpêtrière effectué avec l’équipe du Pr Cabrol sur la faisabilité des pontages en association avec un remplacement valvulaire aortique, sur une série de 14 cas (en 1975), avec le recul c’est une bien petite série mais Iradj Gandjback qui avait initié ce travail avait une vision qui allait à l’encontre des opinions très tranchées de certaines autorités cardiologiques du moment.
Vous avez été très tôt chef de service (à 44 ans), en quoi cela change-t-il la façon de diriger une équipe ?
AV : Je pense que la jeunesse apporte beaucoup d’énergie et d’enthousiasme pour exercer le rôle de chef de service et c’est un bon point. Mais cette responsabilité oblige à faire des choix, en particulier celui de se mettre quelque peu en retrait. Je pense que pour être un bon chef de service, il faut mettre en avant les différentes personnalités du service plutôt que soi-même. D’autre part il faut toujours chercher à évoluer c’est ce que nous avons fait, en rejoignant un pôle médico-chirurgical, c’est l’une des raisons qui m’a poussé à quitter l’hôpital Tenon pour l’hôpital Bichat.
Vous êtes fier du service que vous laissez ?
AV : Très modestement, je dirais « plutôt oui ». Mais je suis surtout fier des personnes qui y travaillent !
En dehors de la médecine, quelles sont vos occupations ?
AV : J’aime beaucoup lire et voyager. Je suis assez éclectique en littérature mais j’ai une affection toute particulière pour les polars ! Pour les voyages, je vais essayer de le faire un peu plus qu’auparavant mais surtout autrement, en passant plus de 24 heures sur place.
Pour vous à quoi ressemble un dimanche après-midi parfait ?
AV : Pour qu’il soit parfait, il faut qu’il y ait ma famille avec moi, en définitive, je pense que c’est ce qu’il y a de plus important.
Si vous rencontriez aujourd’hui le jeune homme que vous étiez, quels conseils lui donneriez-vous ?
AV : Je pense que je lui dirais d’avoir la plus grande culture possible, médicale et en dehors bien sûr. Cela passe par un bagage scientifique complet, avec un Master 2 et une thèse de science, que nous n’avions pas l’opportunité de faire à mon époque, mais aussi d’aller voir ce qui se passe ailleurs, dans un autre pays, une autre culture.
Et que pensez-vous qu’il vous dirait ?
AV : Il me trouverait probablement un peu moins de fougue ! Mais j’espère quand même qu’il ne serait pas trop malheureux de ce qu’il est devenu !
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