Droit de réponse
Publié le 30 sep 2010Lecture 11 min
Le rapport HAS sur les stents actifs : obsolète ? - Réponse à l’article de B. Chevalier
J. MACHECOURT, membre du Groupe de travail et de la Commission Nationale d’Évaluation des Dispositifs Médicaux et des Technologies de Santé
« Dans le périmètre de l’hexagone, toute contrainte réglementaire est souvent vécue par le professionnel comme une altération de ses capacités de choix et de jugement, surtout en cette période où les contraintes budgétaires s’accumulent à la fois dans l’exercice libéral et hospitalier de la cardiologie. »
Bernard Chevalier dans un brillant et érudit article publié sous la rubrique « Polémique » du n° 10 de Cath’Lab (N° de juin) met en doute l’indépendance des membres du groupe de travail par rapport aux contraintes économiques du moment, et souligne le caractère obsolète des recommandations édictées. Un éditorial souligne ce billet.
Cette polémique, dont certains points sont partiellement recevables, mérite toutefois un droit de réponse que l’on limitera à certains aspects.
Evidence Based Medicine et Economy Based Medicine
On rappelle d’abord que la HAS est strictement indépendante des directions du ministère de la Santé, d’une part, – qui in fine prennent les décisions – et du ministère de l’Industrie, d’autre part. Surtout, on rappelle que ce ne sont pas les arguments économiques qui ont fait proposer ou récuser une indication pour un stent actif donné, mais l’analyse d’un rapport efficacité/coût et bénéfice/risque.
Le rapport efficacité/coût
Dès 2002 les recommandations des professionnels, auxquelles Bernard Chevalier a participé, ont proposé le remboursement des stents Cypher® et Taxus® aux patients « à haut risque de resténose coronaire ». En effet, avec sagesse, il avait été noté que les lésions courtes sur de grosses artères coronaires d’un patient non diabétique étaient grevées d’un taux de resténose clinique (TLR) très bas avec les stents nus de l’époque, et ne méritaient en quelque sorte pas d’implanter un stent actif qui ne réduit alors que de manière extrêmement modérée un taux de « TLR » déjà bas. C’est donc bien un raisonnement typiquement médico-économique (et ce n’est pas un gros mot), d’évaluation du rapport efficacité/coût (efficience) qui prévalait à l’époque.
Bernard Chevalier regrette que le rapport 2009 ait conservé ce raisonnement, et n’ait pas procédé « à une ouverture globale des indications des endoprothèses actives ». Limiter les indications des stents actifs (DES) aux indications où ils ont démontré une efficacité clinique élevée nous semble tout à fait licite, d’autant que l’écart d’efficacité entre les stents actifs et les nouveaux stents nus (BMS) en termes de taux de TLR s’est réduit. La Cochrane Library, qui n’est pas une agence nationale, ne dit pas autre chose dans sa propre analyse publiée en 2010 : « The increased cost of drug-eluting stents and lack of evidence of their cost-effectiveness means that various health funding agencies are having to limit or regulate their use in relation to price premium (thecochranelibrary.com) ».
Le rapport bénéfice/risque
Le rapport du groupe de travail a analysé le rapport efficacité/risque, c'est-à-dire a pris en compte une problématique de sécurité qui n’avait pas cours jusqu’en 2006 environ : on se souvient que le rapport de la HAS avait été commandité suite à des interrogations sur la sécurité d’utilisation des stents actifs et il a eu le mérite de rassurer les directions du ministère de la Santé sur ce point en démontrant qu’il n’y avait pas un taux supérieur de thrombose de stent à 5 ans. Inversement, ce rapport, comme d’autres, a retenu une augmentation du risque de thrombose tardive en cas de protocole d’antiagrégation plaquettaire inadéquat. Les DES entraînent de ce fait des contraintes plus élevées pour les patients, les cardiologues, les chirurgiens et les anesthésistes en raison de la gestion de ce traitement antiagrégant. Le message du rapport 2009 est que de telles contraintes doivent être acceptées chaque fois que le patient considéré présente un bénéfice clinique supérieur à ces contraintes engendrées par ce type d’endoprothèse coronaire. À l’inverse, les patients qui ne tireront pas un bénéfice clinique important après implantation d’un DES (patients à faible taux de TLR après implantation d’un BMS) ne doivent pas supporter les contraintes de la gestion du traitement antiagrégant. Il s’agit donc d’une démarche typiquement médicale : pour chaque situation de patients, le rapport bénéfice/risque du stent actif doit être évalué.
Grandeur et insuffisances de la médecine factuelle
L’esprit du travail a été d’analyser l’ensemble des essais cliniques produits tant en termes d’analyse de la population indifférenciée et d’analyse des sous-groupes de patients.
La collection des données a été réalisée selon une méthodologie que l’on qualifierait d’emboîtement des études (méthodologie habituelle des grandes évaluations technologiques) : d’abord analyse des grandes évaluations technologiques précédentes (NICE 2006, KCE belge 2007) qui avaient repris l’ensemble des essais randomisés jusqu’à l’époque considérée ; ensuite analyse des méta-analyses publiées après le KCE belge (par exemple les méta-analyses de Stetler dans la population générale ou chez les diabétiques), ensuite analyse des études postérieures à ces méta-analyses jusqu’à la date du rapport (comme, par exemple, étude SORT-OUT III, etc.). Il s’agit donc d’une analyse exhaustive et non pas d’un choix arbitraire parmi les nombreuses études publiées. Il est vrai que l’évaluation des sousgroupes de patients dans ces grandes études randomisées est souvent délicate, soit pour l’analyse de sous-groupes des études pivots, soit par l’analyse des études dédiées à ces sous-groupes.
Le patient diabétique
L’analyse du groupe de travail, à partir des méta-analyses issues des sous-groupes des études pivots, ou de l’analyse d’études spécifiques (Stetler, Khumbani, etc.) rejoint tout à fait les conclusions de Bernard Chevalier, c'est-à-dire une belle efficacité du DES pour réduire la resténose clinique de ces patients diabétiques Mais, bien entendu, l’analyse confirme que de tels patients diabétiques ont en général des lésions longues et des artères de petit diamètre… justifiant l’implantation d’un stent actif en dehors même de la présence du diabète.
Répondre à la question « Doit-on recommander l’utilisation des stents actifs chez tout diabétique ? » c’est pouvoir répondre à la question « Est-ce que pour la petite proportion de diabétiques ne présentant qu’une lésion courte sur un gros tronc coronaire il y a un bénéfice particulier à implanter un DES plutôt qu’un BMS ? ». Une telle analyse de sousgroupe est difficile. À ce niveau est intervenu le bon sens des professionnels du groupe de travail qui, malgré ces incertitudes, a tranché en faveur de l’utilisation systématique du stent actif chez le diabétique, car cet état diabétique est un « proxy » commode pour le praticien de présence de lésions à haut risque de resténose avec les stents nus. Toutes les autres agences n’ont pas suivi une telle démarche (par exemple, le NICE), se basant sur les données uniquement factuelles et ne recommandent l’utilisation des stents actifs qu’en présence de lésions longues et d’artères de petit diamètre, mais pas spécifiquement chez le diabétique.
Cette discussion dans le rapport, relevée comme surprenante par Bernard Chevalier, a été détaillée pour répondre par avance à d’éventuelles critiques (inverses donc à celles de Bernard Chevalier !) de laxisme.
Critères de jugement, place des registres « de la vie réelle »
Les critères cliniques d’efficacité et de sécurité ont toujours prévalu dans les décisions, soit par rapport aux critères dits « intermédiaires », comme le late loss comparé d’un stent actif par rapport à un autre, soit par rapport à toutes considérations physiopathologiques comme les taux de réendothélialisation qui exposeraient à plus de thromboses de stent, ou l’intérêt potentiel des polymères résorbables qui réduiraient le risque de thrombose tardive, etc. Il est parfois reproché au rapport de s’appuyer uniquement sur les études randomisées et de ne pas tenir compte des données de la vie réelle, c'està- dire des patients inclus dans les registres. Cela est inexact : les données des registres sont précieuses et ont été prises en compte dans l’évaluation des données d’efficacité et de sécurité dans certaines populations. En revanche, les résultats des registres ayant tenté d’ajuster une population traitée par stent actif par rapport à une autre population traitée par stent nu, dans le but ensuite de comparer les deux groupes en termes de sécurité (par exemple, la mortalité) restent suspects.
Chaque clinicien sait bien que le choix entre poser un stent actif et poser un stent nu à un patient donné dans la vie réelle dépend de critères cliniques subtils, dépassant les simples considérations d’artère coronaire ou de présence du diabète, par exemple, ces critères subtils ne pouvant être pris en compte lors des ajustements d’une population sur une autre dans le cadre de ces registres. Les résultats obtenus divergents publiés dans les registres SCAAR ou Massachusetts sont édifiants à cet égard.
Obsolescences oui… mais réactivité et évolutivité du rapport
Certaines obsolescences ont été soulignées par Bernard Chevalier : par exemple, pourquoi les stents actifs Xience® PromusTM ou Endeavor® n’étaient pas proposés au remboursement pour le traitement des lésions pluritronculaires ? Simplement, les données factuelles étaient insuffisantes au moment du rapport ; depuis les études ZEST, SORT-OUT III, I FIVE, SPIRIT IV et COMPARE ont été publiées ou complétées, permettant à ces deux DES de prétendre au remboursement pour cette indication.
De la même façon, un cinquième stent actif a été inscrit depuis le rapport (le stent Nobori®, non pas du fait de son polymère « biodégradable » mais du fait des excellents résultats de l’étude LEADERS le comparant au Cypher®). À l’inverse, la HAS protège l’hexagone de l’invasion de multiples stents actifs plus ou moins exotiques ou sans niveau de preuve suffisant concernant leur efficacité ou leur sécurité, même si certains de ces stents possèdent un potentiel prometteur (par exemple, le stent Genous™).
Des avancées considérables par rapport aux indications remboursées antérieures
Ce point a été passé sous silence par Bernard Chevalier ! On ne fait que citer certaines de ces « nouvelles » indications de pose d’endoprothèse coronaire par rapport aux précédentes :
• l’infarctus du myocarde et le syndrome coronaire aigu inférieur à 72 heures ;
• les lésions multitronculaires lorsque le score Syntax est bas et le risque opératoire élevé ;
• les sténoses du tronc commun gauche en particulier proximales et médianes lorsque le score Syntax est intermédiaire ou bas et le risque opératoire élevé ;
• la possibilité d’implanter trois endoprothèses par patient lors de la même séance, sans limitation à un stent actif par artère coronaire…
Lorsque l’on juxtapose l’ensemble des indications recommandées, on arrive effectivement à un volume cible de patients devant bénéficier d’un DES supérieur à 55 % des patients traités par stents… Cette évaluation apparaît fort raisonnable puisque très proche de la réalité de l’utilisation des stents actifs en 2010 en France.
« Le cas le plus dramatique est le déremboursement de l’indication IVA proximale »
Cette critique virulente, déjà entendue lors du congrès High-Tech, nous apparaît vraiment surprenante. Indiscutablement en juillet 2009 aucune étude n’avait montré une supériorité du stent actif par rapport au stent nu, alors que plusieurs études avaient démontré que le pontage mammaire gauche restait supérieur au stent nu dans cette indication.
La publication de l’étude du groupe de Leipzig à laquelle fait référence Bernard Chevalier est postérieure à la rédaction du rapport. Cette étude en effet apporte un élément nouveau : non-infériorité du stent Cypher® par rapport à l’implantation d’un pontage mammaire par chirurgie miniinvasive. Il n’est pas certain que cette étude seule aurait permis de modifier la position du groupe (petits effectifs, comparateur, la mini-thoracotomie, parfois contestée par rapport au PAC mammaire traditionnel). On rappelle surtout qu’un patient porteur d’une sténose de l’IVA proximale qui a, par ailleurs, une indication (pour des raisons de longueur de sténose, de taille d’artère ou de présence de diabète) d’implanter un stent actif doit être traité alors par un stent actif s’il n’a pas une contre-indication à une double antiagrégation plaquettaire plus prolongée.
La question est donc : « En cas de présence d’une sténose courte sur une grosse IVA proximale chez un patient non diabétique, doit-on implanter systématiquement un stent actif (plutôt qu’un stent nu) ? » Aucune donnée factuelle ne permet de l’affirmer, et probablement beaucoup de lecteurs de cette rubrique sont partagés sur ce point.
En conclusion
Dans le périmètre de l’hexagone, toute contrainte réglementaire est souvent vécue par le professionnel comme une altération de ses capacités de choix et de jugement, surtout en cette période où les contraintes budgétaires s’accumulent à la fois dans l’exercice libéral et hospitalier de la cardiologie.
On aimerait simplement rappeler que l’objectif de la HAS est, d’une part, d’apporter une aide à la décision aux professionnels de santé, d’autre part, de proposer aux autorités de santé des conseils pour autoriser le remboursement, et enfin, d’éviter à tous, professionnels comme industriels, l’inondation de nos armoires de pharmacie par des dispositifs à fiabilité non assurée.
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