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Mise au point

Publié le 28 fév 2011Lecture 8 min

Pathologies radio-induites en cardiologie interventionnelle

S. JACOB, D. LAURIER, M.-O. BERNIER, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Laboratoire d’épidémiologie, Fontenay-aux-Roses

Les rayonnements ionisants (RI) sont largement utilisés en pratique médicale. Leur utilisation dans ce domaine, notamment celle des rayons X, offre un bénéfice incontestable, mais est aussi la première cause d’exposition des populations aux RI (encadré 1). Chez les personnels médicaux, les cardiologues interventionnels sont actuellement parmi les spécialistes les plus exposés. Nous proposons ici de faire une mise au point sur les effets sanitaires des RI chez l’homme, avec une attention particulière aux études réalisées chez les cardiologues interventionnels.

Les effets des rayonnements ionisants On distingue deux catégories d’effets : les effets déterministes et les effets stochastiques. Effets déterministes Les effets déterministes se produisent de manière certaine. Pour des doses élevées (supérieures à plusieurs grays), ils sont observés chez tous les sujets exposés : on parle d’effet de seuil. Ils se déclarent en général de manière précoce, avec des temps de latence compris entre quelques jours et quelques mois. Leur gravité augmente avec la dose absorbée. On commence à observer certains effets déterministes aux alentours de 0,3 Gy pour des expositions partielles pouvant entraîner érythèmes, brûlures, stérilité, cataractes, etc. Pour une exposition globale, la valeur de 0,5 Gy est prise comme valeur seuil. À partir d'une certaine dose absorbée (environ 2 Gy), pour une exposition globale, il y a un risque de décès. Effets stochastiques Les expositions à des doses plus ou moins élevées de rayonnements ionisants peuvent avoir des effets à long terme sous la forme de cancers ou de mutations génétiques. Dans ce cas, la gravité de l'effet demeure identique quelle que soit la dose, seule la probabilité d'apparition de l'effet est fonction de la dose absorbée : on parle d’effet stochastique. Le temps de latence est en moyenne beaucoup plus long que pour les effets déterministes (plusieurs années voire décennies). Enfin, on considère que la moindre dose de rayonnement est susceptible de provoquer ce type d'effets. Les effets des RI sur le développement de certains cancers (leucémies, thyroïde, poumon, sein, etc.) ont été mis en évidence par de nombreuses études épidémiologiques(1-3), notamment à partir des grandes cohortes de référence : les survivants des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki et les cohortes de travailleurs et de patients.    Généralement, les effets déterministes se produisent dans le cas d'une exposition unique à forte dose, donc souvent dans le cas de situations accidentelles. Les expositions répétées aux faibles doses et les effets stochastiques qui peuvent en découler posent un autre problème. La radioprotection vise à éviter l'apparition des effets déterministes et à réduire au maximum les effets stochastiques.  Exposition des cardiologues interventionnels  Rappelons ici que l’exposition des opérateurs est réglementée à partir de normes fixées par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) (encadré 2). Ces seuils ont été fixés pour gérer les risques de manière optimale à un coût acceptable.    Dès le début des années 1970, de nombreuses études ont estimé les doses reçues par les opérateurs en cardiologie interventionnelle. Les résultats, synthétisés dans l’article de Kim et al.(4) présentent les doses observées par procédure de coronarographie, d’angioplastie, d’implantation de pacemaker ou de défibrillateurs ou encore d’ablation. Que ce soient les doses efficaces (mesurées à partir de dosimètres portés en dessous ou au dessus du tablier plombé) ou les doses au niveau des yeux ou des mains (mesurées au dessus des protections), cette synthèse montrait que la variabilité pour un même type de procédure était importante (tableau 1). Une telle variabilité suggère que les doses reçues par les opérateurs peuvent être réduites : par l’utilisation du matériel de protection contre les rayons X, mais également en appliquant des protocoles optimisés.    Ces doses ont tendance à diminuer au fil des années, notamment grâce aux améliorations technologiques, mais ces dernières ont également permis le développement de procédures de plus en plus complexes, pourvoyeuses de doses plus élevées. Ces quelques résultats montrent donc qu’en fonction de l’activité et des pratiques, les cardiologues interventionnels représentent une population professionnelle pouvant recevoir des doses à considérer avec attention. Pathologies radio-induites chez les cardiologues interventionnels La cardiologie interventionnelle est une spécialité relativement récente, et contrairement à certaines catégories de professionnels médicaux tels que les radiologues ou manipulateurs radiologiques, les cardiologues interventionnels ont peu été étudiés jusqu’à maintenant. Les études lancées s’appuient en général sur l’observation de cas suspects de pathologies rapportées (tableau 2).   * Rayonnements ionisants. Tumeurs cérébrales ? À la fin des années 1990, les cas rapportés de tumeur cérébrale chez deux cardiologues de Toronto(5,6) et deux cardiologues français ont lancé le débat autour d’un éventuel lien avec l’exposition professionnelle aux rayonnements ionisants de ces médecins. La probabilité d’observer un tel cluster ou « amas » au Canada était statistiquement faible (< 2,5 %), mais seule l’apparition de nouveaux cas dans les années qui suivirent aurait permis d’exclure la possibilité d’une coïncidence.  Le lien entre tumeur cérébrale et exposition des cardiologues interventionnels est biologiquement plausible, des études épidémiologiques ont montré que ce type de cancer pouvait être radio-induit. Cependant, en prenant en compte les niveaux de doses des cardiologues, l’évaluation du risque qui avait été faite pour l’Ontario laissait penser que ces deux cas de cancer du cerveau ne pouvaient être la conséquence directe de l’exposition professionnelle aux RI. À ce jour aucune étude sur les tumeurs cérébrales à visée étiologique, telle qu’une cohorte, avec un long suivi n’a été réalisée dans la population des cardiologues interventionnels. Mais notons que les tumeurs cérébrales sont rares. En France, le taux de mortalité associé à cette pathologie est aux alentours de 4/100 000. Par conséquent, seule une cohorte de très grande ampleur, au niveau international, aurait la puissance statistique suffisante pour tester l’hypothèse d’un effet de l’exposition professionnelle des cardiologues sur le risque de ce type de cancer. Aberrations chromosomiques ? S’il peut être difficile d’étudier efficacement le risque de cancer dans des populations ciblées telles que les cardiologues interventionnels, compte tenu des effectifs limités et du nécessaire long suivi des individus, une alternative peut être l’étude de certains biomarqueurs d’atteintes de l’ADN (dicentriques, translocations, micronoyaux, etc.). Le consensus autour de ces biomarqueurs est loin d’être atteint, néanmoins certaines pistes, plus ou moins contestées, ont été explorées.  En 2005, une étude basée sur la comparaison de 31 cardiologues interventionnels et 31 médecins non exposés(7), avait permis d’observer que le nombre de micronoyaux était significativement supérieur dans le groupe des exposés, et une corrélation entre le nombre de micronoyaux et la durée d’activité professionnelle était observée (r = 0,42 ; p = 0,02) uniquement dans le groupe exposé. Les résultats de cette étude restent à confirmer. De plus, l’utilisation des micronoyaux est critiquable ici puisque non spécifique d’une irradiation. Cataractes ? En 1998, une étude sur deux centres espagnols avait fait état de quelques cas de cataractes chez des radiologues interventionnels. Les auteurs insistaient alors sur le manque de suivi ophtalmologique chez ces personnels(8). S’en est suivi, en 2004, une première étude de prévalence à partir d’un échantillon de 59 radiologues interventionnels. Parmi eux, 37 % présentaient des opacités au niveau sous-capsulaire postérieur (région du cristallin connue pour être radiosensible aux fortes doses) et un diagnostic de cataracte avancée avait été posé pour 8 % d’entre eux(9). Cette étude, purement descriptive, était limitée par l’absence de groupe témoin.  Deux études ont depuis été publiées en 2010. La première, réalisée en Amérique latine incluait 58 cardiologues interventionnels, comparés à un groupe non exposé de 93 individus(10). Les résultats des examens ophtalmologiques ont montré que 38 % des cardiologues du groupe exposé présentaient des opacités au niveau sous-capsulaire postérieur, contre 12 % dans le groupe non exposé (RR = 3,2 ; p < 0,05). La seconde étude réalisée en Malaisie incluait 56 cardiologues interventionnels et 22 sujets non exposés(11). La différence de fréquence d’opacités cristalliniennes sous-capsulaires postérieures était à nouveau importante (52 % vs 9 % ; RR = 5,2 ; p < 0,05).  En France, pour répondre à la question de l’existence d’un risque accru de cataractes chez les cardiologues interventionnels, l’étude O’CLOC (Occupational Cataracts and Lens Opacities in interventional Cardiology) a été lancée en octobre 2009(12). Cette étude transversale inclut un groupe exposé de près de 150 cardiologues interventionnels et autant de sujets non exposés (pour une partie des cardiologues non interventionnels). Les résultats sont attendus fin 2011.    En résumé, si des soupçons de tumeurs cérébrales causées par l’exposition des cardiologues interventionnels existent, ils n’ont jamais été confirmés. La piste des aberrations chromosomiques semble intéressante mais les travaux sont encore limités pour pouvoir tirer des conclusions. Les cataractes étaient jusqu’à présent considérées comme étant radio-induites par de fortes doses de rayonnements ionisant (> 2 Gy)(2). Elles sont maintenant suspectées pour des doses plus faibles (< 0,5 Gy)(13), pouvant correspondre, en fonction des pratiques, au niveau de celles reçues par certains cardiologues.  Les travaux actuellement en cours devraient apporter de nouveaux arguments quant à l’existence ou non d’une fréquence élevée de cataractes chez les cardiologues interventionnels.   En conclusion Les études concernant le risque de pathologies radio-induites chez les cardiologues interventionnels sont finalement peu nombreuses et limitées, mais des études se mettent actuellement en place pour étudier cette population. Des moyens existent pour limiter l’exposition du praticien mais également du patient, tant au niveau de l’optimisation des procédures que du matériel de radioprotection (tablier plombé, cache thyroïde, lunettes plombées, protection mobile suspendue, etc.).  De plus, l’utilisation systématique des dosimètres appropriés (dosimétrie passive au minimum) est indispensable pour un suivi pertinent des professionnels médicaux.      

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