Publié le 20 déc 2019Lecture 10 min
Syndrome coronaire chronique selon l’ESC 2019
Antoine VAILLIER, Thomas CUISSET, CHU la Timone, Marseille
De nouvelles directives de la Société européenne de cardiologie (ESC) ont été publiées en 2019 pour le diagnostic et la gestion de ce que l’on appelle à présent les syndromes coronariens chroniques (SCC). Elles ont mis à jour les recommandations de 2013 avec comme principale nouveauté une terminologie actualisée, la place prépondérante des tests couplés à l’imagerie et la personnalisation du traitement antithrombotique.
Dénomination
L’ancienne appellation de « maladie coronaire stable » a été complètement actualisée pour s’appeler désormais le « syndrome coronaire chronique ». Cette nouvelle nomenclature semble plus cohérente avec le « syndrome coronaire aigu ». Elle reflète aussi le fait que la maladie coronaire est en réalité un processus dynamique d’athérosclérose et d’altération de la fonction artérielle qui évolue tout au long de la vie du coronarien. Elle peut donc être stable pendant une période mais aussi devenir instable lors d’un événement athérothrombotique.
Un syndrome associant plusieurs types de patients
Les recommandations identifient à présent 6 types de patients appartenant au SCC et illustrant son hétérogénéité :
– les patients avec un angor symptomatique et/ou une dyspnée,
– les patients développant une insuffisance cardiaque et suspects d’atteinte coronaire,
– les malades avec antécédent de SCA et/ou de revascularisation il y a moins d’1 an,
– les malades ayant eu un geste de revascularisation il y a plus d’1 an,
– les patients suspects d’atteinte microvasculaire ou de vasospasme,
– les sujets asymptomatiques qui ont pu être dépistés.
Stratégie diagnostique
De la même façon que les recommandations de l’ESC émises en 2013, l’approche diagnostique se fait step by step et comprend 6 étapes (figure 1).
Figure 1. Approche diagnostique en cas d’angor et/ou dyspnée.
À l’issue de ces étapes, des thérapies adaptées pourront être initiées notamment en ce qui concerne le mode de vie, le traitement antithrombotique et la revascularisation myocardique.
ÉTAPE 1 : clinique et symptômes
Cette première étape doit identifier l’âge, le sexe, les facteurs de risque cardiovasculaire et caractériser les symptômes (angor jugé typique, atypique ou non coronaire).
Son objectif primordial est d’éliminer un syndrome coronaire aigu caractérisé généralement par un angor d’effort sévère de survenue récente (< 2 mois), un angor crescendo ou un angor de repos persistant.
ÉTAPE 2 : comorbidités et autres causes de symptômes
Il faudra évaluer l’état général, les comorbidités et la qualité de vie du patient afin de savoir si le diagnostic de coronaropathie et surtout son traitement, comprenant une revascularisation, peuvent avoir un intérêt.
Cette étape permettra également d’identifier d’autres causes non cardiaques expliquant la symptomatologie afin d’envisager d’autres explorations.
ÉTAPE 3 : bilan de 1re intention
Les tests de première intention comprennent un bilan sanguin (NFS, créatinine, bilan lipidique, HbA1c et une troponine en cas de suspicion de SCA), un ECG 12 dérivations et une échographie cardiaque transthoracique.
ÉTAPE 4 : évaluer la probabilité de maladie coronaire
La probabilité prétest se calcule selon l’âge, le sexe et la typicité de la douleur (tableau 1).
Les recommandations ont intégré la dyspnée en tant que symptôme suspect de maladie coronaire.
La probabilité prétest a été révisée en se basant sur la prévalence de coronaropathie retrouvée par 3 cohortes importantes publiées récemment. La prévalence en 2019 est inférieure à celle des recommandations de 2013, ce qui entraîne une probabilité prétest en moyenne plus basse expliquant que le coroscanner a pris plus de place dans ces recommandations car indiqué chez les patients à faible probabilité prétest (PTP < 15 %).
Il s’ajoute désormais, à la probabilité prétest, de nouveaux critères comprenant les facteurs de risque cardiovasculaire, les modifications de l’ECG, la dysfonction VG, une épreuve d’effort anormale et la présence de calcium coronaire au coroscanner qui permettent de définir, au final, une « probabilité clinique de coronaropathie » (figure 2).
Figure 2. Éléments à prendre en compte dans l’évaluation de la probabilité finale de coronaropathie.
ÉTAPE 5 : choix du test diagnostique (figure 3)
Figure 3. Choix du test diagnostique.
Le choix du test diagnostique dépend de la probabilité clinique de coronaropathie mais également des caractéristiques des patients influençant la performance des examens, de l’expertise locale et de la disponibilité des examens (classe I-C). Les tests d’ischémie associés à l’imagerie et le coroscanner sont les examens de première intention. L’ECG d’effort a été rétrogradé et devient un examen de deuxième intention et garde surtout un intérêt dans l’évaluation du contrôle des symptômes sous traitement, la tolérance à l’exercice et le profil tensionnel. Le coroscanner par sa capacité d’exclusion de la maladie (rule out) est l’examen à réaliser en cas de probabilité faible de coronaropathie (PTP < 15 %) chez des patients qui permettent une bonne acquisition d’image (absence de calcification, d’obésité, d’arythmie, etc.) et sans antécédent de maladie coronaire (classe I-B). Les tests fonctionnels couplés à l’imagerie montrent un intérêt par la détection de l’ischémie myocardique (rule in) et aussi de la viabilité myocardique dans l’optique d’une revascularisation. Ils sont donc à privilégier chez les patients avec une probabilité de coronaropathie élevée (PTP > 85 %ou pour guider une revascularisation myocardique (classe I-B).
La réalisation d’une coronarographie d’emblée ne trouve sa place que lorsque la probabilité de coronaropathie est très élevée avec des symptômes sévères réfractaires au traitement médical et aussi en cas de dysfonction VG. La revascularisation devra être guidée par FFR en cas d’absence de test d’ischémie préalable sauf si sténose > 90 % (classe I-B).
ÉTAPE 6 : évaluation du risque d’événement ischémique
Ces dernières recommandations insistent sur l’importance d’évaluer le risque d’événement ischémique à chaque patient. En effet, il semble primordial d’identifier les patients à haut risque d’événement pour lequel il faudra privilégier une stratégie invasive car ils représentent ceux qui tireront le plus de bénéfice à une revascularisation tant sur le plan pronostique que fonctionnel.
Ils correspondent aux patients symptomatiques avec dysfonction ventriculaire gauche et/ou test d’ischémie positif et/ou coroscanner avec atteinte sévère proximale tritronculaire, du tronc commun ou de l’IVA proximale et/ou coronarographie avec FFR < 0,80.
Traitement anti-ischémique
Le choix du traitement antiischémique dépendra à la fois de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle et de la FEVG (figure 4).
Figure 4. Traitement anti-ischémique.
Le traitement de choix reste les bêtabloquants et/ou les inhibiteurs calciques que l’on peut associer en cas de symptômes résistants à une monothérapie (classe I-A). Les bêtabloquants sont recommandés chez les patients avec dysfonction VG. Les nitrés arrivent en seconde ligne et sont à réserver en cas de symptômes réfractaires (classe IIa-B).
Prévention des événements
La maladie coronaire étant en perpétuelle évolution, il est primordial de mettre en place des thérapies de prévention intensive chez ces patients, en agissant notamment sur le mode de vie et le traitement médical.
Un mode de vie « sain »
La mise en œuvre d’un mode de vie « sain » en plus du traitement médical est le fondement sur lequel bâtir la prévention de la maladie coronaire. Il faudra favoriser le sevrage tabagique, un régime alimentaire équilibré, la perte de poids (objectif IMC < 25 kg/m2) et une activité physique (30 à 60 minutes d’activité modérée régulière). Les patients peuvent être orientés vers des équipes multidisciplinaires qui pratiquent une approche cognitive, comportementale et psychologique afin de les aider à modifier leur mode de vie.
Concernant le traitement hypolipémiant, en cas d’objectif de LDL non atteint, un traitement par ézétimibe peut être ajouté à une statine à dose maximale, avec également la possibilité d’y ajouter désormais un anti-PCSK9 en cas d’objectif non atteint sous dose maximale de statines et d’ézétimibe chez les patients à haut risque cardiovasculaire (classe I-A).
Chez les patients diabétiques avec atteinte multitronculaire, les inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose, empagliflozine, canagliflozine ou la dapagliflozine, ainsi que les agonistes des récepteurs du peptide-1-like du glucagon sont recommandés (classe I). L’utilisation d’un inhibiteur de la pompe à protons est recommandée chez les patients sous monothérapie antiagrégante, DAPT et/ou anticoagulant en cas de risque important de saignement gastro- intestinal (classe I-A).
Individualiser le traitement antithrombotique à chaque patient coronarien
Concernant la stratégie antithrombotique, les recommandations permettent d’individualiser le traitement antithrombotique à chaque patient coronarien.
• Chez les patients en rythme sinusal, la durée de DAPT recommandée après angioplastie est de 6 mois (classe I-A) mais peutêtre réduite à 3 mois (classe IIa-A) voire 1 mois (classe IIb-C) en cas de risque élevé de saignement. Le ticagrélor ou le prasugrel peuvent également être utilisés en cas de risque ischémique élevé lié à l’angioplastie (stent sous-déployé, situation à risque de thrombose de stent, tronc commun complexe, angioplastie pluritronculaire, etc.) (classe IIb-C).
À la lumière des résultats de l’étude COMPASS, les recommandations ont identifié les patients chez qui la stratégie antithrombotique devra être intensifiée.
Elle concerne les patients :
– à haut risque ischémique qui sont définis par : une atteinte coronaire multitronculaire associée à un diabète et/ou une récidive d’IDM et/ou un artériopathie périphérique et/ou une insuffisance rénale (DFG : 15-50 ml/min/1,73 m2) ;
– à risque ischémique modéré qui sont définis par la présence d’au moins un critère suivant : atteinte coronaire multitronculaire, diabète, IDM récidivant, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale (DFG : 15-50 ml/ min/1,73 m2).
Dans ces deux cas, les patients doivent être sans risque hémorragique élevé (antécédent de saignement intracérébral, saignement gastro-intestinal récent, insuffisance hépatique, coagulopathie, âge extrême et insuffisance rénale sévère avec DFG < 15 ml/min/1,73 m2).
Chez ces patients à risque ischémique élevé (classe IIa-A) ou modéré (classe IIb-A) et sans risque d’hémorragie sévère, 4 possibilités thérapeutiques sont désormais possibles, en association à l’aspirine, en post-IDM après DAPT bien tolérée pendant 1 an : clopidogrel 75 mg/j, prasugrel 10 mg/j, ticagrélor 60 mg x 2/j et rivaroxaban 2,5 mg x 2/j (schémas « COMPASS like ») (tableau 2).
• Chez les patients avec indication d’anticoagulation curative, les AOD sont à préférer aux AVK en association à l’aspirine et au clopidogrel dans les suites d’une angioplastie (classe I-A). Le ticagrélor et le prasugrel ne sont pas indiqués dans le cadre d’une trithérapie (classe III) mais peuvent être envisagés comme alternative à la trithérapie en association à une anticoagulation seule (classe IIb). La durée de la triple thérapie ainsi que la posologie de l’anticoagulant devront être adaptées à la balance entre le risque ischémique et hémorragique. En cas de risque hémorragique prédominant, la durée de triple thérapie pourra être raccourcie à < 1 semaine (classe IIa- B) ou pourra même se limiter dans certains cas à une monothérapie antiagrégante associée à l’anticoagulation (classe IIb-C) et la posologie de l’anticoagulant pourra être à faible dose (rivaroxaban 15 mg ou dabigatran 110 mg x 2/j) (classe IIa-B). À l’inverse, en cas de risque ischémique prédominant, la durée de la triple thérapie pourra être rallongée à plus d’1 mois sans dépasser 6 mois (classe IIa-C).
Il faudra privilégier le clopidogrel en cas de monothérapie antiagrégante associée à l’anticoagulation curative, de même cette bithérapie pourra être poursuivie au long cours chez les patients à risque ischémique important sans risque hémorragique majeur (classe IIb-B).
Revascularisation
La revascularisation myocardique, en plus d’un traitement médical optimal, joue un rôle central dans la prise en charge du SCC. Elle a principalement deux objectifs qui sont l’amélioration des symptômes et du pronostic des patients (figure 5).
Figure 5. Algorithme guidant le choix de revascularisation myocardique.
La revascularisation dépendra à la fois de la présence de symptômes et de la documentation d’ischémie myocardique préalable. En cas d’absence d’ischémie myocardique documentée qu’il y ait des symptômes ou non, il est recommandé de revasculariser en cas de sténose > 90 % et/ou de lésions avec une FFR < 0,80 ou une iwFR < 0,89 et/ ou de lésions responsables d’une dysfonction VG. En cas d’ischémie documentée associée à des symptômes angineux, si le patient est multitronculaire, la revascularisation devra être guidée par FFR. En cas d’absence de symptômes angineux, les lésions responsables d’une large ischémie myocardique (> 10 % du VG) sont à revasculariser.
Suivi
Un traitement et une surveillance à vie sont nécessaires chez les patients porteurs de SCC. L’évolution clinique de ces patients peut être bénigne au fil du temps mais également emmaillée de complications cardiovasculaires qui peuvent être traitées au cours du suivi.
Un algorithme de suivi a été émis par les recommandations en identifiant 3 types de SCC. Cela concerne les SCC récemment diagnostiqués ou revascularisés, les SCC anciens (> 1 an du diagnostic) et les SCC dans les suites d’un SCA, ce qui permettra d’adapter le suivi et la prise en charge à chaque catégorie de patient (figure 6).
Figure 6. Algorithme guidant le choix de revascularisation myocardique.
Une consultation clinique régulière permettra l’évaluation du contrôle des facteurs de risque cardiovasculaire, du mode de vie et également d’optimiser le traitement antithrombotique (classe I-C). Elle permettra aussi la réalisation d’une éducation thérapeutique et d’insister sur l’importance de l’observance thérapeutique.
Une échographie transthoracique peut être envisagée à 1-3 mois après revascularisation puis de façon annuelle en cas d’anomalie ou dans le cas contraire tous les 3-5 ans.
Les tests d’ischémie peuvent être pratiqués en tant que test de référence à 1-3 mois après revascularisation puis périodiquement (tous les 3-5 ans) et devront être réalisés en cas de modification ou d’apparition de symptômes angineux.
Conclusion
Le syndrome coronarien chronique (SCC) est une nouvelle terminologie plus cohérente avec l’évolution de la maladie coronaire.
Le SCC associe plusieurs types de patients illustrant l’hétérogénéité de la maladie.
La place du coroscanner et des tests d’ischémie couplés à l’imagerie dans le diagnostic est importante.
Il faut favoriser un mode de vie sain et la prise en charge des facteurs de risque comme fondement de la prévention cardiovasculaire.
Il est possible d’individualiser le traitement antithrombotique en privilégiant une stratégie intensive en ajoutant un 2e antithrombotique à l’aspirine chez les patients à risque ischémique élevé ou modéré sans risque hémorragique important.
La revascularisation doit être guidée par une documentation d’ischémie myocardique préalable par test fonctionnel ou FFR sauf en cas de sténose > 90 % ou de lésion responsable d’une dysfonction VG.
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