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Mise au point

Publié le 28 fév 2010Lecture 10 min

Place du prasugrel dans l’angioplastie coronaire percutanée

G. LEMESLE, Hôpital cardiologique, Centre Hospitalier Régional et Universitaire de Lille

La double antiagrégation plaquettaire associant aspirine et clopidogrel a joué un rôle particulièrement important dans le développement de la technique d’angioplastie coronaire percutanée (ACP) en réduisant significativement le risque de survenue de thromboses de stent et d’événements cardiovasculaires majeurs(1,2). Ce bénéfice est encore plus net chez les patients à haut risque cardiovasculaire et bénéficiant d’une ACP dans le cadre d’un syndrome coronaire aigu (SCA). Ainsi, dans l’étude PCI-CURE, l’adjonction du clopidogrel en surplus de l’aspirine permettait de diminuer le risque d’événements cardiovasculaires de 20 % par rapport au placebo(3).

Toutefois, de nombreuses études récentes ont montré qu’il existait une large variabilité interindividuelle dans la réponse biologique à ces traitements (notamment pour le clopidogrel) et que cette mauvaise réponse biologique était directement prédictive du risque d’événements cardiovasculaires après ACP(4-14). Par ailleurs, plusieurs études ont rapporté un bénéfice clinique (réduction du risque d’événements cardiovasculaires majeurs : décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, thrombose de stent, accident vasculaire cérébral) à une majoration des doses de clopidogrel ou au remplacement du clopidogrel par des molécules plus efficaces en termes d’inhibition plaquettaire telles que le prasugrel(15-24). Cependant, ce type de protocoles d’antiagrégation plaquettaire, notamment l’utilisation du prasugrel, était associé à un surrisque d’événements hémorragiques non négligeable.  Le prasugrel est désormais disponible sur le marché. Nous proposons dans cet article de revenir sur les données disponibles sur le prasugrel dans la littérature et de discuter sa place dans le champ de l’ACP en insistant sur le point clé du rapport bénéfice/risque.  Données biologiques Les principales données biologiques proviennent des résultats de l’étude PRINCIPLETIMI 44(22). Dans cette étude, 201 patients devant bénéficier d’une ACP programmée ont été inclus et randomisés en deux groupes : dose de charge de prasugrel de 60 mg puis dose d’entretien de 10 mg/j pendant 14 jours versus fortes doses de clopidogrel : 600 mg en dose de charge puis 150 mg/j en dose d’entretien pendant 14 jours. Au bout des 14 jours, un cross-over était réalisé entre les deux groupes pour une nouvelle période de 14 jours de traitement. Des tests biologiques analysant la réponse à l’une et l’autre des molécules étaient réalisés 30 minutes, 6 heures et 24 heures après la dose de charge et au 14e jour après la dose d’entretien. Les tests réalisés étaient un VASP et une aggrégométrie en présence de 20 μM d’ADP.    Cette étude a montré que le prasugrel permettait d’améliorer de façon significative l’inhibition plaquettaire en comparaison du clopidogrel à forte dose (figure 1). Ainsi une dose de charge de 60 mg de prasugrel faisait mieux mais agissait aussi plus précocement qu’une dose de charge de 600 mg de clopidogrel. De la même façon, la dose d’entretien de 10 mg de prasugrel améliorait significativement l’inhibition plaquettaire par rapport à la dose de 150 mg de clopidogrel. Ces résultats étaient concordants selon les deux tests biologiques réalisés : le VASP et l’aggrégométrie en présence d’ADP.    Figure 1. Résultats de l’étude PRINCIPLE-TIMI 44 : inhibition plaquettaire sous prasugrel en comparaison au clopidogrel à forte dose. Effets respectifs de la dose de charge et de la dose d’entretien. Données cliniques  Les principales données cliniques proviennent des résultats de l’étude TRITON-TIMI 38 et des analyses des différents sous-groupes de patients(21). Dans cette étude, 13 608 patients présentant un SCA ont été inclus et randomisés en deux groupes : dose de charge de prasugrel de 60 mg puis dose d’entretien de 10 mg/j pendant 15 mois versus dose de charge de clopidogrel de 300 mg puis dose d’entretien de 75 mg/j pendant 15 mois.  Fait très important, dans cette étude il était nécessaire de connaître l’anatomie coronaire avant d’envisager la randomisation qui avait donc lieu en pratique juste après la réalisation de la coronarographie diagnostique.  Le critère primaire d’efficacité était un critère composite associant décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde et accident vasculaire cérébral (AVC). Le critère primaire de sécurité était représenté par les saignements majeurs selon la définition TIMI et non liés au pontage coronaire. À noter qu’il était prévu dès le départ de réaliser une analyse de Landmark pour les périodes 0 J-3 J et 3 J-15 mois afin d’analyser les impacts respectifs de la dose de charge et de la dose d’entretien.  L’étude TRITON-TIMI 38 a donc récemment rapporté une supériorité du protocole prasugrel en comparaison du protocole clopidogrel selon le critère primaire d’efficacité. Ainsi, le taux d’événements du critère d’efficacité était de 9,9 % dans le groupe prasugrel versus 12,1 % dans le groupe clopidogrel (p = 0,0004). Toutefois, cette étude a également rapporté un sur-risque hémorragique significatif dans le groupe prasugrel : 2,4 % versus 1,8 % (p = 0,03). On note néanmoins que le bénéfice clinique restait nettement en faveur du prasugrel avec un taux global d’événements (ischémiques et hémorragiques) de 12,1 % versus 13,9 % (p = 0,004) (figure 2).    Figure 2. Résultats de l’étude TRITON-TIMI 38 : rapport bénéfice/risque du prasugrel en comparaison du clopidogrel. Si l’on s’intéresse aux résultats détaillés de l’analyse de Landmark et aux bénéfices respectifs de la dose de charge et de la dose d’entretien, on peut remarquer qu’à la fois la dose de charge et la dose d’entretien permettaient de diminuer de façon significative le risque d’événements du critère primaire d’efficacité (figure 3). En revanche, le sur-risque hémorragique semblait essentiellement en lien avec la modification de la dose d’entretien (figure 4). De ce fait, le bénéfice à modifier la dose de charge était très en faveur du prasugrel alors que le bénéfice à modifier la dose d’entretien était moins important (balance bénéfice/risque).    Figure 3. Résultats de l’étude TRITON-TIMI 38 : bénéfices respectifs de la dose de charge et de la dose d’entretien de prasugrel sur le critère primaire d’efficacité. Figure 4. Résultats de l’étude TRITON-TIMI 38 : impacts respectifs de la dose de charge et de la dose d’entretien de prasugrel sur le critère primaire de sécurité. Afin de mieux individualiser les patients les plus enclins à bénéficier du prasugrel, plusieurs sous-groupes ont fait l’objet d’analyses a posteriori dans cette étude. Dans le sous-groupe des patients diabétiques (n = 3 146), le bénéfice sur le critère primaire d’efficacité était majeur avec un taux d’événements de 12,2 % dans le groupe prasugrel versus 17 % dans le groupe clopidogrel (p < 0,001). De plus, il n’existait pas de sur-risque hémorragique lié à l’utilisation du prasugrel dans ce sousgroupe particulier (figure 5). De la même façon, dans le sousgroupe des patients présentant un SCA avec sus-décalage du segment ST (n = 3 534), l’utilisation du prasugrel permettait de diminuer de façon significative le critère primaire d’efficacité (10 % vs 12,4 % ; p = 0,02) sans augmenter le risque hémorragique (figure 6). Par contraste, plusieurs autres sous-groupes de patients ne tiraient pas de bénéfice de l’utilisation du prasugrel du fait d’un sur-risque hémorragique très important. Parmi ces sousgroupes, on notait les patients âgés de plus de 75 ans, les patients pesant moins de 60 kg et les patients ayant un antécédent d’AVC.    Figure 5. Résultats de l’étude TRITON-TIMI 38 : analyse du sous-groupe des patients diabétiques. Figure 6. Résultats de l’étude TRITON-TIMI 38 : analyse du sous-groupe des patients présentant un SCA avec sus-décalage du segment ST. Discussion  En conclusion, le protocole prasugrel a donc montré une supériorité en comparaison du protocole clopidogrel en termes d’inhibition plaquettaire mais également en termes d’événements cardiovasculaires majeurs (incluant décès cardiovasculaires, infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux). Les résultats des différentes études ont donc logiquement conduit à l’approbation de cette molécule par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis et à une Autorisation de mise sur le marché (AMM) en France. À noter toutefois que l’utilisation du prasugrel était également associée à une augmentation significative du risque d’hémorragies majeures.  Remarques et commentaires sur l’interprétation des résultats de l’étude TRITON-TIMI 38 Premièrement, l’analyse de Landmark a montré que si le bénéfice clinique sur le critère primaire d’efficacité était présent, à la fois pour la dose de charge et pour la dose d’entretien, le sur-risque hémorragique était en revanche, lui, essentiellement lié à la dose d’entretien et au traitement prolongé par prasugrel. Ainsi, le bénéfice clinique net était majeur pour la dose de charge mais beaucoup moins important pour le traitement prolongé notamment audelà du premier mois. Deuxièmement, le design même de l’étude favorisait la molécule avec la capacité d’inhibition plaquettaire maximale, à savoir le prasugrel. En effet, il est important de rappeler qu’il était obligatoire de connaître l’anatomie coronaire avant randomisation dans cette étude.  De fait, la dose de charge était réalisée tardivement dans les deux groupes (prasugrel et clopidogrel) par rapport à l’ACP. Si ce type d’attitude correspond très bien au type de pratique réalisée dans les SCA avec sus-décalage du segment ST, elle est en revanche très différente dans les SCA sans sus-décalage du segment ST où la dose de charge est habituellement réalisée plusieurs heures avant l’ACP en pratique courante, laissant ainsi le temps au clopidogrel d’avoir sa pleine capacité d’inhibition plaquettaire (délai de 6 h pour une dose de charge de 300 mg). Par ailleurs, le taux de pontage coronaire (dont le risque hémorragique est non négligeable en présence de fortes doses d’antiagrégants plaquettaires) était en conséquence très bas dans cette étude. Enfin, très peu de SCA ont été traités uniquement médicalement (sans réaliser d’ACP) dans cette étude.  Troisièmement, dans l’étude TRITON-TIMI 38, les doses de clopidogrel utilisées dans le groupe témoin étaient celles utilisées selon un protocole que nous pourrions décrire comme « faible dose et ancienne version ». En effet, plusieurs études récentes ont rapporté un bénéfice à utiliser des doses de clopidogrel plus importantes en cas de SCA traité par ACP : une dose de charge de 600 mg suivie d’une dose d’entretien de 150 mg pendant 7 à 15 jours. Ce type de protocole dit « forte dose » a, en effet, montré un bénéfice clinique en termes d’événements cardiovasculaires ischémiques avec un surrisque hémorragique moindre que celui retrouvé lors de l’utilisation du prasugrel.  En conséquence, de nouvelles études comparant le prasugrel au protocole dit « forte dose et nouvelle version » de clopidogrel pourraient se justifier notamment dans le cadre du SCA sans sus-décalage du segment ST. Enfin, l’analyse des sous-groupes est essentielle. Ainsi l’AMM en France et la FDA ne recommandent pas l’utilisation du prasugrel chez les patients âgés de plus de 75 ans, de moins de 60 kg ou avec antécédents d’AVC. En revanche, le prasugrel doit être très fortement considéré en cas de SCA à haut risque notamment ceux avec sus-décalage du segment ST, les thromboses de stent et les patients diabétiques. En effet, le bénéfice dans ces différents sous-groupes était maximal et le surrisque hémorragique n’y était pas présent.  Conclusion  L’utilisation du prasugrel, en comparaison du clopidogrel, est associée à un bénéfice significatif en termes d’inhibition plaquettaire mais également en termes d’événements cardiovasculaires majeurs. Toutefois, l’utilisation du prasugrel est aussi associée à une augmentation significative du risque hémorragique.   Le rapport bénéfice/risque du prasugrel est bien entendu très variable en fonction des sous-groupes de patients. Pour cette raison, il semble que le prasugrel doive être réservé à certains patients incluant les diabétiques et ceux présentant un SCA avec sus-décalage du segment ST et être proscrit pour d’autres : ceux de plus de 75 ans, ceux de moins de 60 kg et ceux ayant un antécédent d’accident vasculaire cérébral.     Références bibliographiques sur demande à la rédaction.

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