Publié le 30 mar 2023Lecture 5 min
Comment traiter l’ischémie critique ? Avis des experts sur l’étude BEST-CLI
Bahaa NASR, CHU de la Cavale Blanche, Brest
Les résultats de l’essai clinique randomisé, multicentrique BEST-CLI ont été publiés en novembre 2022. Nous avons pris l’avis de deux experts internationaux sur cette étude. Nous avons échangé avec le Pr Yann Gouëffic (chirurgie vasculaire, Hôpital Paris Saint-Joseph) et le Dr Lorenzo Patrone (radiologue interventionnel, London North West Healthcare NHS).
Cette étude a inclus 1 830 patients et a montré la supériorité du pontage veineux sur le traitement endovasculaire dans la prise en charge de l’ischémie critique chez les patients éligibles aux deux traitements. L’essai consistait en deux essais parallèles : la cohorte 1 comprenait des patients avec une veine grande saphène de bonne qualité et la cohorte 2 comprenait des patients qui n’avaient pas de veine saphène de bonne qualité et, par conséquent, un pontage composite ou prothétique a été utilisé. La cohorte 1 comprenait 1 434 patients randomisés 1 : 1 pour recevoir un traitement chirurgical ou endovasculaire (718 pontages veineux vs 716 traitements endovasculaires). Le suivi médian était de 2,7 ans. Les taux d’événements cliniques majeurs MALE (major adverse limb event) ou de décès toutes causes confondues étaient de 42,6 % dans le bras chirurgie versus 57,4 % dans le bras endovasculaire (risque relatif, 0,68 ; IC 95 % : 0,59 à 0,79 ; p < 0,001). En termes de critères secondaires, 10,4 % des patients du bras chirurgie ont subi une amputation majeure contre 14,9 % dans le bras endovasculaire, auxquels s’ajoutent des taux de 9,2 % contre 23,5 % pour la réintervention majeure sur le membre et 33 % contre 37,6 % pour les décès toutes causes confondues pour les patients des bras ouvert et endovasculaire, respectivement.
Pr Yann GOUËFFIC
Chirurgie vasculaire, Hôpital Paris Saint-Joseph
Quel était ton algorithme dans la prise en charge des ischémies critiques ?
YG : Jusqu’à ce jour, le traitement endovasculaire est ma technique de revascularisation première chez un patient en ischémie critique, le traitement chirurgical conventionnel étant réservé aux échecs du traitement endovasculaire.
Que penses-tu de l’étude BEST-CLI ?
YG : BEST-CLI est une étude ambitieuse, qui tente de répondre à un problème complexe qu’est le choix de la technique de revascularisation des patients en ischémie critique. Dans cette étude randomisée, seuls les patients éligibles à une chirurgie sont inclus dans deux cohortes puis randomisés. La première cohorte est constituée par les patients ayant une veine saphène interne disponible pour un pontage ; la deuxième cohorte est constituée de patients sans veine saphène interne disponible pour un pontage. Le critère primaire combine le major adverse limb event (MALE) ou le décès. Le MALE est défini comme une amputation au-dessus de la cheville (amputation majeure) ou une réintervention (nouveau pontage, révision du pontage, thrombectomie, thrombolyse) au niveau du membre revascularisé. Les auteurs observent, pour la cohorte 1, un taux d’événements (décès et MALE) significativement moindre dans le groupe chirurgie ouverte par rapport au groupe endovasculaire. D’autre part, il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes de la cohorte 2.
Cette étude confirme les bons résultats de la chirurgie notamment en termes de succès technique (98 % vs 85 %) et au cours du suivi en termes d’amputation majeure (10,4 % vs 14,9 %) et de réintervention majeures (9,2 % vs 23,5 %). A contrario, on n’observe pas de bénéfice de l’endovasculaire notamment en termes de mortalité périopératoire. Au total, cette étude confirme les recommandations actuelles de la revascularisation des patients en ischémie critique, à savoir une chirurgie ouverte en première intention chez les patients opérables et avec un greffon saphène interne disponible
Selon toi, y a-t-il des biais et des limites dans cette étude ?
YG : Cette étude met en évidence les limites de la chirurgie ouverte et de l’endovasculaire. Concernant la chirurgie ouverte, les résultats de cette étude ne concernent pas les patients à haut risque opératoire qui ont été exclus. D’autre part l’endovasculaire fait aussi bien que la chirurgie chez les patients sans saphène interne disponible, soit 22 % des patients inclus dans cette étude.
Concernant le traitement endovasculaire, on observe que le taux de succès technique est plus faible. Dans la cohorte 1, on note 108 cas d’échec technique qui ont nécessité 66 pontages dans les 30 jours. Par conséquent, l’échec technique a majoré le taux de MALE de près de 10 % dans le groupe endovasculaire. Le taux de réinterventions majeures est également très élevé dans le groupe endovasculaire. On peut toujours évoquer que le meilleur traitement endovasculaire n’a pas été utilisé pour ces patients (notamment l’usage de dispositif actif). Cependant, il faut souligner que le meilleur traitement endovasculaire pour l’ischémie critique n’est pas connu. En effet, à l’étage fémoropoplité les études concernent principalement les patients claudicants et en ce qui concerne l’étage infrapoplité le ballon nu reste le traitement de référence.
Enfin, on note un taux d’amputation plus élevé dans le groupe endovasculaire. Ce taux d’amputation semble plus élevé par rapport aux taux d’amputation observé dans les études comparant le ballon actif au ballon nu dans le traitement de l’ischémie critique, IN.PACT DEEP (8,8 vs 3,6 % à 2 ans) et BIOLUX P-III (3,3 vs 5,6 % à 1 an), où les patients en échec de franchissement étaient exclus.
Est-ce que les résultats de BEST-CLI ont changé ton algorithme de prise en charge des ischémies critiques ?
YG : Si BEST-CLI apporte un éclairage sur les forces et faiblesses des différentes techniques de revascularisation, cette étude n’a actuellement pas modifiée ma pratique. En effet, la pression sur la disponibilité des lits, à l’accès aux salles d’intervention et le déficit de praticiens font que le traitement endovasculaire permet de répondre à la demande croissante de revascularisation des patients en ischémie critique. Rappelons-nous également, comme le montre BEST-CLI, que près de 50 % des patients en ischémie critique sont décédés après 5 ans de suivi, ce qui relativise les résultats à long terme de la revascularisation.
Dr Lorenzo PATRONE
Radiologue interventionnel, London North West Healthcare NHS
L. Patrone : Je pense que l’étude BEST-CLI a représenté un grand effort pour essayer de trouver des preuves scientifiques pour le traitement des patients ayant une ischémie critique. Dans un monde qui va vers une prise en charge endovasculaire en première option, cela nous rappelle à tous que le pontage veineux est une option efficace qui profite aux patients en tant que traitement de première intention.
Ce que je retiens de cet article, c’est que le traitement endovasculaire doit être fait correctement pour être efficace. Nous ne pouvons pas nous permettre d’effectuer un travail moyen parce que la perméabilité est énormément affectée par l’échec primaire. Les cliniciens endovasculaires doivent améliorer leurs connaissances sur le franchissement des lésions et sur les différentes options de traitement afin de maximiser les résultats endovasculaires. Ce qui m’a également surpris, c’est que les résultats des questionnaires QoL (malgré les résultats techniques et les différents taux d’occlusion) mettent le traitement endovasculaire et le pontage veineux sur le même plan. Enfin, cette étude apporte des résultats intéressants et données importantes.
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