Publié le 25 mar 2024Lecture 10 min
L'activité de La chaîne de l’espoir dans le domaine vasculaire
Jimmy DAVAINE, CHU de la Pitié-Salpêtrière, Paris
La chaîne de l'espoir (LCDE) a 30 ans cette année. Un âge où on a vécu et acquis une certaine expérience mais où l’essentiel reste à faire. Certains connaissent la CDE, d’autres en ont déjà entendu parler.
Mais qu’est-ce que LCDE et comment la présenter ?
Aux scientifiques on pourra donner des chiffres : LCDE, c’est 33 pays d’intervention pour un budget annuel de 30 M d’euros. Ce sont plus de 10 000 patients opérés, 400 m3 et 40 tonnes d’équipement acheminés, 70 missions médicales et 56 missions exploratoires ou techniques, 880 collaborateurs dans le monde, dont 186 salariés et 694 bénévoles, et enfin 69 bailleurs de fond. Aux exaltés, aux enthousiastes, on dira que LCDE, c’est une vision. Celle de ceux qui n’acceptent pas qu’en raison de l’endroit où l’on nait, on soit condamné à la souffrance et à l’abandon, en particulier pour les plus vulnérables, les enfants et les femmes. C’est en tout cas celle du Pr Alain Deloche qui a décidé de se lancer dans cette aventure humaine alliant compétences, générosité et énergie.
Fondée en 1994 sur le modèle d’une association française loi 1901 et actuellement présidée par le Dr Éric Cheysson, chaîne de l'espoir est un réseau d’excellence et d’expertises médicochirurgicales, un acteur de santé engagé dans des actions pérennes visant à donner accès aux soins et à la santé scolaire aux enfants les plus pauvres, à leurs familles et leurs communautés à travers le monde.
Pour les méthodiques, LCDE c’est une approche. Au sein des 33 pays où elle intervient, LCDE suit une approche globale centrée sur l’enfant, la mère et les communautés défavorisées :
- soins et chirurgie pour ceux qui n’y ont pas accès ;
- formation et transfert de compétences aux équipes locales (transfert Nord-Sud puis Sud-Sud) ;
- construction et équipement d’hôpitaux ;
- prévention et dépistage dès le plus jeune âge.
Et pour tous ceux-là et les autres, LCDE c’est une histoire, une rencontre. Mais là, il faut nous arrêter et remonter un peu le temps. 1979, Éric Cheysson démarre son internat de chirurgie. Il s’intéresse à l’action humanitaire et assiste, entraîné par quelques collègues et son envie propre, à des réunions de Médecins Sans Frontières (MSF), alors en pleine scission. Bernard Kouchner, l’homme du Biafra, est révolté par l’attitude de ses collègues qu’il voit comme des « bureaucrates », par l’attitude passive de la gauche de l’époque sur les sujets humanitaires et par le refus systématique de MSF ou La Croix-Rouge de toute médiatisation de leurs actions. Il faut au contraire dénoncer et exposer ce qui est inacceptable, en l’occurrence ce qui se passe en mer de Chine où des milliers de boat-people meurent noyés. Il quitte MSF et entraîne avec lui un groupe qui sera à l’origine de l’aventure des "french doctors" (https://www.france.tv/france-2/infrarouge/1094457-afghanistan-l-heritagedes-french-doctors.html).
Ce groupe, aidé par quelques généreux donateurs, affrète un bateau, l’Ile de lumière qui partira pour Pulau-Bidong, une île d’un km2 où s’entassent des milliers de réfugiés fuyant le régime communiste. Et elle sera médiatisée cette aventure. Sartre et Aron réconciliés autour d’une cause, l’interview de Montand, l’intervention de Valéry Giscard d’Estaing (https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/51182_0).
La suite, c’est la création de Médecin du monde en 1980 puis de La chaîne de l'espoir en 1988 par le Pr Alain Deloche et le Dr Éric Cheysson, actuel président et également chirurgien vasculaire. Le duo Deloche-Cheysson est lancé. Deloche c’est Broussais, Dubost, Carpentier puis l’HEGP, les conférences d’internat, mais là c’est une autre histoire, tout aussi passionnante. Éric Cheysson dirige le service de chirurgie vasculaire de Pontoise et en fera un des fleurons de ce vaste hôpital du Nord-Ouest parisien. Sous leur direction, LCDE va organiser des nombreuses missions à travers le monde et construire pour tout ou partie des centres médicochirurgicaux, tels le centre cardiovasculaire de Phnom Penh au Cambodge ou l’institut du cœur de Maputo au Mozambique. En 2001, Éric Cheysson se lance dans la grande aventure de l’hôpital pour la mère et l'enfant à Kaboul en Afghanistan (https://www.chainedelespoir.org/en/nossucces/afghanistan-french-medical-institute-mothers-and-children-fmic).
Où se situe LCDE et qui y trouve-t-on ?
Après avoir longtemps occupé des locaux au sein de l’ancien hôpital Broussais, l’association s’installe dans un immeuble de la rue des Morillons, à quelques pas plus loin dans le XVe arrondissement de Paris. S’y déroule au gré de ses 5 étages, un décor haut en couleurs. Anciens ou actuels PUPH, médecins de tous horizons y côtoient stagiaires, ingénieurs biomédicaux, travailleurs formés à l’humanitaire ou jeunes diplômés de sciences-po, journalistes, gestionnaires, juristes, informaticiens, pharmaciens, et bien d’autres. Le visiteur y verra salles de réunions, quelques bureaux individuels et d’autres bureaux ouverts. Une véritable fourmilière aux allures de startup. En dehors du siège, LCDE possède des antennes dans de nombreuses villes en France et est présente dans de nombreux pays du monde où son action est coordonnée par les équipes locales.
Et qu'est-ce que l'on y fait ?
Plusieurs actions y sont menées. L’accueil en France d’enfants défavorisés, n’ayant pas accès aux soins adéquats dans leur pays d’origine, fait partie des actions les plus médiatiques. Ces enfants sont pris en charge par des familles dévouées qui les accompagnent le temps de leur opération et de leur convalescence, c’est-à-dire parfois plusieurs mois.
Il y a les missions à l’étranger. Matériel et personnels interviennent pour des durées plus ou moins importantes dans le cadre de programmes au long cours, comme par exemple à Kaboul, au centre médical français pour l’enfant et la mère (FMIC), ou dans le cadre de situation de crises humanitaires comme actuellement en Ukraine ou lors de la terrible explosion du port de Beyrouth en 2020. L’effort est centré sur les plus vulnérables : minorités, femmes et enfants.
LCDE assure également un rôle d’enseignement, de formation des équipes locales en vue de l’autosuffisance. C’est le grand principe du transfert de connaissances Nord-Sud puis Sud-Sud. Et dans la continuité de ce principe et pour que son action s’inscrive dans la durée, LCDE construit des hôpitaux au Cambodge, au Mozambique et en Afghanistan, comme évoqué plus haut ou encore l’hôpital au Sinjar, projet en partenariat avec la fondation Nadia’s initiative, dont la première pierre a été posée en novembre 2020, pour venir au soutien de la communauté Yézidi (https://www.chainedelespoir.org/fr/unhopital-pour-le-sinjar-pose-de-la-pierrele-24-novembre-2020).
Enfin, une part non négligeable de l’effort de LCDE est dédiée à l’innovation, au développement de nouveaux outils. Ainsi, le programme ECHOES a-t-il vu le jour il y a quelques années et a révolutionné l’organisation des missions. Une échographie est réalisée dans un endroit du monde. Le flux de la sonde est capté et renvoyé jusqu’à un expert qui visualise parfaitement l’examen en temps réel. En parallèle, une caméra permet d’observer le patient et de converser entre professionnels. Des séances sont organisées toutes les semaines et plusieurs patients sont ainsi examinés, staffés et programmés pour un bilan complémentaire ou une intervention. Plus de 900 patients ont été vus en séances en 2020. Ces séances sont aussi le moment d’un enseignement au lit du malade. Cet outil, simple dans son apparence finale, a nécessité un long travail de mise au point technologique qui a permis de transformer en profondeur l’organisation des missions. Auparavant, une équipe partait et examinait le premier jour une grande quantité de patients, le plus souvent des enfants, pour en sélectionner quelques-uns à opérer dans le courant de la semaine avec les moyens disponibles. Désormais, les interventions sont planifiées à l’avance et la mission emmène personnel et matériel adaptés, à l’instar de nos staffs préopératoires. ECHOES a évolué en une plateforme accessible à n’importe quel centre dans le monde, qui en fait la demande. Elle se prête tout particulièrement à la cardiopédiatrie et est en cours d’extension à la médecine et chirurgie vasculaire.
LCDE développe de nouvelles branches. Créée en 2019, United Surgeons for Children (USFC) est une organisation à but non lucratif établie aux États-Unis et affiliée à l’ONG internationale La chaîne de l'espoir. Le rôle de cette structure est d’accroître la visibilité de La chaîne de l'espoir sur le continent américain, afin de soutenir financièrement ses activités et dynamiser son réseau de bénévoles médicaux. LCDE est enfin à l’écoute du monde. Les « lundis de La chaîne » sont des conférences organisées au sein de l’amphithéâtre de l’ancien hôpital Broussais et qui permettent de mieux comprendre le monde. Des orateurs prestigieux (François Hollande, Nicolas Sarkozy, Laurent Fabius, Jean-Louis Etienne, Françoise BarréSinoussi et bien d’autres) viennent y expliquer le monde, sa géopolitique, son climat, etc.
Et pourquoi un article sur LCDE dans l’Interventionnel ?
À cette excellente question, la réponse est multiple. Tout d’abord, et cela aurait pu suffire, parce que plusieurs membres de LCDE font aussi partie de la communauté des interventionnels et vice-versa. Ce n’est pas un hasard et cela amène à la deuxième raison. Les maladies cardiovasculaires sont devenues la première cause de mortalité dans le monde. Si l’humanitaire a longtemps été focalisé, à juste titre, sur les maladies transmissibles, les maladies non transmissibles méritent également notre attention et nos efforts. Ce sont les pays les plus défavorisés qui paient le plus lourd tribut aux épidémies de diabète, d’insuffisance rénale et de sédentarité qui touchent toute la planète(1). Et la chirurgie a toute sa place ! Elle sauve des vies. Un chiffre : on estimait en 2010 que 16,9 millions de décès dans le monde étaient dus à l’absence de prise en charge chirurgicale adaptée. En comparaison, le nombre de décès estimés dus à l’association VIH/BK/Malaria était de 3,9 millions. Des données plus circonstanciées dépassent le cadre de cet article mais les publications régulières de l’OMS, la Banque mondiale et du Lancet rappellent et détaillent cette réalité depuis longtemps(2). Le syllogisme est établi, qui place la chirurgie vasculaire au rang d’acteur à part entière de l’action humanitaire. Et bien plus qu’un raisonnement, il s’agit d’une réalité que LCDE expérimente au quotidien.
Alors ?
Alors on le disait en introduction, cette année voit la célébration du 30e anniversaire de cette ONG. Cet anniversaire, symbolique par le chiffre, l’est aussi par le contexte. Notre monde est en plein changement. Le monde est en crise ou plutôt en crises : crise climatique, la planète va droit dans le mur ; crise migratoire ; crise géopolitique avec de nombreux conflits qui se prolongent ou se réactivent. On citera la guerre en Ukraine, Gaza et celui un peu plus lointain dans le Caucase opposant Arménie et Azerbaïdjan. Et il y en a d’autres : RDC, Iran, etc. Toutes ces crises s’interpénètrent et, parmi toutes leurs conséquences, impactent fortement l’action humanitaire. Cette dernière a été profondément transformée en 30 ans. Le monde est en plein replis sur lui-même. L’obtention de visas, la circulation des marchandises et des personnes sont rendues extrêmement compliquée. Et c’est encore plus le cas depuis l’épidémie de Covid qui a vu certaines libertés fondamentales comme la libre circulation des personnes, remises en cause au nom de l’intérêt supérieur de la santé publique. Mener des actions dans certaines zones du monde devient mission impossible. On tire sur l’ambulance au propre comme au figuré, et certains hôpitaux sont pris pour cibles (https://www.france24.com/fr/asiepacifique/20211102-afghanistan-unattentat-suicide-contre-unh%C3%B4pital-%C3%A0-kaboul-faitplusieurs-morts). À cela s’ajoute un phénomène nouveau qui a profondément transformé nos façons de vivre. Nous vivons dans l’instantanéité permanente, le toujours plus vite et à portée de clics. Le touareg dans le Sahel ou le pashtoune au Pakistan voient tout de suite sur son portable qu’un traitement pour son enfant ou son proche existe et que tous les jours des dizaines de patients sont traités dans nos pays. Les nouvelles technologies ont rendu accessibles l’information en temps réel. On a vu, au moment de la crise en Syrie, les flux migratoires évoluer et réagir en temps réel aux annonces. Une frontière se ferme, des milliers de migrants l’apprennent dans les secondes qui suivent et modifient leur itinéraire. Formidable technologie mais qui contribue au sentiment d’injustice, voire d'incompréhension.
Alors face à ces changements, de nouveaux défis nous attendent. À nous d’utiliser au mieux ce formidable outil qu’est LCDE. Les interventionnels, et tout particulièrement les plus jeunes, ont leur rôle à jouer. Le projet vasculaire en cours de développement qui sera bientôt présenté en est un exemple. Nous pouvons nous prévaloir de l’héritage des french doctors et d’une expertise de la médecine française qu’il est essentiel d’entretenir et de faire rayonner à l’international. Et au-delà de l’aspect technique, la rencontre humaine est là.
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