Publié le 30 oct 2023Lecture 7 min
Les rôles et missions de l’ANSM au sein du système de santé français
Joseph EMMERICH, Service de médecine vasculaire, Hôpital Paris Saint-Joseph, Paris Université Paris Cité, INSERM CRESS 1153
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Organisation du système de santé, le rôle du ministère
L’organisation de la prévention et des soins dépend en France du ministère de la Santé et de la Prévention. Le ministre « élabore et met en œuvre, en liaison avec les autres ministres compétents, les règles relatives à la politique de protection de la santé contre les divers risques susceptibles de l’affecter ; il est également compétent en matière de professions médicales, paramédicales et de fonction publique hospitalière. Il est compétent en matière de lutte contre la toxicomanie. Il participe, avec les autres ministres compétents, à l’action du gouvernement en matière de recherche et de promotion de l’innovation dans le domaine de la santé. Il prépare et suit les travaux du comité interministériel pour la santé »(1). Outre les structures du ministère sur lesquelles le ministre a autorité seul ou conjointement avec d’autres ministres, il peut aussi s’appuyer sur une vingtaine d’agences et opérateurs, ce qui est un chiffre assez conséquent (tableau). Quelques agences, comme l’Inserm, la CNAMTS, les ARS, l’EHESS, etc. sont très bien identifiées. Les missions d’autres agences le sont beaucoup moins par les médecins cliniciens non familiers des arcanes complexes de la santé publique française. Ainsi, par exemple, les missions de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) sont trop souvent confondues avec celles de la Haute Autorité de santé (HAS).
Le rôle de l’ANSM
L’ANSM a été créée par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, et a été mise en place le 1er mai 2012. Cette création faisait suite au scandale du Médiator®, scandale dans lequel l’agence du médicament précédente l’Affsaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a failli à remplir ses missions définies par certains acteurs de la santé publique française comme « l’évaluation, la précaution, l’impartialité, la transparence »(3). Établissement public administratif, l’ANSM est composé d’un effectif d’environ 1 000 personnes regroupées sur 3 sites (Saint-Denis, Lyon et Montpellier-Vendargues). En comparaison, la FDA américaine a un nombre équivalent temps plein de 18 000 personnes, dont 5 600 travaillent sur les médicaments, 1 800 sur les dispositifs médicaux et près de 5 000 aux affaires réglementaires(4) ! L’ANSM est exclusivement financée par une subvention de l’État.
Ses compétences s’appliquent aux médicaments et aux matières premières, aux dispositifs médicaux et aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, aux produits biologiques d’origine humaine (produits sanguins labiles, organes, tissus, cellules, produits de thérapies génique et cellulaire), et aux produits thérapeutiques annexes, aux produits cosmétiques et aux produits de tatouage, etc.
Les missions et compétences de l’ANSM
Les missions de l’ANSM(5) sont :
– la mesure régulière de l’évolution du rapport bénéfice/risque des médicaments commercialisés, tout au long de leur cycle de vie, des essais cliniques (que l’ANSM autorise et surveille) jusqu’à leur retrait du marché ;
– l’encadrement des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM) par la rénovation du dispositif des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et l’encadrement des prescriptions hors AMM via les recommandations temporaires d’utilisation (RTU) ;
– la promotion de la recherche académique sur la sécurité d’emploi des médicaments par le lancement d’appels à projets à destination des organismes de recherche et des établissements de santé, et par la création d’un GIP (Groupement d’intérêt public) entre l’État, la HAS, l’Institut de veille sanitaire (InVS), la CNAMTS et l’ANSM pour la réalisation d’études de vigilance et d’épidémiologie ;
– le renforcement de l’encadrement de la publicité via une autorisation préalable pour toute publicité sur les médicaments à destination des professionnels de santé et pour les dispositifs médicaux à risque, et l’interdiction de publicité pour tout médicament en cours de réévaluation du rapport bénéfice/risque à la suite d’un signalement de pharmacovigilance ;
– l’intensification des actions d’information sur les bénéfices et les risques des médicaments et des produits de santé, notamment la mise à disposition des décisions prises par l’ANSM, de manière adaptée aux attentes et besoins ;
– faciliter l’accès aux innovations thérapeutiques.
Pour mener à bien ces missions dans l’ensemble de ses champs de compétence, l’ANSM :
– assure la mise en œuvre des systèmes de vigilances relatifs aux produits de santé, évalue et exploite les signalements de vigilance dans un but de prévention et prend, le cas échéant, des mesures correctives (retrait de produit, de lots, etc.) ou préventives (informations aux professionnels de santé, etc.) ;
– assure des contrôles en laboratoire, dans un contexte national ou dans le cadre d’une coordination européenne, via l’EMA (European Medicines Agency). L’activité de contrôle en laboratoire s’inscrit dans deux domaines : d’une part, la libération de lots de vaccins et de médicaments dérivés du sang et, d’’autre part, l’ensemble des produits de santé de nature diverse (biochimiques, immunologiques, physicochimiques, biologiques, microbiologiques, immuno-hématologiques). Ces contrôles interviennent sur des échantillons de lots de produits déjà présents sur le marché ;
– réalise des inspections pour tous les produits de santé relevant de sa compétence, y compris au plan international. Ces inspections concernent les opérateurs, industriels ou institutionnels, qui exercent des activités de fabrication, d’importation ou de distribution des produits de santé, ou mènent des essais cliniques ou non cliniques ou qui exercent des activités de pharmacovigilance. Elles portent sur le contrôle du respect des dispositions législatives et réglementaires. L’agence peut également solliciter ou interagir avec d’autres équipes d’inspection de l’État dans ces missions de police sanitaire ;
– gère toute situation de crise sanitaire concernant son domaine de compétence.
Enfin, l’ANSM représente la France au sein de l’EMA, avec des représentants siégeant au sein des 7 différents comités où se retrouvent tous les membres de l’Union européenne, ainsi que les « working parties », comme le CHMP (Committee for medicinal products for human use), le PRAC (Pharmacovigilance risk assessment committee), etc.(6).
Le point de vue du professionnel de santé
Du point de vue du clinicien, ayant travaillé plusieurs années au sein de l’ANSM, les agents qui y travaillent ont une excellente expertise dans leur domaine de compétences, mais la santé publique française pèche par une organisation qui n’est pas du tout en phase avec les acteurs de terrain de la santé, c’est-à-dire les cliniciens, pharmaciens et autres parties prenantes. Il y a plusieurs raisons à cet état de fait :
– une charge technocratique importante inhérente au fonctionnement français, avec une organisation de la santé publique qui repose sur les mêmes organisations depuis plus de 30 ans, sans quasiment aucune passerelle entre les cliniciens et la santé publique, et vice-versa. Les regroupements récents de certaines agences ou les modifications d’organisation n’ont pas fondamentalement changé ce constat ;
– un personnel souvent pas assez nombreux pour remplir au mieux ses missions. On peut, par exemple, regretter la relative faible place que représente la France au CHMP, organe majeur de l’EMA, malgré les rémunérations européennes importantes allouées pour les expertises de dossier, car notre système bureaucratique empêche que cet argent revienne en totalité à l’ANSM qui pourrait engager plus de personnel en fonction du nombre de dossiers d’AMM expertisés ;
– une absence d’indépendance par rapport au ministère et une surcharge de travail imposée par des saisines ou demandes pas toujours cohérentes ni justifiées ;
– une redondance d’expertise entre certaines agences, par exemple entre l’ANSM et la Commission de transparence de la HAS. C’est d’ailleurs cette dernière qui est responsable des importants retards ces dernières années des dispositions des nouvelles classes thérapeutiques comme les glifozines, les anti-PCSK9, le rivaroxavan à faible dose (2,5 mg), etc., et non pas l’ANSM comme le pensent souvent les cliniciens. Fin 2022, 34 % des médicaments ayant reçu une AMM européenne entre 2018 et 2021 n’étaient pas disponibles en France contre 13 % en Allemagne et 19 % en Italie ;
– la multiplicité des agences et opérateurs de santé est aussi un frein pour des réformes courageuses, le pouvoir politique s’abritant derrière le système actuel ou arguant de la lourdeur de ce dernier.
En conclusion
Cet état de fait et la dichotomie complète entre les principaux responsables de la santé publique et les cliniciens confrontés à une situation de pénurie de médecins et de personnel paramédical, n’augurent malheureusement pas de changements ou de réformes bénéfiques à court et moyen terme.
En ce qui concerne l’accès aux innovations et la production de médicaments, il a été très récemment souligné que l’attractivité de la France baisse et, selon les industriels du médicament, la France est un élève très moyen au sein de l’Europe(7).
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