Publié le 15 mar 2019Lecture 7 min
L’organisation de la justice en France
Laurent CASBAS, Expert près le Cour d'Appel de Toulouse – Chirurgien vasculaire, Centre de chirurgie thoracique, vasculaire et endocrinien, Clinique Rive Gauche
L’organisation de la justice est très complexe en France pour tous les citoyens, elle l’est encore plus pour le médecin qui dépend, en plus, de juridictions supplémentaires.
Comme tous les citoyens, le médecin est responsable civilement et pénalement pour tous ses actes privés comme professionnels. Mais d’autres instances sont spécifiques à la profession médicale : le Conseil de l’ordre et les Chambres de conciliation et d’indemnisation.
Il va falloir essayer de se repérer dans ces méandres auxquels la profession médicale est peu habituée, pour savoir et comprendre quels sont les enjeux lorsque l’on est mis en cause.
D’une manière générale, le droit français est un droit codifié, les codes sont un recueil de textes et dispositions, par exemple le Code civil, le Code pénal, le Code de santé publique, etc. Ces différents codes sont les principes de base et donnent les définitions de ce qui est permis et de ce qui est interdit, ainsi que la marche à suivre pour les procédures. D’où le principe fondamental de légalité (respect des textes et des procédures), toutes les mises en causes et les différents acteurs doivent s’y conformer.
L’autre grand principe est l’existence de plusieurs degrés de juridiction, qui permettent aux justiciables de faire rejuger leur cas s’ils l’estiment nécessaire.
Il faut essayer de dresser un tableau schématique de l’organisation des différentes juridictions, en distinguant, celles dont la but est la répression, c’est-à-dire la punition d’une faute, et celles dont le but est la réparation, c’est-à-dire la compensation d’un préjudice.
Pour compliquer, les choses, il existe plusieurs ordres judiciaires en France qui peuvent exercer ces deux types de finalités.
L’ordre administratif
C’est un ordre judiciaire qui gère les litiges entre les personnes et l’État. En effet, l’État estime que compte tenu de ses charges particulières, il a le droit à une juridiction à part, c’est l’ordre administratif (qui n’existe pas dans d’autres droits comme dans les pays anglo-saxons, dits de « common law », où le droit est le même pour tout le monde). Le droit administratif concerne l’État central, les collectivités territoriales, les entreprises publiques… comme des établissements hospitaliers publics, les associations dépositaires d’une mission de service public… comme le Conseil de l’ordre des médecins.
Il existe plusieurs niveaux de juridiction : le tribunal administratif, la Cour administrative d’appel, le Conseil d’État, juridiction de cassation du droit administratif (la cassation signifie casser un jugement d’appel, si le droit n’a pas été respecté, il n’y a pas de jugement sur les faits mais sur l’application du droit). Pour le Conseil de l’ordre : le Conseil départemental de l’ordre, la Chambre disciplinaire du Conseil régional, le Conseil d’État étant l’instance de cassation.
Le droit administratif est un droit écrit, il n’y a pas d’audiences publiques.
L’ordre judiciaire
Il gère les litiges entre les personnes. Les audiences sont publiques.
Il est compétent en matière civile, c’est le tribunal de grande instance qui est le plus souvent compétent, puisque lui sont attribuées toutes les affaires ne relevant pas d’une autre juridiction (affaires sociales, affaires familiales, prud’hommes, etc.). Très important à noter, en droit civil la réparation est soumise à l’existence d’une faute.
L’ordre judiciaire est aussi compétent en matière pénale, avec le Tribunal correctionnel pour les délits, et la Cour d’assise pour les crimes. Un médecin peut être accusé de coups et blessures, violences volontaires, d’homicide volontaire ou involontaire, empoisonnement, omission de porter secours, etc.
Il existe plusieurs niveaux de juridictions : Cour d’appel, Cour d’assise d’appel et la Cour de cassation.
Cas particulier de la Chambre de conciliation et d’indemnisation (CCI)
Mise en place par la loi du 4 mars 2002, c’est une instance particulière pour la prise en charge des « accidents médicaux ». Comme vu précédemment, en droit civil, la reconnaissance d’une faute dans l’exécution du contrat passé entre le praticien et le patient est nécessaire à l’ouverture d’une possibilité d’indemnisation. La relation de soin étant vue comme l’exécution d’un contrat passé tacitement entre le patient et le médecin qui s’engage à rétablir la santé du premier. Or souvent, il existe des complications qui sont survenues, alors que les protocoles et les recommandations ont été respectés et que la pratique était conforme aux règles de l’art. Le préjudice pour le patient pouvait néanmoins être considérable et il n’existait pas de possibilité d’indemnisation.
C’est ce que la loi du 4 mars 2002 a essayé de combler, et ainsi éviter l’engorgement des tribunaux, en instituant, d’une part, l’Organisme national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), – institution chargée de gérer un fonds de garantie, alimenté par la solidarité nationale et les assureurs –, et d’autre part, les CCI qui examinent et évaluent les dossiers d’indemnisation.
Chaque CCI est composée d’un magistrat de l’Ordre administratif, de juristes, de médecins, de représentants des établissements de santé, des assureurs privés, de l’ONIAM et des associations de patients. Un patient s’estimant victime d’un accident médical, saisit en ligne la CCI, sans l’intermédiaire d’un avocat ; la CCI examine le dossier et si les critères d’éligibilité sont remplis (atteinte à l’intégrité physique et psychique > 25 %, déficit fonctionnel temporaire de 6 mois, inaptitude définitive, troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence), un expert est nommé. Puis la CCI réexamine le dossier et le rapport d’expertise et se prononce. S’il existe une faute, l’assureur du responsable doit faire une proposition d’indemnisation, s’il n’y a pas de faute et que la situation du patient remplit les critères d’éligibilité, l’ONIAM indemnisera.
Tout ce qui concerne les infections nosocomiales relève du domaine de compétences des CCI.
Répression et réparation
Les instances répressives qui vont sanctionner une faute :
– Les juridictions pénales ;
– La chambre disciplinaire du Conseil de l’ordre.
Les instances qui vont chercher une réparation d’un préjudice subi :
– Les juridictions civiles ;
– Les juridictions administratives ;
– Les CCI.
Le rôle de l’expert
Le magistrat est un spécialiste du droit et non de la médecine.
Dans une affaire où intervient une technicité, il demande l’aide d’un auxiliaire de justice connaissant ce domaine de compétence : l’expert.
L’expert n’est qu’un auxiliaire de justice mais qui intervient sous l’autorité d’un magistrat, y compris dans une procédure CCI. Sa convocation à l’accedit* n’est donc pas qu’une simple invitation…
Que pourrait-il se passer ?
Le Dr Laurent Cas est chirurgien vasculaire en installation libérale à Toul. Il prend en charge M. X, âgé de 62 ans, diabétique, qui présente une artériopathie oblitérante poplitée et distale stade IV, Rutherford 5. Le Dr Cas tente deux fois des recanalisations (poplitée et BTK), mais les troubles trophiques s’aggravent : il est décidé de réaliser une amputation transfémorale (Rassurez-vous, ce n’est qu’un cas hypothétique, cela n’arrive jamais…).
Le moignon cicatrise, le patient est transféré en centre de rééducation.
M. X est très mécontent, il a l’impression que la prise en charge médicale n’est pas conforme…
Que peut-il faire ?
1/ Porter plainte au pénal, pour mutilation volontaire (Art 222-9), le Parquet décidera ou non de poursuivre le Dr Cas, après éventuellement une enquête préliminaire. Cas très rare en vasculaire, cela peut arriver plus souvent dans d’autres spécialités, ou lors d’un suicide du patient dans l’établissement (défenestration). Il faut prévenir l’Assurance responsabilité civile, qui si elle ne paiera pas l’amende ou n’effectuera pas la peine de prison, fournira l’avocat pour la défense. L’affaire est classée sans suite.
2/ Porter plainte au Conseil de l’ordre, en invoquant le non-respect du Code de déontologie. Le Dr Cas est convoqué au Conseil départemental en présence du patient, la conciliation est recherchée. S’il n’y a pas de conciliation, l’affaire est transmise à la Chambre disciplinaire qui jugera si des poursuites s’imposent.
3/ Porter plainte au Tribunal de grande instance, pour obtenir une réparation. C’est la justice civile qui est compétente, le Dr Cas étant libéral. S’il était praticien salarié hospitalier, le Tribunal administratif serait alors compétent. Un expert est nommé qui convoque toutes les parties, puis il rend un rapport. Comme il n’y a pas de faute, que chaque geste est justifié, expliqué et consenti par le patient, que les règles de l’art sont respectées, le demandeur est débouté.
4/ Saisir en ligne la CCI. Un expert est nommé qui convoque toutes les parties, puis il rend un rapport. Comme il n’y a pas de faute, que chaque geste est justifié, expliqué et consenti par le patient, que les règles de l’art sont respectées, soit les critères d’éligibilité ne sont pas respectés, le demandeur est débouté – il ne s’agit que de l’évolution naturelle de sa maladie –, soit les critères d’éligibilité sont respectés – comme les troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence –, et une indemnisation par l’ONIAM pourra éventuellement être accordée.
* NDLR : Réunion contradictoire que les experts judiciaires organisent avec les parties avant de clore le rapport que l’ordonnance, le jugement ou l’arrêt qui les a nommés, leur commande de déposer au secrétariat du Tribunal ou à celui de la Cour d’appel, selon le cas.
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