Grand angle
Publié le 15 oct 2022Lecture 7 min
Le retrograde open mesenteric stenting (ROMS)
Jean SÉNÉMAUD, Iannis BEN ABDALLAH, Arnaud ROUSSEL, Paul LABED, Régis RENARD, Yves CASTIER, service de Chirurgie vasculaire, thoracique et de transplantation pulmonaire, CHU Bichat-Claude Bernard, Paris
Malgré des progrès récents, l’ischémie mésentérique aiguë (IMA) reste une pathologie grevée d’une mortalité élevée et d’une incidence fréquente d’un syndrome de grêle court très invalidant chez les survivants. Le retrograde open mesenteric stenting (ROMS) est une technique hybride associant l’abord chirurgical par laparotomie et la revascularisation endovasculaire rétrograde de l’artère mésentérique supérieure (AMS). Cette technique présente l’avantage de pouvoir combiner dans le même temps opératoire une revascularisation rapide et reproductible de l’AMS et l’évaluation/résection du tube digestif.
Quelques séries ont décrit des résultats satisfaisants en termes de succès technique et de perméabilité du ROMS dans l’IMA(1,2). Toutefois, de nombreuses complications spécifiques à cette technique peuvent conduire à une iatrogénie et des taux importants de réinterventions, qui induisent une morbimortalité supplémentaire chez des patients au terrain très altéré.
Des indications précises
Notre expérience commencée en 2012 s’est étoffée grâce à un réseau pluridisciplinaire associant gastroentérologues, radiologues interventionnels, anesthésistes- réanimateurs, chirurgiens vasculaires et digestifs : le réseau SURVI (Structure d’urgences vasculaires intestinales). Cette expérience nous fait retenir trois indications de ROMS dans l’IMA.
• Échec de recanalisation antérograde de l’AMS.
• Lésions complexes de l’AMS défavorables pour la voie antérograde : lésions occlusives > 3 cm, calcifications majeures, accès vasculaires hostiles.
• Forme tardive d’IMA nécessitant une laparotomie urgente (péritonite ou risque élevé de nécrose digestive), en présence de lésions complexes de l’AMS.
Une technique particulière
L’intervention commence par une laparotomie xyphopubienne et le bilan des lésions digestives en présence du chirurgien viscéral. La revascularisation prime sur la résection. En cas de péritonite, une résection expéditive est menée avec moignons fermés. L’abord de l’AMS pré et sous-duodénale est alors conduit avec une mise sur lacs en silastic du tronc et des différentes collatérales. En fonction des lésions du scanner préopératoire, une endartériectomie et/ou une thrombectomie de l’AMS peut être indiquée. Cette dernière peut se faire soit avant (ce que nous recommandons), soit après le ROMS. Dans ce cas, le matériel à privilégier est le patch veineux saphène autologue.
Après héparinisation systémique à la dose de 50 UI/kg, l’AMS (ou le patch) est ponctionnée le plus bas possible et un introducteur de 6 F court est alors placé de façon rétrograde. Le cathétérisme de l’AMS est réalisé de profil à l’aide de guides 0,035’’ et de sondes angulées. Il doit être prudent en raison du risque de dissection aortique. En cas de lésions occlusives, des sondes de franchissement peuvent être utiles (CXI®, Cook Medical). Une fois la lésion franchie, l’introducteur court 6 F est remplacé par un 7 F de 45 cm sur guide rigide (Rosen, Cook Medical ou Advantage™, Terumo) qui servira à monter le stent de façon protégée en cas de stenting rétrograde (figure 1A).
Il est recommandé de réaliser une prédilatation de la lésion AMS à l’aide d’un ballon de 4 x 40 ou 4 x 60 mm afin de préparer la lésion et de permettre la progression de l’introducteur long 7 F dans l’aorte. Ensuite, un stent couvert sur ballon en acier (dans notre pratique un Advanta V12, Getinge ou un LifeStream™, Bard), ou en chrome-cobalt (BeGraft, Bentley) est déployé dans la partie proximale de l’AMS de façon protégée dans l’introducteur long 7 F avec un débord intra-aortique d’au moins 5 mm (figure 1B). Il s’agit le plus souvent d’un stent de 6 à 8 mm de 22 à 38 mm de longueur.
L’introducteur long est alors retiré avec soin sans le faire sortir de l’AMS pour permettre l’inflation du stent. Nous recommandons de sur-dilater (flarer) l’extrémité proximale du stent avec un ballon court de diamètre de 1 à 2 mm supérieur au diamètre du stent (figure 1C). Il est conseillé à ce stade réaliser une aortographie par voie antérograde de face et de profil pour évaluer le résultat du stenting et le réseau artériel mésentérique d’aval (figure 1D). En cas de résultat satisfaisant, l’introducteur 7 F est retiré et l’artériotomie est fermée par suture directe ou par point sur le patch.
Une variante technique de la procédure
Il s’agit de la réalisation d’un téléphérique (Snare 7 F, guide Terumo 0,035’’, 260 cm), à partir de la voie fémorale pour se retrouver en position antérograde. Cette alternative décrite par GS Oderich et son équipe(1) a plusieurs avantages :
– travailler avec une meilleure qualité d’imagerie (plus grande précision pour le positionnement du stent),
– traiter plus facilement une dissection ou une lésion résiduelle post-stent),
– limiter le saignement lié au risque de sortie fréquente de l’introducteur 7 F par l’AMS dont l’accès sous le capteur est souvent pénible.
Après restauration du flux artériel, la résection digestive est alors entreprise. Un angioscanner abdominal est systématiquement réalisé dans les heures suivants le geste afin de dépister et de traiter précocement toute complication technique.
Ce qu’il faut (idéalement) faire
Le stent doit être choisi avant de débuter l’intervention en fonction de l’anatomie des lésions et du sizing préopératoire.
L’abord de l’AMS peut être malaisé en l’absence d’écarteurs autostatiques. Il convient de se faire prêter main forte car l’abord de l’AMS doit être extensif et doit permettre le clampage total en cas d’endartériectomie associée. La condition sine qua none du ROMS est la qualité de l’imagerie.
Nous recommandons très fortement l’utilisation d’une salle hybride en vérifiant que l’arceau puisse réaliser un profil strict sans conflits avec la table d’opération. Un injecteur de produit de contraste et un abord percutané fémoral pour l’aortographie (à réaliser en apnée) sont indispensables.
En pratique courante, nous avons standardisé l’installation associant membres supérieurs relevés, billot sous les lombes et libération de tout matériel radio-opaque (figure 2). Il est important pour les opérateurs de diminuer la quantité de rayonnement, souvent importante (> 1 Gy dans certains cas) : l’utilisation d’un introducteur long (éloigne l’opérateur de la source), l’utilisation de fluoroscopie pulsée, et la réduction du champ d’irradiation.
Le patient doit ensuite être surdilaté dans sa portion aortique afin de faciliter des réinterventions ultérieures. Nous préconisons l’utilisation de stents en acier à haute force radiaire et couverts afin d’éviter la constitution de faux anévrismes. Il est chaudement recommandé de réaliser l’artériographie de contrôle par voie antérograde pour dépister tout problème technique d’aval. Dans la mesure du possible, ce contrôle ne doit laisser aucun doute qui pourrait faire courir le risque de thrombose précoce de la revascularisation.
En cas d’une plicature ou de dissection en sortie de stent (pas toujours évident à détecter sur l’angiographie de contrôle), il est conseillé de prolonger le stenting proximal par un stent autoexpansible en nitinol (figure 3).
Ce qu’il faut éviter
Le ROMS est le plus souvent une procédure d’urgence, réalisée en garde avec un support réduit, exposant à des risques élevés de réinterventions. L’abord de l’AMS doit être prudent afin d’éviter des pertes sanguines et un bas débit préjudiciable à la viabilité du tube digestif. Dans notre série(2), nous décrivons une incidence d’événements indésirables peropératoires et de réinterventions respectivement de 19 et 32 %. Les complications spécifiques du ROMS incluent la thrombose de stent (figure 4A), la migration de stent (figure 4B) et la présence d’une dissection ou d’une plicature en sortie de stent (figure 4C).
Ces complications se sont grandement réduites depuis l’harmonisation de notre technique comme décrite plus haut. Nous rapportons dans notre expérience un taux de succès technique élevé (89 %, 2). Les cas d’échec de recanalisation de l’AMS concernaient des occlusions longues (> 4 cm, figure 4D), pas nécessairement calcifiées ayant nécessité un pontage aorto ou iliofémoral prothétique.
Bien qu’il soit difficile de sortir des recommandations avec un chiffre aussi faible, nous estimons que ces occlusions très longues sont de mauvais candidats au ROMS et devraient bénéficier d’autres techniques.
De bons résultats
Le ROMS permet d’obtenir des taux élevés de succès technique et de perméabilité primaires compris respectivement entre 83 et 98 % et entre 76 et 91 %(1-5). Les taux de mortalité à 30 jours varient de 20 à 45 % mais sont difficilement comparables d’une série à une autre. Toutefois, les réinterventions sont fréquentes durant le suivi (jusqu’à 74 %, 1) imposant une surveillance scannographique régulière.
Dans notre pratique du ROMS, nous utilisons exclusivement des stents couverts sur ballon. En effet, l’utilisation de stents couverts semble causer moins d’hyperplasie intimale intrastent à long terme par rapport aux stents nus dans la pathologie athéromateuse de l’AMS(6). Néanmoins, les stents couverts semblent plus à risque de causer des lésions hyperplasiques en sortie de stent(7).
Un autre risque théorique est l’infection du stent couvert, dans un milieu potentiellement contaminé (en cas de péritonite). Toutefois, aucun cas n’a été rapporté à ce jour, dont le risque semble moindre par rapport à un pontage prothétique.
Enfin, le ROMS semble donner des résultats à court terme comparables aux pontages mésentériques avec des durées opératoires en faveur du ROMS(5). Ces résultats prometteurs nécessitent toutefois des cohortes et des durées de suivi plus importantes pour évaluer les résultats du ROMS à long terme.
En conclusion
Le ROMS est une technique hybride permettant d’obtenir dans le même temps opératoire une revascularisation rapide et efficace de l’AMS et l’évaluation/résection du tube digestif. Il fournit de très bons résultats en termes de succès techniques et de perméabilité à court et moyen terme. Toutefois, de nombreux détails techniques doivent être connus afin de limiter le taux de réinterventions qui ne sont pas anodins chez des patients dont l’état général est souvent très précaire.
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