Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 31 aoû 2015Lecture 6 min
Cardiomyopathies hypertrophiques obstructives - Quelle est la place de la stimulation ?
N. BEHAR, P. MABO, C. DAUBERT, Service de cardiologie et maladies vasculaires, CHU de Rennes
La cardiomyopathie hypertrophique (CMH) est une affection génétique autosomique dominante relativement fréquente avec une prévalence de 1/500. Il s’agit d’une affection hétérogène, pouvant se révéler à tout âge, avec un pronostic très variable. Elle expose au risque de complications graves, essentiellement la mort subite dans le jeune âge, et à l’insuffisance cardiaque et aux accidents emboliques aux âges plus avancés(1-2).
Une obstruction dynamique intraventriculaire gauche est présente dans 30 à 50 % des cas et est associée à une limitation fonctionnelle et un pronostic plus sévère(3). En cas de gradient intraventriculaire > 50 mmHg et de symptômes invalidants, la première ligne de traitement est pharmacologique avec les bêtabloquants en première intention(4). Cependant il n’existe que peu d’études, le plus souvent de faible effectif et rétrospectives, ayant validé leur efficacité clinique : diminution du gradient intra-VG, amélioration des symptômes. En cas d’intolérance ou d’inefficacité, le traitement de 2e intention est le vérapamil, voire le disopyramide en association avec un bêtabloquant. En cas de symptômes sévères (classe NYHA ≥ III, ou classe II associée à des syncopes récurrentes et inexpliquées) et d’inefficacité ou d’intolérance des médicaments, le consensus(4) est de proposer un traitement non pharmacologique avec deux grandes options : la réduction septale par myomectomie chirurgicale ou cathétérisme interventionnel (alcoolisation septale), et le traitement électrique par stimulation DDD optimisée.
La réduction septale par myomectomie ou alcoolisation septale
Cette stratégie a une recommandation de classe IIa dans les dernières guidelines européennes et n’a jamais fait l’objet d’essais randomisés pour évaluer son efficacité et sa sécurité en comparaison au traitement médical. Les recommandations actuelles sont donc fondées sur des études observationnelles. Alors que la myomectomie, gold standard de la réduction septale est une technique utilisée depuis une cinquantaine d’années – essentiellement aux États-Unis(5) –, l’alcoolisation septale a été développée plus récemment et plus particulièrement en Europe(6).
L’approche chirurgicale réduit le gradient intra-VG de 90 % en moyenne avec une mortalité opératoire < 3 % dans les équipes expérimentées. Une cohorte portant sur près de 700 patients(7) a montré d’excellents résultats à long terme sur le gradient intra-VG, l’amélioration fonctionnelle se maintenant au terme d’un suivi moyen de 6,2 ± 3 ans et la survenue d’événements cliniques majeurs avec seulement 12 % des patients concernés au terme du suivi. Néanmoins, il faut nuancer ces résultats dans le sous-groupe des patients de plus 50 ans avec un taux d’événements deux fois plus important.
L’alcoolisation septale semble apporter des résultats similaires sans nécessité de sternotomie et avec des durées d’hospitalisation réduites(8). Une métaanalyse(9) a comparé les deux techniques et n’a pas mis en évidence de différence de mortalité à court ou long terme, ni de différence de bénéfice fonctionnel postprocédure. Néanmoins, le gradient résiduel était significativement plus important après alcoolisation septale. La principale différence entre les deux techniques est le risque de bloc AV induit avec nécessité d’implanter un stimulateur. Il est deux fois plus élevé (10-20 %) avec l’alcoolisation septale.
Le traitement électrique
Il a été introduit au début des années 1990. Plusieurs hypothèses physiopathologiques ont été avancées pour expliquer l’effet de la stimulation dans cette indication. Le retard de la contraction septale induit par la stimulation VD apicale permet de réduire la diminution de taille de la chambre de chasse, réduisant ainsi l’obstruction intra-VG (figure 1). Il a également été suggéré qu’un remodelage ventriculaire à plus long terme entraîne la diminution du gradient(10). L’asynchronisme induit par la stimulation VD apicale induirait une augmentation du volume télésystolique ventriculaire gauche provoquant une diminution du gradient intra-VG (modèles animaux et études chez l’homme)(11). Il pourrait également exister une diminution de l’effet Venturi par retard de contact entre le feuillet mitral et le septum, réduisant, voire supprimant le mouvement systolique antérieur de la mitrale. Plusieurs études cliniques menées à court terme ont montré une amélioration de la symptomatologie et une diminution du gradient intra-VG(12).
Figure 1. Effets hémodynamiques aigus de la stimulation VDD dans la cardiomyopathie hypertrophique obstructive. Le gradient intra-VG au départ est proche de 80 mmHg. Dès que la stimulation est activée, le gradient s’abaisse à 20 mmHg puis survient une extrasystole ventriculaire (PVC), suivie d’un cycle long majorant l’obstruction (120 mmHg). Sur les cycles suivants, on note une disparition progressive du gradient.
Les mêmes effets à plus long terme ont été rapportés sur des études observationnelles. L. Fananapazir et al.(13) ont étudié 84 patients avec stimulation DDD sur un suivi moyen de 2,3 ± 0,8 ans, avec le maintien d’une amélioration fonctionnelle et une diminution significative du gradient intra-VG. Deux autres études se sont même intéressées aux effets à très long terme de la stimulation DDD : E. Galve et al.(14) ont observé la persistance de la diminution du gradient sur un suivi moyen de 5 ans dans une cohorte de 50 patients. Des résultats similaires sur un suivi très long (11,5 ans en moyenne) ont été publiés par A. Lucon et al.(15) avec une amélioration clinique et hémodynamique.
Important : la stimulation DDD est le seul traitement non pharmacologique de la cardiomyo - pathie hypertrophique obstructive (CMHO) qui a été évalué par des études contrôlées randomisées comparativement au traitement médicamenteux.
Des études en cross over ont comparé stimulation DDD active avec délai AV optimisé versus stimulation inactive sur des périodes de 2 à 3 mois.
L’étude PIC(16) a montré une diminution significative du gradient intra-VG après 12 semaines de stimulation active sur une population de 83 patients (30 ± 25 mmHg vs 59 ± 36 mmHg ; p < 0,001). Il existait également une amélioration fonctionnelle. Cependant la durée totale d’exercice (critère primaire de l’étude), n’était pas améliorée dans la population globale ; seuls les patients les plus sévères (classe NYHA III) étaient améliorés. Il a été démontré dans une analyse ultérieure un effet placebo de la stimulation cardiaque dans l’amélioration de la qualité de vie.
L’étude M-PATHY(17) menée par B. Maron et al. a rapporté des résultats similaires sur 48 patients. La stimulation DDD était associée à une amélioration de la classe fonctionnelle NYHA et de la qualité de vie, ainsi qu’une réduction du gradient intra-VG.
La non-satisfaction du critère primaire dans ces études et la démonstration d’un effet placebo expliquent pourquoi les guidelines européennes n’ont attribué qu’une recommandation de faible grade (classe IIb) à l’option « électrique ». Ces travaux ont toutefois permis d’identifier des sous-groupes de répondeurs, principalement les patients âgés. Enfin, l’efficacité apparaît très dépendante de la qualité de la thérapie délivrée ; elle ne peut être optimale qu’en cas de capture ventriculaire permanente et complète à partir de l’apex VD, tout en préservant une fonction atriale pleinement efficace pour ne pas compromettre le remplissage de ces ventricules hypertrophiés, de petite taille et peu compliants.
Quel avenir pour le traitement électrique de la CMHO ?
Plusieurs arguments invitent à réévaluer l’efficacité clinique et le rapport bénéfice-risque de l’option « traitement électrique ».
• Des résultats individuels parfois spectaculaires.
• Les informations issues des études de cohorte sur le long ou très long terme indiquant un bénéfice clinique important et durable, parallèle à un remodelage ventriculaire progressif et adapté.
• Des indications de DAI en prévention secondaire et primaire qui tendent à s’élargir, donnant l’opportunité d’évaluer un traitement électrique global de la maladie associant désynchronisation (stimulation DDD optimisée) et défibrillation. Les recommandations de l’ESC(4) ont proposé de baser les indications de DAI sur un nouveau score de risque simplifié, rappelé en figure 2.
• Enfin, la morbidité imputable aux procédures de réduction septale, avec en particulier le risque de BAV pouvant dépasser 10 % au cours de l’alcoolisation septale avec la nécessité d’implanter un stimulateur cardiaque double chambre…
Figure 2. Indications d’implantation d’un défibrillateur dans la CMHO (ESC 2014). En prévention primaire, l’indication est basée sur l’évaluation d’un risque de mort subite établi à l’aide d’un score.
Ces observations invitent à entreprendre un nouvel essai clinique en bras parallèles, comparant l’approche électrique (DAI double-chambre avec stimulation DDD permanente et optimisation individuelle) et la réduction septale par alcoolisation transcoronaire (technique la plus utilisée en Europe). L’étude comporterait un double critère primaire : un critère clinique composite d’efficacité, évalué en non-infériorité et un critère de sécurité (complications liées à la procédure à 30 jours). Le suivi total par patient serait de 24 mois.
Cette approche bénéfice-risque devrait permettre de déterminer la valeur relative des deux stratégies de traitement et si la puissance de l’étude le permet, de définir les sous-groupes de patients susceptibles de bénéficier de l’une ou l’autre option.
"Publié dans RythmologieS"
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